Cass. com., 15 janvier 1973, n° 71-14.279
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Marseille Marine (Sté), Bouchery, Jeanson
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monguilan
Rapporteur :
M. Larère
Avocat général :
M. Lambert
Avocat :
Me Calon
LA COUR : - Sur le premier moyen : - Attendu que selon les énonciations de l'arrêt attaqué la société X France a, par acte du 15 novembre 1966, concédé pour trois ans à la société Marseille Marine la vente exclusive de ses bateaux dans un secteur déterminé, que Marseille Marine s'était engagée à vendre neuf bateaux par an et à payer en vingt-cinq lettres de change mensuelles la somme de 65 000 francs, montant d'une créance de la société X France sur Marseille Marine, que cette dernière société invoquant le refus par X France de lui remettre des bateaux de démonstration, après avoir réglé les six premières lettres de change cessa tout paiement, que Marseille Marine n'ayant vendu aucun bateau pendant la première année d'exécution du contrat, X France l'informa par lettre du 26 décembre 1967 qu'elle résiliait le contrat pour accorder la concession exclusive à une autre entreprise marseillaise ; que le 10 juin 1968 la société X France a fait assigner en paiement de la somme de 49 400 francs, montant des lettres de change impayées, tant Marseille Marine que Bouchery et Jeanson qui avaient donné leur aval aux dites lettres de change ; que Marseille Marine a demandé reconventionnellement la résolution du contrat du 15 novembre 1966 aux torts exclusifs de X France avec paiement de dommages et intérêts ; que de leur côté Bouchery et Jeanson ont demandé l'annulation pour dol de la convention du 15 novembre 1966 par laquelle ils avaient acquis de la société X France un certain nombre de parts sociales de Marseille Marine et s'étaient portés garants du paiement par cette société des lettres de change susvisées ; que l'arrêt infirmatif déféré déboute Marseille Marine, Jeanson et Bouchery de leur demande en annulation de la convention du 15 novembre 1966, déclare que le contrat de concession exclusive a été rompu abusivement par X France, sursoit à la condamnation de Marseille Marine, de Jeanson et de Bouchery au paiement de la somme de 49 400 francs jusqu'à ce que la " créance connexe en dommages et intérêts " de ces derniers contre X France " puisse être fixée et liquidée " ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, tout en déclarant recevables les conclusions de la société X France tendant exclusivement à faire rejeter des débats les pièces non communiquées avant clôture, passé outre sans autre explication à cette exception de communication de pièces, alors selon le pourvoi, qu'il est interdit aux juges de baser leur décision sur les pièces non communiquées et qu'à tout le moins les juges étaient tenus de s'expliquer sur le rejet d'exception de communication de pièces faute de quoi ils entâchaient leur décision d'un défaut de réponse à conclusions ;
Mais attendu que le moyen ne précise pas quelles pièces auraient été communiquées par Marseille Marine après l'ordonnance de clôture ; qu'ainsi la cour de cassation n'est pas en mesure d'apprécier la portée du moyen ; que dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que le pourvoi soutient, d'une part, que la cour d'appel, dans la mesure où elle était saisie par Marseille Marine, Bouchery et Jeanson d'une demande tendant à l'allocation de dommages-intérêts à leur profit en raison du fait que X France aurait méconnu les engagements à elle imposés par le contrat d'exclusivité en chargeant un autre agent exclusif de la vente de ses produits, ne pouvait condamner X France pour n'avoir pas respecté ses obligations contractuelles sans avoir au préalable déterminé si Marseille Marine, à laquelle était opposée par X France l'exception non adimpleti contractus, n'avait pas, de son côté et préalablement, méconnu ses propres obligations, rompant ainsi un contrat dont la méconnaissance subséquente n'aurait pu dès lors être imputée à faute à X France, d'ou il suit qu'en décidant que X France avait rompu abusivement le contrat avant de connaitre le résultat de l'expertise lui permettant de savoir si Marseille Marine avait ou non, de son côté, exécuté ses propres obligations et si, dès lors, l'exception non adimpleti contractus pouvait ou non être opposée à sa demande, l'arrêt attaqué a méconnu les dispositions de l'article 1184 du Code civil et, d'autre part, et en tout cas, qu'après avoir reconnu que si Marseille Marine avait méconnu ses propres obligations, X France aurait été en droit de vendre directement des produits de sa fabrication et que, dès lors, elle aurait pu également et pour la même raison, désigner un autre agent exclusif, l'arrêt attaqué, par une disposition contradictoire et dépourvue de toute justification le lui interdit ;
Mais attendu que la cour d'appel décide à bon droit et sans contradiction que la société X France, même au cas où il serait ultérieurement établi que Marseille Marine n'aurait pas exécuté ses propres obligations contractuelles, ne pouvait cependant résilier unilatéralement, de son propre chef, le contrat de concession conclu pour trois ans et que la faculté qu'avait X France d'opposer l'exception non adimpleti contractus l'autorisait seulement dans cette hypothèse à ne pas exécuter son obligation de respect de l'exclusivité et donc à vendre elle-même dans le secteur concédé jusqu'à ce que Marseille Marine respecte sa propre obligation de payer les lettres de change, mais non à choisir, dès le début de l'année 1968, un autre agent exclusif sans avoir, au préalable, fait prononcer la résolution judiciaire des conventions ; d'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 1291 du Code civil ; - Attendu que l'arrêt attaqué décide de surseoir à la condamnation au paiement de la somme de 494 00 francs due par la société Marseille Marine jusqu'à ce que la créance connexe en dommages et intérêts de cette société contre X France puisse être fixée et liquidée ;
Attendu cependant que la cour d'appel avait déclaré que le préjudice subi par Marseille Marine pourrait être nul au cas où l'existence de la promesse verbale de livrer des bateaux d'exposition et de démonstration ne serait pas établie par l'expertise ordonnée ;
Attendu qu'en admettant ainsi pour le seul motif de la connexité le principe d'une compensation non demandée entre des créances dont l'une n'était même pas certaine, la cour d'appel à violé le texte susvisé ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement dans les limites du troisième moyen, l'arrêt rendu le 2 juillet 1971 entre les parties, par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; Remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Nîmes.