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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 19 novembre 2009, n° 08-03893

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Socrep (Sté)

Défendeur :

Bourjois (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Lonne, M. Testut

Avoués :

SCP Debray-Chemin, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod

Avocats :

Mes Meslay-Caloni, Menard Serrand, Assor

T. com. Nanterre, 2e ch., du 14 mars 200…

14 mars 2008

Vu l'appel interjeté le 23 mai 2008, par la société Socrep d'un jugement rendu le 14 mars 2008 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a :

* dit que le non-renouvellement du contrat du 16 octobre 1997 est intervenu d'un commun accord et que la rupture des relations commerciales établies entre la société Bourjois et la société Socrep n'est pas fautive,

* débouté cette dernière de ses demandes,

* pris acte de la proposition de la société Bourjois de reprendre le stock aux conditions prévues à l'article 19 du contrat du 16 octobre 1997, à condition que la société Socrep justifie de l'ampleur, de l'état et de la valeur de son stock,

* dit qu'à défaut pour la société Socrep de justifier de l'ampleur, de l'état et de la valeur de son stock, un inventaire contradictoire devra être établi entre les sociétés Bourjois et Socrep en conformité avec les dispositions de l'article 19 du contrat,

* condamné la société Socrep à payer à la société Bourjois :

- la somme de 20 319,87 euro avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, au titre de factures impayées,

- la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* débouté les parties de leurs autres demandes,

* condamné la société Socrep aux dépens.

Vu les dernières écritures en date du 21 août 2009, par lesquelles la société Socrep, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de :

* dire fautive la rupture par la société Bourjois de la relation commerciale établie depuis le 1er juin 1968,

* condamner la société Bourjois à lui payer à titre de dommages et intérêts :

- 216 807,21 euro en réparation de l'absence de respect d'un préavis raisonnable,

- 9 793,43 euro en réparation du préjudice lié aux licenciements de ses salariés,

- 130 313 euro en réparation de son préjudice d'image,

- 19 288 euro en réparation du préjudice subi sur la vente du stock,

- 139 415,32 euro en réparation du préjudice lié au tarif pratiqué durant l'exécution du contrat en comparaison avec ceux accordé à la société Cosmetica et à l'absence de soutien de la société Bourjois face à la contrebande et à la contrefaçon,

* dire que ces condamnations seront augmentées des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation du 21 février 2006,

* ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

* débouter la société Bourjois de l'intégralité de ses demandes,

* condamner la société Bourjois au paiement de la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Vu les dernières écritures en date du 17 mars 2009, aux termes desquelles la société Bourjois, sollicitant la confirmation du jugement déféré, prie la cour de :

• à titre principal :

* dire que la lettre du 11 août 2003 est signée par elle-même et la société Socrep,

* dire que le non-renouvellement du contrat du 16 octobre 1997 est intervenu d'un commun accord,

• à titre subsidiaire,

* dire que la société Socrep a renoncé, au titre du contrat du 16 octobre 1997, à toute prétention résultant du contrat du 27 juin 1968,

* dire que le contrat du 16 octobre 1997 pouvait être dénoncé chaque année moyennant le respect d'un préavis de trois mois,

* dire que le contrat du 16 octobre 1997 prévoit que son non-renouvellement n'entraînera le paiement d'aucune indemnité de part et d'autre,

* dire que le préavis dont a bénéficié la société Socrep est de 12 mois à compter de la lettre du 11 août 2003, de 13 mois à compter de la réunion du 8 juillet 2003,

* dire que la rupture des relations contractuelle n'a pas été brusque,

* dire que conformément au contrat du 16 octobre 1997, le non-renouvellement pouvait intervenir sans motif et sans indemnité,

* dire que la cessation des relations contractuelles n'est pas fautive,

• à titre plus subsidiaire :

* dire que la société Socrep ne justifie du moindre préjudice,

* la débouter de l'intégralité de ses demandes,

• à titre reconventionnel :

* dire que la société Socrep reste débitrice de la somme de 20 319,87 euro,

* la condamner au paiement de cette somme avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,

* la condamner au paiement de la somme de 20 000 euro tant au titre des frais irrépétibles de première instance que d'appel,

* la condamner en tous les dépens.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

* la société Bourjois fabrique des produits de soins et de beauté qu'elle distribue dans de nombreux pays et notamment le Maroc depuis 1939,

* par contrat du 27 juin 1968, cette société a concédé à la société Orep la distribution exclusive de ses produits ainsi que la fabrication locale, sous licence, d'une partie d'eux, pour une durée indéterminée, renouvelable chaque année par tacite reconduction et résiliable chaque année, sans paiement d'aucune indemnité de part et d'autre,

* par contrat du 16 octobre 1997, la société Bourjois et la société Orep, portant pour nouvelle dénomination celle de Socrep, ont mis un terme à la convention du 27 juin 1968 et ont décidé d'y substituer, à compter du 1er janvier 1997, un nouveau contrat de distribution exclusive sur le territoire marocain, la société Socrep disposant de la faculté de [distribuer des] produits similaires de marques concurrentes après l'obtention de [l'accord de] la société Bourjois,

* ce contrat a été conclu pour une durée de deux ans, renouvelable par tacite reconduction d'année en année,

* à la suite d'une réunion du 8 juillet 2003, la société Bourjois, par lettre du 11 août 2003, contresignée par la société Socrep, a mis fin aux relations contractuelles,

* cette lettre rappelait que conformément à l'article 2 du contrat ci-dessus mentionné, le contrat prendra donc fin le 31 décembre 2003 et son non-renouvellement n'entraînera le paiement d'aucune indemnité de part et d'autre,

* la société Bourjois a accordé à la société Socrep, afin d'écouler son stock, la possibilité de passer de nouvelles commandes et l'exclusivité de la distribution de sa marque jusqu'à la fin du mois de septembre 2004,

* la société Socrep a passé deux commandes, l'une au mois de janvier 2004 à hauteur de 26 670,66 euro, la seconde au mois d'avril 2004 à hauteur de 30 947,88 euro,

* parallèlement, la société Bourjois s'est rapprochée de la société Cosmetica pour la distribution de ses produits sur le territoire marocain,

* par télécopie du 28 septembre 2004 et courrier du 31 décembre 2004, la société Socrep a contesté la rupture des relations contractuelles,

* par lettre du 25 février 2005, la société Bourjois lui a rappelé que la décision de ne pas renouveler le contrat était commune, prise dans la lignée de la réunion du 8 juillet 2003, et qu'elle avait bénéficié tant d'un préavis que de la possibilité d'écouler son stock,

* par un courrier du 9 mai 2005, la société Socrep a sollicité l'indemnisation de son préjudice,

* le 13 mai 2005, la société Bourjois lui a répondu qu'aucune indemnité ne lui serait versée, le non-renouvellement des relations étant intervenu dans le respect du contrat et d'un commun accord,

* c'est dans ces circonstances, que la société Socrep a assigné le 21 février 2006, la société Bourjois devant le Tribunal de commerce de Nanterre afin de voir juger fautive la rupture de la relation commerciale et obtenir la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi;

Sur la rupture des relations contractuelles:

Considérant que la société Bourjois, pour s'opposer aux demandes de la société Socrep, prétend que la rupture des relations contractuelles est intervenue, d'un commun accord, lors d'une réunion du 8 juillet 2003 et a été formalisée par la lettre du 11 août 2003, sur laquelle chaque partie a apposé sa signature, la société Socrep ayant ajouté la mention " lu et approuvé ";

Considérant que la société Socrep soutient au contraire que les relations contractuelles ont été unilatéralement résiliées par la société Bourjois et fait valoir que la lettre litigieuse a été rédigée par la seule société Bourjois qui a décidé, sans aucune concertation, de quitter le marché marocain ainsi qu'elle l'avait annoncé lors de la réunion du 8 juillet 2003;

Qu'elle ajoute que l'article 2 du contrat du 16 octobre 1997 stipulait la notification du non-renouvellement par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée au plus tard le 30 septembre précédant la date d'expiration de chaque période et qu'en méconnaissance de ces dispositions, la lettre du 11 août 2003, a été remise en mains propres à sa dirigeante à l'occasion de l'un de ses déplacements en France;

Considérant que cette lettre, rédigée sur un papier à en-tête de la société Bourjois est ainsi libellée : "Comme nous en avons convenu lors de notre réunion du 8 juillet dernier, nous vous confirmons, par la présente, notre intention de ne pas renouveler le contrat de distribution exclusive entre les sociétés Bourjois et Socrep signé le 16 octobre 1997 en raison de la baisse constante du chiffre d'affaires depuis trois ans et de la non-rentabilité des ventes de produits Bourjois sur le territoire du Maroc... En outre, nous vous confirmons que vous êtes autorisé à vendre les produits Bourjois jusqu'à épuisement du stock... Nous vous remercions d'accuser réception de cette lettre en nous la retournant signée..".;

Qu'elle porte la signature de la dirigeante de la société Socrep et la mention " lu et approuvé ";

Considérant qu'il ressort de la lecture de ce document que la société Bourjois n'a fait que présenter sa décision de se retirer du marché marocain en raison de la non-rentabilité des ventes de ses produits sur ce territoire;

Qu'il n'est pas constaté que la société Socrep, distributeur exclusif des produits Bourjois au Maroc depuis 1968, n'avait aucun pouvoir de discuter et encore moins, de s'opposer à la décision de la société Bourjois;

Que dans ces circonstances, la mention " lu et approuvé ", dépourvue de portée juridique, non explicite, ne signifie pas, sans équivoque l'approbation du signataire à la rupture des relations contractuelles;

Que par voie de conséquence, force est de constater que le contrat n'a pas été révoqué par consentement mutuel des parties, mais a été, au contraire, résilié unilatéralement par la société Bourjois;

Considérant que la société Socrep soutient que cette résiliation serait fautive, au motif, que la société Bourjois l'aurait évincée au profit d'un concurrent, la société Cosmetica, qui lui a succédé dans la distribution des produits avec une gamme élargie et à des prix moins élevés, au cours de l'été 2004, à tout le moins au mois de septembre 2004;

Mais considérant, que la cessation des relations résulte du non-renouvellement du contrat tel que prévu à l'article 2 du contrat du 16 octobre 1997, rédigé en ces termes : "le présent contrat est conclu pour une durée déterminée de deux années, prenant effet à compter du 1er janvier 1997 ... se terminera le 31 décembre 1998. Ce contrat sera ensuite reconduit tacitement d'année en année, sauf manifestation par l'une ou l'autre des parties de son intention de ne pas le renouveler, par simple lettre recommandée avec accusé de réception, expédiée au plus tard le 30 septembre précédant la date d'expiration de chaque période, et pour la première fois avant le 30 septembre 1998. Le non-renouvellement du présent contrat n'entraînera le paiement d'aucune indemnité de part et l'autre";

Considérant dans ces conditions, que la société Bourjois n'avait aucune obligation contractuelle de préciser les motifs du non-renouvellement du contrat de distribution consenti;

Qu'en tout état de cause, la société Socrep ne saurait soutenir l'absence de justes motifs au non-renouvellement du contrat, dès lors qu'il résulte des courriers et courriels échangés antérieurement à la lettre du 11 août 2003, le constat d'une baisse constante du chiffre d'affaires réalisé par la société Socrep, ce qui a amené, au demeurant, la société Bourjois à lui consentir une réduction tarifaire ;

Considérant par ailleurs, que la société Socrep ne démontre nullement les manœuvres supposées de la société Bourjois qui aurait voulu l'évincer du marché marocain au profit d'un concurrent, la société Cosmetica;

Qu'en effet, la seule attestation rédigée le 16 juillet 2009, par un ancien agent commercial de la société Socrep, Yacine Zabane, aux termes de laquelle : "à partir de 2002, nos clients parfumeurs nous ont assuré que la société Cosmetica allait distribuer les produits Bourjois à des prix plus attractifs que ceux proposés par la société Socrep... Les clients m'assuraient que les produits Bourjois allaient être distribués par une autre société à des prix moindres et refusaient de passer commande par la Socrep", n'est corroborée par aucun élément objectif;

Considérant en tout état de cause, que la société Bourjois démontre par les bons de commande et de livraison n'avoir vendu ses produits à la société Cosmetica que le 18 octobre 2004, soit postérieurement au 31 septembre 2004, date réservée à la société Socrep pour la distribution exclusive sur le territoire marocain;

Considérant dans ces conditions, qu'aucun abus dans la rupture des relations contractuelles n'est caractérisé;

Sur la durée du préavis :

Considérant que la société Socrep reproche à la société Bourjois d'avoir résilié le 11 août 2003, des relations contractuelles établies depuis 35 années, avec un simple préavis de 4 mois et demi, expirant le 31 décembre 2003;

Considérant en droit que selon les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;

Considérant qu'il est constant que le contrat du 16 octobre 1997, prévoyait un délai de préavis de trois mois;

Que si la société Socrep soutient, à juste titre qu'elle a été liée commercialement à la société Bourjois depuis 1968 et qu'en signant un nouveau contrat en 1997, elle n'a pas renoncé au bénéfice de la relation commerciale antérieure ; qu'il n'en demeure pas moins que force est de constater que la société Bourjois a accordé, en fait, à la société Socrep un délai de treize mois de préavis suffisant, conforme aux usages commerciaux;

Qu'en effet, il n'est pas démenti que la société Bourjois a permis à la société Socrep de passer de nouvelles commandes jusqu'à l'épuisement de son stock;

Qu'il est établi par les bons de commandes et de livraison produits aux débats que la société Socrep a effectivement passé, auprès de la société Bourjois, deux commandes : la première, au mois de janvier 2004 à hauteur de 26 670,66 euro, la seconde, au mois d'avril 2004 à hauteur de 30 947,88 euro;

Qu'il n'est pas davantage démenti que la société Bourjois a réservé à la société Socrep l'exclusivité de la distribution des produits de sa marque sur le territoire marocain jusqu'à la fin du mois de septembre 2004, soit pour une période de plus d'un an suivant la lettre de résiliation du 11 août 2003;

Qu'au vu de ces éléments, la société Socrep, n'est pas fondée à soutenir que la rupture par la société Bourjois des relations commerciales ne respecterait pas, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, une durée de préavis suffisante, de sorte que, par motifs substitués, la décision du premier juge, qui l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, sera confirmée;

Sur la demande reconventionnelle :

Considérant que reconventionnellement, la société Bourjois sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Socrep au paiement de la somme de 20 319,87 euro au titre de factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter de son prononcé;

Que cette demande n'est pas sérieusement contestée et est justifiée par les factures versées aux débats, de sorte que la décision entreprise, qui a fait droit à cette prétention, sera confirmée;

Sur les antres demandes :

Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel;

Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire, - Confirme, par motifs substitués, les dispositions du jugement déféré, - Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation, - Dit n'y avoir pas lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civil au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, - Condamne la société Socrep aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvres conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par la SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod, avoués.