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Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 14 avril 2009, n° 07-03657

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCP Cure-Thiebaut (ès qual.), CFF Transports (SARL), Froidevaux

Défendeur :

Transports Graveleau (SAS), Gan Eurocourtage IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fèvre (faisant fonction)

Conseillers :

M. du Rostu, Mme Pignon

Avoués :

SCP Paille-Thibault-Clerc, SCP Tapon-Michot, SCP Musereau Mazaudon Provost Cuif

Avocats :

Mes Bouchet, Lemée

T. com. La-Roche-sur-Yon, du 6 nov. 2007

6 novembre 2007

Par jugement en date du 6 novembre 2007, le Tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon a débouté la SCP Cure-Thiebaut, ès qualités de liquidateur de la société CFF Transports et M. Froidevaux de leurs demandes en indemnisation dirigées contre la société Transports Graveleau.

Par déclaration en date du 29 novembre 2007, la SCP Cure-Thiebaut et M. François Froidevaux ont régulièrement fait appel de cette décision en sollicitant la condamnation de la SAS Transports Graveleau à payer à :

- la SCP Cure-Thiebaut, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL CFF Transports, la somme principale de 81 375 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- M. Froidevaux la somme principale de 25 000 euro à titre de dommages intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Il est également demandé 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Transports Graveleau a sollicité à titre principal confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a mis à sa charge remboursement d'une somme de 800 euro à la compagnie Gan, cette somme devant incomber à la SCP Cure-Thiebaut et M. François Froidevaux subsidiairement, que la compagnie Gan Eurocourtage IARD la relève indemne de toutes condamnations et elle a demandé en outre la condamnation solidaire des parties qui succomberont à lui verser la somme de 3 000 euro sur fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La compagnie Gan Eurocourtage IARD a demandé la confirmation de la décision dont appel, subsidiairement le rejet des prétentions de la SCP Cure-Thiebaut et de M. Froidevaux et à titre infiniment subsidiaire, la réduction des demandes présentées, et l'application à la charge de son assurée la société Graveleau de la franchise contractuelle de 33 500 euro, enfin la condamnation de la SCP Cure-Thiebaut et M. François Froidevaux et/ou la société Graveleau à lui payer 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2008.

Sur quoi, LA COUR,

Attendu qu'il ressort des faits constants de la cause tels qu'ils sont établis par les écritures des parties et les documents versés aux débats:

- que le 14 mars 1994, la société Graveleau et les Transports Froidevaux (CCF Transports) ont conclu un contrat aux termes duquel CFF Transports se voyait confier, en sous-traitance, la réalisation de prestations de transports;

- que l'article 1 précisait que la rupture de ce contrat à durée indéterminé pourrait être notifiée par l'une ou l'autre des parties à tout moment avec un préavis d'un mois;

- que par lettre simple du 11 juin 2003, à laquelle le conseil de la société CCF a répondu le 11 juillet 2003, la SAS Transports Graveleau a mis fin à ce contrat à effet au 1er septembre 2003;

- que la SARL CCF Transports a obtenu en référé, suivant ordonnance du 22 octobre 2003 rendue par le Président du Tribunal de commerce de Dijon, l'organisation d'une mesure d'expertise afin de déterminer les conséquences financières subies par elle à la suite de la rupture des relations contractuelles;

- que par jugement en date du 10 mai 2005, le Tribunal de commerce Dijon a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL CCF Transports;

Attendu qu'à l'appui de leur déclaration d'appel, la SCP Cure-Thiebaut et M. François Froidevaux font valoir:

- que leur action est recevable, la prescription annale prévue à l'article L. 133-6 Code de commerce ne s'appliquant pas en l'espèce;

- que le préavis de 2 mois appliqué par la société Graveleau équivaut en pratique à l'absence de tout préavis au regard de la durée de la relation commerciale;

- que cette rupture brutale a entraîné pour la société CCF Transports un préjudice tel qu'elle a conduit à sa liquidation judiciaire et pour Froidevaux un préjudice tant matériel que moral;

Attendu que la SAS Transports Graveleau fait conclure:

- tout d'abord que la prescription abrégée de l'article L. 133-6 du Code de commerce est applicable à l'action en rupture abusive de contrat, que M. Froidevaux ne peut agir ni sur le terrain contractuel, ni sur le terrain délictuel, et que les appelants sont irrecevables en leurs prétentions,

- subsidiairement au fond :

- qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, le délai de préavis contractuellement prévu ayant été respecté,

- que le seul préjudice éventuellement réparable est celui découlant certainement et directement du préavis insuffisant, à savoir la perte de marge subie au cours des mois de préavis dont elle soutient avoir été privée;

- que le rapport d'expertise doit être écarté des débats en raison de la violation manifeste de l'article 276 du Code de procédure civile, le chiffrage obtenu par l'expert étant au surplus incohérent;

Attendu que la SA Gan Eurocourtage IARD fait conclure à l'irrecevabilité de l'action engagée par la SCP Cure-Thiebaut et M. François Froidevaux, à la prescription biennale de l'action à son encontre de la société Graveleau sur le fondement de l'article L. 114-1 du Code des assurances, et subsidiairement à l'absence de garantie due à son assurée, le dommage n'ayant pas pour origine effective l'activité garantie, et résultant d'une décision de gestion purement volontaire de la société Graveleau;

Qu'elle soutient enfin très subsidiairement que la société Graveleau qui a respecté le préavis contractuel n'a commis aucune faute, que M. Froidevaux ne démontre pas avoir subi un préjudice ayant un lien certain direct et actuel avec la faute invoquée, que le quantum du préjudice réclamé doit être sensiblement réduit, enfin que la franchise contractuelle doit s'appliquer l'encontre de la société Graveleau;

Attendu que la cour se référera par ailleurs pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties aux dispositions de la décision dont appel en ce qu'elles ne sont pas contraires à celles du présent arrêt ainsi qu'aux conclusions visées ci-dessus en référence et déposées au dossier de la procédure;

Attendu que, conformément à l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage la responsabilité délictuelle de son auteur;

Attendu en la cause qu'il en résulte que l'action engagée par la SCP Cure-Thiebaut sur ce fondement est recevable, les dispositions prévues par l'article L. 133-6 du Code de commerce, qui ne concerne que les actions découlant du contrat de transport, étant inapplicables;

Attendu par ailleurs que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action;

Que les tiers victimes d'une inexécution contractuelle peuvent avoir un intérêt, distinct de celui des contractants, à agir sur le terrain délictuel à l'encontre du débiteur contractuel défaillant;

Qu'en outre, en l'espèce, l'action de M. Froidevaux, comme celle de la SCP Cure-Thiebaut ayant un fondement purement délictuel, elle doit être déclarée recevable;

Attendu que la rupture des relations contractuelles doit être qualifiée de brutale et ouvrir droit à dommages et intérêts lorsqu'elle se révèle imprévisible, soudaine, et violente, au regard notamment de l'ancienneté des relations contractuelles;

Que le respect du préavis contractuel n'exonère pas de sa responsabilité l'auteur de la rupture dès lors que la durée de ce préavis est insuffisante, eu égard à la durée de la relation contractuelle et aux usages de la profession;

Que la durée d'une relation contractuelle ne se résume pas, en cas de contrats successifs, à la durée du dernier contrat conclu entre les parties et doit s'apprécier, en cas de rupture brutale, en tenant compte des relations antérieures des parties au contrat brutalement rompu;

Attendu en la cause que la rupture du contrat liant la SAS Transports Graveleau à la SARL CCF Transports doit être qualifiée de brutale et abusive en ce que:

- les relations contractuelles entre les deux sociétés ont été formalisées dans un contrat en date du 14 mars 1994 et se sont poursuivies sans interruption jusqu'en 2003, dans le cadre de renouvellements tacites ou écrits, lesquels n'ont fait l'objet d'aucune difficulté particulière;

- la société CCF Transports, pour répondre à la demande de la SAS Transports Graveleau mobilisait 4 salariés utilisant 4 véhicules financés par le biais de crédit-bail, le volume de l'activité générant un chiffre d'affaire annuel évalué par l'expert judiciaire, dont les conclusions sur ce point ne sont pas contestées, à une moyenne de plus de 400 000 euro, soit plus de la moitié de l'activité de la SARL CCF Transports;

- la rupture des relations contractuelles a été notifiée par la SAS Transports Graveleau par lettre simple adressée le 11 juin 2003 à la SARL CCF Transports, qui en a accusé réception le 11 juillet 2003, soit moins de deux mois avant la date de rupture, alors qu'en tout état de cause, le délai de préavis contractuel d'un mois prévu dans la convention initiale était manifestement insuffisant;

- compte tenu de l'ancienneté des relations contractuelles, et des moyens tant matériels qu'humains mis en œuvre par la société CCF Transports pour répondre à la demande de la société Transports Graveleau, un délai de prévis minimum de six mois était nécessaire;

Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la SAS Transports Graveleau a engagé sa responsabilité en rompant brutalement la convention qui la liait à la SARL CCF Transports;

Que cette rupture abusive et brutale a eu pour conséquence directe la rupture durable des équilibres financiers et économiques de la société CCF Transports, dépendante économiquement de la société Graveleau;

Attendu, sur la validité du rapport d'expertise judiciaire, que, selon l'article 276 du nouveau Code de procédure civile, "l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. Il doit faire mention dans son avis de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées" ;

Attendu que l'inobservation de ces formalités n'entraîne la nullité de l'expertise qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité;

Attendu en la cause qu'il ressort des conclusions d'expertise que les observations formulées par la SAS Transports Graveleau ont été pour certaines retenues par l'expert qui les a intégrées dans son rapport;

Que la SAS Transports Graveleau ne démontre pas en outre avoir subi un quelconque grief du fait des éventuelles irrégularités commises par l'expert judiciaire, alors qu'elle a été en mesure d'en discuter les conclusions;

Que la nullité du rapport d'expertise ne sera pas prononcée;

Attendu que la SCP Cure-Thiebaut est fondée à solliciter, er réparation du préjudice subi par la SARL CCF Transports, une indemnisation comprenant la perte de marge brute pendant le délai de préavis normalement applicable, outre ses préjudices annexes constitués notamment des investissements spécifiques non amortis, du coût des licenciements supportés du fait de la rupture et de l'atteinte à l'image de la société;

Attendu en la cause que la cour dispose des éléments suffisants pour fixer au montant estimé par l'expert les dommages et intérêts devant être alloués à la SCP Cure-Thiebaut;

Qu'en effet, en tenant compte d'un délai de préavis de six mois, raisonnable eu égard à l'ancienneté des relations commerciales, la somme réclamée apparaît justifiée;

Que la SAS Transports Graveleau sera condamnée à payer à la SCP Cure-Thiebaut la somme de 81 375 euro avec intérêts à compter du présent arrêt, qui fixe les droits respectifs des parties;

Attendu en revanche que M. Froidevaux ne produit aux débats aucun élément de nature à démontrer qu'il aurait subi personnellement un quelconque préjudice du fait de la rupture abusive des relations entretenues entre la société qu'il dirigeait et la société Transports Graveleau;

Que la preuve n'étant pas rapportée que la liquidation judiciaire de la SARL CCF Transports est la conséquence directe de la faute commise par la SAS Transports Graveleau, et que par suite, il a dû cesser son activité, il sera débouté de sa demande en dommages et intérêts;

Attendu que, par application des dispositions de l'article L. 114-1 alinéa du Code des assurances, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier;

Qu'en la cause, l'action de la SAS Graveleau Transports à l'encontre de la compagnie Gan Eurocourtage IARD, engagée 24 avril 2006, alors qu'elle-même avait été assignée par la SCP Cure-Thiebaut le 2 janvier 2006 apparaît recevable;

Attendu que le contrat d'assurance souscrit par la SAS Transports Graveleau couvre la responsabilité civile de l'assurée, dans l'exercice de son activité professionnelle, et ayant pour origine des fautes, erreurs de fait ou de droit, omissions involontaires, inexactitudes, commises soit par l'assuré, soit par de personnes dont il est civilement responsable;

Attendu en l'espèce, que la responsabilité de la SAS Transports Graveleau étant engagée sur un fondement délictuel, pour une faute commise volontairement hors du cadre strictement professionnel de l'entreprise, il n'y a pas lieu de condamner la compagnie Gan Eurocourtage IARD à garantir ladite société des condamnations prononcées contre elle;

Que la SAS Transports Graveleau sera déboutée de son appel en garantie;

Attendu enfin qu'il convient, en équité, de condamner la SM Transports Graveleau à payer à la SCP Cure-Thiebaut ès qualité de liquidateur de la société CFF Transports la somme de 1 000 euro en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

Attendu en revanche qu'il est équitable de laisser à la charge de M. Froidevaux et de la compagnie Eurocourtage IARD les frais exposés et non compris dans les dépens;

Qu'il ne sera pas fait application, à leur profit, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit la SCP Cure-Thiebaut ès qualités de liquidateur de la société CFF Transports et M. Froidevaux en leur appel du jugement rendu le novembre 2007 par le Tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon, Les y jugeant bien fondés, Infirme ce jugement, Déclare recevable les actions intentées par la SCP Cure-Thiebaut en qualités de liquidateur de la société CFF Transports et M. Froidevaux, Dit que la SAS Transports Graveleau a rompu abusivement les relations commerciales qui la liaient à la SARL CCF Transports, En conséquence, condamne la SAS Transports Graveleau à payer à la SCP Cure-Thiebaut ès qualités de liquidateur de la société CFF Transports la somme de 81 375 euro avec intérêts à compter du présent arrêt, outre 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute M. Froidevaux de sa demande en dommages et intérêts; Déboute la SAS Transports Graveleau de ses prétentions à l'encontre de la compagnie Gan Eurocourtage IARD, Rejette comme inutiles ou mal fondées toutes demandes plus amples ou contraires des parties. Condamne la SAS Transports Graveleau aux entiers dépens et autorise la SCP Paille-Thibault-Clerc et la SCP Musereau Mazaudon Provost Cuif, avoués associés, à recouvrer directement ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.