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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 30 avril 2009, n° 08-04187

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie écossaise Saint-André (SARL)

Défendeur :

Métayer, Métayer (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Larque

Conseillers :

Mme Meallonnier, M. Darracq

Avoués :

SCP de Ginestet-Duale-Ligney, SCP Longin-Dupeyron-Mariol

Avocats :

Mes Garcia, Bordenave

TGI Pau, du 15 oct. 2008

15 octobre 2008

Objet succinct du litige - Prétentions et arguments des parties

Vu l'appel interjeté le 23 octobre 2008 par la SARL Compagnie écossaise Saint-André à l'encontre d'un jugement du Tribunal de grande instance de Pau du 15 octobre 2008;

Vu la requête présentée le 27 octobre 2008 aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe;

Vu l'ordonnance du Premier Président de la Cour d'appel de Pau du 31 octobre 2008;

Vu l'assignation à jour fixe devant la cour d'appel du 30 décembre 2008;

Vu les conclusions de Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer du 19 janvier 2009;

Vu les conclusions de la SARL Compagnie écossaise Saint-André du 5 mars 2009;

La SARL Compagnie écossaise Saint-André a conclu un bail commercial 8 décembre 2000 avec la Caisse régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles du Sud-Ouest. Il est inséré dans le bail la clause suivante :

"destination des lieux loués :

Les lieux ci-dessus désignés sont loués à usage exclusif de commerce ayant un rapport avec la vente de produits d'habillement, accessoires, produits alimentaires, art décoratif, librairie, salon de thé, petite restauration.

Le preneur s'y interdit d'exercer toute activité ayant un rapport quelconque avec les assurances et la restauration et de toute activité pouvant faire concurrence aux commerçants en place dans notre immeuble."

A la même adresse est situé un local voisin qui a été donné à bail par la Crama du Sud-Ouest à Monsieur Aman Allah le 6 mars 2003.

Monsieur Allah a cédé son bail à Monsieur Stéphane Métayer selon un acte de cession de droit au bail en date du 17 avril 2008. Dans cet acte, il est prévu au § cession :

" Il est précisé que le cédant exerçait dans les lieux l'activité de vente d'objets manufacturés de l'artisanat et d'artisanat d'art d'origine marocaine. Pour sa part, le cessionnaire entend exercer une activité d'artisan glacier exclusivement... "

Il est également prévu en ce qui concerne la destination :

" Les locaux faisant l'objet du présent bail, devront exclusivement être destinés à l'exercice de tous commerces, à l'exception de ceux bruyants et malodorants, ainsi que ceux existant déjà au sein de l'immeuble donné à bail par Groupama. "

Le nouveau locataire Monsieur Stéphane Métayer a ouvert un fonds de commerce sous la forme de la SARL Métayer ayant pour objet social : Glacier et toutes activités s'y rattachant à emporter et à consommer sur place.

Estimant que Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer exerçaient une activité directement concurrente de la sienne, la SARL Compagnie écossaise Saint-André va assigner suivant acte du 5 août 2008, Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer devant le Tribunal de grande instance de Pau.

Par jugement du 15 octobre 2008 auquel il est expressément référé pour le rappel des faits et de la procédure antérieure, le Tribunal de grande instance de Pau a:

- déclaré l'action de la SARL Compagnie écossaise Saint-André recevable à l'encontre de Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer et irrecevable à l'encontre de la SNI ou SNI Sud-Ouest,

- débouté la SARL Compagnie écossaise Saint-André de l'ensemble de ses demandes,

- débouté Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- condamné la SARL Compagnie écossaise Saint-André à payer à Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer dans leur ensemble la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SARL Compagnie écossaise Saint-André aux dépens.

La SARL Compagnie écossaise Saint-André fait valoir à l'appui de son recours que l'activité concurrente de la SARL Métayer est absolument directe et qu'elle porte justement son activité de salon de thé en plus de l'activité de glacier. Les autocollants figurant sur la vitrine de la SARL Métayer démontrent bien que celle-ci exerce une activité concurrente, ce qui lui est interdit.

La SARL Métayer n'a pas fourni des documents comptables probants. En tout état de cause, les affirmations de la SARL Métayer sont mensongères. Son activité de salon de thé ne peut pas être seulement considérée comme accessoire. Les photographies versées permettent de démontrer qu'il y a eu confusion entre les deux sociétés créées volontairement par la SARL Métayer, qu'elle n'a pas hésité à installer sa propre terrasse juste à côté de la sienne, qu'elle utilise des parasols identiques aux siens, ce qui ajoute à la confusion.

En fait en hiver, la seule activité possible de la SARL Métayer est celle de salon de thé et non celle de glacier.

Il y a bien, en l'espèce, une concurrence anormale et contraire au bail. Même l'activité de vente de glace est concurrente à la sienne. La SARL Métayer s'est prétendue artisan glacier pour cacher derrière ce vocable l'activité directement concurrente de celle de son voisin. La SARL Métayer n'est pas un véritable artisan.

Elle considère qu'elle bénéficie de l'antériorité de son activité de salon de thé, de fabrication et de vente de glaces, que la clause de non-concurrence est là pour la protéger. Elle rappelle qu'elle a effectué d'importants travaux, cela parce qu'elle se savait protégée par la clause. Elle a subi un préjudice important. L'activité de la SARL Métayer n'étant pas conforme aux baux, il y aura lieu de lui interdire d'exercer cette activité concurrentielle.

Contrairement à ce qui est soutenu, la clause qui figure dans les baux n'est pas nulle et les textes visés par Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer ne concernent pas ce cas de figure. La clause leur est bien opposable dans la mesure où elle est visée dans leur propre bail. En réalité, les baux interdisent la présence de deux activités similaires dans l'immeuble.

La SARL Compagnie écossaise Saint-André demande à la cour de réformer le jugement entrepris et :

- d'ordonner la fermeture du fonds de commerce exploité par Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer en leur interdisant d'exercer leur activité concurrentielle, le tout sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- de condamner Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer à lui payer une somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette activité et du non-respect des clauses du bail,

- de condamner Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer à lui payer une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer estiment tout d'abord que l'action de la SARL Compagnie écossaise Saint-André n'est pas recevable puisqu'elle ne peut pas leur opposer les clauses de son propre bail.

Ils soutiennent que la clause dont se prévaut la SARL Compagnie écossaise Saint-André est nulle, qu'à la supposer valide cette clause n'a pas la portée que lui confère l'appelante.

Il ne s'agit pas d'une clause d'exclusivité. En outre, ils prétendent ne pas exercer une activité directement concurrentielle à celle de la SARL Compagnie écossaise Saint-André. Monsieur Stéphane Métayer indique qu'il fabrique et vend des glaces qui sont sa création. Il achète des matières premières en grande quantité et réalise ses produits. Ce n'est qu'accessoirement que la SARL Métayer vend des boissons fraîches et chaudes à sa clientèle. C'est la vente des glaces qui constitue et de loin le plus grand pourcentage du chiffre d'affaires de la société.

En tout état de cause, la seule restriction concurrentielle indirecte pourrait concerner la vente de boissons, mais cette vente est réellement accessoire.

En fait la demande de la SARL Compagnie écossaise Saint-André n'a que pour seul but une volonté de leur nuire.

Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer demandent à la cour :

Au principal :

- de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de la SARL Compagnie écossaise Saint-André à l'encontre du jugement du 15 octobre 2008,

- de confirmer la décision de première instance,

- de déclarer irrecevable l'action de la SARL Compagnie écossaise Saint-André dans ses demandes dirigées à leur encontre,

Au subsidiaire,

- de dire la clause de non-concurrence limitée non valable,

- de déclarer de toute façon la SARL Compagnie écossaise Saint-André mal fondée en ses demandes et l'en débouter,

- de la condamner reconventionnellement à une indemnité de 10 000 euro pour abus de procédure et à titre de dommages et intérêts,

Dans les deux cas:

- de condamner la SARL Compagnie écossaise Saint-André à leur payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer, pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures ci-dessus visées.

Sur ce

- Sur la recevabilité

Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer prétendent tout d'abord que l'action de la SARL Compagnie écossaise Saint-André n'est pas recevable car elle ne peut pas leur opposer la clause de son propre bail. Or, dans la cession du bail conclue par Monsieur Stéphane Métayer, une clause de non-concurrence y est bien insérée. L'action de la SARL Compagnie écossaise Saint-André est donc bien recevable. Ce moyen d'irrecevabilité n'est pas fondé. Il convient de l'écarter.

- Sur la clause de non-concurrence

L'acte de cession du 17 avril 2008 entre Monsieur Aman Allah et Monsieur Stéphane Métayer comporte en page 2 la mention suivante:

"les clauses principales du bail cédé sont ci-après littéralement rapportées.

En ce qui concerne la destination :

les locaux faisant l'objet du présent bail, devront exclusivement être destinés à l'exercice de tous commerces, à l'exception de ceux bruyants ou malodorants, ainsi que ceux existant déjà au sein de l'immeuble donné à bail par Groupama. Dans l'ensemble, les lieux loués forment une location indivisible, à titre commercial pour le tout... "

Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer soulèvent tout d'abord la nullité de cette clause au visa des articles L. 410-1, L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce. Toutefois, les dispositions visées ne concernent pas la clause litigieuse. En l'espèce, il s'agit d'une simple clause contenue à un bail qui n'est que la conséquence faite au bailleur d'assurer à ses deux locataires l'exercice normal de leur activité commerciale, dans la mesure où il y a deux locataires dans le même immeuble.

En fait, il convient d'interpréter la clause de façon stricte et de lui donner un sens spécifique. Cette clause doit s'analyser au moment où le deuxième locataire s'installe dans l'immeuble. Il existe un droit de priorité sur l'activité exercée. Elle a pour but d'interdire au deuxième locataire d'exercer en même temps que le premier locataire déjà installé dans l'immeuble, la même activité que celui-ci.

En l'espèce, la SARL Compagnie écossaise Saint-André est installée dans l'immeuble depuis 2000. Au moment de la cession de bail en avril 2008 au profit de Monsieur Stéphane Métayer, la SARL Compagnie écossaise Saint-André exerce une activité de salon de thé, petite restauration à consommer sur place, vente de produits alimentaires. Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer ne peuvent dès lors au vu de l'activité exercée par l'autre locataire la SARL Compagnie écossaise Saint-André une activité similaire à cette dernière.

- Sur l'activité exercée par Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer et les conséquences

Dans l'acte de cession du droit au bail du 17 avril 2008, le cessionnaire Monsieur Stéphane Métayer a précisé qu'il entendait exercer une activité d'artisan glacier exclusivement. La SARL Compagnie écossaise Saint-André lui conteste en premier lieu cette qualité en prétendant que la SARL Métayer lui fait concurrence en vendant des glaces qui ne sont pas produites de façon artisanale. Toutefois, les documents versés par Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer permettent d'établir que la société achète des matières premières en grande quantité et qu'elle réalise et vend des glaces issues de sa création. Dès lors, il y a lieu de considérer que l'activité d'artisan glacier n'est pas directement concurrente de l'activité exercée par la SARL Compagnie écossaise Saint-André et que la SARL Métayer peut en conséquence continuer à exercer cette activité.

En revanche, il ressort des éléments produits par la SARL Compagnie écossaise Saint-André, que l'activité de la SARL Métayer n'est pas limitée à la production et à la vente des glaces produites. La SARL Métayer exerce également une activité de salon de thé puisque les photographies et autres pièces dont la nouvelle carte des consommations, démontrent que l'activité n'est non seulement pas limitée à l'activité d'artisan glacier mais également la vente de pâtisseries, gaufres, petit déjeuner, café et autres boissons le tout dans un "salon de dégustation". Il ne s'agit pas d'une activité marginale surtout pendant la période d'hiver comme cela ressort des éléments comptables. Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer ne respectent pas sur ce point la clause de non-concurrence insérée dans l'acte de cession de droit au bail.

Il convient, en conséquence de réformer le jugement entrepris et d'interdire à Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer d'exercer toute activité directement concurrente à celle exercée par la SARL Compagnie écossaise Saint-André à savoir toute l'activité relevant du salon de thé, vente de boissons et de pâtisseries diverses, le tout sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, la seule activité restant autorisée étant celle d'artisan glacier.

- Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la SARL Compagnie écossaise Saint-André

La SARL Compagnie écossaise Saint-André soutient que l'activité concurrentielle de Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer lui a causé un préjudice important. Elle demande à ce titre la somme de 20 000 euro de dommages et intérêts. Toutefois, la SARL Compagnie écossaise Saint-André ne verse aucun élément comptable pour venir appuyer sa demande. Compte tenu des ventes réalisées par la SARL Métayer au cours de mois d'octobre, novembre et décembre 2008, il apparaît que le préjudice de la SARL Compagnie écossaise Saint-André est limité. Il convient de condamner Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer à payer à la SARL Compagnie écossaise Saint-André la somme de 2 000 euro en réparation de ce préjudice.

- Sur les demandes reconventionnelles

Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer qui succombent doivent être déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour abus de procédure et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Il convient de condamner solidairement Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer à payer à la SARL Compagnie écossaise Saint-André la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Réforme le jugement entrepris, Dit que l'action de la SARL Compagnie écossaise Saint-André à l'encontre de Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer est recevable, Dit que Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer ne peuvent exercer que la seule activité d'artisan glacier, Fait interdiction à Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer d'exercer toute activité concurrentielle et notamment l'activité de salon de thé c'est-à-dire la vente de boissons, chaudes ou froides, la vente de pâtisseries, gaufres, petits déjeuners et ce sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, Condamne solidairement Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer à payer à la SARL Compagnie écossaise Saint-André la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, Déboute Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer de toutes leurs demandes, Condamne solidairement Monsieur Stéphane Métayer et la SARL Métayer à payer à la SARL Compagnie écossaise Saint-André la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Les condamne solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel, autorise la distraction au profit de la SCP de Ginestet-Duale-Ligney, avoués, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.