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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 24 septembre 2009, n° 09-00996

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

J3C Pewag France (SAS), Pewag Schneeketten GmbH & Co KG (Sté)

Défendeur :

FMB COM (SARL), Lesueur, Clanet (ès qualité), River Valley (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Muller

Conseillers :

Mme Cuny, M. Bernaud

Avoués :

Selarl Dauphin-Mihajlovic, SCP Calas

Avocats :

SCP Saul-Guibert-Prandini, Mes Bastid, Bensoussan

T. com. Grenoble, du 12 janv. 2009

12 janvier 2009

La société de droit autrichien Pewag Schneeketten GmbH (Pewag), qui fabrique et commercialise des chaînes de déneigement tout terrain, ainsi que sa filiale, la SAS J3C Pewag France (J3C) qui en assure la distribution exclusive en France, se plaignent de la vente par divers négociants de chaînes de déneigement, fabriquées par la société turque Atli, en tous points identiques, mais à des prix très inférieurs.

La société J3C a obtenu le 6 mars 2007 la désignation de l'expert M. Rambert, chargé d'une étude comparative des chaînes Atli et Pewag, au contradictoire des sociétés FMB COM SARL et River Valley SARL et de Monsieur Patrick Lesueur.

L'expert a déposé son rapport le 10 décembre 2007.

Par acte d'huissier des 18 et 19 mars 2008 la société J3C a fait assigner la société FMB COM, Monsieur Patrick Lesueur et Maître Clanet, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société River Valley, à l'effet d'obtenir, sur le fondement de la concurrence déloyale, l'interdiction sous astreinte de la vente et de la diffusion des chaînes Atli, l'autorisation de procéder à toutes saisies conservatoires nécessaires et la condamnation in solidum des défendeurs à lui payer par provision la somme de 30 000 euro dans l'attente de l'évaluation définitive de son préjudice par expertise comptable.

La société de droit autrichien Pewag GmbH est intervenue volontairement à la procédure et s'est associée aux demandes de son distributeur.

La société FMB COM et Monsieur Lesueur ont formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour dénigrement.

Maître Clanet, ès qualités, n'a pas comparu.

Par jugement du 12 janvier 2009 le Tribunal de commerce de Grenoble a rejeté l'ensemble des demandes principales et reconventionnelles et a condamné la société J3C à payer à chacun des défendeurs comparants une indemnité de procédure de 1 500 euro.

Les sociétés J3C et Pewag ont relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 2 mars 2009.

Dûment autorisées le 12 mars 2009, elles ont fait assigner à jour fixe les sociétés FMB COM, Monsieur Patrick Lesueur et Maître Clanet, ès qualités, par actes des 6, 7 et 14 avril 2009.

Bien qu'assigné à sa personne, Maître Clanet, ès qualités, n'a pas constitué avoué.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 3 avril 2009 par les sociétés J3C et Pewag qui demandent à la cour, par voie de réformation, d'interdire aux intimés de vendre et de diffuser les chaînes de fabrication Atli (MCXP, MC XI, Everest, Montblanc, Master XT ou Master Grip) sous astreinte de 4 000 euro par infraction constatée, de les autoriser à procéder à toutes saisies-conservatoires, de condamner in solidum la société FMB COM et Monsieur Patrick Lesueur à payer à la société J3C par provision la somme de 30 000 euro à valoir sur l'indemnisation du préjudice, d'ordonner l'inscription de cette somme au passif de la société River Valley, d'ordonner une expertise comptable aux fins d'évaluation définitive du préjudice et de condamner en tout état de cause les intimés au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euro aux motifs que bénéficiant d'une antériorité de conception et de commercialisation elles sont victimes d'actes de concurrence déloyale caractérisés par la diffusion de copies serviles de leurs produits à des prix très inférieurs de nature à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle, que les nombreuses similitudes relevées par l'expert judiciaire ne sont pas la conséquence d'une nécessité fonctionnelle, que c'est l'économie des frais de recherche et développement qui a permis la vente des copies à des prix inférieurs de 35 à 40 %, que la perte financière a été estimée à la somme de 250 000 euro par l'expert comptable de la société J3C au titre des exercices 2005 à 2007.

Vu les conclusions signifiées et déposées le 22 mai 2009 par la SARL FMB COM et par Monsieur Patrick Lesueur qui sollicitent la confirmation du jugement au principal et qui, par voie d'appel incident, demandent, outre la condamnation de la société J3C à leur payer à chacun les sommes de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et de 4 000 euro pour frais irrépétibles, qu'il soit fait injonction à la société J3C d'adresser un démenti de ses affirmations à l'ensemble des destinataires de ses lettres-circulaires de dénigrement sous astreinte de 4 000 euro par jour de retard passé le délai de 48 heures à compter de la signification de l'arrêt à intervenir aux motifs que la concurrence déloyale alléguée n'est nullement caractérisée alors que les chaînes de déneigement doivent respecter des exigences techniques standard, ce que l'expert judiciaire a constaté pour les dimensions et les formes, qu'il n'existe aucun risque de confusion en l'absence de toute manœuvre ou de tout procédé destiné à l'entretenir, que les prix pratiqués relèvent de la libre concurrence en l'absence d'économies injustifiées et enfin que les sociétés appelantes ne disposent d'aucun droit privatif ni ne justifient d'une possession antérieure du produit, que la sociétés J3C s'est elle-même approvisionnée durant plusieurs années auprès de la société Atli, a laquelle elle a communiqué des plans et des indications techniques, que la société J3C n'est pas le distributeur exclusif en France de la société Pewag, ce qui lui interdit de se prétendre victime d'actes de concurrence déloyale, qu'en toute hypothèse le préjudice allégué n'est en rien justifié alors notamment que la baisse du chiffre d'affaires global de la société J3C en 2007 n'est pas due à la perte de marchés afférents aux chaînes tout terrain, qu'en adressant à leurs prospects et à leurs clients deux lettres-circulaires de dénigrement, faisant état d'une action en justice en cours, la société J3C a elle-même commis des actes de concurrence déloyale dont elle doit réparation.

Motifs de l'arrêt

Sur les demandes principales

L'expert judiciaire Maurice Rambert a procédé à l'étude comparative de deux modèles concurrents de chaînes de déneigement tout terrain, provenant des fabrications Pewag et Atli, référencés 13 R 22,5 1/2 filet et 20,5 R 25 filet selon leurs dimensions.

S'agissant des chaînes de type 13 R 22,5 1/2 filet, dénommées "Uniradial" pour le produit Pewag et "Mont Blanc" pour le produit Atli, il a relevé l'existence de nombreuses similitudes relativement :

- aux manilles de jonction,

- à l'absence de protection de surface,

- à la longueur des chaînes,

- au plan du filet,

- à la présence de maillons de section carrée au centre de la chaîne,

- à la position des barrettes d'usure,

- au principe de tension de la chaîne.

De la même façon il a constaté que les produits concurrents de type 20,5 R 25 filet présentaient les caractéristiques identiques suivantes :

- manilles de jonction,

- boucles de maintien latéral,

- anneaux de liaison,

- technique de soudure des anneaux et des boucles,

- maillons de section carrée au centre de la chaîne,

- position des barrettes d'usure,

- longueur,

- plan du filet,

- principe de tension de la chaîne.

L'expert a en outre estimé que les longueurs, les soudures et les manilles de jonction étaient identiques par nécessité fonctionnelle et que la structure d'ensemble des chaînes était semblable.

En conclusion il a considéré d'une part que l'aspect visuel global des deux séries de produits et leur structure conceptive ne permettaient pas à un client non averti de les différencier, et d'autre part qu'il existait sur le marché national d'autres chaînes provenant de divers fabricants, qui présentaient une grande similitude de conception.

Il résulte de ces constatations techniques circonstanciées, qui doivent prévaloir sur l'étude comparative sommaire réalisée non contradictoirement part l'expert Quercia à la demande de la société J3C, que si les points de ressemblance sont nombreux, certains, et non des moindres, relèvent d'une nécessité technique fonctionnelle. Il en est ainsi des longueurs dépendant de la dimension des pneumatiques, mais également des soudures et des manilles de jonction jouant un rôle prépondérant dans la résistance des chaînes.

Le détail de l'étude comparative figurant en annexe du rapport d'expertise judiciaire révèle en outre que les pièces amovibles présentent des différences, qualifiées de sensibles par l'expert, en sorte qu'il n'est pas possible d'affirmer que le produit de fabrication Atli est la copie servile du produit Pewag.

Quant au plan du filet, qui conditionne largement l'aspect général du produit, force est de constater qu'il est également reproduit par d'autres fabricants, dont notamment la société Koenig, ainsi qu'il résulte des fiches de présentation annexées au rapport d'expertise, dont il ressort que le maillage des chaînes Pewag est largement utilisé par la concurrence.

C'est la conclusion à laquelle l'expert est d'ailleurs lui-même parvenu, puisqu'il a relevé que d'autres marques, présentes sur le marché, relevaient d'une grande similitude de conception.

Fabriquant et commercialisant des chaînes de déneigement présentant pour l'essentiel des caractéristiques standard, dont il n'est pas établi, ni même allégué, qu'elles posséderaient des spécificités techniques particulières leur conférant un avantage concurrentiel, les sociétés appelantes ne peuvent prétendre être victimes d'actes de concurrence déloyale.

L'imitation, fût-elle servile, de produits non protégés, comme en l'espèce, par un droit privatif, n'est pas, en effet, en soi fautive si elle ne s'accompagne pas d'agissements, manœuvres ou procédés destinés à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle.

Or il n'est pas établi, ni même soutenu, qu'à l'occasion de la commercialisation des chaînes tout terrain de fabrication Atli les intimés utilisent un conditionnement similaire, reproduisent un signe distinctif de la gamme Pewag, emploient un matériel publicitaire et une nomenclature empruntés au concurrent ou exploitent la notoriété de la marque Pewag.

Il sera observé sur ce point que le seul fait de pratiquer des prix inférieurs ne constitue pas une preuve suffisante d'un comportement parasitaire. Il n'est pas démontré, en effet, que les intimés ont effectivement profité des investissements et du savoir-faire de la société Pewag, tandis que l'avantage tarifaire incriminé peut résulter de nombreux facteurs, tels que les coûts de fabrication, la structure du réseau de distribution ou les marges pratiquées. La cour estime au demeurant que les sociétés appelantes n'apportent aucune preuve effective de l'antériorité de conception et de diffusion dont elles se prévalent, alors que la société Atli est présente sur le marché de la chaîne de déneigement depuis l'année 1951 et que les modèles de chaînes litigieux "Uniradial et Erzberg" ne figurent pas dans les catalogues Pewag des années 1972 et 1990, censés faire la preuve de l'antériorité revendiquée.

Le jugement, qui en l'absence de faits de concurrence déloyale a débouté les sociétés J3C et Pewag de l'ensemble de leurs demandes, sera par conséquent confirmé.

Sur la demande reconventionnelle

Par deux lettres circulaires des 6 décembre 2006 et 5 septembre 2007, qualifiées "d'avertissement", adressées à la clientèle des intimés, la société J3C a fait état de la saisine du juge des référés, puis de celle du Tribunal de commerce de Grenoble, pour des faits "de concurrence déloyale par parasitisme et reproduction servile", en insistant sur le caractère illicite des produits commercialisés par les sociétés FMB COM et River Valley et par Monsieur Lesueur sous les dénominations "fantaisistes Mont Blanc et Everest".

La dénonciation à la clientèle d'une action judiciaire en cours, n'ayant pas donné lieu à une décision de justice définitive, constitue un acte de dénigrement contraire aux usages loyaux du commerce.

La mise en garde pour le moins imprudente diffusée à deux reprises par la société J3C engage par conséquent la responsabilité délictuelle de cette dernière.

Le trouble commercial nécessairement subi par la société FMB COM et par Monsieur Lesueur, qui ne justifient pas toutefois d'une perte effective de marchés, sera réparé par l'attribution à chacun d'eux d'une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Il sera par ailleurs enjoint à la société J3C de cesser tout acte de dénigrement.

En l'absence de désignation des destinataires des lettres-circulaires incriminées, il n'apparaît pas toutefois nécessaire d'ordonner sous astreinte la diffusion d'un démenti, que les intimés feront plus efficacement parvenir à leur clientèle par tout moyen à leur convenance.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés J3C et Pewag GmbH de l'ensemble de leurs demandes, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau - ordonne à la SAS J3C de cesser tout acte de dénigrement au préjudice de la société FMB COM et de Monsieur Patrick Lesueur dès la signification du présent arrêt, - condamne la SAS J3C à payer à la SARL FMB COM et à Monsieur Patrick Lesueur la somme de 5 000 euro chacun à titre de dommages-intérêts, dit n'y avoir lieu de surcroît à diffusion sous astreinte par la société J3C d'un démenti, Y ajoutant - condamne la SAS J3C à payer à la SARL FMB COM et à Monsieur Patrick Lesueur une nouvelle indemnité de 2 000 euro chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la condamnation prononcée de ce chef en première instance étant confirmée, Condamne la société J3C aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Calas.