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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 2 juillet 2009, n° 08-05366

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Diapar (SAS)

Défendeur :

Prodim (SAS), CSF (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Simmonot

Conseillers :

Mmes l'Hénoret, Serrin

Avoués :

SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet, SCP Brebion-Chaudet

Avocats :

SCP Brouard & Associés, Me Léhuede

T. com. Rennes, du 17 juin 2003

17 juin 2003

Les faits et les procédures antérieures

Le 11 juillet 1997, la Société de distribution concarnoise (Sodico) a conclu avec la société Comptoirs modernes économiques de Rennes (CMER) un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin d'alimentation à Pleumeur-Bodou sous l'enseigne "Comod" ; selon ce contrat, d'une durée de 7 ans, la société Sodico s'est engagée à effectuer l'essentiel des achats nécessaires à l'exploitation de son magasin à la société CMER.

Le 14 mars 2002, la société Sodico a notifié à la société CMER la rupture de leurs relations contractuelles.

Elle a déposé l'enseigne "Comod" pour y substituer l'enseigne "G 20" et s'est approvisionnée auprès de la société Diapar.

Par arrêt du 3 juillet 2002, la cour de céans, statuant en référé, a condamné la société Sodico à déposer l'enseigne "G 20" pour remettre l'enseigne "Comod" et à reprendre ses relations contractuelles avec la société Comptoirs modernes supermarchés Ouest (CMSO) venant aux droits de la société CMER jusqu'au terme du contrat, sous astreinte, arrêt porté à la connaissance de la société Diapar le 29 juillet 2002.

La société CMSO ayant fait apport à la société Prodim de la branche d'activité de franchiseur et d'animateur du réseau Comod et à la société CSF de la branche d'activité d'approvisionnement, ces deux sociétés ont assigné la société Sodico en liquidation de l'astreinte prononcée par l'arrêt du 3 juillet 2002.

Par arrêt infirmatif du 3 juillet 2003, la Cour d'appel de Rennes a liquidé l'astreinte à 400 000 euro, condamné la société Sodico à verser cette somme à la société Prodim ou à la société CSF et lui a enjoint d'effectuer l'essentiel de ses approvisionnements auprès de l'une ou de l'autre, sous peine d'astreinte de 10 000 euro par jour de retard.

Les sociétés Prodim et CSF ont engagé une procédure au fond à l'encontre de la société Sodico.

Les parties se sont ensuite rapprochées et ont conclu une transaction en vertu de laquelle elles ont repris leurs relations commerciales.

Parallèlement, les sociétés Prodim et CSF ont assigné les sociétés Diapar et Groupe 20 en indemnisation de leur préjudice, en tant que tiers complices de la rupture abusive du contrat de franchise par la société Sodico.

Par arrêt infirmatif du 30 novembre 2004 devenu irrévocable du fait du rejet du pourvoi en cassation qui avait été formé par les sociétés Prodim et CSF, la Cour d'appel de Rennes a rejeté l'ensemble des demandes formées par les sociétés Prodim et CSF au motif que, jusqu'à l'arrêt infirmatif du 3 juillet 2002, les sociétés Groupe G 20 et Diapar avaient pu légitimement croire que le contrat de franchise n'existait plus et qu'à compter de la décision, la société Groupe G 20 avait déposé l'enseigne.

La procédure dont est saisie la cour de renvoi

Reprochant à la société Diapar d'avoir continué à livrer la société Sodico postérieurement au 29 juillet 2002, les sociétés Prodim et CSF l'ont faite assigner, par acte du 23 juillet 2003, devant le Tribunal de grande instance de Guingamp statuant en matière commerciale.

Par jugement du 7 septembre 2004, le tribunal a :

- rejeté l'exception d'incompétence,

- dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer,

- dit n'y avoir lieu à écarter des débats les dernières pièces produites,

- constaté que le contrat de franchise et d'approvisionnement conclu par la société Sodico n'est pas un contrat d'approvisionnement exclusif,

- constaté que la société Diapar a continué après le 29 juillet 2002 à fournir à titre principal la société Sodico en marchandises,

- dit que, ce faisant, la société Diapar a commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard des sociétés Prodim et CSF venant aux droits de la société CMER,

- dit que la société Prodim ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle soutient avoir subi du chef de la perte des cotisations de franchise,

- dit que la société CSF ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle soutient avoir subi du chef de la perte de bénéfice,

- condamné la société Diapar à payer aux sociétés Prodim et CSF 45 000 euro au titre de la concurrence déloyale,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Diapar à payer à la société Prodim et à la société CSF 1 500 euro chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné la société Diapar aux dépens.

Par arrêt du 24 janvier 2006, la Cour d'appel de Rennes a:

- écarté des débats les pièces communiquées par la société Diapar le 5 décembre 2005 numérotées 37 à 50,

- dit que les sociétés Prodim et CSF sont recevables à agir,

- confirmé le jugement entrepris,

- condamné la société Diapar à payer aux sociétés Prodim et CSF une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné la société Diapar aux dépens d'appel,

- rejeté toute prétention autre ou contraire.

Par arrêt du 3 juin 2008, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, sauf en ce qu'il a écarté des débats les pièces communiquées par la société Diapar le 5 décembre 2005.

La société Diapar a saisi la cour de céans désignée comme cour de renvoi.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 7 mai 2009 auxquelles il est renvoyé pour exposé de ses moyens, elle conclut à l'infirmation du jugement, à l'irrecevabilité des demandes des sociétés Prodim et CSF, au rejet de leurs demandes et à leur condamnation in solidum à lui payer 30 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et à lui verser chacune 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle demande à la cour de dire:

• que les sociétés Prodim et CSF sont mal fondées à se prévaloir de la transmission du contrat de franchise à leur profit,

• que les sociétés Prodim et CSF sont mal fondées à revendiquer le bénéfice de l'arrêt du 3 juillet 2002 ordonnant la poursuite du contrat de franchise entre la société Sodico et la société CMSO,

• que les sociétés Prodim et CSF sont irrecevables, faute de qualité à agir par application des articles 32 et 122 du Code de procédure civile,

• qu'elle n'est pas tenue des obligations mises à la charge de la société Sodico par l'arrêt du 3 juillet 2002,

• au fond:

• que la clause d'approvisionnement insérée au contrat de franchise est nulle,

• qu'en tout état de cause, elle n'a commis aucune faute.

Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 24 avril 2009 auxquelles il est renvoyé pour exposé de leurs moyens, les sociétés Prodim et CSF concluent à l'irrecevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par la société Diapar et demandent à la cour de:

• les dire recevables à agir,

• au fond, de dire:

• qu'elles se sont vues transférer les droits attachés à l'arrêt rendu le 3 juillet 2002,

• que cet arrêt constitue un fait juridique en tant que tel opposable à la société Diapar,

• que la société Diapar, obligée aux termes de l'ordonnance, n'a pas respecté l'arrêt du 3 juillet 2002,

• qu'elle a collaboré à la faute commise par la partie obligée et commis de surcroît des faits de concurrence déloyale.

Elles sollicitent en conséquence la confirmation du jugement déféré et la condamnation de la société Diapar à leur payer 10 000 euro au titre des frais irrépétibles.

A titre subsidiaire, elles demandent la condamnation de la société Diapar à leur payer 45 000 euro pour avoir soulevé pour la première fois devant la cour une fin de non-recevoir.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 14 mai 2009.

Discussion et motifs de la décision

Que les sociétés Prodim et CSF reprochent à la société Diapar d'avoir fautivement continué de livrer de manière exclusive la société Sodico en méconnaissance des notifications qui lui avaient été faites du contrat de franchise et de l'arrêt du 3 juillet 2002 ordonnant à la société Sodico de reprendre ses relations contractuelles avec la société CMSO, d'où leur demande d'indemnisation du préjudice qui en est résulté pour elles;

Que la société Diapar répond que les sociétés Prodim et CSF n'ont pas qualité à agir, dès lors que le contrat de franchise est un contrat intuitu personae qui ne leur a pas été transmis par l'apport partiel d'actif réalisé sous le régime des scissions en l'absence d'accord de la société Sodico;

Qu'elle considère que l'arrêt du 30 novembre 2004 n'a pas autorité de chose jugée dans le cadre du présent litige dès lors que les moyens soumis à la cour de renvoi sont différents;

Qu'elle allègue que, sans accord de la société Sodico sur la cession du contrat ou des droits et obligations en résultant, les sociétés Prodim et CSF ne peuvent se prévaloir dudit contrat pour agir contre elle sur le fondement d'une prétendue tierce complicité;

Qu'elle en tire la conséquence que les sociétés Prodim et CSF, qui ne peuvent revendiquer la qualité de parties au contrat de franchise, sont irrecevables à agir;

Qu'elle soutient encore que les sociétés Prodim et CSF ne peuvent lui opposer l'arrêt du 3 juillet 2002 rendu entre les sociétés Sodico et CMSO auquel elles n'étaient pas parties et souligne que, sous couvert d'intervenir au lieu et place de la société CMSO dans le bénéfice de l'arrêt, elles revendiquent la poursuite du contrat à leur profit, tentant de contourner l'obstacle constitué par le caractère intuitu personae du contrat de franchise;

Que, pour réfuter le moyen d'irrecevabilité qui est opposé par la société Diapar, les sociétés Prodim et CSF se prévalent d'abord de l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 30 novembre 2004 et font valoir que le point de savoir si le contrat de franchise leur a été transmis constitue une question de fond et non une fin de non-recevoir;

Qu'elles font valoir que, compte tenu de ses stipulations, le contrat de franchise a été conclu en considération de la personne du franchisé et non du franchiseur;

Qu'elles exposent que la restructuration, qui était une restructuration interne au groupe Carrefour, n'a apporté aucun changement dans la franchise Comod s'agissant seulement de regrouper des équipes animant les réseaux de franchise et de permettre à la société qui approvisionne les magasins de continuer à le faire pour l'ensemble de ceux-ci;

Qu'elles en déduisent que le transfert du contrat de franchise n'était pas subordonné à l'accord de la société Sodico;

Qu'elles soutiennent également que l'apport partiel d'actifs d'une branche du patrimoine entraîne transfert du patrimoine lié à la branche à la société bénéficiaire de l'apport ; que, parmi les droits transférés figurent les décisions de justice ; qu'en ne respectant pas l'arrêt du 3 juillet 2002 à l'encontre duquel elle n'a pas formé de tierce opposition, la société Diapar a commis une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil ou à tout le moins un acte de concurrence déloyale;

Considérant que, dans son arrêt du 30 novembre 2004, la Cour d'appel de Rennes a précisé que le procès devant elle se réduisait à l'action dirigée par les sociétés Prodim et CSF contre les sociétés Diapar et Groupe 20 auxquelles il était reproché des fautes de nature délictuelle et des faits de concurrence déloyale et ce pour la période du 22 mars au 27 juillet 2002;

Que l'action soumise à la cour de renvoi tend à voir sanctionner des faits de même nature mais commis postérieurement au 29 juillet 2002;

Que l'autorité de chose jugée impliquant la réunion cumulative de la triple identité des parties, d'objet et de cause, dès lors que la demande des sociétés Prodim et CSF porte sur une période non prise en compte par l'arrêt du 30 novembre 2004, la condition d'identité d'objet n'est pas remplie;

Que les sociétés Prodim et CSF ne peuvent donc valablement opposer l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 30 novembre 2004;

Qu'en l'absence d'action attitrée, toute personne qui prétend qu'une atteinte a été portée à un droit lui appartenant et qui profitera personnellement de la mesure qu'elle réclame a un intérêt personnel à agir et a donc qualité pour le faire, l'existence du droit dont elle se prétend titulaire n'étant pas une condition de la recevabilité de sa demande;

Qu'en conséquence le point de savoir si le contrat de franchise a été transmis aux sociétés Prodim et CSF, de sorte qu'elles peuvent l'opposer à la société Diapar et agir contre elle en tierce complicité de la violation du contrat constitue, ainsi qu'elles le font justement valoir, un moyen de fond;

Que la société CMSO a apporté à la société CSF la branche complète d'activité d'exploitation commerciale et d'approvisionnement de fonds de commerce de type supermarché et à la société Prodim sa branche d'exploitation commerciale de fonds de commerce alimentaires de proximité, ainsi que la franchise et l'animation du réseau de franchise Comod et Marché +;

Que ces apports partiels d'actif ayant été soumis au régime des scissions, ils emportent transmission universelle du patrimoine de la société CMSO aux sociétés Prodim et CSF de tous les droits, biens et obligations dépendant de la branche autonome d'activité qui fait l'objet de l'apport, à l'exception des contrats conclus intuitu personae qui ne sont transmissibles aux sociétés bénéficiaires qu'à la condition que le cocontractant ait donné son accord;

Que le contrat de franchise stipulait en son article 2-2 :

- que le contrat était conclu par le franchiseur en considération de la personne du franchisé de sorte que tout fait quelconque qui aurait pour effet ou pour conséquence de substituer au franchisé une ou d'autres personnes ou de restreindre de manière importante son indépendance comporterait le droit pour le franchiseur de résilier immédiatement le contrat sans indemnité,

- que le contrat était conclu par le franchisé en considération de la notoriété et de l'organisation du Groupe comptoirs modernes et du franchiseur indépendamment des personnes qui les contrôlent ou les dirigent;

Que, contrairement à ce que prétendent les sociétés Prodim et CSF, le contrat n'était pas seulement conclu en considération de la personne du franchisé, mais aussi en considération de la personne du franchiseur qui apportait son enseigne et son savoir-faire, l'enseigne et le savoir-faire étant une considération déterminante de l'engagement du franchisé;

Que le contrat de franchise était donc bien un contrat conclu intuitu personae;

Que, contrairement encore à ce que soutiennent les sociétés Prodim et CSF, les apports partiels d'actif n'ont pas été sans incidence sur le contrat de franchise puisqu'il n'est pas contesté que l'enseigne Comod a quasiment disparu;

Que, compte tenu du caractère intuitu personae du contrat de franchise, il ne fait pas partie des contrats transférés de plein droit aux sociétés Prodim et CSF dans le cadre des apports partiels d'actifs;

Que la société Sodico n'a jamais consenti à la transmission du contrat de franchise aux sociétés Prodim et CSF qu'elle avait résilié le 14 mars 2002 ensuite de quoi elle s'est fournie auprès de la société Diapar;

Que, dès lors que les sociétés Prodim et CSF ne sont pas devenues parties au contrat de franchise, elles sont mal fondées à agir en responsabilité délictuelle contre la société Diapar, ne pouvant se plaindre d'une violation d'un contrat qui ne leur a pas été transmis et a pris fin en tout état de cause avec les apports partiels d'actif;

Que, si l'autorité de chose jugée d'une décision de justice ne produit ses effets qu'entre les parties, il n'en reste pas moins qu'elle est opposable aux tiers en ce sens qu'ils doivent respecter les droits reconnus par cette décision ;

Que les sociétés Prodim et CSF n'étaient pas parties à l'arrêt du 3 juillet 2002, rendu sur appel d'une ordonnance de référé, entre la société CMSO et la société Sodico ordonnant la reprise jusqu'à leur terme des relations contractuelles ;

Que le contrat de franchise ayant cessé ses effets avec les apports partiels d'actif, les sociétés Prodim et CSF sont mal fondées en leurs prétentions selon lesquelles elles peuvent, sur le fondement de cet arrêt, obtenir une indemnisation puisqu'elles n'ont pas qualité pour demander l'exécution du contrat de franchise qui ne leur a pas été transmis;

Que, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués, les sociétés Prodim et CSF seront déboutées de leur demande, le jugement étant infirmé en ce sens;

Que le bien fondé de leurs prétentions ayant été reconnu en première instance, puis par la cour d'appel, aucun abus de procédure ne peut leur être imputé ; que la société Diapar sera déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive;

Qu'en indemnisation des frais irrépétibles, il convient de condamner la société Prodim et la société CSF à payer ensemble 20 000 euro à la société Diapar;

Par ces motifs Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2008, Infirme le jugement déféré du Tribunal de grande instance de Guingamp du 7 septembre 2004, Et statuant à nouveau, Déclare les sociétés Prodim et CSF recevables à agir, mais mal fondées, Les déboute de leurs demandes, Déboute la société Diapar de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne les sociétés Prodim et CSF à payer ensemble 20 000 euro à la société Diapar au titre des frais irrépétibles, Les condamne également aux dépens de première instance et d'appel, y compris aux dépens de l'arrêt cassé, et dit que les dépens de la présente instance pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.