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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 juin 2009, n° 06-09330

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Décathlon (SA)

Défendeur :

Carrefour Hypermarchés France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deurbergue

Conseillers :

Mmes Le Bail, Mouillard

Avoués :

SCP Fanet-Serra, SCP Baskal-Chalut-Natal

Avocats :

Mes Delesalle, Karsenty-Ricard

CA Paris n° 06-09330

25 juin 2009

Vu l'appel interjeté, le 23 mai 2006, par la société Décathlon, d'un jugement du Tribunal de commerce d'Evry, du 12 avril 2006, qui l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Carrefour Hypermarchés France 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions, du 20 novembre 2007, de la société Décathlon, qui prie la cour d'infirmer le jugement, de déclarer la société Carrefour responsable d'actes de concurrence déloyale à son égard sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, L. 121-1 du Code de la consommation, et du décret n° 95-937 du 24 août 1995, de la condamner à lui payer 150 000 euro en réparation du préjudice moral et 25 314 euro en réparation du préjudice matériel qu'elle lui a causés du fait de ses agissements illicites, d'ordonner la publication de l'arrêt in extenso ou par extraits dans quatre journaux ou revues de son choix, le coût de la publication devant être intégralement supporté par la société Carrefour à concurrence de 15 000 euro HT par publication, et de condamner la société Carrefour à lui payer 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions de la société Carrefour Hypermarchés France, du 29 avril 2009, tendant à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société Décathlon à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 euro;

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société Décathlon, spécialisée dans la distribution d'articles de sport, exploite 225 magasins en France et 149 à l'étranger et, par l'intermédiaire de sa filiale Promiles, conçoit et fabrique des articles de sport, notamment des cycles ; qu'elle est une des trois premières marques de VTT en France, qu'elle commercialise notamment sous la marque " B'Twin " qui est une marque leader;

Qu'elle reproche à la société Carrefour, qui exploite en France des hypermarchés sous l'enseigne "Carrefour", d'avoir, à l'occasion d'une opération promotionnelle de grande envergure intitulée " Baisser les prix en France c'est possible ", qui s'est déroulée du 5 au 17 juillet 2004, diffusé, dans la presse quotidienne et hebdomadaire, une publicité pour vanter les qualités d'un "VTT 260 SX" de marque "Magis" vendu à un prix très attractif, publicité que des analyses réalisées par un laboratoire et un constat d'huissier de justice, du 9 juillet 2004, ont révélé trompeuse, puisque certains équipements décrits n'étaient pas de la qualité et de la marque annoncée, le dérailleur n'étant pas de la marque "Shimano" mais "Logan" et les freins n'étant pas en aluminium mais en acier ; que malgré sa demande, faite par un courrier recommandé du 9 juillet 2004, de cesser sans délai la diffusion de la publicité en cause sous quelque forme que ce soit, ainsi que la commercialisation des vélos VTT 260 SX, eu égard au grave préjudice d'image et matériel subi qu'elle lui causait du fait de ses agissements illicites, Carrefour en a poursuivi la commercialisation jusqu'au 17 juillet 2004;

Que Décathlon a, alors, engagé contre Carrefour, devant le Tribunal de commerce d'Evry, le 12 novembre 2004, une action en concurrence déloyale dont elle a été déboutée;

Considérant que la publicité réalisée par voie de presse par Carrefour présentait au dessus de la photographie du VTT le texte suivant:

"69 euro 90

VTT 260 SX

Fourche télescopique

18 vitesses"

et au-dessous de la photographie, les mentions en petits caractères:

"VTT 260 SX : Cadre en acier. Freins V-Brake aluminium. Dérailleur arrière Shimano. Existe aussi en cadre Femme : 260 SY";

Considérant qu'il s'avère que le dérailleur n'est pas de marque "Shimano" mais de marque "Logan"; que peu importe les motifs pour lesquels cette indication erronée a figuré dans les encarts publicitaires diffusés dans la presse, et peu importe aussi que les prospectus publicitaires n'aient pas comporté cette erreur ; que cette indication relative à l'identité du fabricant - en l'espèce "Shimano" bénéficie d'une notoriété certaine pour la qualité de ses produits, ce qui n'est pas le cas de "Logan" - est susceptible d'induire en erreur le consommateur sur un élément du VTT;

Considérant qu'il ressort du rapport d'analyse, du 2 août 2004, effectué par les laboratoires Pourquery analyses industrielles sur le VTT acheté, sous le contrôle d'un huissier de justice dans un magasin Carrefour de Vénissieux, que la matière de surface des étriers de freins est en polyamide, et la matière de l'armature en acier bas carbone; que, suivant les énonciations du jugement, Carrefour avait reconnu ce fait en première instance, dont elle ne peut en appel dénier la réalité en invoquant les constatations de l'huissier de justice diligenté par Décathlon (PV du 9 juillet 2009 de Me Bénichou) et qui, n'étant pas un technicien, a confondu "plastique" et "polyamide", d'une part, et "aluminium" et "acier", d'autre part;

Que l'indication figurant dans les encarts publicitaires parus dans la presse relative à la nature du matériau utilisé pour les freins est donc aussi erronée et susceptible d'induire en erreur le consommateur sur un élément du VTT;

Considérant, toutefois, qu'au moment de la diffusion de la campagne publicitaire, Décathlon proposait une bicyclette sous le nom Rockrider, à la fois présentant des caractéristiques supérieures à celle commercialisée par Carrefour (peinture deux couches, géométrie sloping, poignée tournante 21 vitesses, dérailleur avant shimano, jantes aluminium, moyeu avant à blocage rapide), et avec une différence de prix significative entre les 2 vélos (149,99 euro pour le vélo Décathlon et 69,90 euro pour le vélo Carrefour) s'expliquant par la dissemblance des caractéristiques de fabrication;

Que les deux produits ne sont donc ni équivalents ni substituables dans l'esprit des consommateurs;

Considérant, par ailleurs, que Carrefour n'a pas retiré un avantage commercial en rapport avec les indications erronées de la publicité qu'elle a fait paraître, dès lors que le surcoût de freins en aluminium et d'un dérailleur shimano est de, respectivement, 0,60 euro et 0,88 euro, soit un total de 1,48 euro, ce qui n'aurait pas sensiblement modifié le coût de fabrication et le prix de vente de son VTT; qu'enfin, la campagne de publicité n'a duré que douze jours et concernait une offre promotionnelle ponctuelle;

Que Décathlon ne démontre donc pas qu'il s'en est suivi une désorganisation du marché;

Considérant, ensuite, qu'en se bornant à communiquer deux graphiques intitulés "ventes RR 5.0 en euro 2004" et "ventes RR 5.0 en Qtés 2004" pour le moins sommaires et non assortis de commentaires et d'explications, ainsi qu'une attestation de son directeur administratif et financier certifiant que la marge commerciale de 600 vélos Rockrider 5.0 s'élève à 18 594 euro, ce qu'atteste aussi son commissaire aux comptes, la société Décathlon n'établit ni la baisse de ses ventes, ni d'éventuels invendus, de sorte qu'elle ne prouve pas que les actes reprochés auraient eu un effet sur ses ventes;

Considérant que Décathlon invoque aussi la non-conformité du VTT 260 SX aux exigences de sécurité édictées par le décret n° 95-937 du 24 août 1995 et précisées par la norme française NF R30-020 d'octobre 1998 même si celle-ci n'a pas de caractère impératif, en se référant à deux rapports du laboratoire Pourquery, ce toujours pour démontrer que Carrefour s'est livrée à un acte manifeste de concurrence déloyale à son égard "en assurant la promotion d'un vélo non-conforme aux exigences de sécurité";

Mais considérant qu'au regard de ce qui a été indiqué précédemment au sujet de l'absence de preuve de la baisse de ses ventes ou d'éventuels invendus, c'est la même conséquence qui doit être tirée ; qu'elle ne démontre pas que les actes reprochés auraient eu un effet sur ses ventes;

Qu'il en résulte aussi qu'il n'y a pas eu une atteinte à son image de marque ou une rupture d'égalité entre les concurrents du fait du non-respect de la réglementation en vigueur;

Qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de Décathlon;

Considérant que l'équité ne commande pas en appel de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties;

Par ces motifs, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement, Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Décathlon aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.