CA Grenoble, ch. com., 24 septembre 2009, n° 08-04426
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Centre technique d'hygiène (SAS)
Défendeur :
Philip (Consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Muller
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Cuny
Avoués :
Selarl Dauphin-Mihajlovic, SCP Grimaud
Avocats :
Mes Charpin, Cotrian
Agent commercial de la société Centre Technique d'Hygiène (CTH) selon contrat à durée indéterminée du 27 novembre 2002 à effet du 2 janvier 2003, Monsieur Alain Philip est décédé par suicide le 1er mars 2007.
Sa veuve et ses deux enfants ont réclamé en vain le paiement de l'indemnité compensatrice de fin de contrat prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Ils ont fait assigner la société CTH en paiement de la somme principale de 90 000 euro devant le Tribunal de commerce de Romans, qui par jugement du 24 septembre 2008 a fait droit à leur demande à concurrence de la somme de 80 000 euro outre indemnité de procédure de 1 500 euro.
La société CTH a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 21 octobre 2008.
Par ordonnance du 1er avril 2009, le Président chargé de la mise en état a refusé d'assortir la décision déférée de l'exécution provisoire, mais a fixé l'affaire par priorité à l'audience du 11 juin 2009.
La société CTH a fait délivrer le 4 mai 2009 assignation à jour fixe aux consorts Philip.
Vu les conclusion signifiées et déposées le 23 février 2009 par la SAS CTH qui s'oppose, par voie de réformation, à l'ensemble des demandes formées par les ayants-droit de M. Alain Philip, qui subsidiairement demande à la cour de réduire l'indemnité octroyée à ces derniers et qui en tout état de cause prétend obtenir une indemnité de 1 500 euro pour frais irrépétibles aux motifs que le suicide de M. A. Philip, qui doit être assimilé à l'hypothèse de la cessation du contrat à l'initiative de l'agent prévue à l'article L. 134-13-2e du Code de commerce, prive les ayants-droit de tout droit à indemnité compensatrice, que l'indemnisation prévue par la loi n'est due, en effet, que lorsque la rupture est subie par l'agent commercial, ce qui n'est pas le cas d'un suicide, qui n'est pas indépendant de la volonté de son auteur, et qui constitue un acte volontaire accompli avec la conscience de ses conséquences dommageables, qu'en toute hypothèse, en violation du principe d'indemnisation retenu par la directive CEE du 18 décembre 1986 il a été alloué aux ayants-droit une indemnité excédant les pertes subies comme étant calculée sur la base des commissions perçues.
Vu les dernière conclusions signifiées et déposées le 19 mai 2009 par les consorts Françoise, Adrien et Charlotte Philip qui sollicitent la confirmation du jugement sur le principe de l'indemnisation et, par voie d'appel incident, la condamnation de l'appelante à leur payer la somme de 90 000 euro, avec intérêts à compter de l'assignation, outre 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, aux motifs que l'article L. 134-12 du Code de commerce ouvre droit à indemnité pour les héritiers quelle que soit la cause du décès de l'agent, qu'aucune analogie ne peut être faite avec les dispositions de l'article L. 134-13 alinéa 2, le contrat ayant pris fin du fait du décès et non pas du suicide, que selon la jurisprudence dominante l'indemnité de rupture est égale à deux années de commissions, qu'en 2006 M. Philip a perçu 45 054 euro de la société CTH, ce qui justifie le paiement d'une indemnité de 90 000 euro.
Motifs de l'arrêt
Aux termes de l'article L. 134-12 alinéa 3 du Code de commerce les ayants-droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
Sauf à ajouter à la loi, qui ne distingue pas entre les causes possibles du décès, entendu comme l'événement objectif à l'origine de la rupture du contrat, le suicide de l'agent ne peut exclure le droit à indemnisation des ayants-droit.
Le décès par suicide ne peut en outre être assimilé à la cessation du contrat à l'initiative de l'agent au sens de l'article L. 134-13 2e du Code de commerce, qui vise la seule hypothèse où le mandataire a manifesté son intention de mettre fin à la relation contractuelle sans y être contraint par des circonstances imputables au mandant ou dues à son âge ou à son état de santé.
S'il ne peut être contesté que M. Alain Philip s'est volontairement donné la mort, cet acte ne traduit, en effet, nullement sa volonté de rompre le contrat d'agent commercial qui le liait à la société CTH, en sorte que la rupture, qui n'est que la conséquence du décès, ne peut être considérée comme ayant été voulue.
Au demeurant exerçant leur droit propre à réparation, et non pas celui de l'agent décédé, les consorts Philip ont incontestablement subi eux-mêmes la cessation du contrat indépendamment de la cause du décès.
Le jugement, qui a consacré le droit à indemnisation des ayants-droit de M. Alain Philip, mérite par conséquent confirmation,
En réclamant une indemnité calculée sur la base de deux années de commissions, les consorts Philip ne méconnaissent pas le principe de réparation posé par l'article 17 de la directive CEE du 18 décembre 1986.
Selon le paragraphe 3 de ce texte la cessation des relations avec le commettant ouvre droit à la réparation du préjudice, qui découle de la perte des commissions dont l'agent aurait bénéficié du fait de l'exécution normale du contrat et du défaut d'amortissement des frais et dépenses engagés sur la recommandation du mandant.
La règle d'indemnisation habituellement retenue pour l'application de l'article L. 134-12 du Code de commerce (deux années de commissions sur la base de la moyenne de la rémunération des trois dernières années) n'excède donc pas les pertes subies par l'agent ou par ses ayants-droit au sens de la directive susvisée.
Il n'est pas justifié toutefois de la rémunération perçue par l'agent au cours de ses trois dernières années d'activité, en sorte qu'il n'est pas possible d'affirmer que les 45 054,78 euro de commissions payées au titre de l'année 2006 constitueraient la rémunération annuelle moyenne de M. Alain Philip.
Eu égard à la durée de la relation contractuelle, c'est par conséquent à bon droit que le tribunal a fixé à la somme de 80 000 euro le montant de l'indemnité de rupture, qui trouve sa contrepartie dans le droit pour la société CTH d'exploiter désormais directement la clientèle développée par son ancien agent.
Comme les premiers juges, la cour estime enfin que la société CTH n'a pas résisté de mauvaise foi à la demande en présence d'une contestation qui méritait l'arbitrage d'une juridiction.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Donne acte à Mlle Charlotte Philip, aujourd'hui majeure, de son intervention volontaire, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant : Dit que la somme de 80 000 euro est allouée aux consorts Philip selon la part et portion de chacun dans la succession de M. Alain Philip, Dit que la condamnation portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, Condamne la SAS CTH à payer aux consorts Philip une nouvelle indemnité de procédure de 1 500 euro. Condamne la SAS CTH aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Grimaud, avoués à la cour.