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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 avril 2009, n° 07-16702

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JM Weston (SAS)

Défendeur :

Capuce (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mmes Rosenthal, Chokron

Avoués :

SCP Lagourgue-Olivier, SCP Hardouin

Avocats :

Me Grynbaum, Jesslen

TGI Paris, du 5 sept. 2007

5 septembre 2007

Vu l'appel interjeté le 1er octobre 2007 par la société Weston, d'un jugement rendu le 5 septembre 2007 par le Tribunal de grande instance de Paris qui :

- a dit qu'elle ne justifiait pas être titulaire de droits d'auteur sur le modèle " Mohican " depuis 1946,

- a annulé le modèle déposé à l'INPI sous le n° 910560 le 20 janvier 1991, relatif au modèle de chaussures " mocassin ",

- a dit que le jugement devenu définitif sera transmis par le greffe préalablement requis par la partie la plus diligente à l'INPI pour inscription au registre ad hoc,

- l'a condamnée aux dépens ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 16 janvier 2009, par lesquelles la société JM Weston, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande utilement à la cour, au terme d'une énumération de donner acte, de constater et de dire et juger qui ne sauraient constituer des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile, de :

- dire et juger que les établissements Blanchard et Eugène Blanchard sont bien les créateurs du modèle Mocassin Mohican,

- dire et juger que la société JM Weston est titulaire des droits d'auteur sur ce modèle depuis la fin de la seconde guerre mondiale,

- dire et juger que ce modèle, déposé le 29 janvier 1991, présente une physionomie propre et nouvelle,

En conséquence,

- condamner la société Capuce du chef de la contrefaçon des droits d'auteur et de celui de la contrefaçon du modèle n° 910506, au paiement de la somme de 77 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts,

- dire et juger que la société Capuce, exerçant son activité sous l'enseigne Paraboot, s'est rendue coupable à son préjudice d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire,

- ordonner la désignation d'un expert-comptable chargé de réunir tous éléments permettant ultérieurement à la cour de statuer définitivement sur le préjudice subi des suites des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire,

- faire défense à la société Capuce exerçant sous l'enseigne Paraboot de commercialiser les articles saisis ou tout autre article reproduisant les caractéristiques du modèle précité et ce, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, l'infraction s'entendant de la mise dans le commerce d'un article contrefaisant le modèle Mocassin précité,

- ordonner la confiscation aux fins de destruction de tous les objets contrefaisants qui seront trouvés en possession de l'intimée au jour de la signification de l'arrêt à intervenir,

- autoriser la publication de l'arrêt in extenso ou par extraits dans 3 journaux de son choix aux frais de la société Capuce dans la limite d'un coût global de 20 000 euro,

- condamner cette dernière au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés s'agissant de ces derniers conformément à l'article 699 du Code précité ;

Vu les dernières écritures, signifiées le 5 janvier 2009, aux termes desquelles la société Capuce prie la cour de confirmer le jugement entrepris et y ajoutant, de condamner la société JM Weston à lui payer la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles et à supporter les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- la société JM Weston (SAS), revendique les droits de l'auteur ainsi que les droits de modèle sur un modèle de chaussures pour homme de type mocassin qui aurait été créé en 1946 et qui a fait l'objet, représenté par deux photographies y annexées répondant au numéro 0296880, d'un dépôt à l'Institut national de la propriété industrielle, enregistré en date du 29 janvier 1991 sous le n° 910560,

- elle expose avoir découvert en décembre 2005 l'offre en vente par la société Capuce, exerçant sous l'enseigne Paraboot, d'un modèle de chaussures dénommé " Manet ", qui constituerait selon elle, la reproduction servile de son modèle,

- c'est dans ces circonstances qu'après avoir fait procéder le 28 décembre 2005, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, à une saisie-contrefaçon dans les locaux du magasin Paraboot, [...], elle a introduit par assignation délivrée à la société Capuce le 10 janvier 2006, la présente instance en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitaire,

- par le jugement déféré, le Tribunal de grande instance de Paris l'a déboutée de ses demandes ;

Sur la titularité des droits d'auteur,

Considérant que pour justifier de sa qualité d'auteur, la société JM Weston expose que le modèle de chaussures opposé a été créé en 1946 au sein des établissements Blanchard (sic) par Eugène Blanchard qui, de retour d'un voyage aux Etats-Unis, conçut l'idée d'adapter à la ville la chaussure sans lacets de type mocassin portée par les indiens, que ce modèle novateur a été successivement dénommé " Pantoufle ", puis " 1800 ", puis " 180 ", enfin " Mohican ", qu'il a été depuis sa création fabriqué et commercialisé sous la marque " Weston " par les établissements Blanchard, chausseurs à Limoges, aux droits desquels elle vient ;

Considérant qu'elle produit au soutien de ses allégations :

- une attestation en date du 25 septembre 2008 de Georges Penaud qui déclare avoir été embauché en 1957 à l'atelier de brochure de la manufacture de chaussures Weston, peu après le décès de Eugène Blanchard qui dans l'immédiat après-guerre avait terminé la conception d'un modèle original et inédit dont la légèreté aux pieds l'avait incité à la baptiser Pantoufle, puis 1800, puis 180 et enfin Mohican....Ce modèle qui révolutionna la mode masculine en matière de chaussures allait devenir un produit mythique de la manufacture Weston,

- une coupure du magazine Adam de juin-juillet-août 1949 qui présente une photographie de chaussure pour homme sous laquelle figure la légende de Weston également, ce mocassin " pantoufle " en box. Semelle mince,

- un extrait de l'ouvrage Les Mythes Masculins paru en mai 1995 aux Editions la Sirène, qui relate qu'Eugène Blanchard a succédé en 1919 à son père Edouard aux commandes de la manufacture Chatenet, spécialisée dans la chaussure de luxe fabriquée mécaniquement, que celui-ci avait fondée en 1891, qu'il a ouvert en 1926 une boutique de chaussures [...] à l'enseigne JM Weston, qu'à sa mort en 1955, l'implantation de la marque Weston est une réussite ....la jeunesse révoltée des années 1970 se promène de plus en plus souvent avec des chaussures conçues dans les années 40 dont les fameux mocassins,

- un extrait d'un article du Figaro du 9 octobre 1984 qui rapporte que "Malgré leur nom à consonance anglaise les chaussures Weston sont 100 % françaises et fabriquées depuis un siècle à Limoges. Weston c'est le roi du mocassin, pas une surpiqûre changée depuis leur création en 1946",

- un extrait du magazine Challenges de janvier 2008 qui indique que les Richelieu (...) "Marchent dignement sur les brisées du fleuron emblématique de la maison, le Mocassin 180 dessiné par Eugène Blanchard en 1940...",

- une consultation en date du 18 janvier 2008 de Muriel Rousseau se présentant comme ethnologue spécialiste du costume et des accessoires qui soutient que Eugène Blanchard anticipe les évolutions vestimentaires qui iront vers un assouplissement des contraintes et conçoit à la veille de la seconde guerre mondiale son mocassin inspiré de la chaussure des indiens,

- la photographie de la forme originale en bois portant gravées les mentions 1946 et JMW,

- des fiches de fabrication portant sur le patronage 1800 non datées à l'exception d'une seule en date du 9 décembre 1958,

- des fiches clients portant la référence 1800, la plus ancienne en date du 9 novembre 1957,

- le livre de report du magasin à l'enseigne Weston [...] en date du 1er octobre 1954 qui indique la référence Mohican,

- un examen de datation par le radiocarbone de morceaux de cuir provenant d'un mocassin " Weston " qui conclut que les animaux dont proviennent les cuirs datés sont morts avant 1951 ;

Or considérant que les éléments de la procédure ci-dessus évoqués ne suffisent pas à rapporter la preuve de la prétendue création par Eugène Blanchard du modèle de chaussures litigieux force étant d'observer que Georges Penaud n'atteste d'aucun fait qu'il ait eu à constater par lui-même, que les fiches de fabrication et les fiches clients ne comportent aucune mention relative à l'identité de la personne, physique ou morale, qui les a émises, que le livre de report concerne le fonds de commerce sis [...] à l'enseigne JM Weston dont il apparaît à la procédure qu'il est exploité par la société Française de Chaussures Weston créée en 1932 et non par les établissements Blanchard au sein desquels aurait été créé le modèle en cause, qu'à cet égard, l'ouvrage édité aux Editions la Sirène fait état de la reprise par Eugène Blanchard en 1919 de la manufacture Chatenet et non des établissements Blanchard dénomination qui selon d'autres éléments versés aux débats n'apparaît qu'en 1956 après la mort d'Eugène Blanchard avec la constitution par ses héritiers de la société Etablissements Blanchard et Cie, que le même ouvrage est sans intérêt dans le présent litige quand il fait état du succès de la marque Weston, dont il apparaît qu'elle a été déposée en 1922 par Jean Viard pour désigner des chaussures, que le moule en bois, en forme de pied, n'évoque en rien tel modèle déterminé, que la datation au carbone 14 ne renseigne aucunement sur l'identité de l'auteur du modèle en cause, que dans ces circonstances, les articles de presse, à l'instar de la consultation de Muriel Rousseau, en admettant qu'ils se réfèrent précisément au modèle de chaussures revendiqué, ne sauraient être regardés que comme véhiculant une " légende " voire une " mémoire d'entreprise ", pas nécessairement étrangères à toute vérité, mais qu'aucun élément objectif, en l'état des productions, ne vient conforter en sorte que puisse être tenu pour un fait établi que ce modèle a été créé en 1946 par Eugène Blanchard ;

Qu'il s'ensuit, sans qu'il y ait lieu d'examiner la chaîne des droits, que n'est pas rapportée la preuve de la création par Eugène Blanchard du modèle de chaussures opposé au titre des droits de l'auteur et que n'est pas davantage établie la preuve de l'exploitation de ce modèle par la société Etablissements Blanchard et Cie aux droits de laquelle viendrait la société JM Weston ;

Que la société JM Weston se trouve dès lors, par confirmation du jugement déféré, irrecevable, faute de qualité à agir, en ses prétentions émises au fondement des droits de l'auteur ;

Sur les droits de modèles,

Considérant que la société JM Weston établit par contre être titulaire des droits conférés par le dépôt de modèles effectué en date du 29 janvier 1991 sous le n° d'enregistrement 910560 par la Société Française de Chaussures (SA) ayant son siège social [...] dès lors qu'il résulte des éléments versés aux débats que cette dernière société, immatriculée le 14 mars 1985 au registre du commerce et des sociétés de Limoges sous le n° B 332 037 662, a fait l'objet, en vertu d'une délibération en assemblée générale extraordinaire du 23 mars 2001, d'un changement de dénomination sociale par adoption de la dénomination JM Weston ;

Mais considérant que force est de constater, s'agissant de la validité des droits, que le modèle objet du dépôt, décrit par la société JM Weston comme associant :

* un plateau légèrement débordant,

* deux claques sur le devant assemblées avec une fine couture apparente,

* sur le coup de pied, un empiècement avec découpe en son centre cousu par une fine couture simple,

* un montage sur semelle cuir, est antériorisé, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, par le modèle présenté dans l'ouvrage de Jean-Jacques Ficat " L'art de bien se chausser " créé en 1936 par l'américain Georges Bass, par le modèle " penny loafer " en vogue dans les années 50 évoqué dans l'ouvrage de Pattison et Cawthorne " Un siècle de chaussures ", enfin par le modèle " Naja " commercialisé par la société Capuce depuis 1989 ainsi qu'il résulte de son catalogue avec tarifs conseillés au 1er février 1989 et de la facture portant sur la vente de 12 paires de ce modèle émise le 22 mars 1990 à l'adresse d'une société Gold Chaussures, lesquels présentent l'ensemble des caractéristiques précitées et offrent une physionomie d'ensemble identique ;

Qu'il s'ensuit que le modèle revendiqué, régi eu égard à la date du dépôt, par les dispositions de l'ancien article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, aux termes desquelles "Les dispositions du présent livre sont applicables à tout dessin nouveau, à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle", ne présente pas le caractère de nouveauté requis pour prétendre à une protection au titre des droits de modèles et encourt, par confirmation du jugement entrepris, la nullité ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire,

Considérant que la société JM Weston fait griefs à la société Capuce de vendre son modèle pour le prix de 305 euro TTC contre 380 euro TTC s'agissant de son propre modèle, de se situer dans son sillage en commercialisant des chaussures de luxe, de copier servilement le modèle notoire qu'elle commercialise de longue date, de faire l'économie des frais de création et de promotion qu'elle a dû exposer ;

Or considérant que la société appelante, qui se garde de reprocher à sa concurrente de vendre à perte, ne saurait lui reprocher, au regard du principe de la liberté du commerce, de pratiquer de meilleurs prix ;

Qu'elle ne justifie pas, ainsi qu'il résulte des développements qui précèdent d'une antériorité de son modèle de sorte qu'elle n'est pas fondée à faire grief à la société Capuce de l'avoir reproduit ;

Qu'elle n'établit pas enfin à la charge de la société Capuce, la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des produits concernés, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce ;

Considérant, s'agissant du grief de parasitisme, que la société appelante se borne à invoquer ses frais de création et de promotion sans les justifier au regard du modèle en cause, qu'elle n'établit nullement par ailleurs que la société intimée aurait indûment profité de ses investissements qu'ils soient d'ordre humain, technique ou publicitaire ;

Qu'il s'ensuit que la société JM Weston n'est pas fondée à reprocher à la société intimée d'avoir cherché, en imitant son modèle, à détourner sa clientèle en semant la confusion sur l'origine des produits ou à tirer profit, sans bourse déliée, du succès rencontré par son produit de sorte que la prétention émise au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme doit être rejetée ;

Que le jugement déféré mérite confirmation de ce chef ;

Sur les autres demandes,

Considérant qu'au regard du sens de l'arrêt la société appelante doit être déboutée du surplus de ses demandes ; que l'équité commande en revanche de faire droit à la demande formée par la société intimée au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en lui allouant une indemnité de 5 000 euro ;

Considérant que succombant à l'appel, la société JM Weston sera condamnée aux dépens dans les conditions énoncées au dispositif qui suit ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société JM Weston à verser à la société Capuce la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel et à supporter les dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés par les avoués de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.