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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 19 juin 1978, n° 8143

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chesnay (Epoux)

Défendeur :

Total (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefous

Conseillers :

M. Thenard, Mlle Carcassonne

Avoués :

Mes Roblin, Lejoindre

Avocats :

Mes Thréard, Bourgeon, Archer, Vincent

T. com. Pontoise, du 2 oct. 1973

2 octobre 1973

LA COUR,

Faisant suite à l'arrêt rendu par cette cour le 4 octobre 1976, auquel il est renvoyé quant à l'exposé des faits et de la procédure antérieure et qui, sur l'appel formé par Monsieur et Madame Chesnay contre un jugement du Tribunal de commerce de Pontoise en date du 2 octobre 1973, a statué notamment en ces termes :

" Constate l'accord des parties en appel sur l'application de la loi du 21 mars 1941 et en conséquence, infirme les dispositions du jugement déclarant que ladite loi n'était pas applicable,

" Constate l'accord des parties en appel sur le fait que le sieur Chesnay a droit à une rémunération correspondant au salaire d'un agent gestionnaire petit dépôt bénéficiant du coefficient 190, et en tant que de besoin dit que la rémunération de Chesnay entre le 2 juillet 1969 et le 14 novembre 1972, devra être calculé sur cette base,

" Dit que, pendant la même période, la rémunération de dame Chesnay devra être calculée sur la base du coefficient 170,

" Dit que sur les mêmes bases ; coefficients 190 et 170 et pendant la même période, les époux Chesnay ont droit à une indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin 1972 au 14 novembre 1972,

" Dit que des sommes dues aux époux Chesnay à ces divers titres devront être déduites celles qu'ils ont effectivement retirées de l'exploitation de la station-service pendant la même période compte tenu des redressements que pourrait nécessiter l'examen de la comptabilité,

" Dit la société Total mal fondée en sa demande reconventionnelle tendant à obtenir le paiement du solde débiteur du compte de fin de gestion des époux Chesnay (31 884,79),

" Dit qu'il y a lieu de vérifier ce compte,

" Dit que les diverses sommes due pas les parties en raison de ces divers chefs se compenseront à due concurrence,

" et, avant de fixer les sommes dues à ces divers titres, tous droits et moyens réservés, mais seulement sur le quantum,

" Comme Paumier, expert-comptable, demeurant 79 rue des Chênes à Suresnes, (Hauts de Seine) avec mission, serment préalable prêté, de rechercher tous éléments permettant de chiffrer les points figurant aux motifs du présents arrêt,

" de faire les comptes entre les parties,

" éventuellement de constater leur accord " ;

L'expert ayant déposé son rapport, les parties ont conclu.

C'est ainsi que par conclusions du 17 novembre 1977, la société Total a prié la cour de débouter les époux Chesnay de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 31 884,79 F avec intérêts à compter du 6 janvier 1975.

Par conclusions du 25 novembre 1977, les époux Chesnay ont prié la cour de dire qu'ils avaient droit à une rémunération minimale totale de 169 315,39 F, que leurs bénéfices pour leur quatre années d'exploitation n'a pas été supérieur à 130 000 F environ, que le reliquat de rémunération auquel ils ont droit est donc de 39 315 F et que, compensation opérée avec le solde réel de fin de gérance, la société Total doit être condamnée à leur payer une somme de 8 740,21 F avec intérêts du jour de la demande.

I - Sur les rémunérations dues aux époux Chesnay en application de la loi du 21 mars 1941

A) Sur les salaires,

Considérant que l'expert a évalué aux sommes de 60 227,86 F et de 53 888,09 F les montants des salaires auxquels avaient droit respectivement Monsieur Chesnay et Madame Chesnay pour la période du 2 juillet 1969 au 14 novembre 1972,

Considérant que les calculs de l'expert sont exacts ; que celui-ci a tenu compte des prescriptions de l'arrêt du 4 octobre 1976 ; que les parties ne critiquent pas son évaluation ; que celle-ci doit être en conséquence retenue,

B) Sur l'indemnité compensatrice de congés payés,

Considérant que l'expert a évalué aux sommes de 780,84 F et de 698,65 F les montants des indemnités compensatrices de congés payés dues respectivement à Monsieur Chesnay et à Madame Chesnay pour la dernière période légale,

Considérant qu'aucune critique n'a été formulée au sujet de cette évaluation qui a été faite conformément aux dispositions de l'arrêt du 4 octobre 1976 et qui est exacte ; que cette évaluation doit être retenue,

C) Sur les heures supplémentaires,

L'expert a fixé à 28 352,20 F et à 25 367,75 F les sommes pouvant être dues respectivement à Monsieur Chesnay et à Madame Chesnay au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite autorisée (y compris l'incidence sur les congés payés).

La société Total prétend que les époux Chesnay n'ont pas rapporté la preuve qu'ils avaient effectué des heures supplémentaires et contestent expressément les prétentions émises à ce sujet par les intéressés.

Les époux Chesnay approuvent les calculs de l'expert et demandent qu'ils soient retenus.

Considérant que dans le dispositif de son arrêt du 4 octobre 1976 la cour a dit que les époux Chesnay avaient droit à la rémunération des heures supplémentaires " pour le travail effectivement accompli par eux ".

Considérant aussi que dans les motifs de l'arrêt la cour a rappelé que c'était aux époux Chesnay qu'incombait la charge de la preuve et a dit que " les heures de travail effectivement accomplies " ne pouvaient s'identifier avec " les heures d'ouverture de la station " ; qu'elle a relevé que les époux Chesnay avaient eu à leur service des salariés et a précisé que l'expert devrait rechercher quel était le nombre de ces salariés pour lui permettre d'apprécier si des roulements n'avaient pas été possibles pour éviter des heures supplémentaires,

Or considérant que l'expert a indiqué dans son rapport que les époux Chesnay avaient disposé de quatre salariés et qu'ayant demandé à Monsieur Chesnay de justifier par tous moyens " de l'importance " du nombre des heures qu'il pouvait travailler " sa demande n'avait pas été suivie d'effet ; qu'il a dit aussi que la comparaison entre le " litrage " réalisé et l'importance de la main d'œuvre s'opposait à priori à la réalité de travaux supplémentaires, sauf si la cour admettait en faveur des époux Chesnay la notion d'heures de mise à disposition ;

Considérant que cette notion ayant été rejeté par la cour dans son précédent arrêt, il en résulte que les calculs de l'expert relatifs aux heures supplémentaires ne reposent que sur les seules affirmations des époux Chesnay qui persistent à assimiler, sans justification, les heures d'ouverture de la station à des heures de travail effectivement accomplies ;

Considérant que force est de constater que les époux Chesnay, dont les affirmations ne peuvent être retenues dès lors qu'ils sont parties à l'instance, n'ont point rapporté la preuve de la réalité des heures supplémentaires, preuve qui leur incombait en tant que demandeurs,

Considérant qu'il s'ensuit que les intéressés doivent être déboutés de la demande qu'ils ont présentée à ce sujet,

II - Sur les bénéfices de l'exploitation de la station-service

L'expert a évalué à 147 627 F les " bénéfices supposés " retirés par les époux Chesnay de l'exploitation de la station-service.

La société Total prétend que l'expert a été mis dans l'impossibilité par les époux Chesnay de calculer les sommes retirées par eux de cette exploitation et qu'en conséquence l'évaluation faite ne peut être retenue.

Les époux Chesnay reprochent à l'expertise d'avoir fixé approximativement à 40 000 F le bénéfice de l'année 1972 et soutiennent qu'en réalité ce chiffre est " au-delà de la vérité " ; ils en déduisent que les bénéfices réalisés pendant les quatre années d'exploitation sont donc inférieurs à 147 627 F et qu'ils n'ont pas dépassé 130 000 F.

Considérant que pour pouvoir remplir la mission dont la cour l'avait chargé l'expert a réclamé aux époux Chesnay la communication des documents suivants : journal générale et livre d'inventaire, journaux d'achats, de ventes, de trésorerie et d'opérations diverses, livre de paie, livre de bord et carnet de bord, copie des déclarations fiscales, comptes d'exploitation et bilans ; que l'expert indique dans son rapport qu'aucun de ces éléments comptables ne lui a été adressé.

Considérant que l'expert a précisé que c'était ainsi " en se basant sur les données de l'arrêt " du 4 octobre 1976 qu'il avait "relevé les bénéfices déclarés par les époux Chesnay, en complétant ce relevé par les évaluations de leurs revenus possibles de l'année 1972" ; qu'il a ajouté que le chiffre qu'il indiquait " ne pouvait en aucun cas être certifié ni même retenu sous toutes réserves par lui " ;

Mais considérant que la cour avait estimé que les " données " dont elle disposait étaient insuffisantes ; qu'en effet, il est dit dans l'arrêt du 4 octobre 1976 que l'expert devrait " déterminer, compte tenu des redressements que pourrait nécessiter l'examen de la comptabilité, si les différents exercices annuels avaient été bénéficiaires ou déficitaires ";

Or considérant qu'en raison de la carence des époux Chesnay l'expert n'a pu remplir sa mission ; qu'aucun examen n'a été possible ; que cette carence ne peut s'expliquer que par la volonté des époux Chesnay de se soustraire à toute vérification ; qu'il doit en être déduit que mes intéressés ont réalisé des bénéficies bien supérieurs à ceux qu'ils reconnaissent ; que déjà, le 4 octobre 1976, la cour avait souligné la duplicité dont avaient fait preuve les époux Chesnay qui avaient fait état de " déficits " alors que les documents produits établissaient qu'ils avaient réalisé des bénéfices ;

Considérant qu'il s'ensuit que ni le chiffre proposé par l'expert, ni le chiffre donné par les époux Chesnay ne peuvent être retenus ; qu'il doit être constaté que, par la faute des époux Chesnay, il n'a pas été possible de déterminer le montant des bénéfices par eux réalisés à l'occasion de l'exploitation de la station-service ;

III - Sur le rappel de rémunération

Considérant que les ressources minimales auxquelles les époux Chesnay pouvaient prétendre s'élèvent à 60 227,86 + 53 888,09 + 780,84 + 698,65 = 115 595,44 F ;

Mais considérant qu'il vient d'être reconnu qu'il n'était pas possible d'évaluer les bénéfices réalisés par les époux Chesnay ;

Considérant qu'il est donc impossible, par la faute des époux Chesnay, de procéder à la comparaison des ressources minimales ci-dessus déterminées et des bénéfices, et donc à la déduction prévue par l'arrêt du 4 octobre 1976 ;

Considérant qu'il en résulte que les époux Chesnay doivent être déboutés de leur demande de paiement d'un reliquat de rémunération ;

IV - Sur la demande additionnelle de la société Total,

Après vérification, l'expert a évalué à 31 884,79 F le montant de la somme dont les époux Chesnay étaient débiteurs au titre du solde de fin de gestion ;

La société Total demande que les époux Chesnay soient condamnés à lui payer cette somme ;

Les époux Chesnay prétendent que l'expert a omis de déduire en leur faveur une somme de 1 040 F correspondant à un prorata de bonification. Ils soutiennent que la société Total n'est donc créancière que de la somme de 30 844,79.

Considérant que la société Total n'a présenté aucune observation à ce sujet ;

Considérant aussi que dans une lettre du 15 décembre 1972, rapportée par l'expert, la société Total a fait connaître à Monsieur Chesnay d'une part, qu'elle avait décidé d'accorder rétroactivement à compter du 1er janvier 1971 aux gérants-libres une bonification de fin de gérance calculée sur la base forfaitaire de 1 250 F par année complète d'activité, d'autre part, qu'elle portait à son crédit la somme de 1 250 F " représentant la bonification de l'année 1971 et calculée au prorata de ses mois d'activité pour l'année 1972 ";

Considérant qu'une contradiction résulte des termes de cette lettre ; que n'ayant versé que la somme de 1 250 F, la société Total n'a pas tenu compte des dix mois d'activité des époux Chesnay au cours de l'année 1972 ; qu'il convient donc d'admettre la réclamation des époux Chesnay et de réduire donc à 30 844,79 F la somme dont ils sont redevables à l'égard de la société Total ;

Par ces motifs, LA COUR, Vu l'arrêt de cette cour du 4 octobre 1976, Constate que, par la faute des époux Chesnay, il n'a pas été possible de déterminer le montant des bénéfices par eux réalisés à l'occasion de l'exploitation de la station-service, Déboute Monsieur et Madame Chesnay de leur demande de paiement d'un reliquat de rémunération, Condamne Monsieur et Madame Chesnay à payer à la société Total la somme de 30 844,79 F, avec les intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1975, date de la demande au titre du solde de fin de gestion, et condamne Monsieur et Madame Chesnay à tous les dépens postérieurs à l'arrêt du 4 octobre 1976, y compris les frais relatifs à l'expertise ; Dit que Maître Lejoindre, avoué, pourra recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.