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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 28 mai 2009, n° 08-03312

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ED (SAS)

Défendeur :

ELS Loc (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deurbergue

Conseillers :

Mme Le Bail, M. Picque

Avoués :

Me Thevenier, Me Huyghe

Avocats :

Mes Feddal, Long

T. com. Grenoble, du 1er déc. 2006

1 décembre 2006

Vu l'appel interjeté par la société ED, du jugement prononcé le 1er décembre 2006 par le Tribunal de commerce de Grenoble qui a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ED au profit du Tribunal de commerce de Créteil, et a condamné cette société, avec exécution provisoire, à payer à la société ELS les sommes de:

- 61 354,60 euro TTC au titre des heures supplémentaires, outre les intérêts au taux légal à compter du 19/09/05,

- 190 319,48 euro TTC au titre de l'indemnité de résiliation, outre les intérêts au taux légal à compter du 29/09/05,

- 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens;

Vu l'arrêt rendu le 13 février 2008 par la Cour d'appel de Grenoble qui a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris, juridiction d'appel du Tribunal de commerce de Créteil, dans le ressort duquel est situé le siège social de la société ED, aux motifs que:

- les relations contractuelles sont formalisées par la lettre du loueur du 15 septembre 2004, rappelant un entretien du 7 septembre 2004 et confirmant les tarifs de location pour un tracteur et sa semi-remorque frigorifique avec personnels de conduite d'une part, et par la télécopie du 12 novembre 2004 retournée le 15 novembre 2004 après acceptation expresse de la société locataire, rappelant les conditions particulières de la mise à disposition d'un ensemble porteur frigorifique de 19 tonnes avec chauffeurs, d'autre part;

- aucun des documents contractuels communiqués en photocopie ne reproduit les conditions générales de location de la société ELS Loc, dont il est soutenu qu'elles figureraient systématiquement au verso de l'ensemble des correspondances établies sur papier à en-tête du loueur; il n'y est pas non plus fait référence dans l'offre de location expressément acceptée des 12 et 15 novembre 2004, qui contient pourtant le rappel complet des modalités de la mise à disposition, qualifiées pour partie de conditions générales de location;

- aucune des nombreuses confirmations de commandes, émises à l'occasion de chaque prestation de transport, ne reproduit ni ne rappelle en outre les conditions générales litigieuses;

- il n'est dès lors pas démontré que les conditions générales de location, contenant la clause attribuant compétence aux juridictions dans le ressort desquelles est situé le siège du loueur, étaient connues et acceptées par la société ED au moment de la formation du contrat ; étant observé, d'une part que leur reproduction au dos des factures ne peut faire présumer de leur acceptation au moment de l'engagement, et d'autre part, que l'existence de relations d'affaires suivies est à elle seule insuffisante, à défaut pour la société ELS Loc de faire la preuve d'une acceptation à l'occasion d'opérations antérieures de même nature;

- n'ayant pas été stipulée valablement entre les parties dans les conditions posées par l'article 48 du Code de procédure civile, la clause attributive de compétence ne saurait par conséquent être opposée à la société ED ; les juridictions du lieu du siège social de la défenderesse étaient dès lors seules compétentes, alors qu'il est constant que les prestations de mise à disposition de véhicules avec chauffeurs n'ont pas été exécutées dans le ressort du Tribunal de commerce de Grenoble;

Vu les conclusions signifiées le il décembre 2008 par la société ED qui demande l'infirmation du jugement du Tribunal de commerce de Grenoble, le débouté de toutes les demandes de la société ELS Loc, la condamnation de cette société à lui payer 280,68 euro TTC avec les intérêts légaux au titre de trois factures émises les 18 juillet et 19 août 2005, restées non contestées par ELS Loc, ainsi que 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions signifiées le 11 février 2009 par la société ELS Loc, Me Régis Barbey en qualité d'administrateur judiciaire de la société ELS Loc, et Me Daniel Bourguignon, mandataire judiciaire désignés suite à l'ouverture de la procédure de sauvegarde de cette société par jugement du Tribunal de commerce de Grenoble du 16 décembre 2008, qui demandent à la cour de:

- condamner la société ED à verser à la société ELS Loc:

* au titre des heures supplémentaires, la somme de 61 354,60 euro TTC,

* à titre d'indemnité de résiliation 159 130 euro HT, soit 190 319,48 euro TTC,

le tout avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et capitalisation à compter du 11 mai 2007,

* 10 000 euro au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

* 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens;

Sur ce

Considérant que la société ELS, aux droits de laquelle se trouve la société ELS Loc, qui a une activité de location de véhicules industriels avec conducteurs, a donné en location à la société ED, dont l'objet social est la fabrication, l'achat et la vente de produits alimentaires, plusieurs ensembles semi-remorques frigo avec conducteurs;

Considérant que la première location, pour une durée indéterminée, a été conclue le 15 septembre 2004, pour un ensemble complet, tracteur, semi-remorque frigorifique, et personnel de conduite en double poste;

Que la deuxième, a été conclue le 12 novembre 2004, pour une durée initiale de douze mois, renouvelable par tacite reconduction et par périodes d'égale durée, pour un porteur frigorifique de 19 tonnes et hayon, avec personnel de conduite;

Qu'à compter du mois de février 2005 ED a pris un troisième ensemble, en location à durée indéterminée;

Considérant que la société ED utilisait ces véhicules pour approvisionner, au départ de sa plate-forme logistique de Rognac, tous ses magasins situés en région Provence-Alpes Côte d'Azur;

Considérant que les locations étaient conclues selon ses clauses et conditions générales de vente, acceptées par ED, et que de nombreuses heures supplémentaires étaient effectuées par les chauffeurs des trois ensembles; que la société ELS Loc adressait à la société ED, en juillet 2005, une facture d'un montant hors taxes de 6 972,32 euro (8 343,68 euro TTC) correspondant aux heures supplémentaires des conducteurs affectés au trois ensembles;

Qu'après réception de cette facture, des explications ont été échangées par téléphone, et que les représentants de la société ED, considérant que les représentants de la société ELS avaient manifesté leur intention de mettre fin aux relations commerciales des parties, en ont pris acte, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 25 août 2005;

Considérant que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 31 août 2005, la société ELS, par l'intermédiaire de son conseil, mettait en demeure ED de régler les factures dues, soulignant que le délai de préavis prévu aux conditions générales de vente n'était pas respecté ; elle établissait également neuf factures pour heures supplémentaires de septembre 2004 à août 2005;

Qu'ensuite, par acte du 29 septembre 2005, la Société ELS assignait la société ED devant le Tribunal de commerce de Grenoble, pour avoir paiement de:

- 61 354,60 euro TTC au titre des heures supplémentaires,

- 159 130 euro HT soit 190 319,48 euro TTC au titre de l'indemnité de résiliation,

- 10 000 euro au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant que la société ED ayant soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Grenoble, et demandé le renvoi devant le Tribunal de commerce de Créteil, tout en s'abstenant de conclure au fond, le tribunal de commerce a rendu le jugement du 1er décembre 2006 évoqué plus haut ; que, sur appel interjeté par la société ED, la Cour d'appel de Grenoble a renvoyé l'affaire devant la présente cour ainsi qu'il a été exposé;

Sur la facturation des heures supplémentaires:

Considérant que la société ED fait valoir que:

- pour le tracteur semi-remorque (loué par lettres des 7 et 15 septembre 2004), sont prévues comme complémentaires les heures au-delà de la 39e heure de service au prix mensuel de 26 euro HT;

- pour le porteur 19 tonnes, l'accord écrit du 15 novembre 2004 prévoit que l'heure est supplémentaire au-delà de 260 heures de service mensuel, qu'elle sera payée 28 euro, et que la facturation sera établie le 15 et le 30 de chaque mois ; qu'il est en outre précisé que les prestations de ELS Loc comportent notamment le suivi de l'activité, la gestion sociale et le contrôle des horaires de fonction;

- la société ELS Loc ne justifie pas qu'elle ait effectué les prestations de gestion sociale et le contrôle des horaires de fonction ; que la première facture d'heures supplémentaires a été établie par ELS Loc le 31 juillet 2005, pour 8 343,68 euro TTC et pour le mois de juillet 2005 ;

Considérant que la société ELS répond que la société ED, dans la mesure où elle louait des ensembles porteurs frigorifiques avec personnel de conduite, était soumise au paiement d'heures supplémentaires; que si la facturation n'est intervenue qu'en septembre 2005, c'est lié au fait que ELS Loc ne s'est aperçue que tardivement de ce que ED ne réglait pas les heures supplémentaires, pourtant importantes, effectuées par le personnel; qu'elle verse aux débats tous les éléments qui permettent de vérifier la réalité des heures supplémentaires effectuées;

Considérant que le principe de la facturation des heures supplémentaires n'est pas en litige, et que la société ED ne soutient pas qu'aucune heure supplémentaire n'aurait été effectuée ; qu'elle conteste les factures qui lui ont été adressées, estimant qu'elles ne sont pas conformes aux dispositions des articles L. 441-3 et L. 441-4 du Code de commerce, et que, comme telles, elle ne peuvent servir de preuve à la société ELS Loc ; qu'elle reproche aussi à la société ELS Loc de ne pas lui avoir adressé de rapports de gestion de l'activité des véhicules, ce qui ne lui aurait pas permis de s'assurer qu'elle avait l'usage exclusif des ensembles loués;

Considérant qu'il convient de rappeler que les parties sont toutes deux commerçantes, et qu'en application de l'article L. 110-3 du Code de commerce, la société ELS Loc peut faire la preuve de sa créance par tous moyens;

Considérant que la société ELS Loc verse aux débats, outre les factures litigieuses, la synthèse d'activité de ses conducteurs et leurs fiches de paie, sur lesquelles apparaissent les heures supplémentaires qui leur ont été réglées;

Considérant que la société ED dénie toute valeur à ces éléments, en indiquant qu'elle n'a pas encore pu communiquer à son service commercial ces pièces communiquées le 26 novembre 2007, ce qui n'est pas pertinent, étant rappelé que les dernières écritures de la société ED ont été signifiées le 11 décembre 2008, soit plus d'une année après la communication et que la clôture de la procédure de mise en état a été prononcée par ordonnance du 18 mars 2009;

Considérant que les confirmations de commandes adressées par la société ED à la société ELS Loc permettent de vérifier que les chauffeurs des ensembles loués devaient nécessairement effectuer des heures supplémentaires pour s'acquitter du travail qui leur était confié;

Considérant que le reproche fait à la société ELS Loc de n'avoir facturé des heures supplémentaires qu'à partir de juillet 2005, alors que la relation existait depuis septembre 2004, n'est pas pertinent au regard de l'article L. 441-3 du Code de commerce qui prévoit, certes, que le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service, mais aussi que l'acheteur doit la réclamer; que ce retard s'explique d'ailleurs par les difficultés internes évoquées par la société ELS Loc quand la société ED l'a interrogée sur ce point, et ne la prive pas du droit de réclamer le paiement de sa créance;

Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé fondée la réclamation formée par la société ELS Loc et a condamné la société ED à lui payer la somme de 61 354,60 euro TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 19/09/05;

Considérant que les conditions légales en étant réunies, il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts à compter des conclusions du 11 mai 2007 formée par la société ELS Loc;

Sur la rupture:

Considérant que la société ED demande la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à ELS Loc une somme de 190 319,48 euro TTC à titre d'indemnité de résiliation;

Considérant qu'elle soutient que ce sont les représentant d'ELS Loc qui l'ont informée, au cours des entretiens du 25 août 2005, qu'ils entendaient mettre fin à leurs relations commerciales ; que ceux-ci avaient vivement réagi au reproches d'ED qui protestait contre la facturation des heures supplémentaires du 31/07/05, sans compte-rendu de gestion des horaires et sans aucune explication ni justificatif, le temps de rotation des camions très long par rapport aux autres transporteurs, et non expliqué, et rappelait divers sinistres antérieurs, non réglés ; qu'ED en a seulement pris acte, par LRAR du même jour;

Considérant que les pièces produites aux débats démontrent que, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, l'initiative de la rupture des relations contractuelles des parties incombe à la société ED;

Considérant que le seul fait pour cette société d'avoir adressé à la société ELS Loc, le 25 août 2005, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception indiquant "suite à la visite de M. Anselme Médina Moral de ce jour et à notre entretien téléphonique, nous vous confirmons, par la présente, entériner votre demande de cessation de toutes relations commerciales à compter du 1er septembre 2005", ne suffit pas à rapporter la preuve que ELS Loc aurait procédé verbalement à la rupture, d'autant que la société ELS Loc, dès le 29 août 2005, sous la plume de M. René Jacques Escudé, répondait à messieurs Jean-Philippe Pascal, Tanguy Mangeat et Patrice Lue chez ED

"Par la présente lettre recommandée + fax, j'accuse réception de votre lettre recommandée avec AR reçue ce jour, dont les termes suivants m'interpellent : 'nous vous confirmons par la présente, entériner votre demande de cessation de toutes relations commerciales à compter du 1er septembre 2005'. Cependant, nous confirmons vouloir tenir nos engagements sur les contrats en cours avec les trois double équipages et le porteur jusqu'au 1er septembre 2005.

Nous ne vous avons jamais demandé de cesser nos relations commerciales et comme précisé sur mon mail du 25 août dernier, adressé à M. Tanguy Mangeat (copie ci-joint) nous vous avons confirmé notre volonté de respecter en tous points nos accords commerciaux actuels portant notamment sur la location par vos soins de 3 ensembles TR+SR frigos avec conducteurs, de plus, nous n'avons jamais évoqué lors de ces entretiens la location par vos soins du Porteur Frigo.

En conséquence, nous vous demandons de bien vouloir nous communiquer dès ce jour par fax vos plannings des tournées pour la semaine 35 concernant les 3 ensembles TR+SR frigos et le Porteur Frigo afin de nous permettre de poursuivre nos relations commerciales";

Que le courriel adressé le 25 août 2005 à 18h26 par M. René Jacques Escudé à Tanguy Mangeat, qui est versé aux débats, fait le point, à la suite de la réunion du matin, sur les accords commerciaux actuels des parties, et leur possible évolution, mais n'évoque aucune rupture potentielle;

Considérant que la société ED a ainsi procédé à une rupture brutale des relations commerciales entretenues par les parties ; qu'eu égard à la durée de la relation, qui a été de onze mois et demi si on prend en compte la location du premier ensemble, la société ELS Loc pouvait légitimement prétendre à un préavis de deux mois ; qu'au vu des éléments dont dispose la cour, et spécialement des contrats, qui prévoient une rémunération fixe de 10 850 euro HT outre une rémunération selon le kilométrage parcouru, incluant carburant et péages et une rémunération des heures supplémentaires au-delà de la partie fixe, il sera alloué à ELS Loc une indemnité de 116 789,40 euro (10 850 euro x 3 x 3 = 97 650 euro + 19,60 % de TVA) ; que le jugement sera donc réformé sur ce point;

Sur la demande reconventionnelle:

Considérant que la société ED demande, reconventionnellement, la condamnation de la société ELS Loc à lui payer la somme de 280,68 euro TTC correspondant à trois factures émises les 18 juillet et 19 août 2005 au titre de marchandises cassées lors de livraisons dans les magasins ED de Nice, Venelles et Six-Fours;

Considérant que la société ELS Loc se borne à demander le rejet de la demande, sans répondre à l'argumentation qui lui est opposée ; qu'au vu des pièces produites aux débats, et notamment du détail des articles cassés, et des correspondances adressées à ELS Loc par ED, cette demande doit être accueillie, avec les intérêts au taux légal à compter des conclusions du 11 décembre 2008;

Sur la demande de dommages et intérêts:

Considérant que la société ELS Loc demande la condamnation de la société ED à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive;

Considérant que la société ED a pu se méprendre sur ses droits ; qu'il n'est pas établi que son appel ait été interjeté par volonté de nuire, intention malicieuse ou erreur équipollente au dol ; que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée;

Sur les autres demandes:

Considérant qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la société ELS Loc l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer ; qu'il lui sera en conséquence alloué une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en complément de l'indemnité accordée en première instance;

Considérant que la société ED, qui succombe pour l'essentiel, supportera les dépens de première instance et d'appel;

Par ces motifs, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement, sauf sur le montant de l'indemnité de résiliation, Le réformant sur ce point, et ajoutant, Condamne la société ED à payer à la société ELS Loc la somme de 116 789,40 euro à titre d'indemnité de résiliation, outre les intérêts au taux légal à compter du 29/09/2005, date de l'assignation, Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 11 mai 2007, date de la première demande formée par la société ELS Loc, Condamne la société ELS Loc à payer à la société ED la somme de 280,68 euro, Condamne la société ED à payer à la société ELS Loc, en appel, la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société ED aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du Code de procédure civile.