CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 19 novembre 2009, n° 06-22121
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mania (SA)
Défendeur :
Les Délices du Kiosque (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Deurbergue
Conseillers :
Mmes Le Bail, Mouillard
Avoués :
SCP Bolling-Durand-Lallement, SCP Baskal-Chalut-Natal
Avocats :
Mes Goujon, Hatte, Dosquet
La SA Mania exploite un réseau de franchise pour l'exploitation de kiosques destinés à la fabrication et la vente de pizzas à emporter sous l'enseigne "Pizza' Mania". Elle avait pour franchisé la SARL Les Délices du Kiosque pour l'exploitation de deux kiosques à Meaux et à La Ferté-sous-Jouarre (77), en dernier lieu suivant deux contrats du 30 avril 2001 conclus pour 5 ans et prévoyant le paiement d'une redevance assise sur le chiffre d'affaires.
Le 8 janvier 2004, la société Les Délices du Kiosque a résilié les contrats pour le 1er avril 2004, en se prévalant du fait qu'elle avait donné ses deux fonds de commerce en location-gérance.
Estimant que cette résiliation était abusive et qu'elle s'inscrivait en fait dans un comportement constitutif de concurrence déloyale et de parasitisme, la société Mania a assigné la société Les Délices du Kiosque, le 9 septembre 2004, pour obtenir le paiement de diverses sommes au titre des contrats résiliés abusivement et de dommages et intérêts.
Par jugement du 9 octobre 2006, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Les Délices du Kiosque à payer à la société Mania la somme de 2 537,49 euro TTC représentant les redevances contractuelles du premier trimestre 2004, ainsi que la somme de 2 601,50 euro TTC outre intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2004 au titre de factures impayées, et a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
LA COUR :
Vu l'appel de ce jugement interjeté par la société Mania le 18 décembre 2006;
Vu les conclusions signifiées le 11 septembre 2009 par lesquelles l'appelante poursuit l'infirmation du jugement, sauf en ce qu'il condamne la société Les Délices du Kiosque à lui payer la somme de 5 138,99 euro au titre de factures restées impayées, et demande à la cour de :
- condamner la société Les Délices du Kiosque à lui payer, pour résiliation anticipée et abusive des deux contrats de franchise, la somme de 26 683,27 euro correspondant aux redevances restant à courir de la date de la rupture jusqu'à celle d'expiration contractuelle (30 avril 2006), et, pour tentative de débauchage des exploitants de son réseau et parasitisme résultant du fait que la société Les Délices du Kiosque exploite dorénavant sous l'enseigne "Le Kiosque à Pizzas" les deux kiosques placés auparavant sous l'enseigne "Pizza' Mania", une indemnité 135 000 euro en réparation de son préjudice,
- de faire interdiction à la société Les Délices du Kiosque de pratiquer de tels actes sous astreinte de 500 euro par jour de retard, passé le délai de un mois à compter de la signification de la décision à intervenir,
- d'ordonner la destruction devant huissier de justice des outils de communication utilisés par la société Les Délices du Kiosque et similaires aux siens, et ce dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir,
- de condamner la société Les Délices du Kiosque à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Vu les conclusions signifiées le 30 septembre 2009 par lesquelles la société Les Délices du Kiosque poursuit la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il la condamne à payer les sommes de 2 537,49 euro et de 2 601,50 TTC au titre de redevances et de factures impayées et, compte tenu de la défaillance de la société Mania dans ses obligations, de débouter cette dernière de ses demandes à ce titre, et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Sur ce :
Considérant qu'au soutien de ses demandes, la société Mania fait valoir que la mise en location-gérance des fonds de commerce de la société Les Délices du Kiosque ne constitue pas une cause de cessation du contrat sans indemnité, comme cette dernière a cru pouvoir l'invoquer, et prétend que la résiliation est abusive, ce qui justifie le paiement de diverses sommes; qu'elle fait aussi valoir que la société Les Délices du Kiosque a tenté de débaucher d'autres franchisés du réseau "Pizza' Mania", qu'elle a depuis rejoint le réseau "Kiosque à Pizzas" et qu'elle exploite maintenant les deux kiosques sous cette enseigne, laquelle utilise de nombreux signes voisins de la sienne, une telle situation entraînant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle des deux kiosques en question, ce qui justifie l'allocation de dommages et intérêts pour concurrence déloyale;
Considérant, en premier lieu, sur la rupture du contrat de franchise, que ce contrat précise, en son article 4.2, qu'il est conclu pour une durée de cinq ans à compter de la signature (soit jusqu'au 30 avril 2006), qu'il est renouvelable par tacite reconduction et qu'il pourra y être mis fin par l'une ou l'autre des parties par notification effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception au moins six mois avant la date d'expiration;
Que l'article 4.4, intitulé "résiliation anticipée du contrat", comprend une première partie consacrée à la "résiliation après mise en demeure pour inexécution des obligations contractuelles de l'une ou l'autre partie", et une seconde consacrée à la "résiliation immédiate pour non-respect du caractère personnel du contrat par le Franchisé", qui contient les stipulations suivantes :
"Eu égard au caractère strictement personnel "intuitu personae" du présent contrat de franchise, le Franchisé s'interdit d'en céder le bénéfice sous quelque forme que ce soit (cession proprement dite du contrat, apport en société, cession du kiosque quelle qu'en soit la forme...) à un ou plusieurs tiers, ceci sans l'accord préalable express ou écrit du Franchiseur, sous peine de résiliation immédiate du contrat et sans préjudice de toutes demandes de dommages et intérêts. Cependant, le repreneur pourra demander au Franchiseur la conclusion d'un nouveau contrat de franchise à son bénéfice, dans des termes à convenir, étant précisé que le Franchiseur dispose de toutes latitudes pour accepter ou non ce nouveau postulant sans avoir à justifier de sa décision auprès de qui que ce soit.
De même, le présent contrat cesse de plein droit et sans indemnité par l'une quelconque des parties envers l'autre, dès l'instant où le Franchisé cesse d'être propriétaire ou d'exploiter le kiosque à pizzas dont il est propriétaire.
Dans une telle hypothèse, le Franchisé cesse donc immédiatement de pouvoir utiliser et exploiter la marque "Pizza' Mania", le droit concédé n'étant pas un élément de son fonds de commerce, il ne peut pas non plus le transmettre à un éventuel repreneur, ce droit lui étant essentiellement personnel.
Dans ce cas, la résiliation du contrat ne donne lieu au paiement d'aucune indemnité par l'une quelconque des parties à l'autre".
Considérant que l'intitulé qui chapeaute ces stipulations, à savoir le non-respect du caractère personnel du contrat par le franchisé, rapproché de la clause selon laquelle, au cas où le franchisé cesserait d'exploiter le kiosque, le contrat cesserait de plein droit sans indemnité par l'une quelconque des parties envers l'autre, conduit à considérer, comme le soutient la société Les Délices du Kiosque, que les parties étaient convenues de mettre un terme au contrat, sans indemnité de part ni d'autre, dans l'hypothèse où le franchisé cesserait d'exploiter personnellement son fonds de commerce;
Considérant que tel est le cas de la mise en location-gérance par laquelle l'exploitation du fonds de commerce est confiée à un tiers qui en supporte les risques (article L. 144-1 du Code de commerce);
Que, dès lors, et même si le courrier adressé par la société Les Délices du Kiosque était prématuré en ce qu'il annonçait une résiliation pour le 1er avril 2004 alors que les contrats de location-gérance n'ont été signés, respectivement, que le 28 mai 2004 à effet au 1er mai 2004 pour le fonds de La Ferté-sous-Jouarre, et le 23 juillet 2004 à effet au 17 juillet 2004 pour celui de Meaux, le franchisé était néanmoins fondé à revendiquer, à la date où les locations-gérances sont devenues effectives, la résiliation de plein droit sans indemnité;
Qu'il convient de préciser, à ce stade du raisonnement, que la société Mania ne démontre pas que ces locations-gérances fussent fictives puisque l'huissier qui s'est rendu sur place, à sa requête, le 17 juin 2004, y a trouvé une situation conforme aux actes en cause, à savoir que le kiosque de Meaux était dénué de signes d'affiliation à un réseau et, selon la salariée présente, était encore placé sous l'autorité de Mme Heulland, gérante de la société Les Délices du Kiosque, tandis que celui de La Ferté-sous-Jouarre, qui arborait l'enseigne "Le Kiosque à Pizzas", était effectivement exploité par M. Jérôme Cochet, locataire-gérant présent sur place;
Qu'il importe peu en outre que l'enregistrement de ces actes soit postérieur de plusieurs mois puisque c'est l'exploitation par un tiers qui emporte résiliation du contrat en l'espèce et que les différents éléments déjà évoqués, notamment le constat d'huissier, joints aux documents préparatoires produits par la société Les Délices du Kiosque, démontrent que ces contrats ont bien été signés par M. Guérin et par M. Cochet aux dates qu'ils mentionnent, et que l'exploitation a effectivement commencé comme indiqué;
Considérant qu'il suit de là que la société Les Délices du Kiosque était tenue au paiement des redevances jusqu'à la résiliation de plein droit des contrats de franchise, soit jusqu'au 30 avril 2004 pour le kiosque de La Ferté-sous-Jouarre, et jusqu'au 17 juillet 2004 pour celui de Meaux;
Considérant qu'à cet égard, la société Les Délices du Kiosque oppose qu'elle était bien fondée à suspendre tout règlement à compter du 1er janvier 2004 dès lors que le franchiseur avait manqué à ses obligations, ce qu'elle lui avait reproché le 30 décembre 2003 par un courrier relevant diverses inexécutions contractuelles soit:
- l'absence de publicité,
- l'absence de publication de la revue Mania Info pendant 6 mois,
- l'absence de nouveaux produits,
- des tarifs pour les produits largement supérieurs à ceux du marché,
- une absence de livraison des produits prévus par la société Aldis,
et dans un autre du 26 janvier 2004 où elle rappelait qu'une campagne de publicité, qui aurait dû prendre fin le 1er février 2004, n'avait pas commencé sans explication et sans que les franchisés, qui avaient prévu le personnel et les matières premières nécessaires, en aient été avisés, et que la publicité radio posait toujours difficulté, la première publicité ayant été diffusée sur une station qui n'était pas captée à La Ferté-sous-Jouarre et ses environs, et la seconde n'ayant pas été effectuée;
Considérant toutefois, que, ces manquements ne sont pas établis autrement que par ces courriers de protestation, interrogeant le franchiseur sur l'exécution de ses prestations; qu'en outre, le second courrier, qui notifie à la société Mania la cessation des paiements de la redevance, est postérieur à la lettre de résiliation du 8 janvier 2004, de sorte que les griefs qu'il énumère et le refus de paiement des redevances qu'il notifie s'analysent plutôt comme des justifications, a posteriori, de la résiliation et une incitation du franchiseur à accepter la rupture des contrats, dont les redevances n'étaient plus payées; qu'enfin, chacun des griefs énoncés ci-avant est contesté par la société Mania qui décrit les prestations qu'elle a accomplies, dont elle justifie, tant en ce qui concerne la publi-promotion que la publication de Mania Info, son journal interne, et les nouveaux produits ; que le défaut de livraison, serait-il avéré, n'est pas le fait du franchiseur, cependant que la société Les Délices du Kiosque ne précise pas sur quel engagement contractuel elle fonde ses reproches au titre de la publicité radio;
Considérant que les objections de la société Les Délices du Kiosque ne sont donc pas justifiées et doivent être écartées;
Considérant qu'il est constant que cette société n'a pas réglé les factures de 1 314,36 euro et de 1 287,14 euro correspondant à la participation publicitaire et aux royalties pour les mois de novembre et décembre 2003, soit au total 2 601,50 euro;
Que, pour ce qui est de la détermination du montant des redevances dues, il y a lieu, compte tenu de ce que la société Les Délices du Kiosque n'a pas fourni de relevés de chiffre d'affaires pour 2004, de retenir le montant de 845,83 euro proposé par l'appelante, qui représente la moyenne des redevances mensuelles précédemment facturées au franchisé, en le divisant par deux (422,91 euro) puisqu'il est calculé sur les chiffres d'affaires confondus des deux kiosques ; qu'ainsi, la société Les Délices du Kiosque doit à la société Mania, au titre des redevances impayées, la somme de :
- kiosque de La Ferté-sous-Jouarre : 4 x 422,91 = 1 691,64 euro
- kiosque de Meaux: 6,5 x 422,91 = 2 748,91 euro
soit au total : 4 440,55 euro;
Qu'il résulte de ce qui précède que le jugement doit être confirmé en ce qu'il condamne la société Les Délices du Kiosque à payer à la société Mania la somme de 2 601,50 euro, outre les intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2004, mais qu'il doit être infirmé en ce qu'il fixe la résiliation au 1er mars 2004 et alloue les redevances pour trois mois, soit 2 537,49 euro;
Considérant, en second lieu, que, s'agissant de la concurrence déloyale, que la société Mania ne peut reprocher à la société Les Délices du Kiosque d'avoir eu recours à un artifice à seule fin de rejoindre un réseau concurrent, fût-il créé par d'anciens franchisés Mania, dès lors qu'il vient d'être vu qu'aux termes mêmes du contrat de franchise, le franchisé se trouvait délié de tout engagement envers le franchiseur du moment qu'il avait concédé son fonds en location-gérance;
Qu'aucune conséquence juridique ne peut être tirée des attestations de deux franchisés Mania selon lesquelles ils auraient reçu des appels de la part du réseau concurrent, et plus particulièrement de la part de M. Heulland, époux de la gérante de la société Les Délices du Kiosque, afin de les inciter à les rejoindre, dans la mesure où ces tentatives, à les supposer avérées, sont demeurées infructueuses et n'ont pas causé de préjudice à l'appelante
Qu'enfin, si les kiosques appartenant à la société Les Délices du Kiosque sont actuellement exploités sous une autre enseigne, cette situation est a priori imputable aux locataires-gérants, aucun élément ne démontrant que cette société, qui le nie, aurait contracté d'autres contrats de franchise ; qu'en outre, le seul fait de rejoindre un réseau concurrent, lequel utiliserait une signalétique voisine de celle du réseau abandonné (ce que, au demeurant, la société Mania se borne à affirmer sans le démontrer), ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale de la part du franchisé;
Considérant qu'il suit de là que la demande formée par la société Mania sur le fondement de la concurrence déloyale doit être rejetée et que le jugement, qui en a décidé ainsi, doit être confirmé de ce chef;
Et considérant que la société Mania a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif, et de rejeter la demande présentée par l'intimée à ce titre;
Par ces motifs, Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il fixe la date de la rupture des contrats de franchise au 1er mars 2004 et alloue à la société Mania une somme de 2 537,49 euro au titre des redevances contractuelles du premier trimestre 2004, Et statuant à nouveau de ce chef, Dit que les contrats de franchise conclus entre la société Mania et la société Les Délices du Kiosque le 30 avril 2001 ont été résiliés de plein droit le 30 avril 2004 pour celui du kiosque de La Ferté-sous-Jouarre et le 17 juillet 2004 pour celui de Meaux, Condamne la société Les Délices du Kiosque à payer à la société Mania la somme de 4 440,55 euro au titre des redevances impayées du 1er janvier 2004 aux dates de rupture, Déboute la société Mania de ses prétentions au titre de la concurrence déloyale, Condamne la société Les Délices du Kiosque à payer à la société Mania la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre, Condamne la société Les Délices du Kiosque aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.