Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 30 juin 2009, n° 09-01538

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maje (SARL)

Défendeur :

Marant, IM Production (SAS), Isabel Marant diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schoendoerffer

Conseillers :

Mmes Provost-Lopin, Darbois

Avoués :

Me Couturier, SCP Lagourgue-Olivier

Avocats :

Mes Assous, Felzenszwalbe

TGI Paris, du 27 janv. 2009

27 janvier 2009

Vu l'appel formé le 3 février 2008 par la société Maje de l'ordonnance de référé rendue le 27 janvier 2009 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris qui a:

- condamné la société Maje à payer à titre provisionnel à Isabel Marant la somme de 10 000 euro et à la société IM Production la somme de 20 000 euro en réparation des préjudices résultant de la contrefaçon du top "Nalu",

- condamné la société Maje à payer à la société IM Diffusion à titre provisionnel la somme de 10 000 euro résultant des actes de parasitisme,

- fait interdiction à la société Maje de poursuivre la commercialisation du vêtement référencé E08 Bowling Top Mc Grand Plastron White 582056 ou anthracite 582087, et ce, sous astreinte de 2 000 euro par jour de retard passé le délai de trois jours suivant la signification de l'ordonnance,

- fait interdiction à la société Maje de renvoyer le stock résiduel hors du territoire national sous astreinte de 200 euro par infraction constatée, passé la signification de l'ordonnance,

- pris acte de l'engagement de la société Maje de faire remettre à l'huissier instrumentaire des demanderesses le stock résiduel de 63 vêtements,

- s'est réservé la liquidation des astreintes,

- a rejeté les autres demandes,

- condamné la société Maje à payer à chacune des demanderesses la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Maje aux dépens dans les limites de l'article 695 du Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions en date du 12 mai 2009 par lesquelles l'appelante demande à la cour, au visa du Code civil, notamment les articles 1382, 1315, du Code de procédure civile, notamment les articles 15, 808, 809, du Code de commerce et du Code de la propriété intellectuelle, notamment les articles L. 111-1, L. 122-4, L. 332-1, L. 335-2 et L. 335-3, de :

- dire la société Maje recevable et bien fondée en ses demandes,

* à titre principal,

- constater l'absence de dommage imminent et de trouble manifestement illicite subi par les sociétés intimées,

- constater que les conditions de l'article 809 du Code de procédure civile ne sont pas réunies,

en conséquence,

- constater "l'incompétence" du juge des référés,

- infirmer l'ordonnance entreprise,

- condamner Mme Isabel Marant, la société IM Production et la société IM Diffusion à payer à la société Maje la somme de 5 000 euro chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,

* à titre subsidiaire,

- constater l'absence de contrefaçon imputable à la société Maje,

- constater l'absence d'acte constitutif de concurrence déloyale et parasitaire,

en conséquence,

- condamner Mme Isabel Marant, la société IM Production et la société IM Diffusion aux entiers dépens,

- infirmer l'ordonnance entreprise,

- ordonner la restitution du stock,

- condamner Mme Isabel Marant, la société IM Production et la société IM Diffusion à payer à la société Maje la somme de 5 000 euro chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,

* à titre infiniment subsidiaire,

- rapporter l'indemnisation du préjudice de Mme lsabel Marant, la société IM Production et la société IM Diffusion à de plus justes proportions;

Vu les dernières conclusions en date du 30 avril 2009 par lesquelles les intimées demandent à la cour de:

au visa des articles 15 et suivants du Code de procédure civile et de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme,

- déclarer les conclusions de la société Maje irrecevables,

- les rejeter,

- ordonner le retrait des débats des pièces 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 16 et 17 qui figurent sur le bordereau de communication de la société Maje,

- constater que, de ce fait, la société Maje ne communique pas de façon loyale les éléments de fait et de droit qui fonderaient ses prétentions,

- constater la nullité et l'irrecevabilité de l'appel de la société Maje,

- en tout état de cause, l'en dire mal fondée et l'en débouter,

- constater que la société Maje n'a pas déféré aux termes de l'ordonnance du 20 octobre 2008,

- recevoir Mme Isabel Marant, la société IM Production et la société Isabel Marant Diffusion en leurs appels incidents,

- les en déclarer bien fondées,

y faisant droit,

au visa des articles 808 et 809 du Code de procédure civile,

- dire le juge des référés "compétent",

au visa de la Directive européenne 2004-48-CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle, de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, des articles L. 111-1 et suivants, L. 122-4, L. 332-1, L. 335-2, L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, 1382 et suivants du Code civil,

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'ayant constaté la commercialisation par la société Maje dans sa collection printemps/été 2008 d'un vêtement reprenant les caractéristiques du vêtement intitulé "Nalu"' et après avoir été autorisées à faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon qui ont été réalisées le 20 octobre 2008, Mme Isabel Marant en sa qualité de créatrice du vêtement "Nalu", la société IM Production en sa qualité de titulaire des droits d'exploitation et la société IM Diffusion en sa qualité de distributeur ont fait assigner la société Maje devant le juge des référés pour obtenir, sur le fondement respectivement de la contrefaçon des droits d'auteur et d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, sa condamnation au paiement de provisions ainsi que les mesures d'interdiction, de dépôt des stocks et de publication d'usage, outre la liquidation de l'astreinte prévue par la décision du Président du Tribunal de grande instance de Paris ayant ordonné la communication des pièces comptables;

Que c'est dans ces conditions qu'a été rendue l'ordonnance entreprise;

Considérant que les intimées n'invoquent aucun moyen au soutien de la nullité et de la fin de non-recevoir qu'elles soulèvent à l'encontre de l'appel formé par la société Maje, de sorte que la cour, qui ne relève aucun moyen d'ordre public susceptible d'être soulevé d'office, sera amenée à rejeter ces prétentions et à déclarer l'appel régulier et recevable;

Considérant que, contrairement à ce que prétendent les intimées, les dernières conclusions de l'appelante exposent suffisamment les moyens de droit qu'elle invoque au soutien de son appel, en sorte qu'elles sont en mesure de répondre aux prétentions de la société Maje ainsi qu'il ressort d'ailleurs de leurs propres écritures ; qu'ainsi ces conclusions ne méconnaissent ni les prescriptions de l'article 15 du Code de procédure civile ni celles de l'article 954 du même Code; qu'elles sont donc recevables;

Considérant que les intimées demandent que soient écartées des débats les pièces 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 16 et 17 qui figurent sur le bordereau de communication de la société Maje aux motifs qu'elles sont qualifiées "en originales à restituer" alors qu'il s'agit de photocopies, qu'il est impossible des les identifier clairement et qu'elles sont floues et d'une qualité médiocre au point qu'il n'est pas possible de déterminer les caractéristiques des vêtements présentés;

Que, cependant, dès lors que la communication porte effectivement sur des photocopies issues de revues ou d'ouvrages que l'appelante dit avoir consultés dans un musée sans pouvoir les produire matériellement, ce n'est pas la régularité de cette communication qui est en cause mais seulement une éventuelle impossibilité d'exploiter lesdites pièces comme mode de preuve suffisamment pertinent pour détruire l'originalité du vêtement dont la protection est revendiquée;

Qu'il n'y a donc pas lieu de rejeter des débats lesdites pièces;

Considérant qu'au soutien de son appel, la société Maje soulève à nouveau, avant toute défense au fond, l'incompétence du juge des référés pour connaître de l'action engagée par les intimées sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile au motif que les conditions d'application de cet article ne sont pas réunies;

Considérant, toutefois, que ce n'est pas une exception d'incompétence qui est ainsi soulevée, terme impropre adopté dans les écritures des parties et repris par le premier juge, mais un moyen concernant l'exercice par la juridiction des référés des pouvoirs qu'elle tient de l'article 809 du Code précité de mettre fin au trouble manifestement illicite que cause à un créateur, à l'exploitant des droits et au distributeur, la commercialisation par un tiers d'un objet contrefaisant;

Considérant, en second lieu, que la société Maje réitère devant la cour les moyens qu'elle avait développés pour contester toute originalité au vêtement "Nalu" et matérialisé des actes incriminés devant le premier juge et que celui-ci a, par des motifs pertinents que la cour adopte, rejetés;

Considérant, en effet, que c'est par une exacte analyse des pièces produites que le premier juge, après avoir décrit la combinaison des éléments caractérisant le vêtement top intitulé "Nalu" dont Mme Isabel Marant est l'auteur, a relevé que si ces éléments se retrouvaient individuellement sur des modèles antérieurs, il n'apparaissait pas que leur combinaison spécifique ait déjà été réalisée et que le mélange de ces caractères d'origines diverses créait un vêtement original ne pouvant se rattacher à aucune tendance particulière mais constituant un style propre, révélateur de la personnalité de l'auteur;

Que c'est également par une juste comparaison des vêtements en présence que le premier juge a retenu que les éléments caractéristiques du top d'Isabel Marant se retrouvent dans celui de la société Maje et que, même si leur mise en œuvre n'est pas absolument identique, la combinaison originale que forme l'ensemble de ces éléments ne se trouve pas modifiée; qu'il suffit de rappeler que la contrefaçon s'apprécie non pas par les différences mais par les ressemblances en sorte que les différences invoquées par l'appelante et reprises par le premier juge sont sans incidence en présence d'une reprise de l'ensemble des éléments qui fondent l'originalité du vêtement;

Considérant, dans ces conditions, que l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a retenu l'existence d'actes de contrefaçon résultant de l'atteinte portée au droit moral de Mme Isabel Marant et aux droits patrimoniaux de la société IM Production;

Considérant, en outre, que c'est par une exacte appréciation de la situation que le premier juge a retenu qu'en commercialisant le vêtement litigieux à un prix plus attractif que celui pratiqué par la société IM Diffusion, la société Maje a commis à l'égard de cette dernière des actes de parasitisme en se plaçant dans son sillage mais n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale dès lors que la société IM Diffusion ayant vendu ledit vêtement l'année précédente, les produits en cause ne s'étaient pas trouvés sur le même marché;

Considérant que les mesures d'interdiction prononcées seront confirmées et sont suffisantes pour mettre fin au trouble résultant des actes dénoncés et en prévenir tout renouvellement; que, de même, il convient de confirmer la décision en ce qu'elle a rejeté, en référé, la demande de publication de la décision, de confiscation et de destruction des articles incriminés;

Que, par ailleurs, c'est à bon droit que le premier juge a relevé que la communication des documents faite par la société Maje courant novembre 2008, accompagnée de leur certification par le comptable de la société, répondait aux prescriptions de l'ordonnance du 20 octobre 2008;

Que l'appel incident formé de ces chefs sera rejeté;

Considérant que l'engagement, dont le premier juge a pris acte, de la société Maje de faire remettre à l'huissier instrumentaire des intimées le stock résiduel de 63 vêtements n'a pas été respecté ; qu'un "donné acte" n'a pas de valeur juridique ; que pour prévenir tout risque de remise sur le marché de ces articles jugés contrefaisants, il y a lieu d'ordonner la remise de ce stock entre les mains de l'huissier selon les modalités précisées au dispositif ci-après;

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a:

* dit que le vêtement Nalu créé par Mme Isabel Marant, dont les droits d'exploitation sont cédés à la société IM Production, est original et protégeable au sens des dispositions du titre I du Code de la propriété intellectuelle,

* dit qu'à l'évidence la société Maje s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon et de débit d'objets contrefaisants, en commercialisant des vêtements portant les références EO8bowling Top Mc Grand Plastron White L 0 000000 582056 ou anthracite L 0 000000 582087,

* condamné la société Maje à payer à Mme Isabel Marant la somme de 10 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts pour atteinte à son droit moral,

* condamné la société Maje à payer à la société IM Production la somme de 20 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts pour atteinte à ses droits patrimoniaux,

* condamné la société Maje à payer à la société Isabel Marant Diffusion la somme de 10 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts pour concurrence parasitaire,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a:

* estimé que les éléments comptables certifiés avaient été communiqués en intégralité par la société Maje,

- constater que la société Maje n'a pas respecté son engagement de remettre à l'huissier instrumentaire des intimées le stock résiduel de 63 vêtements,

en conséquence et en tant que de besoin, faire droit aux demandes formées en première instance par Mme Isabel Marant, la société IM Production et la société Isabel Marant Diffusion et:

- interdire, sous astreinte provisoire de 2 000 euro par jour de retard et par vêtement, de poursuivre la commercialisation des vêtements litigieux,

- interdire le renvoi du stock présent en France, hors du territoire national, et ordonner le dépôt en France de l'ensemble du stock résiduel des vêtements litigieux, sous le contrôle d'un huissier et jusqu'à l'obtention d'une décision définitive, aux frais de la société Maje, dans les trois jours du prononcé de "l'ordonnance à intervenir" (sic),

- dire que la société Maje devra en justifier sans délai,

- interdire, sous astreinte définitive et non comminatoire de 1 000 euro par infraction constatée, postérieurement au prononcé du "jugement à intervenir" (sic), à la société Maje d'importer ou d'exporter, de fabriquer ou faire fabriquer, de proposer à la vente et de vendre des articles constituant la contrefaçon du vêtement Nalu créé par Mme Isabel Marant et caractérisant des agissements de contrefaçon, concurrence parasitaire,

- ordonner la confiscation et la destruction de tous les articles contrefaisants et constitutifs de parasitisme détenus par la société Maje, ou déposés dans le circuit de distribution ou de vente, au jour de la décision à intervenir,

- nommer tel mandataire de justice qu'il plaira au " tribunal " (sic) de désigner pour procéder ou faire procéder à ladite destruction, aux frais de la société Maje,

- réserver la liquidation des astreintes,

- condamner la société Maje à payer à Mme Isabel Marant, à la société IM Production et à la société Isabel Marant Diffusion, chacune, la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Maje aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais et débours de la saisie-contrefaçon du 20 octobre 2008, en application de l'article 695 du Code de procédure civile, ainsi que ceux liés à l'exécution de la décision à intervenir et les dépens d'appel;

Considérant enfin qu'au vu des éléments communiqués, il convient, afin d'éviter tout risque de répétition de l'indu, de ramener les provisions sur dommages et intérêts respectivement allouées aux intimées aux sommes de 5 000 euro à Mme Marant, 10 000 euro à la société IM Production et 5 000 euro à la société IM Diffusion;

Considérant que la société Maje qui succombe sera condamnée aux dépens de l'ensemble de la procédure de référé, lesquels par conséquent ne comprendront pas les frais et débours de la saisie-contrefaçon du 20 octobre 2008, sans qu'il soit nécessaire de préciser la nature des autres frais et dépens;

Que l'équité conduit à allouer une indemnité de procédure complémentaire aux intimées pour les frais qu'elles ont été contraintes d'exposer en cause d'appel;

Par ces motifs, Déclare l'appel régulier et recevable; Déclare les conclusions en date du 12 mai 2009 de la société Maje recevables; Dit n'y avoir lieu à rejet des débats des pièces n° 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11,14, 16 et 17 du bordereau de communication de la société Maje; Confirme l'ordonnance entreprise sauf sur le montant des provisions allouées et en ce qu'elle a pris acte de l'engagement de la société Maje de faire remettre à l'huissier instrumentaire des demanderesses le stock résiduel de 63 vêtements; Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Condamne la société Maje à payer à titre provisionnel à Mme Isabel Marant la somme de 5 000 euro et à la société IM Production la somme de 10 000 euro en réparation des préjudices résultant de la contrefaçon du top "Nalu"; Condamne la société Maje à payer à la société IM Diffusion à titre provisionnel la somme de 5 000 euro résultant des actes de parasitisme; Ordonne à la société Maje de remettre le stock résiduel de 63 vêtements contrefaisant le top "Nalu" entre les mains de la société civile professionnelle Gérald Simonin, Eric Le Marec et Valérie Guerrier, huissier de justice à Paris, huissier instrumentaire des intimées, et ce, dans les huit jours à compter de la signification du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 2 000 euro par jour de retard; Condamne la société Maje à payer à Mme Isabel Marant, à la société IM Production et à la société IM Diffusion chacune, au titre de l'instance devant la cour la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Dit n'y avoir lieu d'inclure dans les dépens de la procédure de référé les frais et débours de la saisie-contrefaçon du 20 octobre 2008; Condamne la société Maje aux dépens d'appel dont recouvrement dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.