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Décisions

CCE, 5 août 2009, n° M.5461

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Lyonnaise des eaux/Sociétés de distribution d'eau et d'assainissement

CCE n° M.5461

5 août 2009

Messieurs, Mesdames,

Objet : Affaire n° COMP/M.5461 - Lyonnaise des eaux/Sociétés de distribution d'eau et d'assainissement

Votre notification du 3 juillet 2009 conformément à l'article 4 du règlement du Conseil n° 139-2004.

1. Le 3 juillet 2009, la Commission a reçu notification, conformément à l'article 4 du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil, d'un projet de concentration par lequel la société Lyonnaise des Eaux ("LDE") souhaite acquérir le contrôle exclusif des sociétés Société Provençale Des Eaux ("SPDE"), Société des Eaux du Nord ("SEN"), Société des Eaux de Versailles et de Saint-Cloud ("SEVESC"), Société d'Exploitation du Réseau d'Assainissement de Marseille ("SERAM"), Société Martiniquaise des Eaux ("SME") et Société Guyanaise des Eaux ("SGDE").

I. LES PARTIES

2. LDE est active sur la totalité du cycle de l'eau, de la production d'eau potable jusqu'à l'assainissement des eaux usées. Elle fournit également des services de gestion de la clientèle (comptage) ainsi que des travaux sur les installations et réseaux de distribution. LDE appartient au groupe GDF Suez.

3. La SPDE, la SEN, la SEVESC, la SERAM, la SME et la SGDE sont toutes actives exclusivement dans le secteur de la gestion de l'eau potable. Elles sont toutes délégatrices de service public, en charge de la gestion du service de distribution d'eau et/ou d'assainissement.

II. L'OPERATION ET LA CONCENTRATION

4. Cette opération fait suite à une décision du 11 juillet 2002 du Conseil de la concurrence français qui a considéré LDE et Veolia Eau détenaient une position dominante collective sur les marchés de la collecte et de l'assainissement de l'eau en France, et qu'elles avaient abusé de cette position dominante en s'abstenant de concurrencer leurs entreprises communes actives sur ces marchés. Faisant application d'un article du Code de commerce alors en vigueur (1), le Conseil de la concurrence a demandé au ministre de l'Economie de s'assurer de la disparition de ces liens structurels entre les deux principaux acteurs sur ces marchés.

5. Dans le cadre de la mise en œuvre de la décision du Conseil de la concurrence, LDE et Veolia Eau ont décidé elles-mêmes de mettre fin à l'existence de leurs entreprises communes. Un protocole d'accord conclu le 19 décembre 2008 envisage un "décroisement" de ces filiales communes, à l'issue duquel LDE prendra le contrôle exclusif de six d'entre elles, objet de la présente décision, et Veolia Eau le contrôle exclusif de trois d'entre elles (cf. Affaire n° COMP/M.5464 Veolia eau/Société des eaux de Marseille, Société des eaux d'Arles, Société Stéphanoise des eaux).

6. L'opération notifiée par Veolia Eau visant à prendre le contrôle exclusif des trois autres filiales communes a fait l'objet d'une décision d'autorisation par la Commission le 30 juillet 2009 (2).

7. L'opération notifiée se traduit par le passage d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif sur des entreprises par l'une de leurs sociétés-mères et sera réalisée par un échange d'actions.

8. L'opération notifiée constitue donc une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b) du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

9. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 000 millions d'euro (3). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans la Communauté de plus de 250 millions d'euro (4), mais LDE ne réalise pas plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre. L'opération a donc une dimension communautaire.

IV. ANALYSE CONCURRENTIELLE

Les marchés concernés

10. L'opération concerne le secteur de la gestion de l'eau en France.

11. Lors d'affaires précédentes, les autorités communautaire et française de concurrence ont distingué deux marchés principaux selon le caractère potable ou industriel de l'eau (5). Il apparaît en effet que la gestion des services publics de l'eau diffère sensiblement de celle des services de l'eau fournis aux industriels.

La gestion de l'eau potable

12. En France, les services publics de la gestion de l'eau relèvent de la compétence des communes ou de leurs groupements qui peuvent les gérer elles-mêmes (régie) ou les confier à un tiers (gestion déléguée).

13. Dans sa décision, le Conseil de la concurrence avait constaté que la concurrence exercée par les collectivités locales était très marginale (6). Au cas d'espèce, l'enquête de marché menée par la Commission a montré clairement qu'une collectivité publique ne fait éventuellement concurrence aux opérateurs privés (7) qu'à proximité immédiate de son implantation, ce qui limite grandement sa capacité concurrencer des opérateurs privés qui disposent d'agences sur une grande partie, voire la totalité, du territoire français.

14. La question de savoir si la gestion directe et la gestion déléguée relèvent ou non d'un même marché peut donc être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle sont inchangées quelle que soit la définition de marché retenue.

15. Au cas d'espèce, en matière d'eau potable, les parties ne sont actives que sur la gestion déléguée. En conséquence, pour les besoins de la présente décision, seule la gestion déléguée de l'eau potable sera examinée.

16. Les autorités communautaire et nationale de concurrence considèrent que la gestion déléguée de l'eau potable est constituée de deux marchés de services distincts : d'une part, la distribution de l'eau, qui inclut les services allant de la production de l'eau à la distribution au consommateur final, et, d'autre part, l'assainissement, qui inclut les services de la collecte et du traitement des eaux usées (8). Cette telle segmentation se justifie notamment par la passation de deux contrats distincts pour ces deux services. En effet, en France, une délégation de service public ne peut porter que sur un seul service public, la distribution d'eau potable et l'assainissement étant considérés comme deux services publics distincts.

17. Concernant la dimension géographique des marchés de la gestion déléguée de distribution d'eau potable et de la gestion déléguée d'assainissement, elle est nationale en France compte tenu notamment du fait que les règles de passation des contrats de délégation de service public sont nationales (ou communautaires selon les seuils applicables) et homogènes sur l'ensemble du territoire français (égalité de traitement des prestataires). De plus, les principaux offreurs (Veolia Eau, LDE, Saur) disposent de nombreuses agences qui leur permettent de répondre à l'ensemble des demandes exprimées, quelle que soit leur localisation sur le territoire national (9). L'enquête de marché a largement confirmé la dimension nationale des marchés de la gestion déléguée de la distribution d'eau potable et de la gestion déléguée d'assainissement pour la France.

L'analyse concurrentielle

18. D'une manière générale, LDE souligne qu'elle exerce déjà une influence sur la stratégie commerciale de la SEN, la principale filiale commune dont elle acquiert le contrôle exclusif, et qu'en conséquence l'impact concurrentiel de l'opération est très limité. Elle a notamment précisé qu'elle était déjà impliquée dans la gestion et le processus de décision quotidiens de la SEN.

19. Toutefois, si le passage d'un contrôle conjoint à un contrôle exclusif ne pose généralement pas de questions concurrentielles, il convient de tenir compte de l'influence (réelle ou potentielle) de Veolia Eau qui réduit la capacité de LDE à agir indépendamment.

20. Sur les marchés de la gestion de l'eau, LDE considère que le décroisement opéré par l'opération conduit à renforcer l'intensité de la concurrence dans la mesure où elle supprime les liens structurels entre les deux acteurs les plus importants du marché de la gestion de l'eau potable. En perdant le contrôle conjoint qu'elle détenait sur la SPDE, la SEN, la SEVESC, la SERAM, la SME et la SGDE, Veolia Eau retrouverait ainsi une entière liberté d'action sur ces marchés et devrait constituer une offre alternative lors des prochains appels à la concurrence.

21. Le tableau ci-dessous présente les parts de marché des parties, calculées en valeur (chiffres d'affaires réalisés en 2008), pour les deux marchés de la gestion de l'eau potable concernés par l'opération. La présentation suivante tient compte des positions de chacune des entreprises concernées prises en tant qu'entités distinctes. Il sera néanmoins tenu compte, dans la suite de l'analyse concurrentielle, du contrôle conjoint qu'exerçait préalablement à l'opération LDE sur les six sociétés dont elle acquiert le contrôle exclusif (la SPDE, la SEN, la SEVESC, la SERAM, la SME et la SGDE).

<emplacement tableau>

22. En dépit de parts de marché cumulées significatives sur les marchés français de la gestion déléguée de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement de l'eau, LDE ne renforce pas sa position sur ces marchés. L'absence d'impact de l'opération sur ces marchés a d'ailleurs été très largement confirmée par les tiers interrogés dans le cadre de l'enquête de marché.

23. En effet, Veolia Eau a été autorisée le 30 juillet 2009 à prendre le contrôle exclusif des trois sociétés SEM, SEA, SSE (10). Le chiffre d'affaires cumulé de ces sociétés réalisé en 2008 représente une part de marché de [5-10%] sur le marché de la gestion déléguée de la distribution d'eau potable et de [0-5%] sur le marché de la gestion déléguée de l'assainissement de l'eau. Toutefois en tenant compte des parts de marché attribuées aux six filiales communes destinées à être contrôlées par LDE ([0-5%] et [5-10%]), et dont Veolia Eau perdra le contrôle, l'opération de décroisement induira en réalité un incrément beaucoup plus limité sur le marché de la gestion déléguée de l'assainissement de l'eau ([5-10] points) et une absence d'incrément sur le marché de la gestion déléguée de la distribution d'eau potable. (11)

24. Comme l'a expliqué LDE, c'est notamment la recherche d'un "équilibrage des lots", en terme de chiffres d'affaires, qui a prévalu dans la répartition des filiales communes entre chacune des deux sociétés-mères.

25. Par ailleurs, s'il existait une position dominante collective de Veolia Eau et de LDE sur les marchés de la gestion déléguée de la distribution d'eau potable et de l'assainissement de l'eau, l'opération notifiée a pour effet de rompre les liens capitalistiques qui unissent les deux groupes sur ces marchés dans six filiales communes, ce qui devrait, en théorie, rendre moins aisée une collusion tacite. En effet, ces entreprises communes pouvaient contribuer à rapprocher les incitations de leur sociétés-mères et donc conduire à la coordination de leurs comportements concurrentiels (12). Veolia Eau aura dorénavant un intérêt à présenter des offres dans les zones dans lesquelles LDE et/ou ses filiales sont titulaires d'un contrat de délégation de service public, ce qui n'était pas le cas auparavant.

26. Sur la base de ce qui précède, il s'en suit que l'opération n'a pas pour effet de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la gestion déléguée (i) de la distribution d'eau potable et (ii) de l'assainissement de l'eau.

V. CONCLUSION

27. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le marché commun et avec l'accord EEE. Cette décision est prise sur la base de l'article 6, paragraphe 1, point b, du règlement du Conseil n° 139-2004.

Notes :

1 Selon l'article L. 430-9, "le Conseil de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, demander au ministre chargé de l'économie d'enjoindre, conjointement avec le ministre dont relève le secteur, par arrêté motivé, à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la procédure prévue au présent titre."

2 Affaire n° COMP/M.5464 Veolia Eau/Société des Eaux de Marseille/Société des Eaux d'Arles/Société Stéphanoise des Eaux.

3 Chiffre d'affaires calculé conformément à l'article 5(1) du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil.

4 Dans la mesure où les prises de contrôle exclusif par LDE de la SPDE, la SEN, la SEVESC, la SERAM, la SME et la SGDE sont des opérations interdépendantes au sens de l'article 3 paragraphe 1 du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil, les chiffres d'affaires respectifs de chacune des sociétés cibles ont été agrégés conformément à l'article 5 paragraphe 2 dudit règlement et au paragraphe 137 de la Communication consolidée sur la compétence de la Commission.

5 Décisions n° IV/M.1365 FCC/Vivendi du 4 mars 1999 et n° COMP/M.1633 RWE Umwelt/Vivendi/Berliner Wasserbetriebe du 13 septembre 1999. Décision du Conseil de la concurrence n° 02-D- 44 du 11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels d'offres.

6 Le Conseil de la concurrence y explique que "le retour à la régie suppose des investissements en matériels (ex. : rachat des compteurs) et est freiné par la crainte d'une perte de savoir-faire ce qui peut avoir sur les collectivités un effet dissuasif". Il constate également que "les collectivités locales qui font appel au marché pour répondre à leurs besoins d'approvisionnement en eau potable et en assainissement ne voient que rarement dans les autres collectivités une alternative à l'offre des entreprises privées". Enfin, le Conseil de la concurrence estime "qu'un service rendu par une collectivité à une autre collectivité géographiquement proche ne constitue pas nécessairement une offre concurrentielle sur un marché", comparable à l'offre d'entreprises implantées sur l'ensemble (ou une partie importante) du territoire français.

7 Une collectivité locale doit notamment disposer des ressources et des compétences suffisantes pour créer une régie.

8 Décisions n° IV/M.1365 FCC/Vivendi du 4 mars 1999 et n° COMP/M.1633 RWE Umwelt/Vivendi/Berliner Wasserbetriebe du 13 septembre 1999. Décision du Conseil de la concurrence n° 02-D- 44 du 11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels d'offres.

9 Cette délimitation des marchés géographiques en cause est cohérente avec celle retenue par le Conseil de la concurrence qui a relevé dans sa décision que "la forte concentration du secteur privé sur le marché de la distribution de l'eau confère à l'offre un caractère national" et qu'une segmentation infranationale de ces marchés "est contredite par le fait que les trois entreprises [...] répondent aux appels à concurrence, directement ou par l'intermédiaire de filiales, dans des conditions analogues sur l'ensemble du territoire national".

10 Affaire n° COMP/M.5464 Veolia Eau/Société des Eaux de Marseille/Société des Eaux d'Arles/Société Stéphanoise des Eaux.

11 Sur le marché de la gestion déléguée de l'assainissement de l'eau, l'incrément est égal à [5-10%] - [0-5%] = [5-10%]. Sur le marché de la gestion déléguée de la distribution d'eau potable, l'opération de décroisement se traduit en réalité par une perte nette [0-5%] - [5-10%] = -[0-5%].

12 Voir les lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, paragraphe 48.