CA Paris, 5e ch. B, 9 avril 2009, n° 08-18643
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
France Télécom e.commerce (SA)
Défendeur :
Syndicat de la librairie française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Deurbergue
Conseillers :
Mme Le Bail, M. Picque
Avoués :
SCP Baufume-Galland-Vignes, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Lesquins, Colomès
Vu le jugement rendu le 25 janvier 2005 par le Tribunal de grande instance de Créteil qui a:
- dit que les opérations de gratuité de frais de port et d'attribution de bons menées par les sociétés Wanadoo et Wanadoo e.Merchant sont en contravention avec les dispositions de la loi du 10 août 1981 dite loi Lang,
- condamné Wanadoo et Wanadoo e.Merchant in solidum à payer au Syndicat de la librairie française la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné par cette concurrence déloyale, et 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens;
Vu l'arrêt rendu le 23 mai 2007 par la 5e chambre A de la Cour d'appel de Paris qui a confirmé le jugement, sauf à mettre hors de cause la société Wanadoo devenue France Télécom et à porter à 50 000 euro le montant de la condamnation mise à la charge de Wanadoo e.Merchant, et condamné Wanadoo e.Merchant à payer au Syndicat de la librairie française la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, le Syndicat de la librairie française à payer à France Télécom la somme de 5 000 euro également au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et enfin condamné Wanadoo e.Merchant aux dépens d'appel, sauf à mettre à la charge du Syndicat de la librairie française les dépens exposés tant en première instance qu'en appel par la société France Télécom;
Vu l'arrêt rendu le 6 mai 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui a:
cassé et annulé, en ses seules dispositions relatives à l'opération d'offre des frais de port gratuits et au montant des dommages et intérêts alloués au Syndicat de la librairie française, l'arrêt rendu le 23 mai 2007, entre les parties par la Cour d'appel de Paris ; remis en conséquence, sur ce point, les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, renvoyé les parties devant la cour autrement composée;
Vu la déclaration de saisine de la présente cour formée le 26 septembre 2008 par la société France Télécom e.commerce;
Vu les conclusions signifiées le 12 février 2009 par la société France Télécom e.commerce qui demande à la cour de débouter le Syndicat de la librairie française de toutes ses demandes, et, subsidiairement si la cour confirmait le jugement sur le grief tiré du port gratuit, de dire irrecevable la demande tendant à ce que soit allouée au syndicat une indemnisation au titre du préjudice tiré du grief de l'octroi de bons d'achats d'un montant supérieur à 25 000 euro (50 % du montant de la condamnation prononcée par l'arrêt du 23 mai 2007 toutes causes confondues), de condamner enfin le Syndicat de la librairie française au paiement de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;
Vu les conclusions signifiées le 11 février 2009 par le Syndicat de la librairie française qui demande à la cour de confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Créteil en ce qu'il a dit que les opérations d'attribution de bons d'achat et de gratuité de port menées par Alapage.com puis Wanadoo e.Merchant sont illégales et constitutives de concurrence déloyale, de fixer le montant du préjudice occasionné à 50 000 euro pour la pratique des bons d'achat et 50 000 euro pour la pratique de la gratuité du port de condamner en conséquence France Télécom e.commerce venant aux droits de Wanadoo e.Merchant et Alapage.com à payer 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif causé au Syndicat, 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en complément de la somme de 3 000 euro allouée par le jugement, et les dépens;
Sur ce, LA COUR:
Considérant que la société Alapage.com (devenue Wanadoo e.Merchant), qui a pour activité la vente par correspondance, sur catalogue, de livres, disques, DVD, jeux vidéo, et qui est une filiale de la société Wanadoo, a proposé à ses clients, sur son site internet "www.alapage.com", deux opérations promotionnelles:
- la première opération promotionnelle consistait à faire bénéficier, entre le 9 septembre et le 6 octobre 2002, tout acheteur de frais de port gratuit, pour toute commande en envoi standard en France métropolitaine, excepté les fleurs et les jouets;
- la seconde opération promotionnelle, en 2001 et 2003, consistait à faire bénéficier tout acheteur d'un bon d'achat de 15 euro, pour tout achat égal ou supérieur à ce bon;
Considérant que le Syndicat de la librairie française, estimant que ces deux opérations constituaient des actes de concurrence déloyale et méconnaissaient les dispositions de la loi du 10 août 1981 instituant le prix unique du livre et interdisant aux détaillants de pratiquer pour les livres les ventes avec primes, a, par acte des 26 et 31 mars 2003, assigné devant le Tribunal de grande instance de Créteil les sociétés Wanadoo et Wanadoo e.Merchant afin de les entendre condamner in solidum à réparer son préjudice; qu'en l'état de ses dernières écritures, il a réclamé 100 000 euro à titre de dommages et intérêts pour chacune des opérations, en réparation du préjudice causé par l'atteinte à l'intérêt collectif dont il a la charge, soit au total 200 000 euro, ainsi que 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Considérant que, devant le tribunal de grande instance, les sociétés Wanadoo et Wanadoo e.Merchant ont sollicité la mise hors de cause de la société Wanadoo, celle-ci ne pouvant être tenue pour responsable des pratiques que sa filiale, juridiquement autonome, a mises en œuvre dans le cadre de son activité;
Que la société Wanadoo e.Merchant a ensuite conclu au débouté des prétentions du Syndicat de la librairie française en faisant valoir que les deux opérations en cause ne constituaient ni des ventes à prime ni des reventes à perte, et qu'ainsi, elle n'avait pu commettre des actes de concurrence déloyale ; qu'en effet, la gratuité des frais de port ne peut constituer une réduction du prix du livre fixé par l'éditeur en infraction à la loi Lang qui ne vise que le prix du livre fixé par l'éditeur, les détaillants restant libres de percevoir ou non le prix du port ; que les frais de port ne concernent qu'un service accessoire à la vente du produit et ne peuvent affecter le prix du livre fixé par l'éditeur;
Que les règles du droit commun de la vente par correspondance sont applicables au commerce électronique ; cette gratuité des frais de port ne peut non plus être considérée comme une prime au regard de l'article L. 121-35 du Code de la consommation, et par voie de conséquence au regard de l'article 6 de la loi Lang, dans la mesure où la livraison doit s'analyser comme une prestation indétachable de la vente d'un produit commercialisé par correspondance et ne peut donc, par essence, constituer une prime à l'achat d'un produit;
Que pour la seconde opération, la société Wanadoo e.Merchant a indiqué qu'elle n'était pas l'auteur de l'opération chèque cadeau, ni l'émetteur des bons d'achat, et qu'ainsi aucune faute ne pouvait lui être reprochée ; qu'en effet, les chèques-cadeaux ont été octroyés par la société Wanadoo Interactive, juridiquement et commercialement indépendante, à ses seuls abonnés, pour les récompenser de leur fidélité, et que celle-ci les a acquis auprès d'elle pour leur valeur faciale ; que les chèques-cadeaux émis par Wanadoo Interactive ne peuvent être considérés comme des primes à l'achat d'un livre, car cette société ne commercialise pas de livres, et n'est donc pas détaillant au sens de la loi Lang;
Considérant que le tribunal a écarté la demande tendant à la mise hors de cause de la SA Wanadoo, après avoir constaté qu'il existait une communauté d'intérêts entre elle et sa filiale Wanadoo e.Merchant et qu'elle a réalisé l'opération "chèques-cadeaux" avec celle-ci;
Que le tribunal a ensuite jugé que les deux opérations constituaient l'une comme l'autre des faits de concurrence déloyale, après avoir relevé que:
- aux termes de l'article L. 121-35 du Code de la consommation, est interdite toute vente faite aux consommateurs donnant droit à titre gratuit, immédiatement ou à terme à une prime consistant en produits ou services, sauf s'ils sont identiques à ceux qui font l'objet de la vente;
L'article R. 121-9 du même Code précise que ne sont pas considérés comme primes:
1) les prestations de service qui sont indispensables à l'utilisation normale du produit ou du service faisant l'objet de la vente,
2) les prestations de service après-vente,
3) les prestations de services attribuées gratuitement si ces prestations ne font pas ordinairement l'objet d'un contrat à titre onéreux et sont dépourvues de valeur marchande;
- l'opération d'offre de port gratuit répond parfaitement aux caractéristiques de la vente à prime ; les défenderesses ne peuvent invoquer l'article R. 121-9 du Code de la consommation, qui doit s'interpréter restrictivement ; dans la mesure où le transport constitue un service indispensable à l'utilisation normale du produit, il ne s'agit pas d'un service après-vente ; enfin, l'opération est nécessairement négative dans les comptes de la société venderesse, et il s'agit donc d'une vente à perte;
- l'opération chèque cadeau constitue aussi une concurrence déloyale dans la mesure où:
- le fait que la société Alapage.com (Wanadoo e.Merchant) n'est pas l'émettrice des bons d'achat ne l'empêche pas de s'en prévaloir et de les intégrer dans les factures à destination de ses clients,
- les clients n'acquittent en argent que le prix diminué de la valeur du bon d'achat,
- il ressort de la facture n° 010348 du 26 mars 2001 produite par les défenderesses que ce n'est qu'après les ventes et dans le cadre d'accords commerciaux que la société Alapage.com se fait délivrer un avantage financier par remboursement de sommes représentatives des chèques-cadeaux accordés aux clients ; il s'agit d'un stratagème commercial destiné à contourner les dispositions de la loi Lang,
- les factures versées aux débats démontrent que les bons d'achat de 15 euro aboutissent à une vente à perte;
Considérant que, sur pourvoi des sociétés Wanadoo e.Merchant et France Télécom la Cour de cassation, par arrêt du 6 mai 2008, a cassé et annulé l'arrêt rendu le 23 mai 2007, en ses seules dispositions relatives à l'opération d'offre des frais de port gratuits et au montant des dommages et intérêts alloués au Syndicat de la librairie française, et remis en conséquence, sur ce point, les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt;
Que la Cour de cassation a statué aux motifs suivants:
"Attendu que, pour dire illicite, au regard de l'article 6 de la loi du 10 août 1981, l'opération promotionnelle ayant consisté pour la société France Télécom e.commerce, détaillant, à faire bénéficier ses clients de la gratuité de la livraison pour toute commande sur son site Internet, l'arrêt retient que les frais de port étant normalement à la charge de l'acheteur, le seul fait pour le vendeur, dans un but de promotion et d'incitation à l'achat, d'annoncer au client auquel le lie un contrat à titre onéreux, qu'il assume lui-même le paiement de la livraison et d'en faire un service gratuit caractérise la prime au sens de l'article 6 de la loi du 10 août 1981et L. 121-35 du Code de la consommation;
Qu'en statuant ainsi, alors que la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l'exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du Code de la consommation, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés";
Considérant qu'il convient, à titre liminaire, de relever que l'arrêt du 23 mai 2007 est passé en force de chose jugée en ce qu'il a jugé que l'opération chèques-cadeaux constitue un acte de concurrence déloyale vis-à-vis du Syndicat de la librairie française et engage la responsabilité de la société Wanadoo e.Merchant ; qu'en revanche, les dispositions relatives au montant des dommages et intérêts alloués au Syndicat de la librairie française ayant été cassées, la présente cour doit statuer sur l'indemnisation du préjudice causé tant par l'opération chèques-cadeaux que par l'opération d'offre des frais de port gratuits, sans que la société France Télécom e.commerce puisse à nouveau soulever l'irrecevabilité de la demande en évoquant les dispositions de l'article 8 de la loi du 10 août 1981;
Sur l'opération d'offre des frais de port gratuits:
Considérant que France Télécom e.commerce, aux droits de Wanadoo e.Merchant, soutient que l'offre des frais de port gratuits ne constitue pas une prime interdite par la loi Lang et une vente à perte interdite par la Code de commerce ; que cette l'opération ne constitue pas une infraction, que le port gratuit ne s'analyse pas comme une prime au sens des dispositions des articles L. 121-35 et R. 121-9 du Code de la consommation, et qu'il s'agit au contraire d'une modalité de délivrance du produit, répondant aux exigences des articles 1582 et 1604 du Code civil ; que, plus particulièrement, en cas de vente sur Internet, il est la modalité de délivrance du produit, puisque la livraison à distance des biens commandés est inhérente à la vente par Internet; que le fait que cette livraison soit offerte peut, ajouté à d'autres facteurs tels que la rapidité et la simplicité et une plus grande diversité du service, constituer une incitation à l'achat, que la gratuité de la livraison a ici le même statut qu'à titre d'exemple, l'acceptation d'une modalité de règlement sans frais spéciaux, alors même que cette modalité a un coût pour le vendeur, et que cela ne suffit pas à en faire une prime au sens du Code de la consommation;
Considérant que le Syndicat de la librairie française réplique que dès lors que la vente du livre est un contrat principal à titre onéreux, que la gratuité du port est connue d'avance de l'acheteur et que la vente confère obligatoirement à l'acheteur le droit au port gratuit, cette gratuité constitue une prime au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article L. 121-35 du Code de la consommation ; que la livraison à domicile des biens commandés n'est pas inhérente à la vente par Internet, d'autres vendeurs au détail sur Internet ayant mené et menant ce type de vente sans recourir à la livraison par correspondance, comme, par exemple, Placedeslibraires.fr, qui propose aux internautes de rechercher un livre grâce au moteur de recherches, et de rechercher ensuite "la librairie près de chez vous" où l'internaute souhaitera réserver le livre choisi, où il se rendra ensuite pour retirer le livre acheté et le payer ; que l'envoi par correspondance n'est qu'une des modalités possibles choisie par le vendeur sur Internet pour satisfaire à son obligation de délivrance ; que dans les ventes de choses de genre individualisées avant la livraison, cas habituel du commerce de détail, le transfert de propriété précède la livraison, le vendeur exécute son obligation de délivrance en laissant la chose vendue à disposition de l'acheteur, et c'est à l'acheteur qu'il incombe de prendre livraison ; que lorsque la vente s'accompagne d'un transport de marchandise, la remise au transporteur constitue la délivrance ; que les ventes litigieuses constituent aussi de reventes à perte, interdites par les articles L. 442-2 et suivants du Code de commerce, l'analyse économique de la gratuité des frais de port appliquée à la vente des livres démontrant que la société Wanadoo e.Merchant a, dans ce cas, comprimé ses marges au point de les rendre négatives;
Considérant que les arguments développés par le Syndicat de la librairie française ne sauraient toutefois prospérer, qu'en effet, la vente avec prime se caractérise par l'incitation à l'achat consistant à attirer le client en lui offrant la perspective d'obtenir, avec un produit ou un service acquis à titre onéreux, un autre objet ou un autre service remis gratuitement ou à des conditions avantageuses; que la prime, pour constituer une incitation à l'achat, doit viser un produit ou un service que l'on peut désirer pour lui-même, et que l'on acquiert d'ordinaire à titre onéreux ; que le port ou la livraison d'un produit n'a pas de caractère marchand autonome par rapport à ce produit; que le port ne constitue pas un service distinct et détachable de la vente du produit, que sa gratuité ne saurait donc constituer une prime;
Considérant que la vente par Internet n'est qu'une modalité de vente par correspondance, l'objet même de la vente par correspondance étant de permettre à un acheteur d'accomplir toutes les étapes d'un achat sans avoir à quitter son domicile; que le port à domicile est ainsi inhérent à ce type de vente;
Considérant que la références aux sites tels que "placedestibraires.fr" ou "Aligator.com" n'est pas pertinente, car il ne s'agit pas de sites de vente à distance, mais de services de localisation d'un livre au sein d'un ensemble de librairies affiliées, les ventes étant réalisées selon un mode traditionnel, dans les librairies;
Considérant que si la remise au transporteur par le vendeur peut satisfaire à l'obligation de délivrance, c'est uniquement dans le cas où les parties en ont convenu ainsi, le principe qui se dégage des articles 1604 et suivants du Code civil, relatifs à la délivrance, étant que les parties restent toujours libres, dans chaque accord particulier, de convenir expressément du lieu adapté ; que dans le cas des ventes à distance entre professionnels et consommateurs, c'est le contrat qui détermine le lieu de délivrance, et que dans les rapports entre Wanadoo e.Merchant et ses clients, le lieu de délivrance est l'adresse communiquée par l'acheteur;
Considérant enfin que la prise en charge des frais de port par le vendeur ne constitue pas une vente à perte ; que la société France Télécom e.commerce fait pertinemment valoir que:
- l'article L. 442-2 du Code de commerce, qui réprime la revente à perte, prévoit que le prix de revente ne saurait être inférieur au prix auquel le produit a été acquis par son distributeur, majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport, que l'infraction s'établit donc par comparaison entre le prix de revente et le prix d'achat supporté par le distributeur, et non, comme le fait le Syndicat de la librairie française, par comparaison entre ce prix et l'ensemble des coûts supportés par le distributeur pour la revente, le distributeur pouvant abandonner tout ou partie de sa marge de distribution sans être en infraction avec le texte, dès lors que son prix de revente, bien qu'inférieur à l'ensemble de ses coûts, est supérieur au prix d'achat effectif,
- "le prix du transport" visé par l'article L. 442-2 du Code de commerce s'entend des frais du transport du produit jusqu'au site géré par le distributeur, et non des éventuels frais de transport du distributeur au consommateur, qui sont des frais de distribution,
- il n'est pas contesté que Wanadoo e.Merchant a respecté le prix de revente fixé par l'éditeur, et aucune disposition de la loi Lang ne prévoit une répercussion obligatoire des frais de port sur l'acheteur, étant observé que le commentaire du ministère de la Culture sur l'article 1er de la loi, maintenu en l'état depuis l'origine, est que "la ristourne indirecte que constitue l'envoi franco de port et/ou d'emballage ne peut pas être assimilée à une remise au sens de la loi. Elle consiste en une compression volontaire de leur marge par les détaillants et est autorisée";
Considérant que le Syndicat de la librairie française fait enfin valoir que la concurrence déloyale existe dès lors qu'un opérateur se place dans une situation anormalement favorable par rapport à un concurrent respectueux de la loi et des usages, et qu'en l'espèce, en supportant les frais de traitement et de conditionnement des envois de livres par voie postale, ainsi que les frais postaux, aux lieu et place des acheteurs, Wanadoo e.Merchant génère un déficit dans ses comptes, avec pour objectif et conséquence de désorganiser le marché du livre et de déstabiliser les libraires indépendants, ce qui constitue un fait de concurrence déloyale;
Considérant que ce raisonnement ne saurait non plus prospérer, le seul fait de vendre un produit à un prix inférieur à l'ensemble de ses coûts, de production et de distribution, ne constituant pas à lui seul un acte de concurrence déloyale, sauf à démontrer l'existence de circonstances tenant à l'ampleur et aux modalités de l'opération, ayant placé les concurrents dans une situation telle qu'ils ne peuvent ni la supporter ni y répliquer par leurs propres efforts commerciaux ; qu'une telle preuve n'est pas rapportée, d'autant que les calculs proposés par le Syndicat de la librairie française se réfèrent à un tarif public " NéoPost ", qui n'est pas appliqué aux entreprises de vente par correspondance, qui bénéficient de tarifs préférentiels, dans le cadre de contrats spéciaux, et que la démonstration à laquelle tente de se livrer le syndicat repose sur l'achat de livres d'une valeur anormalement basse, non représentative de la moyenne des transactions;
Qu'il convient en conséquence de réformer le jugement sur ce point;
Sur l'indemnisation du préjudice occasionné par la pratique des bons d'achat:
Considérant que le Syndicat de la librairie française demande que lui soit allouée une somme de 50 000 euro en réparation du préjudice occasionné par la pratique des bons d'achat, en faisant valoir qu'il convient de prendre en compte, outre l'importance du nombre d'articles proposés à la vente et du nombre de livres vendus, la période où s'est déroulée la promotion, c'est-à-dire les trois derniers mois de l'année, avant les fêtes de Noël, époque la plus active sur le plan commercial ; qu'il doit aussi être tenu compte du fait que ces opérations de promotion illicites ont eu lieu non seulement en 2002, mais aussi en novembre et décembre 2001 ;
Considérant que la société France Télécom e.commerce répond que le Syndicat de la librairie française ne rapporte la preuve ni de son prétendu préjudice ni d'un quelconque détournement de la clientèle de ses adhérents et de leur perte de chiffre d'affaires et qu'il se fonde sur des suppositions, non étayées ; qu'elle ajoute que la facture de Wanadoo Interactive à Wanadoo e.Merchant correspondant aux bons d'achats utilisés par les abonnés de Wanadoo Interactive ne saurait constituer un élément de mesure des ventes de livres réalisées par le site Alapage.com dans le cadre de l'opération "chèque-cadeau", dans la mesure où les bons en question pouvaient être affectés à l'achat de la plupart des produits vendus par Alapage, et non exclusivement des livres ; que surtout, il n'est pas démontré que les opérations en cause aient pu détourner la clientèle des librairies traditionnelles ; que, dans la mesure où l'attribution des chèques-cadeau était faite aux abonnés par le fournisseur d'accès, à valoir, le cas échéant, pour l'achat de livres sur un site traditionnel, elle n'a fait, tout au plus, que créer un pouvoir d'achat supplémentaire en faveur de certains internautes, naturellement portés à l'achat sur Internet, mais n'a pas privé les libraires traditionnels d'un volume d'affaires dont ils auraient bénéficié en l'absence de cette opération;
Considérant que le préjudice subi par le Syndicat de la librairie française résulte des faits de concurrence déloyale liés aux opérations " chèque-cadeau " menées par Alapage.com, devenue Wanadoo E.merchant, de 2001 à 2003, étant observé que ces opérations ont eu nécessairement pour effet de détourner une partie de la clientèle des librairies traditionnelles, par la baisse artificielle, au détriment de ces dernières, des prix proposés, et la captation déloyale de parts de marché qui s'en est suivie;
Considérant qu'il doit cependant être compte de ce que les 3,5 millions d'articles référencés sur le site Alapage.com comprenaient toutes sortes de produits culturels, classés en rubriques "livres", "musiques", " DVD/vidéo " "CDROMS/jeux vidéo ", "art de vivre", et que les bons facturés par Alapage.com à Wanadoo Interactive pour 1 859 313 euro étaient utilisables sur l'ensemble du site "hors magazines, billetterie, jouets, fleurs et high-tech" ; qu'ainsi la cour a les éléments nécessaires pour fixer la réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession de libraire indépendant, dont le Syndicat de la librairie française a la charge, à 30 000 euro;
Sur les autres demandes:
Considérant qu'en raison du sens du présent arrêt, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses dépens, ainsi que celle des frais irrépétibles par elle exposés, le jugement étant réformé sur ce point;
Par ces motifs, Statuant dans les limites de la saisine, Réforme le jugement en ses dispositions relatives à l'opération d'offre des frais de port gratuits et au montant des dommages et intérêts alloués au Syndicat de la librairie française, et statuant à nouveau de ces chefs, Dit que l'opération d'offre des frais de port gratuits ne constitue pas un fait de concurrence déloyale, Déboute le Syndicat de la librairie française de sa demande à ce titre, Condamne la société France Télécom e.commerce venant aux droits de la société Wanadoo e.Merchant à payer au Syndicat de la librairie française la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de ses membres par l'opération "chèque-cadeau", Déboute les parties de leurs autres demandes, y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chaque partie gardera à sa charge les dépens par elle exposés.