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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 30 avril 2009, n° 08-00156

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Paul Boye Technologies (SAS)

Défendeur :

Messier-Bugatti (SA), Ouvry (SAS), Ouvry

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mandel

Conseillers :

Mmes Valantin, Lonne

Avoués :

SCP Keime Guttin Jarry, SCP Fievet-Lafon, SCP Boiteau Pedroletti

Avocats :

Mes Selinsky, Coudert, Romand

T. com. Versailles, 7e ch., du 10 déc. 2…

10 décembre 2007

La SA Manufacture de Vêtements Paul Boyle (devenue récemment SAS Paul Boye Technologies) (SAS Paul Boye) est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de vêtements de protection à usage civil et militaire pour la protection nucléaire, bactériologique et chimique (NBC).

La société Messier-Bugatti, filiale de la société Snecma, a entrepris, au début des années 1980, le développement, la fabrication et la commercialisation de texture de carbone activé (TCA).

Le 26 novembre 1999, les deux sociétés ont signé un accord de confidentialité concernant leurs discussions sur une éventuelle collaboration pour un projet commun.

Le 22/28 juin 2001, elles ont signé un accord de collaboration avec effet rétroactif au 19 avril 2000. Le 3 septembre 2001, la société Messier-Bugatti a averti la société Paul Boye qu'elle envisageait la cession de cette activité et lui a proposé de la reprendre. Cette dernière, n'ayant pas les fonds, a entrepris des démarches en vue d'une aide financière.

Le 26 juin 2002, la société Messier-Bugatti a informé la société Paul Boye qu'elle cessait son activité de textile de carbone et elle a résilié le contrat de coopération de développement.

Au mois de juillet 2002, Monsieur Ouvry a quitté la société Messier-Bugatti et a créé sa propre société de fabrication et de commercialisation de vêtements "Paul Ouvry" à Lyon où il était domicilié.

Ayant appris que la technologie relative au textile TCA avait été cédée à la société Blücher, société allemande, qui est sa principale concurrente et que cette société est associée de la société de Monsieur Ouvry, la SAS Paul Boye a assigné:

* le 20 octobre 2004 la société Messier-Bugatti,

* le 25 octobre 2004 Monsieur Ouvry personne physique,

* le 19 avril 2005 la SARL Ouvry.

Les assignations contre la société Messier-Bugatti et Monsieur Ouvry visaient les articles 1134, 1135,1147 et 1154 du Code civil et 1382 et 1383 du Code civil, celle contre la société Ouvry l'article 1382 du Code civil.

Il était demandé au tribunal

1 : - de constater que la société Messier-Bugatti avait exécuté de mauvaise foi les engagements contractuels de l'accord de coopération du 28 juin 2001,

- qu'elle avait mis fin à ses torts exclusifs à ce contrat en méconnaissance de ses obligations et ne l'avait pas mené à son terme (18 avril 2005) en dépit d'une mise en demeure délivrée le 22 novembre 2002,

2 : - qu'elle avait cédé la technologie visée dans le contrat du 22 juin 2002 à la principale concurrente de la société Paul Boye et porté lors des négociations avec la société Blücher à la connaissance de cette société concurrente, des informations couvertes par la confidentialité,

3 : - de constater que Monsieur Ouvry ancien salarié de la société Messier-Bugatti s'était rendu complice des violations contractuelles réalisées par son employeur au détriment de la société Paul Boye.

Elle faisait valoir que Monsieur Ouvry avait créé une société partenaire privilégiée de la société Blücher principale concurrente de la société Paul Boye et que la société créée avait profité des informations confidentielles obtenues grâce à ses fonctions au sein de la société Messier-Bugatti ; que Monsieur Ouvry avait ainsi détourné le savoir-faire de la société Paul Boye à son profit et à celui de la société Blücher.

La société Paul Boye demandait en conséquence la condamnation de la société Messier-Bugatti au paiement de dommages-intérêts pour ses violations du contrat du 22/28 juin 2001 et la condamnation solidaire de Monsieur Ouvry avec la société Messier-Bugatti à des dommages-intérêts pour concurrence déloyale. La société Paul Boye a également sollicité la publication du jugement dans deux journaux.

Monsieur Ouvry et la SARL Ouvry ayant soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Versailles au profit du Tribunal de grande instance de Lyon, le Tribunal de commerce de Versailles par un jugement rendu le 1er mars 2006 a renvoyé l'ensemble de la procédure devant ce tribunal.

La société Messier-Bugatti et la société Paul Boye ont formé contredit. Deux arrêts rendus le 14 décembre 2006 ont infirmé ce jugement et dit que le Tribunal de commerce de Versailles était compétent pour connaître de l'entier litige opposant la société Paul Boye à la société Messier-Bugatti, à la SARL Ouvry et à Monsieur Ouvry.

La société Paul Boye a alors repris les mêmes reproches à l'encontre de la société Messier-Bugatti et de Monsieur Ouvry, et a ajouté des griefs à l'encontre de la SARL Ouvry, lui reprochant d'avoir profité des informations confidentielles obtenues par Monsieur Ouvry au sein de la société Messier-Bugatti et de l'avoir évincée dans le marché Felin.

Elle a sollicité la condamnation in solidum de la société Messier-Bugatti, de Monsieur Ouvry et de la SARL Ouvry au paiement de la somme de 14 098 491 euro en réparation de son préjudice commercial résultant de la diminution de son actif incorporel par l'accaparement de son savoir-faire, de 8 920 227 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial sur le marché français, de 10 196 940 euro pour préjudice concurrentiel (pour les frais de recherche et la perte d'une chance). Elle a repris sa demande de publication du jugement et ce dans trois journaux en réparation de l'atteinte à son image.

La société Messier-Bugatti a conclu au débouté et a demandé des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Monsieur Ouvry et la SARL Ouvry ont opposé l'absence de préjudice subi par la société Paul Boye et de fautes et ont également formé une demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par jugement rendu le 10 décembre 2007, le Tribunal de commerce de Versailles a pris acte de la nouvelle dénomination de la société Paul Boye et l'a déboutée de toutes ses demandes y compris la publication de la décision estimant que la société Messier-Bugatti n'avait pas commis de faute (dans la cessation de ses relations contractuelles comme dans le fait d'avoir cédé des éléments à la société Blücher). Il a écarté toute déloyauté. Il a exclu l'existence d'un dénigrement par la société Ouvry et tout parasitisme. Enfin, il a considéré que le préjudice dont se plaignait la société Paul Boye n'était que l'effet du principe même de la concurrence qui entraînait la perte d'un marché.

Accueillant les demandes de la société Messier-Bugatti et de la SARL Ouvry, il a condamné la société Paul Boye à régler la somme de 5 000 euro à chacune, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 3 000 euro à la société Messier-Bugatti et 1 500 euro à la SARL Ouvry en application de l'article 700 du Code de procédure civile et a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La SAS Paul Boye Technologies a interjeté appel. Elle poursuit l'infirmation du jugement.

Elle demande à la cour de constater que la société Messier-Bugatti a résilié de manière unilatérale et anticipée le contrat de collaboration du 22/28 juin 2001 et de dire irrégulière cette résiliation, de constater que la société Messier-Bugatti a cédé au principal concurrent de la société Paul Boye les éléments permettant d'obtenir la technologie visée à ce contrat et que cette cession a entraîné l'impossibilité pour la société Paul Boye d'exploiter les résultats obtenus dans le cadre de l'exécution du contrat du 22/28 juin 2001, de dire que la société Messier-Bugatti a violé ses engagements contractuels relatifs à l'information préalable de son cocontractant, en cas de projet de cession et à la préservation de ses droits d'exploitation ; que cette société a nécessairement porté à la connaissance de la société Blücher lors des négociations menées avec cette société des informations contenues dans le cadre de l'exécution du contrat de juin 2001 pourtant couvertes par la confidentialité et a violé son obligation de confidentialité.

Elle sollicite encore que la cour constate que Monsieur Ouvry a profité des informations confidentielles obtenues lorsqu'il était salarié de la société Messier-Bugatti pour obtenir l'appui de Blücher aux fins de créer une société et de mener à travers elle des actes de concurrence déloyale.

La SAS Paul Boye demande en conséquence de condamner in solidum la société Messier-Bugatti, la société Ouvry et Monsieur Ouvry en tant que gérant de cette société à lui payer les sommes de 6 883 000 euro en réparation de son gain manqué, 432 000 euro en réparation de son préjudice lié à la perte de la valeur de son entreprise et 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle sollicite la publication du dispositif du "jugement" dans les quotidiens et dans trois hebdomadaires et deux revues spécialisées.

Elle fait essentiellement valoir que la société Messier-Bugatti a engagé sa responsabilité contractuelle pour avoir irrégulièrement et abusivement résilié le contrat de collaboration du 22/28 juin 2001 mais également favorisé la mise en place d'une concurrence déloyale en totale méconnaissance de ses engagements contractuels.

Elle souligne que le contrat était conclu pour cinq ans et que les résultats de la coopération étaient soumis à une clause de confidentialité pendant 10 ans après la fin du contrat ; que n'a pas été respectée la clause prévoyant de l'aviser, en cas de cession du contrat et de lui donner le nom du cessionnaire ; qu'elle n'a eu connaissance du nom du cessionnaire qu'après la résiliation alors que le contrat de cession était signé.

Elle ajoute que la société Messier-Bugatti, par l'intermédiaire de Monsieur Ouvry, a nécessairement transmis à la société Blücher des informations ce que démontre la rapidité avec laquelle cette société a déposé des brevets (dés 2003).

Elle soutient que la société Ouvry et son gérant engagent leur responsabilité délictuelle pour avoir détourné à leur profit les résultats des recherches qu'elle a entreprises et les ont utilisés afin de mettre en place et d'exercer une concurrence déloyale à son encontre.

Elle affirme que Monsieur Ouvry a eu des propos dénigrants dans deux articles de presse : dans l'un il ne cite pas expressément la société Paul Boye mais donne des éléments permettant facilement de l'identifier et dans l'autre elle est nommée.

Elle estime en outre que la société Ouvry et son gérant ont eu un comportement parasitaire car ce dernier a utilisé auprès de la société Blücher comme éléments de démarchage des éléments dont il n'a eu la connaissance qu'à l'occasion de ses fonctions dans la société Messier-Bugatti et du contrat signé en 2001 avec la société Paul Boye ; que pourtant, il a écrit des articles en 2003 relatifs à la performance de la technologie Paul Boye, et est cité comme co-inventeur d'un brevet déposé par la société Blücher. Elle ajoute que la société Blücher a pu commercialiser ses tenues de protection en France grâce à la licence d'exploitation de la société Ouvry et que cette dernière société a obtenu d'être choisie par la Sagem pour la sous-traitance d'un marché de vêtements de protection NBC hors mise en concurrence ; elle soutient que l'ensemble de ce comportement a désorganisé sa société.

Elle prétend avoir subi un triple préjudice:

- la perte du gain qu'elle devait réaliser grâce à l'exploitation de la technologie TCA de Messier-Bugatti,

- la perte du bénéfice de cette exploitation sur la valeur de l'entreprise,

- une atteinte à son image.

La société Messier-Bugatti demande de confirmer le jugement et de condamner en outre la société Paul Boye à verser à la société Messier-Bugatti la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

A titre subsidiaire, elle prie la cour de débouter la société Paul Boye et de la condamner au paiement d'une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Ouvry et la société Ouvry demandent, sur le fondement de la convention d'Union de Paris et des articles 1382 et 1383 du Code civil, à titre principal de constater l'absence de concurrence déloyale par dénigrement, désorganisation confusion, parasitisme ou fraude à la loi et de confirmer le jugement.

Ils sollicitent que la cour ajoute la condamnation de la société Paul Boye au paiement d'une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour appel notoirement abusif, et à 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Sur la résiliation fautive du contrat de juin 2001 par la société Messier-Bugatti:

Considérant qu'après la signature en novembre 1999 d'un accord de confidentialité relatif aux discussions sur le développement de tissus de carbone activé pour des applications dans le domaine de la protection NBC et après la réalisation de nombreux tests au cours de l'année 2000 sur les échantillons du produit développé depuis cet accord, les sociétés Messier-Bugatti et Paul Boye ont signé un "contrat de collaboration de développement" les 22/28 juin 2001 ;

Considérant que ce contrat organisait les droits et obligations de chacune des sociétés pendant le déroulement des travaux (définis dans une annexe A) qu'elles avaient décidé de réaliser en commun en vue de la mise au point de supports textiles de protection bactériologique et/ou chimique comprenant différentes textures de carbone activé ; qu'il était conclu pour une durée de 5 ans à compter du 19 avril 2000;

Qu'il était prévu une résiliation anticipée :

- soit d'un commun accord,

- soit avec effet immédiat en cas de manquement par l'une des parties à ses obligations et après une mise en demeure restée infructueuse à l'issue de 15 jours,

- sans préavis au cas de changement de contrôle de l'actionnariat de la direction de la société Paul Boye ou de prise de participation d'un concurrent de Messier-Bugatti dans le capital de Paul Boye ou vice versa et dans tous les cas d'ouverture d'une procédure collective de la société Paul Boye;

Considérant que par une lettre datée du 26 juin 2002, la société Messier-Bugatti a informé la société Paul Boye qu'en raison de la cessation de son activité Tissu de Carbone Activé à compter du 1er juillet 2002, elle résiliait le contrat qui les liait;

Que la société Messier-Bugatti estime cette résiliation justifiée par le fait que les études réalisées avaient mis en évidence dès le mois de mai 2001, l'absence de résultat probant et économiquement viable et elle soutient que la société Paul Boye a accepté la résiliation;

Considérant cependant, qu'il ressort des pièces relatives aux tests effectués en 2000 et 2001, que les résultats montraient des conclusions positives dans l'ensemble, que ce soit les tests d'inflammabilité, de protection antibactérienne, de filtration en phase vapeur ou de comportement pendant le lavage;

Que la société Messier-Bugatti ne démontre pas la présence de résultats moins performants ultérieurement et n'explique pas les raisons pour lesquelles elle a signé en juin 2001 le contrat de développement en commun d'une nouvelle génération de textiles de protection NBC d'une durée de cinq ans, si elle estimait qu'il était devenu sans objet ; qu'il apparaît au vu de courriers produits qu'elle avait décidé de changer d'orientation pour des raisons de gestion interne ; que sa proposition de rachat faite à la société Paul Boye se situe dans ce cadre (lettre à la société Paul Boye de septembre 2001) ;

Considérant que les conditions de la résiliation anticipée du contrat ne répondaient pas aux dispositions contractuelles et il ne ressort d'aucune pièce ou comportement, la preuve que la société Paul Boye a accepté cette résiliation même tacitement, que ce soit en raison de l'étude du rachat de cette activité que lui avait fait la société Messier-Bugatti dès le mois de septembre 2001 ou en ne répondant pas immédiatement à la lettre de résiliation de juin 2002 ; qu'en effet, la lettre du 3 septembre 2001 ne contenait aucune référence à une résiliation du contrat et la société Paul Boye a exprimé son désaccord sur la rupture du contrat dans une lettre en date du 22 novembre 2002 de son conseil qui demandait l'exécution du contrat ; que cette résiliation anticipée est irrégulière;

Sur la violation par la société Messier-Bugatti de ses obligations:

A : Considérant que la société Paul Boye reproche à la société Messier-Bugatti d'avoir violé l'article 3 du contrat signé en juin 2001 en ne notifiant pas préalablement son projet de cession à la société Blücher et les conditions financières;

Que selon article 3 du contrat " préalablement à toute cession partielle ou totale d'une quote-part de copropriété par l'une des parties, le cédant devra notifier par lettre recommandée avec accusé de réception à l'autre partie, son intention de cession, le nom du tiers cessionnaire éventuel ainsi que les conditions financières ";

Considérant que la copropriété commune des parties porte sur les résultats obtenus dans le cadre des travaux menés en commun au titre du contrat;

Qu'il est précisé au début de cet article (3.1) que " les résultats obtenus par les parties antérieurement aux travaux, toutes les connaissances et données techniques et/ou industrielles, brevetées ou non, tous les droits que l'une des parties possédaient antérieurement à la date de prise d'effet du contrat restent leurs propriétés respectives ";

Que la société Messier-Bugatti indique n'avoir cédé à la société Blücher que du matériel lui appartenant (four de carbonisation et d'activation d'un tissu) et des brevets qu'elle avait déposés en 1995, 1997 et 2000 ; que cette propriété n'est pas contestée ; que la société Messier-Bugatti pouvait en conséquence céder ces éléments sans avoir à le notifier préalablement à la société Paul Boye;

B : Considérant que la société Paul Boye fait valoir également que la société Messier-Bugatti n'a pas respecté son engagement de préserver ses droits d'exploitation en cas de cession à un tiers à l'occasion de la cession qu'elle a faite à la société Blücher alors qu'il était prévu à l'article 3.2 "le cédant s'engage à préserver les droits de l'autre partie tels que définis dans le contrat" ;

Considérant que les parties s'étaient contractuellement réparties les droits d'exploitation des résultats des travaux communs : que la société Messier-Bugatti avait les droits d'exploitation pour la fabrication et la mise en œuvre pour les constructions aéronautiques et spatiales, les systèmes de freinage, les applications industrielles dérivées, les supports textiles de protection bactériologique pour la filtration des veines d'air et d'eau, le traitement de l'air habitacle tandis que la société Paul Boye s'était vue octroyer les droits d'exploitation pour la fabrication de supports textiles de protection bactériologique et chimique pour la protection de l'homme et de l'environnement proche (habillement...) ;

Considérant que les travaux avaient conduit à des résultats liés à l'utilisation du cellox 4000 dont le brevet appartenait à la société Messier-Bugatti ; qu'ils procédaient du développement de ce brevet, appliqué au domaine de la fabrication de supports textiles de protection bactériologique et chimique pour la protection de l'homme et de son environnement proche par un traitement thermique et avaient abouti au tissu S4CP (produit Carbotox);

Considérant qu'en vertu du contrat de collaboration, la société Messier-Bugatti restait libre de fournir d'autres partenaires en tissu de carbone activé, mais en dehors du domaine d'exploitation de Paul Boye;

Que par ailleurs, l'exploitation du textile pour la protection de l'homme relevait du domaine de la société Paul Boye ; qu'en conséquence, dès lors qu'était envisagé le projet d'une cession de ce brevet qui avait connu un développement en commun avec la société Paul Boye, au profit d'une société qui intervenait dans le domaine du textile pour la protection de l'homme, comme la société Blücher, la société Paul Boye bénéficiaire d'un droit de préemption (3.2) devait être informée de ce projet;

Considérant que si la société Messier-Bugatti avait bien proposé à la société Paul Boye d'acheter le four, elle ne prouve pas l'avoir informée de la cession qu'elle envisageait au profit de la société Blücher; qu'elle ne lui a fait part (télécopie du 15 mars 2002) que de la société Pica, de sociétés étrangères et en toute hypothèse d'un repreneur pouvant devenir un partenaire privilégié, mais non d'une société concurrente ;

Considérant que la société Paul Boye avait obtenu dès le 23 août 2002 l'accord de financement (l'avance article 90 sollicitée auprès de la DGA) et était en mesure d'acquérir les biens que la société Messier-Bugatti a finalement cédés à la société Blücher;

C : Sur la méconnaissance par la société Messier-Bugatti de l'obligation de confidentialité:

Considérant que selon l'article 8 du contrat signé en juin 2001 les parties se sont engagées pendant tout le contrat et pendant 10 ans après son expiration ou sa résiliation à la confidentialité la plus totale concernant toutes les informations sous quelque forme que ce soit écrites ou verbales communiquées comme confidentielles ou auxquelles il aurait pu avoir accès dans le cadre de l'exécution du contrat sauf à ce que lesdites informations ne soient tombées dans le domaine public ou qu'il y ait eu le consentement préalable de l'autre partie;

Considérant que les parties ont échangé des informations en vue des recherches en commun ; que celles-ci ont abouti à mettre en évidence l'avantage de fibres de carbone activées pour l'application NBC et après la réalisation de plusieurs tests, à la mise au point d'un procédé de fabrication permettant d'adapter le TCA au NBC;

Que la société Messier-Bugatti a vendu à la société Blücher notamment son brevet relatif au produit cellox (fabrication de fibres de carbone activé à partir duquel ont été effectuées les recherches communes avec la société Paul Boye et le four de production du tissu de carbone activé (TCA)) ; que toutefois, en vertu du contrat de juin 2001, ils restaient la propriété de la société Messier-Bugatti et il n'est pas démontré que la société Messier-Bugatti a communiqué à la société Blücher les résultats des travaux et tests menés en commun avec la société Paul Boye et a ainsi manqué à son obligation de confidentialité;

Sur la responsabilité de Ludovic Ouvry et de sa société pour comportement déloyal envers la société Paul Boye:

A) Considérant que la société Paul Boye met en cause la présence de dénigrements de la part de Monsieur Ouvry à son encontre ;

Considérant que dans l'article de la revue professionnelle TUT, Monsieur Ouvry expose les procédés de protection NBC jusqu'alors utilisés et l'apport que représente le tissu Saratoga procédé de protection mis au point par la société Blücher par l'utilisation de microbilles collées sur un textile support; qu'il n'y a aucune allusion à la société Paul Boye, même d'une façon indirecte ; que de plus, le propos reste fondé sur une explication objective dépourvue de tous éléments dénigrants;

Considérant que dans le second article cité par la société Paul Boye Lyon Mag (juillet 2006) cette société est expressément nommée; que cet article expose par ailleurs les conditions dans lesquels la société Ouvry a été créée et a obtenu le marché de vente de vêtements de protection NBC proposé par la société Sagem ; qu'il est fait état de propos tenus par le responsable, Monsieur Ouvry, qui sont rapportés et mis en évidence le long de l'article en marge;

Considérant que cette mention en marge fait état du monopole de la société Paul Boye et de ce que cette société lui avait fait comprendre qu'elle dérangeait : "Paul Boye, une entreprise de Sète tenue par trois frères équipe l'année depuis la première guerre mondiale. En exerçant jusque là un véritable monopole. Du coup ils nous ont fait comprendre qu'on dérangeait. J'ai même eu droit à la visite de leurs émissaires" ;

Considérant que la société Paul Boye ne prouve pas avoir démenti les faits dénoncés et n'a tenté aucune action; que ce propos reste isolé ; que l'existence d'un dénigrement n'est pas prouvé;

B) Considérant encore que la société Paul Boye se plaint d'une concurrence parasitaire de la société Ouvry;

Considérant que Ludovic Ouvry interrogé par la société Paul Boye en septembre 2002 ne l'a pas informée de ce qu'il avait quitté la société Messier-Bugatti et n'avait plus autorité pour intervenir, ni surtout que la cession du matériel et des brevets était intervenue au profit de la société Blücher, en juillet 2002, lui laissant croire au contraire une issue favorable avec une société étrangère qui pourrait être sa partenaire en octobre 2002 ; que la société Paul Boye n'a eu connaissance de la situation réelle qu'à la suite de la mise en demeure délivrée par son conseil à la société Messier-Bugatti, en novembre 2002;

Considérant que Ludovic Ouvry a quitté la société Messier-Bugatti en juillet 2002 et a constitué, le 31 juillet 2002, la SARL Ouvry dont l'activité est l'achat et la vente aux marchés publics, de tous produits de protection avec pour unique associé la société Blücher qui intervient également dans le domaine de la protection de l'homme ;

Considérant que la société Ouvry a commercialisé à compter de l'année 2003 des tenues de protection "Saratoga" en vertu d'une licence d'exploitation accordée par la société Blücher;

Que ces tenues sont fabriquées à partir d'une technologie qui utilise des microbilles de carbone pour filtrer l'air contre les agents NBC; qu'il n'est pas produit d'étude technique de ce procédé démontrant qu'elle reprend les résultats des travaux communs Paul Boye/Messier; qu'il ne peut être présumé du seul fait que Ludovic Ouvry a participé aux travaux communs que la technologie des tenues commercialisées par la société Ouvry utilise les résultats des recherches effectuées en commun par la société Paul Boye et la société Messier-Bugatti ; qu'il ressort seulement des brevets déposés en Allemagne et aux Etats-Unis par Blücher que Ludovic Ouvry est désigné comme étant un des co-inventeurs;

Considérant en revanche que la société Ouvry grâce aux connaissances acquises par son gérant lorsqu'il était salarié de la société Messier-Bugatti a pu immédiatement se mettre en position pour être à même de satisfaire aux besoins de la société Sagem sans avoir dû au préalable engager des démarches pour se constituer cette clientèle et sans engager d'investissement puisqu'elle savait précisément par l'intermédiaire de Monsieur Ouvry que Sagem avait auparavant fait connaître à la société Paul Boye son intérêt pour les vêtements de protection NBC ; que par ailleurs la société Ouvry avait eu connaissance par l'intermédiaire de Ludovic Ouvry que le procédé cellox avait des possibilités de développement dans les tenues de protection NBC ; qu'un tel comportement est constitutif d'un agissement parasitaire de la société Ouvry à l'encontre de la société Paul Boye;

Considérant en revanche qu'aucune responsabilité ne peut être retenue à l'encontre de Monsieur Ouvry à titre personnel dès lors que devant la cour sa responsabilité n'est recherchée qu'en sa qualité de gérant de la société Ouvry;

Considérant en conséquence, que la rupture anticipée irrégulière par la société Messier-Bugatti du contrat de collaboration de développement, sa violation de plusieurs de ses obligations contractuelles, à l'occasion de la cession de son matériel et de ses brevets, à la société Blücher, comme l'attitude parasitaire de la société Ouvry ont privé la société Paul Boye de la possibilité d'approfondir les recherches relatives au tissu de carbone activé à partir du produit cellox dont le brevet appartenait à cette société et de développer une application dans le domaine d'exploitation qui lui était contractuellement dédié à savoir la réalisation de vêtements de protection NBC pour l'homme ; que cette situation lui a fait perdre la possibilité d'être sous-traitante de la société Sagem dans le marché de la DGA relative à la tenue innovante de l'équipement des fantassins;

Considérant que pour le calcul de son préjudice, la société Paul Boye fournit une expertise comptable qu'elle a fait réaliser dont la fiabilité ne peut être vérifiée et constitue un élément insuffisant ; qu'en conséquence, il y a lieu d'ordonner une expertise pour permettre à la cour de déterminer l'importance du préjudice subi par cette société du fait des comportements fautifs des sociétés Messier-Bugatti et Ouvry;

Considérant qu'il sera sursis à statuer sur le montant du préjudice de la société Paul Boye, la demande reconventionnelle de la société Messier-Bugatti et sur les demandes accessoires;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, - Infirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, - Dit que la société Messier-Bugatti qui a résilié de façon fautive le contrat du 22/28 juin 2001, a manqué à son engagement de préserver ses droits d'exploitation en cas de cession à un tiers à l'occasion de la cession à la société Blücher et que Monsieur Ouvry par son comportement déloyal ainsi que la société Ouvry par sa concurrence déloyale sont responsables envers la société Paul Boye Technologies et doivent l'indemniser in solidum du préjudice causé, - Avant dire droit sur ce préjudice, - Ordonne une expertise, - désigne pour y procéder : Monsieur A Kaiser 41 rue de Bourgogne 75007 Paris lequel aura pour mission, après avoir convoqué les parties et avisé leur conseil et sollicité les pièces et documents qu'il estime nécessaire à sa mission de - donner à la cour tous éléments sur le ou les préjudices de la société Paul Boye Technologies, sur le montant du marché avec la Sagem, - donner des éléments de calcul du préjudice subi par la société Paul Boye Technologies en retenant entre autres l'hypothèse de l'obtention du marché, l'avance de la DGA qui supposait un remboursement et d'éventuelles charges, - préciser le montant des investissements et frais exposés par la société Paul Boye Technologies en vue et pour les recherches menées en commun avec la société Messier-Bugatti, - Dit que le contrôle de l'expertise sera exercé par Madame Valantin, conseillère, - Dit que l'expert fera connaître sans délai son acceptation et dit qu'à défaut ou en cas de carence dans l'accomplissement de sa mission, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du magistrat chargé du contrôle de l'expertise, - Dit que la société Paul Boye Technologies devra consigner pour le 20 juin 2009 la somme de 6 000 euro (six mille euro) à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert, - Dit qu'à défaut de consignation selon les modalités imparties, la désignation de l'expert deviendra caduque à moins que le magistrat chargé du contrôle de l'expertise, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation de délai ou un relevé de caducité, - Dit que s'il estime insuffisante la provision ainsi fixée, l'expert devra, lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, dresser un programme de ses investigations et évaluer de manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours, - Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au magistrat chargé du contrôle de l'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire, - Rappelle que le coût final des opérations d'expertise ne sera déterminé qu'à l'issue de la procédure et que la partie invitée à faire l'avance des honoraires de l'expert n'est pas nécessairement celle qui en supportera la charge finale, - Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai de quatre mois à compter de la notification qui lui sera faite par celui-ci de la consignation, - Rappelle que l'expert devra accomplir sa mission en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées, les entendre en leurs observations et répondre à leurs dires, - Renvoie l'affaire à la conférence du 08 septembre 2009 pour faire le point sur la consignation et l'évolution des opérations d'expertise, - Sursoit à statuer sur le montant du préjudice de la société Paul Boye Technologies, la demande reconventionnelle de la société Messier-Bugatti et sur les demandes accessoires, - Réserve toutes autres demandes ainsi que les dépens. - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.