CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 2 octobre 2003, n° 02-02802
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Metaware Technologies (SA)
Défendeur :
UTI (SA), Eurofactor (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Dragne, Chapelle
Avoués :
SCP Keime & Guttin, SCP Jullien-Lecharny-Rol
Avocats :
Mes Gaujal-Joseph, Pettiti, Benitah
La société Ecso a mis à la disposition de la société Metaware en 1998 six salariés pour des travaux d'assistance technique en informatique concernant le passage à l'an 2000 et le passage à l'euro.
Deux de ces salariés ont mis fin à leur mission le 31 juillet 1998 alors qu'elle s'achevait normalement le 23 septembre 1998, au motif qu'embauchés par la société Ecso en vertu d'un contrat à durée déterminée se terminant le 31 juillet 1998, ils n'entendaient pas travailler pour cette société après cette date.
Ils ont en fait été embauchés quelques jours plus tard directement par la société Metaware, laquelle a par ailleurs refusé de régler les factures de la société Ecso que celle-ci avait cédées à la société Française de Factoring (ci-après SFF).
Le 13 août 1998, la société Ecso a retiré ses quatre salariés encore présents chez Metaware et c'est dans ces conditions que les parties se rejetant mutuellement la responsabilité de la rupture des relations, la société Metaware a fait assigner la société UTI, anciennement Ecso, et la société SFF devant le Tribunal de commerce de Nanterre, tandis qu'une procédure parallèle était engagée devant le Tribunal de commerce de Versailles par la société SFF, devenue Eurofactor, en paiement des factures.
Après avoir refusé de se dessaisir l'un pour l'autre, les Tribunaux de commerce de Nanterre et de Versailles ont rendu deux jugements, respectivement les 29 janvier et 5 avril 2002, aux termes desquels le premier a débouté la société Metaware de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société UTI les sommes de 11 748,24 euro TTC et de 34 575,44 euro HT, outre 2 286,74 euro à chacune des sociétés UTI et Eurofactor, et le second a condamné la société Metaware à payer à la société Eurofactor la somme de 55 303,14 euro, outre intérêts légaux à compter du 21 septembre 1998 et 3 811,23 euro au titre de l'article 700 du NCPC, et à la société UTI la somme de 2 286,74 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Pour statuer comme il l'a fait, le Tribunal de commerce de Nanterre, se référant aux dispositions d'un contrat d'assistance technique du 8 juin 1998 et à ses six avenants, a admis que certes la société Ecso avait été défaillante en ne procédant pas au remplacement des deux collaborateurs qui avaient fait défection le 30 juillet 1998, mais que la société Metaware n'était pas pour autant autorisée à s'abstenir de régler les factures et à réembaucher les deux salariés au mépris des dispositions de l'article 9 du contrat.
Le tribunal a donc condamné la société Metaware, d'une part au paiement des factures de la période du 1er au 13 août 1998, et d'autre part à des dommages et intérêts correspondant à trois mois de prestations pour deux salariés.
Quant au Tribunal de commerce de Versailles, prenant acte du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre et de l'absence de contestation des factures régulièrement cédées à la société SFF, il a condamné la société Metaware au paiement desdites factures.
La société Metaware a régulièrement interjeté appel des deux jugements, respectivement les 5 mars et 15 juillet 2002.
Elle a tout d'abord fait grief aux premiers juges d'avoir refusé de faire droit à ses exceptions de litispendance et de connexité.
Sur le fond, elle a fait valoir qu'elle n'avait pas signé le contrat du 8 juin 1998 et a donc contesté que ses dispositions lui fussent opposables, tout en se prévalant de son article 3 - 1 aux termes duquel les deux salariés devaient être à sa disposition au moins jusqu'au 23 septembre 1998, sauf à considérer qu'il y avait eu un contrat verbal à durée indéterminée, qui supposerait le respect d'un préavis raisonnable, ce qui précisément n'avait pas été le cas.
Elle a reproché à la société Ecso de l'avoir trompée sur la situation exacte de ses salariés, embauchés pour une durée déterminée jusqu'au 31 juillet 1998, et elle a dénoncé à l'occasion un prêt de main d'œuvre illicite tombant sous le coup de la loi pénale.
Elle lui a fait grief ensuite d'avoir été dans l'incapacité de procéder au remplacement de ses collaborateurs défaillants, ainsi que d'avoir résilié les relations commerciales le 13 août 1998 sans préavis.
Elle a expliqué que cette situation lui avait causé de graves perturbations dans le suivi de ses prestations à l'égard de sa clientèle.
Elle a considéré que dans ces circonstances, elle était fondée à opposer l'exception d'inexécution pour justifier le non-paiement par elle des factures, ce en quoi elle n'a vu tout au plus qu'une faute vénielle.
Elle s'est par ailleurs inscrite en faux contre l'accusation de débauchage lancée contre elle, en expliquant que c'étaient les deux salariés qui avaient refusé de poursuivre leur collaboration avec la société Ecso.
Elle a donc sollicité à titre principal la condamnation de la société UTI à lui payer la somme de 88 046,93 euro à raison du préjudice qu'elle avait subi à la suite de son comportement "gravissime" et celle de 23 000 euro pour son manque de loyauté.
Elle a demandé encore le remboursement de la somme de 34 576 euro versée en exécution du jugement entrepris, le débouté de la société Eurofactor de ses demandes et le paiement de sommes de 7 600 et de 2 286,74 euro par chacune des intimées sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
A titre subsidiaire, elle a conclu à la nullité des conventions verbales passées entre les parties et a réclamé le remboursement de la totalité des factures émises par la société UTI.
Celle-ci a répliqué que les conditions générales du contrat étaient opposables à la société Metaware et elle lui a reproché le débauchage de son personnel et le non-paiement de ses factures.
Elle a conclu à la confirmation des jugements entrepris, sauf à porter à la somme de 161 144 euro hors taxes le montant de son préjudice.
Elle a sollicité, en outre, des sommes de 7 000 et de 2 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Eurofactor a sollicité la confirmation des jugements entrepris, la capitalisation des intérêts, une somme de 5 000 euro pour procédure abusive, ainsi que deux sommes de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Considérant qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de joindre les deux appels enrôlés sous les numéros 02-2802 et 02-5208;
Considérant que la cour de céans étant saisie des appels à l'encontre des jugements des Tribunaux de commerce de Nanterre et de Versailles, l'exception de litispendance et de connexité soulevée par l'appelante n'a plus aucun intérêt;
Considérant que s'il est constant que le projet de contrat de la société Ecso daté du 8 juin 1998 n'a pas été signé par la société Metaware, il est également de fait que les relations entre les parties se sont déroulées conformément aux stipulations de ce projet de contrat et des avenants qui lui ont fait suite, et que, de plus, la société Metaware revendique l'application d'une de ses dispositions essentielles portant sur les conditions de résiliation du contrat;
Considérant que les salariés de la société Ecso étaient mis à la disposition de la société Metaware pour des périodes de trois mois renouvelables et qu'à la fin du mois de juillet 1998, six d'entre eux se trouvaient en poste chez Metaware;
Que le 31 juillet 1998, les salariés Guerra et Zerrouki, dont la fin de mission s'achevait normalement le 23 septembre 1998, ont fait défection, dès lors qu'embauchés par la société Ecso pour une durée déterminée qui s'achevait, ils n'ont pas souhaité retravailler pour elle;
Que celle-ci a été dans l'incapacité de pourvoir à leur remplacement et qu'ils ont alors été embauchés directement par la société Metaware quelques jours plus tard;
Qu'il n'est nullement établi que le refus des deux salariés de signer un contrat à durée indéterminée avec la société Ecso ait été provoqué par la société Metaware,
Que c'est encore vainement qu'il est reproché à cette dernière d'avoir réembauché les deux salariés après le 31 juillet 1998 en violation des dispositions de l'article 9 du contrat interdisant toute embauche dans les douze mois suivant le départ des salariés, alors que de telles dispositions sont nulles en ce que l'obligation est disproportionnée s'agissant de contrats de trois mois renouvelables et en ce qu'elle ne comporte aucune contrepartie financière pour les salariés, portant ainsi atteinte à la liberté du travail;
Que la clause dite de non sollicitation s'est ainsi trouvée caduque le 31 juillet 1998 et que la société Metaware a donc pu régulièrement embaucher les deux salariés au cours du mois suivant;
Considérant que le départ des deux salariés à la fin de leur contrat n'a d'évidence pas pu constituer un cas de force majeure pour la société Ecso, qui est donc fautive pour ne pas avoir été en mesure de pourvoir à leur remplacement;
Que, dans ce contexte, la suspension par la société Metaware du paiement des factures, alors que les prestations qui lui étaient dues en contrepartie ne lui étaient plus assurées normalement, ne peut être regardée comme fautive;
Qu'est en revanche fautive la décision de la société Ecso de retirer brutalement ses quatre salariés le 13 août 1998, sans même respecter le préavis de huit jours prévu à l'article 3 du contrat;
Considérant qu'il n'est pas douteux que l'activité de la société Metaware s'est trouvée gravement perturbée par la défection brutale d'une partie, puis de la totalité des salariés mis à sa disposition, qu'il lui a fallu remplacer dans l'urgence;
Considérant que la société Metaware verse aux débats un tableau de l'évaluation de son préjudice qui n'appelle pas d'observations particulières, si ce n'est qu'elle y intègre des frais de formation pour 170 000 F qu'elle aurait eu nécessairement à supporter un jour puisque chaque salarié était à sa disposition pendant une période de trois mois sans certitude d'un renouvellement;
Qu'en conséquence, son préjudice sera fixé à 577 550 F - 170 000 F = 407 550 F ou 62 130,60 euro;
Que pour le surplus, elle ne démontre pas l'existence d'un préjudice spécifique lié à un manque de loyauté;
Qu'après compensation avec le montant des factures impayées, elle reste devoir (55 303,14 + 11 748,24) - 62 130,60 = 4 920,78 euro;
Considérant que cette somme sera attribuée à la société Eurofactor, laquelle devra faire son affaire personnelle du remboursement par la société UTI du surplus de sa créance;
Considérant que les intérêts au taux légal seront dus à compter du 21 septembre 1998, date de la mise en demeure, et capitalisés dans les termes de l'article 1154 du Code civil à compter du 17 janvier 2003, date de la demande;
Considérant que la société UTI remboursera à la société Metaware la somme versée en exécution du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre;
Considérant que la société UTI paiera à la société Metaware une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC;
Qu'en revanche, l'équité commande de ne pas indemniser la société Eurofactor de ce chef;
Considérant que la société UTI qui succombe supportera les entiers dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : - Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 02-2802 et 02-5208. - Infirme les jugements entrepris. Statuant à nouveau, - Déboute la société Union Technologies Informatique de toutes ses demandes. - La condamne à rembourser à la société Metaware Technologies la somme versée en exécution du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en date du 29 janvier 2002. - Condamne la société Metaware Technologies à payer à la société Eurofactor la somme de 4 920,78 euro (quatre mille neuf cent vingt euro et soixante-dix-huit centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 1998. - Dit que les intérêts échus seront capitalisés dans les termes de l'article 1154 du Code civil à compter du 17 janvier 2003. - Condamne la société Union Technologies Informatique à payer à la société Metaware Technologies une somme de 5 000 euro (cinq mille euro) au titre de l'article 700 du NCPC. - La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel aux SCP Keime-Guttin et Jullien-Lecharny-Rol, avoués, le bénéfice de l'article 699 du NCPC. - Rejette toutes autres demandes comme étant non fondées ou sans objet.