CA Rennes, 2e ch. com., 13 octobre 2009, n° 08-08586
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Buro et Développement (Sté)
Défendeur :
AG Buro (SAS), Le Bris, Philippe, Denis, Blanquart de la Barrière (Consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mme Cocchiello, M. Christien
Avoués :
SCP Bazille, SCP d'Aboville, de Montcuit Saint-Hilaire, Le Callonnec
Avocats :
Selarl Gourves & Associés, Mes Valton
Exposé du litige
Par acte du 20 janvier 2006, la société IPS Champerret, négociante en papeterie et articles de bureau adhérant à la centrale d'achat Buro+ et exerçant sous l'enseigne commerciale éponyme, a acquis le fonds de commerce de la société Alpha Bureau qui adhérait à la centrale d'achat et exerçait sous l'enseigne Plein Ciel.
Le 3 mars 2006, Messieurs Edouard et Arnaud Blanquart de la Barrière créaient la société AG Buro, laquelle adhérait au groupement Plein Ciel et embauchait Sylvain Denis, Gilles Le Bris et Maryvonne Philippe, ex-salariés de la société Alpha Bureau ayant démissionné postérieurement la reprise de leur contrats de travail par la société IPS Champerret.
Prétendant être victime d'actes de concurrence déloyale par détournement de sa clientèle grâce au débauchage de ses salariés, la société Buro+ Développement anciennement dénommée IPS Champerret a, par acte du 7 novembre 2006, fait assigner la société AG Buro ainsi que Messieurs Edouard et Arnaud Blanquart de la Barrière, Denis, Le Bris et Madame Philippe devant le Tribunal de grande instance de Lorient, lequel statuait, par jugement du 5 novembre 2008, en ces termes :
Déboute la société Buro+ Développement de ses demandes;
Déboute les défendeurs de leur demande reconventionnelle;
Condamne la société Buro+ Développement à verser aux défendeurs une somme unique de 1 500 euro;
Condamne la société Buro+ Développement aux entiers dépens.
La société Buro+ développement a relevé appel de cette décision en demandant à la cour de:
"Condamner solidairement AG Buro, Monsieur Gilles Le Bris, Monsieur Sylvain Denis, Madame Maryvonne Philippe, Monsieur Edouard Blanquart de la Barrière, Monsieur Arnaud Blanquart de la Barrière, à titre de réparation du préjudice subi en raison préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, à payer à la société Buro+ Développement, la somme de 204 924,57 euro;
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté AG Buro, Monsieur Gilles Le Bris, Monsieur Sylvain Denis, Madame Maryvonne Philippe, Monsieur Edouard Blanquart de la Barrière, Monsieur Arnaud Blanquart de la Barrière de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclus ions ;
À titre subsidiaire, désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission de :
se faire remettre tous documents comptables et sociaux de la société AG Buro de nature qu'il estimera utile à sa mission,
de rechercher dans le fichier de la société AG Buro les clients perdus par la société Buro+ Développement et le montant du chiffre d'affaires réalisé avec ces clients,
de dresser la liste du personnel ayant été embauché depuis sa constitution par la société AG Buro,
de déterminer le chiffre d'affaires réalisé par AG-Buro depuis sa création avec ventilation par clients,
de déterminer les conditions d'obtention de l'agrément donné par Spicers France à AG-Buro en qualité de distributeur Plein Ciel,
plus largement, de donner à la cour tous éléments susceptibles de lui permettre d'apprécier l'importance des agissements illicites de la société AG Buro,
d'évaluer le préjudice subi par la société Buro+ Développement ;
Condamner solidairement AG Buro, Monsieur Gilles Le Bris, Monsieur Sylvain Denis, Madame Maryvonne Philippe, Monsieur Edouard Blanquart de la Barrière, Monsieur Arnaud Blanquart de la Barrière, à payer la société Buro+ Développement, la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile".
La société AG Buro ainsi que Messieurs Gilles Le Bris, Sylvain Denis, Edouard Blanquart de la Barrière, Arnaud Blanquart de la Barrière et Madame Maryvonne Philippe concluent quant à eux à la confirmation de la décision attaquée, sauf en ce qu'elle les a déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Ils réclament à cet égard la condamnation de la société Buro+ Développement au paiement d'une somme de 15 000 euro, outre une indemnité complémentaire de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Buro+ Développement le 21 juillet 2009, et pour la société AG Buro, Messieurs Gilles Le Bris, Sylvain Denis, Edouard Blanquart de la Barrière, Arnaud Blanquart de la Barrière et Madame Maryvonne Philippe le 30 juin 2009.
Exposé des motifs
Il est constant que les trois anciens salariés de la société Buro+ Développement ont été recrutés par la société AG Buro alors qu'ils étaient libres de tout engagement, ayant exécuté leur période de préavis avant la cessation de leur contrat de travail qui ne comportait pas de clause de non-concurrence.
Il en résulte que ces salariés pouvaient en principe librement se placer au service d'une société concurrente, laquelle ne serait fautive que s'il était établi que ces départs procédaient de manœuvres de sa part destinées à désorganiser l'activité de l'ancien employeur ou à capter sa clientèle ou son savoir-faire.
La société Buro+ Développement fait à cet égard valoir qu'un faisceau d'indices, ressortant de la concomitance des démissions concernant la totalité des salariés qui opéraient dans le service commercial de l'ex-société Alpha Bureau ainsi que du déplacement de 221 des 482 clients que ceux-ci suivaient, démontrerait que la société AG Buro a débauché Messieurs Le Bris, Denis et Madame Philippe dans le but de désorganiser son service commercial et de capter sa clientèle.
Cependant, le départ quasi-concomitant de ces trois salariés ne résulte pas de manœuvres de débauchage de la société AG Buro, mais du climat social dégradé régnant à l'époque des démissions au sein de la société Buro+ Développement.
Il sera en effet rappelé que ces trois démissions sont intervenues dans le contexte de la reprise du fonds de commerce de l'entreprise par une société exerçant son activité dans un réseau concurrent et que le cessionnaire a maintenu l'ancienne direction avec laquelle le personnel entretenait des relations tendues, voire conflictuelles, ainsi que cela résulte des attestations produites.
La circonstance que la société Buro+ Développement avait prévu de remplacer ce cadre dirigeant dans le délai de 6 mois n'est pas nature à réfuter l'existence, au moment des démissions, d'un climat social dégradé, lequel suffit à expliquer ces départs de l'entreprise.
La société Buro+ Développement prétend en outre sans en apporter la preuve convaincante que la procédure de recrutement de Messieurs Le Bris, Denis et de Madame Philippe était purement artificielle, ces salariés n'ayant en réalité quitté leur emploi qu'avec une promesse d'embauche immédiate de la part la société AG Buro qui serait ainsi à l'origine de leur départ.
Il résulte en effet des pièces produites que la société en cours de formation AG Buro s'est, afin de recruter son personnel, adressée à l'Agence nationale pour l'emploi, laquelle a accusé réception de ces offres d'emploi le 27 février 2006, et que, nonobstant les allégations contraires de l'appelante, la cour n'aperçoit dans les éléments de la cause, aucune incohérence à ce que Messieurs Le Bris, Denis et Madame Philippe, démissionnaires les 27 février et 3 mars 2006, aient, connaissance prise de cette annonce, proposé spontanément leur collaboration à la société AG Buro directement et même, s'agissant de Monsieur Denis, par l'intermédiaire de l'Agence nationale pour l'emploi, étant précisé que ces trois salariés ont accepté de s'engager avec une rémunération moindre que celle dont ils bénéficiaient chez leur précédent employeur.
De même, l'adhésion de la société AG Buro au groupement d'achat Plein Ciel suffit à expliquer le déplacement à son profit de la clientèle précédemment attachée à la société Alpha Bureau.
En effet, si, comme l'a fait observer en cause d'appel la société Buro+ Développement, le chiffre d'affaires réalisé par la société Alpha Bureau sur les produits Plein Ciel était marginal, il demeure que, selon ses propres écritures, la société Alpha Bureau "exerçait notamment sous l'enseigne Plein Ciel, concurrent direct de Buro+ ".
Les intimés font donc valoir avec pertinence que, quel que soit le chiffre d'affaires précédemment réalisé par la société Alpha Bureau sur les produits Plein Ciel, la cession de son fonds de commerce par une société appartenant au réseau concurrent n'a pu que conduire le groupement Plein Ciel à rechercher un nouveau partenaire local, lequel a su tirer profit de la notoriété de cette enseigne.
L'appelante n'apporte au demeurant aucune preuve convaincante que ce déplacement de clientèle ait été obtenu par des moyens déloyaux, étant précisé que le fait pour un salarié recruté par un nouvel employeur de continuer à prospecter la clientèle de son ex-employeur est en principe un acte de concurrence licite, dès lors qu'il ne s'accompagne pas de comportements déloyaux.
À cet égard, après avoir vainement fait rechercher par un huissier dans les locaux de la société AG Buro la preuve d'un prétendu détournement de fichier clients, l'appelante ne peut pallier sa propre carence dans l'administration de la preuve en sollicitant une mesure d'expertise judiciaire à cet effet.
Au demeurant, la société AG Buro a démontré qu'elle a, dès le démarrage de son activité, démarché sa clientèle potentielle, non au moyen de fichiers prétendument détournés, mais par un courrier circulaire adressé à l'ensemble des entreprises de 10 salariés et plus du Morbihan dont elle s'est licitement procuré la liste auprès de la Chambre de commerce et d'industrie.
D'autre part, les attestations produites par l'appelante témoignent certes de ce que plusieurs clients de la société Alpha Bureau ont préféré, postérieurement à la cession, nouer des relations d'affaires avec la société AG Buro dans le cadre du libre jeu de la concurrence, mais, nonobstant les insinuations contraires de la société Buro+ Développement, aucune de ces attestations ne permet de caractériser des faits de dénigrement imputables à l'un ou l'autre des intimés.
Les premiers juges ont donc exactement rejeté l'action en concurrence déloyale de la société Buro+ Développement.
Ils ont de même à juste titre rejeté la demande reconventionnelle formée par les défendeurs en dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il n'est en effet pas suffisamment démontré que le droit de la société Buro+ Développement d'agir en justice et d'interjeter appel ait dégénéré en abus, celle-ci ayant pu se méprendre sur la nature et la portée de ses droits.
En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés l'intégralité des frais exposés par eux à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il leur sera alloué une somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 5 novembre 2008 par le Tribunal de grande instance de Lorient en toutes ses dispositions, Condamne la société Buro+ Développement à payer à la société AG Buro ainsi que Messieurs Gilles Le Bris, Sylvain Denis, Edouard Blanquart de la Barrière, Arnaud Blanquart de la Barrière et Madame Maryvonne Philippe une somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civil; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société Buro+ Développement aux dépens d'appel; Accorde à la société civile professionnelle d'Aboville, de Montcuit Saint-Hilaire et Le Callonnec, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.