ADLC, 22 décembre 2009, n° 09-D-40
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement des huiles usagées
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Hugues Julié, l'intervention de M. Jean-Marc Belorgey, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, MM. Yves Brissy, Noël Diricq, Jean-Bertrand Drummen, membres.
L'Autorité de la concurrence (section II),
Vu la lettre, enregistrée le 4 juin 2009 sous les numéros 09/0080 F et 09/0081 M, par laquelle la société Compagnie française Eco Huile (ci-après " Eco Huile ") et la Chambre syndicale du reraffinage ont saisi l'Autorité de la concurrence d'un dossier relatif à certaines pratiques mises en œuvre par la société Sevia (SRRHU) (ci-après " Sevia "), dénoncées comme étant anticoncurrentielles, dans le secteur du traitement des huiles usagées, et ont sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 09-DSA-161 du 9 septembre 2009, n° 09-DSA- 225 du 30 septembre 2009, n° 09-DSA-229 du 1er octobre 2009, n° 09-DSA-242 du 14 octobre 2009, n° 09-DSA-245 du 16 octobre 2009, n° 09-DSA-247 du 19 octobre 2009, n° 09-DSA-248 du 19 octobre 2009, n° 09-DSA-249 du 19 octobre 2009, n° 09-DSA-250 du 19 octobre 2009, n° 09-DSA-251 du 19 octobre 2009, n° 09-DSA-253 du 21 octobre 2009 et n° 09-DSA-286 du 18 novembre 2009 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la société Eco Huile, la Chambre syndicale du reraffinage et par la société Sevia ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les représentants de la société Eco Huile et de la Chambre syndicale du reraffinage et ceux de la société Sevia entendus lors de la séance du 2 décembre 2009 ; Adopte la décision suivante :
1. Eco Huile et la Chambre syndicale du reraffinage dénoncent en substance, dans leur saisine, l'insuffisance de l'approvisionnement en huiles usagés de la filière de la régénération par le collecteur Sevia. Elles dénoncent également les conditions qu'impose Sevia pour cet approvisionnement.
I. Constatations
A. LES SECTEURS CONCERNES : LE TRAITEMENT DES HUILES USAGÉES
1. ORIGINE DES HUILES USAGEES
2. Les huiles usagées sont des déchets dangereux issus de lubrifiants automobiles (huiles moteurs) et industriels (huiles industrielles).
3. Les lubrifiants sont fabriqués à partir d'huiles de base minérales (soit raffinées ou régénérées en France, soit introduites ou importées de l'étranger), auxquelles s'ajoutent les additifs de lubrification (améliorants de l'indice de viscosité et composants de performance), ainsi que certains autres constituants (huiles de synthèse, produits chimiques ou minéraux, corps gras et ingrédients divers).
4. Les lubrifiants moteurs, ainsi que certains lubrifiants industriels, subissent pendant leur utilisation des contraintes thermiques fortes. Ces huiles, d'origine minérale ou synthétique, fortement dégradées et souillées (suies, résines...), sont appelées huiles noires. D'autres lubrifiants, moins dégradés après leur utilisation, en particulier dans le secteur industriel, autorisent une valorisation matière basée sur des opérations physiques simples (décantation, centrifugation). Ce sont les huiles claires.
5. Il convient donc de distinguer deux grandes catégories d'huiles usagées :
. les huiles noires, qui comprennent les huiles moteurs et certaines huiles industrielles (huiles de trempe, de laminage, de tréfilage et autres huiles entières d'usinage des métaux), fortement dégradées et contaminées ;
. les huiles claires, qui proviennent des transformateurs, des circuits hydrauliques et des turbines, peu contaminées et chargées, en général, d'eau et de particules.
6. En excluant les lubrifiants ne générant pas d'huiles usagées (les huiles pour moteurs deux temps, les graisses, les huiles de procédé, les vaselines et les huiles à usage perdu), 581 700 tonnes de lubrifiants générant des huiles usagées ont été commercialisées en France en 2007.
7. Le gisement d'huiles usagées est calculé par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ci-après " ADEME "), à partir des données de mise sur le marché de lubrifiants.
8. En 2007, le gisement des huiles usagées émis était de 361 000 tonnes. Les huiles usagées noires ont représenté 276 700 tonnes (76,6 % du gisement), les huiles usagées claires, 84 300 tonnes.
9. En 2008, les huiles usagées noires ont représenté 256 000 tonnes (75,6 % du gisement des huiles usagées). Compte tenu de la consommation de lubrifiants moteurs pour la première monte (vente pour les véhicules neufs) et les vidanges et des pertes pendant l'utilisation, le gisement d'huiles " moteurs " usagées était, en 2008, de 211 000 tonnes, en baisse de 8,3 % par rapport à 2007. Les huiles pour transmissions automatiques et les huiles pour engrenages automobiles (27 000 tonnes) complètent le gisement des huiles usagées noires automobiles. Le gisement d'huiles usagées industrielles noires avoisine les 18 000 tonnes.
2. LA REGLEMENTATION APPLICABLE AUX HUILES USAGEES
10. Les huiles usagées, peu biodégradables, sont dangereuses pour l'environnement et, à ce titre, classées parmi les déchets dangereux.
11. La collecte et le traitement des huiles usagées sont réglementés par le décret n° 79-981 du 21 novembre 1979 portant réglementation de la récupération des huiles usagées et les arrêtés du 28 janvier 1999 relatifs aux conditions de ramassage et aux conditions d'élimination des huiles usagées.
12. La directive 75/439/CEE du Conseil du 16 juin 1975 (JO du 25 juillet 1975 L. 194) concernant l'élimination des huiles usagées autorise le traitement des huiles usagées par régénération (avec production d'huiles de base régénérées) ou par valorisation énergétique.
13. Une priorité est donnée à la régénération lorsque les contraintes d'ordre technique, économique et organisationnel le permettent.
14. Une nouvelle directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 (JO du 22 novembre 2008 L. 312), non encore transposée en droit national, relative aux déchets et abrogeant certaines directives, notamment celle concernant l'élimination des huiles usagées, définit les huiles usagées comme étant " toutes les huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles, qui sont devenues impropres à l'usage auquel elles étaient initialement destinées, telles que les huiles usagées des moteurs à combustion et des systèmes de transmission, les huiles lubrifiantes, les huiles pour turbines et celles pour systèmes hydrauliques ". La directive définit la valorisation comme étant " toute opération dont le résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles en remplaçant d'autres matières qui auraient été utilisées à une fin particulière, ou que des déchets soient préparés pour être utilisés à cette fin, dans l'usine ou dans l'ensemble de l'économie " et la régénération des huiles usagées comme étant " toute opération de recyclage permettant de produire des huiles de base par un raffinage d'huiles usagées, impliquant notamment l'extraction des contaminants, des produits d'oxydation et des additifs contenus dans ces huiles ".
15. La hiérarchie de la gestion des déchets, introduite par cette directive, qui vise à prévenir et à réduire la production de déchets, définit un ordre de priorité pour les opérations liées aux déchets : prévention, préparation en vue du réemploi, recyclage, autre valorisation et, en dernier ressort, élimination sûre et respectueuse de l'environnement. La directive 2008/98/CE précise toutefois que " lorsqu'ils appliquent la hiérarchie des déchets (...), les États membres prennent des mesures pour encourager les solutions produisant le meilleur résultat global sur le plan de l'environnement. Cela peut exiger que certains flux de déchets spécifiques s'écartent de la hiérarchie, lorsque cela se justifie par une réflexion fondée sur l'approche de cycle de vie concernant les effets globaux de la production et de la gestion de ces déchets ".
16. Le droit positif national repose sur l'article L. 541-38 du Code de l'environnement qui dispose que " les seules utilisations des huiles minérales et synthétiques qui, après usage, ne sont plus aptes à être utilisées en l'état, pour l'emploi auquel elles étaient destinées comme huiles neuves, et dont le rejet dans le milieu naturel est interdit en vertu des dispositions du décret n° 77-254 du 8 mars 1977, sont, lorsque la qualité de ces huiles usagées le permet, la régénération et l'utilisation industrielle comme combustible. Cette dernière utilisation ne peut être autorisée que dans des établissements agréés et lorsque les besoins des industries de régénération ont été préférentiellement satisfaits ".
17. L'article R. 543-12 du même Code précise que " les seuls modes d'élimination autorisés pour les huiles usagées mentionnées à l'article R. 543-3 sont le recyclage ou la régénération dans des conditions économiques acceptables ou, à défaut, l'utilisation industrielle comme combustible, conformément aux dispositions de l'article L. 541-38 ".
18. L'ADEME considère que les deux principales voies d'élimination utilisées aujourd'hui en France (régénération et valorisation énergétique) ont globalement une contribution favorable en terme d'impact sur l'environnement. Les différentes analyses du cycle de vie des huiles usagées confirment que les deux modes de valorisation des huiles usagées sont proches sur le plan de leur impact environnemental.
19. Les huiles usagées noires en France peuvent donc être soit régénérées (valorisation matière), soit utilisées comme combustible (valorisation énergétique).
20. Les capacités annuelles de traitement des huiles usagées noires, agréées par l'ADEME, sont de 501 900 tonnes, alors que les livraisons d'huiles usagées noires aux éliminateurs se sont élevées à seulement 217 097 tonnes en 2007 (218 034 tonnes en 2008).
21. La répartition de ces capacités est la suivante :
. fabrication de combustibles (combustibles de substitution aux combustibles d'origine fossile, notamment pour les cimenteries) : 15 000 tonnes ;
. chaufournerie (pour la fabrication de chaux) : 32 000 tonnes ;
. centres de traitement de déchets industriels : 43 100 tonnes ;
. régénération : 125 000 tonnes ;
. cimenteries : 286 800 tonnes.
22. L'agrément délivré par l'ADEME aux éliminateurs définit une capacité maximale annuelle de traitement. Il est délivré sans limitation de durée. Certains éliminateurs peuvent ne pas exploiter leur agrément : c'est le cas notamment de huit cimenteries (représentant une capacité de traitement de 83 300 tonnes) et d'une chaufournerie (représentant une capacité de traitement de 7 000 tonnes), représentant ensemble une capacité potentielle de traitement de 90 300 tonnes (données 2007).
23. Les vingt-six éliminateurs utilisant leur agrément pour la valorisation des huiles usagées sont une unité de régénération (125 000 tonnes), treize cimenteries (203 500 tonnes), neuf centres de traitement de déchets industriels (43 100 tonnes), une chaufournerie (25 000 tonnes) et deux unités de fabrication de combustibles (15 000 tonnes). Ils représentent une capacité maximale de traitement de 411 600 tonnes (données 2007).
B. LE FONCTIONNEMENT DE LA FILIÈRE DE TRAITEMENT DES HUILES USAGÉES
1. LES ACTEURS DE LA FILIERE
24. La filière de traitement des huiles usagées s'organise autour de trois principaux acteurs : les détenteurs, les ramasseurs (collecteurs) et les éliminateurs.
25. Les détenteurs sont les personnes physiques ou morales qui accumulent dans leur propre établissement des huiles usagées en raison de leur activité professionnelle. Ils ont pour obligation :
. soit de remettre leurs huiles usagées aux ramasseurs agréés ;
. soit d'assurer eux-mêmes le transport de leurs huiles usagées en vue de les remettre aux entreprises qui collectent légalement dans un autre État membre de l'Union européenne ou en vue de les mettre directement à la disposition d'un éliminateur agréé en France ou autorisé dans un autre État membre de l'Union européenne ;
. soit d'assurer eux-mêmes l'élimination des huiles usagées qu'ils produisent à condition d'être titulaires d'un agrément.
26. Les garages représentent la catégorie la plus importante de détenteurs d'huiles usagées avec un peu plus de 42 % du gisement d'huiles usagées noires. Les industriels viennent en deuxième position avec 17 % du gisement d'huiles usagées.
27. Les ramasseurs sont des personnes physiques ou morales qui exercent l'activité de regroupement, de collecte ou de transport de lots d'huiles usagées issus de plus d'un détenteur. Les installations de stockage d'huiles usagées des ramasseurs sont soumises à autorisation au titre de la réglementation sur les installations classées pour l'environnement.
28. Les agréments préfectoraux de ramassage sont délivrés pour une durée de cinq ans maximum. Une entreprise de ramassage peut à tout moment postuler à l'agrément de ramassage dans une zone donnée. Les ramasseurs agréés sont responsables de la collecte de toutes les huiles usagées produites dans la zone pour laquelle ils ont reçu l'agrément. Ils doivent procéder dans un délai de quinze jours à l'enlèvement de tout lot d'huiles usagées d'un volume supérieur à 600 litres qui leur est proposé.
29. La collecte des huiles usagées reposait à la fin de l'année 2007 sur un réseau de 42 entreprises agréées en métropole. Ces collecteurs totalisent 271 agréments préfectoraux (chiffres 2007). Les ramasseurs collectent dans un peu plus de six départements en moyenne et chaque département bénéficie des services de près de trois collecteurs en moyenne, la fourchette allant d'une entreprise agréée jusqu'à six. Les ramasseurs s'appuient sur un réseau de près de 100 dépôts de stockage d'huiles usagées répartis sur l'ensemble du territoire.
30. La collecte des huiles usagées est en principe gratuite pour les détenteurs.
31. Comme déjà indiqué, 218 034 tonnes d'huiles usagées ont été livrées, par les collecteurs, aux éliminateurs en 2008.
32. Les éliminateurs sont des personnes physiques ou morales qui exploitent une installation apte à traiter des huiles usagées et qui disposent d'un agrément à cet effet. Les éliminateurs sont tenus de reprendre toutes les huiles usagées dans la limite de leurs capacités agréées de traitement.
33. En 2007, trente-cinq éliminateurs étaient agréés en France. Ainsi que cela a été souligné, seuls vingt-six exploitaient leur agrément. Deux éliminateurs étrangers autorisés, basés en Allemagne et en Belgique, traitaient aussi des huiles usagées en provenance de France.
34. Le terme d'éliminateur recouvre les industriels qui procèdent aussi bien à la régénération des huiles qu'à leur valorisation énergétique. Il s'agit donc plutôt de valorisation que d'élimination à proprement parler. La seule unité de régénération d'huiles usagées noires, qui appartient à Eco Huile, a une capacité de traitement de 125 000 tonnes par an. Ainsi qu'il ressort des données du paragraphe 20, les autres capacités de traitement relèvent principalement des cimentiers (203 500 tonnes) et des centres de traitement de déchets (43 100 tonnes), qui utilisent les huiles usagées comme combustible.
35. La régénération des huiles usagées noires en France totalise, en 2007, 39 % des tonnages traités (83 609 tonnes d'huiles usagées achetées par Eco Huile) alors que ses capacités de traitement ne totalisent que 30 % des capacités agréées exploitées, toutes filières de valorisation confondues. 45,5 % des huiles usagées noires collectées en 2007 en France ont fait l'objet d'une régénération, en prenant en compte la régénération réalisée à l'étranger (Allemagne).
36. La production nationale d'huiles de base régénérées était de 51 299 tonnes en 1994, de 31 146 tonnes en 2001 et de 44 900 tonnes en 2007. Cette production est stable autour de 45 000 tonnes depuis 2003 (45 192 tonnes en 2003, 45 470 tonnes en 2004, 43 217 en 2005, 46 096 tonnes en 2006).
2. L'EQUILIBRE ECONOMIQUE DE LA FILIERE
37. Compte tenu du principe de gratuité de la collecte et malgré une valeur marchande des huiles usagées en augmentation depuis 2007, tant pour la régénération que pour l'utilisation comme combustible, le coût de la collecte des huiles usagées noires ne peut, à l'heure actuelle, être couvert par le prix de vente de ces huiles aux éliminateurs. Aussi, la filière de collecte et d'élimination des huiles usagées noires doit être soutenue sur le plan financier.
38. Le coût de collecte des huiles usagées retenu pour l'indemnisation des ramasseurs est issu de l'analyse des coûts de collecte d'un panel d'une dizaine d'entreprises de ramassage couvrant la quasi-totalité du territoire et totalisant un peu plus de 73 % du tonnage global d'huiles usagées noires collectées. Le coût estimé pour l'année 2007 était de 96,79 euro HT par tonne.
39. Les huiles usagées claires ont une valeur résiduelle plus élevée qui permet de compenser le coût de leur collecte. Il n'y a, par conséquent, pas de soutien financier pour la collecte et l'élimination des huiles usagées claires.
40. Depuis le 1er janvier 2007, l'ADEME verse aux seuls ramasseurs agréés une indemnité uniforme pour le ramassage des huiles usagées noires, en les laissant libres de négocier des contrats de livraison et des prix de reprise avec les éliminateurs agréés en France ou autorisés au plan européen. L'ADEME expose que sa priorité est le développement du taux de collecte des huiles usagées, avant la répartition des tonnages d'huiles usagées entre les différentes filières de traitement (régénération et valorisation énergétique) qui s'effectue, désormais, dans un contexte concurrentiel. Le coût moyen du ramassage diminué de la valeur moyenne des huiles collectées constitue la base d'indemnisation.
41. La rémunération totale effectivement perçue par le ramasseur comprend l'indemnisation versée par l'ADEME et le produit des ventes des huiles collectées aux éliminateurs. Chaque mois, l'ADEME indemnise les ramasseurs d'huiles usagées sur la base des justificatifs mensuels de collecte et de vente d'huiles usagées qui lui sont communiqués. Pour 2007, 13,6 millions d'euro ont été versés par l'ADEME au titre de l'indemnisation des ramasseurs d'huiles usagées. En 2008, ce financement s'est élevé à 12 millions d'euro.
42. Le régime d'indemnisation mis en place depuis le 1er janvier 2007 a permis de maintenir l'efficacité de la collecte grâce au versement de l'indemnité à tous les ramasseurs agréés opérant conformément à leur agrément et a abouti à la suppression de la procédure d'admission des éliminateurs dans le dispositif précédemment mis en œuvre par l'ADEME.
43. Les ramasseurs peuvent, depuis cette date, livrer leurs huiles usagées à tout éliminateur agréé demandeur. Les éliminateurs sont désormais en concurrence entre eux pour obtenir des huiles usagées.
44. Compte tenu de la priorité à la régénération inscrite dans les textes communautaires et nationaux, et pour autant que les conditions économiques le nécessitent, un dispositif complémentaire de soutien, spécifique à la filière de la régénération, a cependant été prévu, approuvé par la Commission européenne. Ce dispositif en vigueur depuis le 1er janvier 2007 complète le nouveau régime d'indemnisation de la collecte mis en place (Aide d'État N 217/2006 Soutien à la régénération d'huiles usagées noires).
45. Ce dispositif repose sur le principe d'une subvention dégressive à la tonne régénérée vendue pour la fabrication de lubrifiants (de 20 euro / tonne la première année à 2 euro la dernière année, pendant une durée de sept ans à compter de la date de versement de la première aide). Le versement de l'aide doit être justifié par des éléments économiques détaillés montrant sa nécessité pour assurer la compétitivité de l'industrie de la régénération.
46. Eco Huile n'a, à ce jour, pas souhaité bénéficier de cette aide, l'estimant impraticable et inefficace.
C. LES PARTIES
1. L'ENTREPRISE SAISISSANTE : LA COMPAGNIE FRANÇAISE ECO HUILE
47. Créée le 14 janvier 1994, la société Compagnie française Eco Huile est une société anonyme à conseil d'administration (n° RCS Le Havre 393 361 175). Rachetée à titre personnel par M. Joël X, la Compagnie des Bases Lubrifiantes (CBL), devenue Eco Huile, était la dernière des sociétés de recyclage d'huiles usagées alors en activité.
48. Eco Huile est le seul régénérateur d'huiles usagées noires en France. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 35,6 millions d'euro en 2008.
49. Le 22 juillet 2003, la Financière 97, contrôlée par M. Joël X, a lancé sur la société Aurea (n° RCS Paris 562 122 226) une offre publique d'achat, dans le but de constituer autour de cette société, un groupe spécialisé dans les activités liées au développement durable. Le 27 août 2004, Aurea a reçu en apport 100 % des actions d'Eco Huile en contrepartie d'une émission d'actions.
50. Aurea est la société mère du groupe. Outre la Compagnie française Eco Huile, les sociétés Roll Gom (n° RCS Arras 453 192 973), Rulo France (n° RCS Sens 449 023 787), Recycarbo (n° RCS Foix 479 853 467), Broplast (n° RCS Bourg-en-Bresse 410 833 875), Aurea Assur Conseil (n° RCS Paris 394 751 572) constituent le groupe Aurea. Toutes les sociétés du groupe, à l'exception de Recycarbo (détenue à 89 %), étaient détenues à 100 % par Aurea, au 31 décembre 2008. Aurea détenait également, à cette date, deux sociétés étrangères, respectivement à 80 % et à 100 %, les sociétés Rulo et BHS Kunsttstoff Aufbereintung GmbH.
51. Aurea a réalisé un chiffre d'affaires global de 71,8 millions d'euro en 2008 pour un résultat net de 8,3 millions d'euro.
2. LA CHAMBRE SYNDICALE DU RERAFFINAGE
52. La Chambre syndicale du reraffinage représente la filière de la régénération depuis les années 1940 et l'ensemble des entreprises agréées d'élimination des huiles usagées.
53. Les adhérents de la Chambre syndicale du reraffinage sont les sociétés suivantes : Aurea, Eco Huile, Boritis (n° RCS Paris 394 471 148), Dynamique du Sud-Est (n° RCS Saint-Tropez 411 736 689), TER (n° RCS Evry 432 513 497), CDIF (n° RCS Bobigny 428 222 871), DRV (n° RCS Paris 418 279 659), Northbrook Belgium. À l'exception d'Eco Huile et de la société mère Aurea, aucun autre adhérent à la Chambre syndicale du reraffinage n'exerce une activité de régénération d'huiles usagées.
3. SEVIA
54. Sevia (n° RCS Nanterre 775 721 392) est une société anonyme à conseil d'administration du groupe Veolia.
55. Autrefois connue sous le nom de Société de ramassage pour la régénération des huiles usagées (SRRHU), Sevia est un collecteur de déchets dangereux, d'huiles usagées et de pneumatiques usagés, filiale des sociétés Sarp Industrie et Sarp, elles-mêmes filiales de Veolia Propreté. Sevia possède une trentaine de dépôts répartis sur l'ensemble du territoire pour stocker les huiles usagées collectées.
56. Le chiffre d'affaires total de Sevia s'est élevé en 2008 à 35 millions d'euro.
57. D'autres entreprises de Veolia Propreté, principalement des filiales de Sarp, collectent également des huiles usagées.
58. Sevia vend les huiles usagées collectées aux différents éliminateurs, en tenant compte de l'ensemble des quantités collectées par Veolia Propreté.
D. LES PRATIQUES DÉNONCÉES PAR LA SAISISSANTE
59. Eco Huile considère que Sevia abuse de sa position dominante en tant que collecteur d'huiles usagées en refusant de lui livrer les quantités d'huiles usagées qu'elle souhaite obtenir. Sevia aurait refusé de vendre les huiles usagées collectées à Eco Huile et se serait abstenue de livrer pendant plusieurs mois consécutifs son unité de régénération.
60. Les difficultés d'approvisionnement d'Eco Huile auraient eu pour conséquence une forte baisse de son activité au cours du premier semestre de l'année 2009 et un fonctionnement anormal de son unité de régénération.
61. Eco Huile demande à l'Autorité de la concurrence d'enjoindre à Sevia de respecter le principe de la priorité à la régénération au niveau de 50 % de sa collecte, soit, selon les estimations d'Eco Huile, un volume annuel global de 55 000 tonnes à lui livrer en priorité.
62. Eco Huile souligne l'impossibilité pour elle de conclure un contrat d'approvisionnement pour l'année 2009 avec Sevia, dans la mesure où son partenaire lui imposerait des conditions contractuelles inacceptables. Sevia aurait notamment exigé un délai de paiement de quinze jours et un acompte de 52 000 euro.
63. Eco Huile ajoute que Sevia a prévu de lui livrer seulement 17 000 tonnes d'huiles usagées pour l'année 2009, alors qu'en 2006, elle lui en avait livré 60 000 tonnes.
64. En outre, Eco Huile considère que les pratiques qu'elle reproche à Sevia constituent un abus de dépendance économique.
II. Discussion
65. L'article R. 464-1 du Code de commerce énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond soit recevable et ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'article L. 462-8 du même Code.
66. En application de l'article L. 462-8 du Code de commerce, " l'Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir de l'auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l'article L. 462-7, ou si elle estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence. Elle peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".
A. LE MARCHÉ PERTINENT
1. LE MARCHE DE PRODUITS : LA VENTE D'HUILES USAGEES NOIRES COLLECTEES EN VUE DE LEUR VALORISATION
67. Ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans son rapport annuel 2001, le marché, au sens où l'entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les demandeurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu'il y en a plusieurs. Chaque offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres.
68. En l'espèce, les huiles usagées noires sont des déchets dangereux soumis à une réglementation spécifique, distincte de celle applicable aux autres déchets et aux déchets dangereux.
69. Le traitement des huiles usagées regroupe la collecte et l'élimination. La règlementation applicable distingue les deux étapes puisque les collecteurs et les éliminateurs d'huiles usagées doivent obtenir un agrément spécifique pour chacune de ces deux étapes (article 1er de l'arrêté du 28 janvier 1999 relatif aux conditions de ramassage des huiles usagées et article 1er de l'arrêté du 28 janvier 1999 relatif aux conditions d'élimination des huiles usagées).
a) La demande
70. La demande d'huiles usagées émane des éliminateurs, capables de les valoriser, que ce soit au titre de la valorisation matière ou de la valorisation énergétique.
71. La valorisation des huiles usagées noires collectées en métropole reposait en 2007 sur un réseau d'éliminateurs en France totalisant en fin d'année une capacité annuelle totale agréée de 501 900 tonnes. Cette capacité de valorisation est largement supérieure à la collecte au regard de la quantité d'huiles usagées noires collectées à traiter (de l'ordre de 215 000 - 220 000 tonnes en moyenne ces dernières années).
72. Au titre de la valorisation énergétique, les huiles usagées peuvent remplacer, comme combustible, le charbon ou le fioul lourd. En effet, le haut pouvoir calorifique des huiles usagées noires, estimé à environ 90 % de celui du fioul lourd, permet à certaines installations consommatrices d'énergie de substituer des huiles usagées à leurs combustibles habituels.
73. La régénération des huiles usagées noires représente la valorisation matière. Elle permet de produire des huiles de base régénérées répondant aux besoins des industriels du graissage, concurrentes des huiles de base neuves produites par l'industrie pétrolière.
L'huile usagée comme combustible : la valorisation énergétique
74. Les tableaux de bord mensuels de l'ADEME mentionnent chaque mois le prix du fioul lourd TBTS 1 % (très basse teneur en soufre, inférieure à 1 %). Ce fioul lourd possède le prix le plus élevé. La direction des ressources énergétiques et minérales (DIREM), direction relevant du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, communique, régulièrement, trois prix de fioul lourd, variant selon la teneur en soufre (inférieure à 1 %, entre 1 et 2 %, supérieure à 2 %).
75. La très forte augmentation des prix du fioul lourd ces dernières années, notamment en 2008, a exercé une pression sur les prix des huiles usagées, substitut possible en tant que combustible, pour les cimentiers par exemple. Le prix de vente moyen, constaté par la DIREM, pour l'année 2006 du fioul lourd TBTS 1 % était de l'ordre de 276,97 euro HTT (hors toutes taxes) la tonne et pour l'année 2007, de l'ordre de 292,98 euro HTT. En 2008, le prix moyen du fioul lourd a augmenté fortement pour atteindre 383,47 euro HTT, avec un maximum de 511,15 euro en juillet 2008. Le prix moyen au premier semestre 2009 s'inscrit à la baisse avec un montant de 257,64 euro HTT.
76. 120 807 tonnes d'huiles usagées ont été livrées à la filière de la valorisation énergétique en 2007 (55,6 % de la totalité des volumes collectés). Le niveau d'approvisionnement a progressé, en 2007, par rapport à 2006 (116 222 tonnes), au détriment de la régénération. En 2008, 124 506 tonnes, sur les 218 034 tonnes d'huiles usagées collectées, ont été traitées par la filière de la valorisation énergétique.
77. Entre 2006 et 2008, la valorisation énergétique des huiles usagées a donc augmenté en volume d'un peu plus de 7 %.
78. Au sein de cette filière, les quantités d'huiles usagées utilisées en cimenteries ou en centres de traitement de déchets industriels ont cependant assez nettement diminué au profit de la chaufournerie et des unités de fabrication de combustibles. La valorisation en usines de fabrication de chaux est passée de 15 095 tonnes (2006) à 16 301 tonnes (2007) (+8 %). La hausse la plus sensible a concerné la fabrication de combustibles puisqu'elle a augmenté de 31 %, de 7 214 tonnes (2006) à 13 912 tonnes (2007).
79. La valorisation en centre de traitement de déchets industriels a, pour sa part, baissé, de 15 653 tonnes à 14 994 tonnes (-4,2 %). La valorisation en cimenteries est passée de
78 260 tonnes (2006) à 75 600 tonnes (2007), soit une diminution de 3,4%. En 2008, 72 085 tonnes (soit à peu près 58 % des tonnages livrés à la filière de la valorisation énergétique) ont été utilisées par les cimentiers. Entre 2006 et 2008, les approvisionnements des cimenteries en huiles usagées ont diminué de près de 8 %. Le combustible de base pour un cimentier reste le charbon et le coke (à hauteur de 65 % de ses approvisionnements en combustible). Les déchets, notamment les déchets dangereux, comme les solvants ou les huiles usagées, sont des substituts aux combustibles habituels. Scori (n° RCS Versailles 315 249 805) est le principal demandeur d'huiles usagées pour l'industrie cimentière. Vicat, Calcia et Lafarge sont les trois principaux cimentiers actionnaires de Scori. L'actionnaire majoritaire, à plus de 65 %, est Teris, filiale spécialisée dans le traitement des déchets dangereux de Sita FD, elle-même filiale de Sita France (pôle propreté de Suez Environnement). Les volumes d'huiles usagées achetées par Scori pour le compte des cimenteries de Vicat, Calcia et Lafarge baissent régulièrement depuis 2007 : 64 000 tonnes en 2007, 58 000 en 2008, les projections pour 2009 étant de l'ordre de 52 000 tonnes. Pour Scori, les huiles usagées sont moins importantes, en termes de tonnage, que les combustibles liquides de substitution et les combustibles solides de substitution, qui représentent, respectivement, 75 000 et 80 000 tonnes.
L'huile usagée comme matière première : la valorisation matière grâce à la régénération
80. 96 290 tonnes sur un total de 217 097 tonnes ont été livrées à la filière de la régénération en 2007. 11 486 tonnes, soit près de 12% du total, ont été exportées. En 2006, 98 661 tonnes avaient été livrées à cette filière. Aucun tonnage n'avait été exporté vers des régénérateurs étrangers.
81. En 2008, 93 528 tonnes (source ADEME dont 13 780 tonnes exportées) ont été allouées à la régénération sur un volume total de 218 034 tonnes d'huiles usagées valorisées.
82. Eco Huile représente la filière de la régénération en France.
83. Eco Huile a acheté 93 124 tonnes d'huiles usagées en 2006 :
. 42 295 tonnes à Veolia, c'est-à-dire à Sevia et aux autres filiales du groupe Veolia Propreté (45,41% des approvisionnements annuels) ;
. 37 577 tonnes à Chimirec (40,35 %) ;
. 13 251 tonnes à différents collecteurs indépendants (14,23 %).
84. En 2007, c'est-à-dire à partir du moment où les ramasseurs ont pu négocier librement les prix de reprise des huiles usagées collectées avec les éliminateurs, Eco Huile n'a acheté que 83 609 tonnes d'huiles usagées, ce qui représente une diminution de 10% par rapport à 2006. Ses achats ont été répartis de la façon suivante :
. 40 086 tonnes à Chimirec (47,94 % des approvisionnements annuels) ; . 31 010 tonnes à Veolia (37,08 %) ;
. 12 512 tonnes aux collecteurs indépendants (14,96 %).
85. En 2008, les achats d'Eco Huile ont diminué encore, s'établissant à 78 538 tonnes d'huiles usagées (soit -6 % par rapport à 2007 et -15,66 % sur trois années). La répartition des achats est la suivante :
. 44 155 tonnes à Chimirec (56,22 % des approvisionnements annuels) ;
. 22 218 tonnes à Veolia (28,28 %) ;
. 12 164 tonnes aux collecteurs indépendants (15,48 %).
86. Entre 2006 et 2008, les achats d'Eco Huile à Veolia ont ainsi diminué de 47 %.
87. Eco Huile devrait acheter un peu plus de 60 000 tonnes d'huiles usagées pour l'ensemble de l'année 2009. Au cours du 1er semestre 2009, Eco Huile a acheté 31 537 tonnes d'huiles usagées :
. 15 633 tonnes à Chimirec (49,57% des approvisionnements annuels) ;
. 9 951 tonnes à Veolia (31,55%) ;
. 5 952 tonnes aux collecteurs indépendants (18,87%).
Le marché aval de la régénération des huiles usagées : la demande d'huiles de base régénérées des industriels du graissage
88. La concurrence entre huiles de base produites par la régénération et huiles de base neuves a déjà été mise en évidence par le Conseil de la concurrence dans son avis n° 06-A-16 du 26 juillet 2006, confirmant ainsi l'avis n° 94-A-31 du 6 décembre 1994 : " il ne peut être exclu que la régénération des huiles usagées soit une source de concurrence non négligeable sur le marché des lubrifiants [...] ; dans ces conditions, le respect du principe de priorité à la régénération a un intérêt en termes de concurrence ".
89. Les huiles de base sont essentiellement utilisées par les fabricants de lubrifiants finis et, dans une moindre mesure, par les fabricants d'additifs. Les fabricants de lubrifiants finis sont, d'une part, les filiales des groupes pétroliers et, d'autre part, les industriels du graissage, fabricants indépendants. Pour ces derniers, la production d'huiles de base par la régénération exerce une pression concurrentielle significative sur le prix des huiles de base neuves.
90. Les industriels du graissage détiennent 43,2 % du marché des lubrifiants, les 56,8 % restant étant détenus par des filiales de groupes pétroliers. Dans le secteur automobile, les parts de marché sont les suivantes : respectivement, 35,3 % et 64,7 %. En fait, les industriels du graissage sont essentiellement actifs dans le secteur des spécialisations industrielles où les facteurs concurrentiels ne sont pas étroitement liés à de fortes positions intégrées dans la production d'huiles de base et où les économies d'échelle sont moins déterminantes.
91. Les huiles de base régénérées représentent 24 % des approvisionnements des huiles de base des industriels du graissage. Depuis 2006, l'approvisionnement en huiles de base régénérées a augmenté pour les industriels du graissage.
92. Eco Huile est le seul fournisseur français des industriels du graissage. La production nationale d'huiles de base régénérées, à partir d'huiles noires, s'est élevée en 2006 à 46 096 tonnes et, en 2007, à 44 900 tonnes. Eco Huile estime qu'avec 70 000 tonnes d'huiles usagées, entrée usine, la production d'huiles de base régénérées est à peu près de 40 000 tonnes. On peut estimer à 75 - 80 % la part d'Eco Huile dans les approvisionnements en huiles régénérées des industriels du graissage en France. Les régénérateurs étrangers, notamment allemands, complètent les approvisionnements en huiles de base régénérées des industriels du graissage.
93. Les approvisionnements des industriels du graissage en huiles de base neuves sont réalisés uniquement auprès d'Exxon. Les autres pétroliers comme BP, Shell ou Total produisent des huiles de base mais uniquement pour leur usage interne.
94. Eco Huile est le fournisseur alternatif d'Exxon pour le marché national.
Une demande potentielle future sur le marché des huiles usagées noires collectées en vue de leur valorisation : Osilub
95. Osilub est une société anonyme à conseil d'administration (n° RCS Elbeuf 441 563 764) immatriculée le 12 avril 2002. Total Lubrifiants, actionnaire à hauteur de 35 % d'Osilub, est le partenaire de Sarp Industries, filiale de Veolia Propreté, actionnaire à hauteur de 65 %. L'investissement est partagé entre Total et Veolia, au prorata de leur part respective dans le capital d'Osilub.
96. Filière de recyclage d'huiles usagées, le projet Osilub repose sur la mise en place, à Gonfreville l'Orcher, en Seine-Maritime, d'une usine, destinée à transformer ces huiles usagées en produits pétroliers réutilisables, dont la qualité serait identique aux huiles de base issues du raffinage. Sevia devrait être le principal fournisseur d'huiles usagées d'Osilub.
97. L'exploitation de l'unité d'Osilub devrait débuter au cours du second semestre 2011 et l'année 2013 devrait être la première année d'exploitation à pleine charge, c'est-à-dire à hauteur de 120 000 tonnes d'huiles usagées (chiffre entrée usine).
98. Le produit obtenu au terme du processus de traitement des huiles usagées, le VGO (Vacuum Gas Oil), devrait être destiné au raffinage pour la fabrication de nouveaux lubrifiants ou carburants.
99. Le rendement annoncé du projet, en volume, est supérieur à 70 % pour la production de VGO puisque Osilub devrait commercialiser annuellement :
. 87 000 tonnes de VGO ;
. 11 000 tonnes de gasoil ;
. 13 000 tonnes d'asphalte.
100. Le VGO produit par Osilub devrait posséder les spécifications minimales d'une huile de base de groupe I (huile de base " bas de gamme "). Le VGO devrait être traité par une raffinerie du groupe Total, située également à Gonfreville l'Orcher, à proximité de l'unité d'Osilub, afin de produire des huiles moteur satisfaisant aux spécifications techniques des constructeurs automobiles. Osilub n'exclut cependant pas de fournir du VGO aux industriels du graissage.
b) L'offre
101. Du côté de l'offre, sur le marché de la vente d'huiles usagées noires collectées en vue de leur valorisation, les seuls offreurs sont les collecteurs d'huiles usagées.
102. En 2007, 217 097 tonnes brutes d'huiles usagées ont été fournies par les collecteurs d'huiles usagées aux éliminateurs, représentant 213 226 tonnes nettes. Le tonnage brut est défini comme le tonnage réceptionné par l'éliminateur. Le tonnage net prend en compte la déduction de la teneur en eau présente dans les huiles usagées livrées. En 2008, 218 034 tonnes d'huiles usagées ont été traitées. La valorisation énergétique représentait 124 506 tonnes et la régénération 93 528 tonnes. 14 743 tonnes ont été exportées, dont 13 780 tonnes pour la régénération, notamment en Allemagne.
103. Les collecteurs d'huiles usagées ont diversifié leur activité de collecte des déchets, notamment auprès des professionnels de l'automobile, pour proposer un service global de collecte. En chiffre d'affaires, l'activité de collecte des huiles usagées tend à devenir de moins en moins importante pour les ramasseurs. Pour une entreprise d'une certaine taille, il serait en effet difficile d'avoir une activité rentable uniquement avec la collecte des huiles usagées. Globalement, la stratégie de la plupart des entreprises spécialisées dans la collecte des huiles usagées est donc de développer des activités complémentaires de collecte. La concurrence entre les collecteurs d'huiles usagées est d'autant plus intense que d'autres déchets dangereux que les huiles à collecter peuvent être collectés par les ramasseurs (collecte des batteries, des filtres à huile, des liquides de frein, etc.).
104. En 2009, 46 ramasseurs sont agréés pour la collecte des huiles usagées.
105. Il ne semble pas exister de barrière à l'entrée significative pour pénétrer le marché de la collecte. De nouveaux entrants comme les sociétés Faure, CMS High-Tech ou Lesage ont démontré rapidement leurs capacités pour collecter des huiles usagées.
106. Sevia et les autres sociétés de Veolia Propreté (filiales de Sarp), d'une part, et les filiales du groupe Chimirec, d'autre part, se partagent environ les trois quarts du marché de la collecte des huiles usagées en 2008. Les autres entreprises sont indépendantes et ont, pour certaines, une activité importante de collecte, de l'ordre de quelques milliers de tonnes.
107. Environ 160 000 tonnes d'huiles usagées sur un total d'un peu moins de 220 000 tonnes sont collectées, pratiquement à part égale, par Sevia et le groupe Chimirec.
108. En 2008, Sevia a collecté 80 000 tonnes d'huiles usagées, ce qui représente une part de marché de 36 %. Les entités de Veolia Propreté ont collecté pratiquement 11 000 tonnes d'huiles usagées en 2008. La part de marché de Veolia Propreté s'est élevée, pour la même période, à 41 %. La part de marché de Sevia est en baisse depuis 2006. Sevia collectait 89 000 tonnes d'huiles usagées en 2006 et 83 000 tonnes en 2007. Entre 2006 et 2008, le volume collecté d'huiles usagées par Sevia a donc diminué de 10 %.
2. LE MARCHE GEOGRAPHIQUE
109. Le marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes. Il ne comprend pas les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.
110. Dans sa décision Exxon/Mobil du 29 septembre 1999 (n° IV/M.1383) (JO du 7 avril 2004), la Commission européenne avait considéré que le marché des huiles de base était de dimension géographique européenne, notamment en raison du profil de consommation spécifiquement européen et des exigences européennes en matière de qualité (paragraphe 330 de la décision).
111. Les capacités de régénération des huiles usagées étaient estimées, en 2006, à 1,6 million de tonnes réparties sur 32 sites, principalement en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne.
112. Parmi les principaux opérateurs européens de la régénération, figurent notamment les groupes allemands Baufeld - Puralube avec des unités de production à Duisbourg, Zeitz (à proximité de Leipzig) et Chemnitz, et Mineralolraffinerie Dollbergen avec une unité de production à Dollbergen (à l'est d'Hanovre) et le groupe italien Viscolube avec deux unités de production à Lodi (à proximité de Milan) et Frosinone (entre Rome et Naples).
113. Ces industriels produisent, à partir d'huiles usagées noires, comme Eco Huile, des huiles de base régénérées.
114. Il existe une forte demande d'huiles usagées en Europe, notamment de la part des régénérateurs allemands. Il n'existe pas, pour les éliminateurs d'huiles usagées, un marché d'approvisionnement purement national.
115. Dans le cas de la France, une partie des huiles usagées noires collectées en France a été régénérée en Allemagne par Baufeld - Puralube. La société Watco Oil Services, située en Belgique, traite également des huiles usagées noires collectées en France.
116. La dimension géographique du marché de la vente d'huiles usagées noires en vue de leur valorisation semble donc regrouper la France et les pays limitrophes.
3. LE FONCTIONNEMENT DU MARCHE
117. Jusqu'à la fin 2006, les prix de reprise des huiles usagées par les éliminateurs étaient calculés par filière et fixés administrativement par l'ADEME. Les ramasseurs agréés devaient livrer les huiles usagées aux éliminateurs agréés, peu importe lesquels. Les huiles étaient achetées au prix fixé par l'ADEME.
118. Depuis le 1er janvier 2007, les prix de reprise des huiles usagées sont librement négociés entre les ramasseurs et les éliminateurs. L'entrée en vigueur du nouveau dispositif d'indemnisation des ramasseurs a généré une concurrence entre les différents éliminateurs.
119. Les prix pratiqués en France, lors de l'entrée en vigueur du nouveau dispositif d'indemnisation, étaient plus faibles de deux tiers environ que ceux pratiqués dans les autres pays de l'Union européenne. Un processus de rattrapage est en cours. Les prix de reprise sont maintenant au niveau moyen européen.
120. Le prix d'achat moyen des huiles usagées en 2007 par les éliminateurs aux ramasseurs s'est situé à 44,25 euro HT par tonne, en hausse de 22,3 % par rapport au prix de vente moyen en 2006 (36,17 euro HT/tonne), avec une large fourchette de valeurs entre 36 et 100 euro HT/tonne. Cette hausse est à rapprocher de celle du prix de l'énergie et plus particulièrement des prix des produits pétroliers.
121. Depuis juillet 2008, les prix d'achat des huiles usagées par les éliminateurs ont encore sensiblement progressé. A la fin du mois de mai 2009, l'augmentation atteignait en moyenne 19,5%. Cette augmentation globale est partagée par tous les éliminateurs. Le prix de vente moyen, tous éliminateurs confondus, est ainsi passé de 65,57 à 78,33 euro HT/tonne entre juillet 2008 et mai 2009. 122. Le tableau ci-après détaille les prix de reprise pratiqués depuis le 1er janvier 2007 :
Mois / Valeur moyenne mensuelle huiles usagées/tonne
Janvier 2007 41,28
Juillet 2007 45,80
Janvier 2008 51,58
Juillet 2008 65,57
Janvier 2009 77,10
Juillet 2009 82,70
123. Les prix d'achat pratiqués diffèrent toutefois suivant les types de valorisation. La différence de prix entre le prix le plus bas moyen et le prix le plus haut moyen atteint environ 8 %. En mai 2009, les prix pratiqués (par type de valorisation) se situaient entre 75,92 euro HT/tonne et 82,38 euro HT/tonne.
124. Depuis juillet 2008, les prix pratiqués par la régénération sont sensiblement plus faibles que ceux pratiqués par les différents types de valorisation énergétique.
125. Dans ce contexte, la priorité à la régénération des huiles usagées semble devenue assez théorique, le choix du mode d'élimination dépendant principalement du prix négocié entre l'éliminateur et le ramasseur. Cette situation résulte de l'évolution de la politique nationale de l'environnement en la matière, à l'égard de laquelle le droit de la concurrence est neutre.
B. LES PRATIQUES EN CAUSE
1. SUR L'EXISTENCE D'UN ABUS DE POSITION DOMINANTE DE SEVIA
a) La position détenue par Sevia
126. L'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose qu' " est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ".
127. En l'espèce, l'existence d'échanges d'huiles usagées noires en vue de leur valorisation entre certains États membres rend le droit communautaire de la concurrence applicable.
128. Aux termes de l'article L. 420-2 du Code de commerce, " est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ".
129. Caractériser un abus de position dominante nécessite une analyse en trois étapes. Il convient, dans un premier temps, de délimiter le marché pertinent sur lequel l'entreprise ou le groupe d'entreprises en cause opère, dans un deuxième temps de déterminer la position que cette ou ces dernières occupent sur ce marché puis, dans un troisième temps, dans l'hypothèse où la position dominante est caractérisée, d'examiner ces pratiques en vue de déterminer si elles présentent un caractère abusif et anticoncurrentiel.
130. Eco Huile soutient que la position de Sevia s'est considérablement renforcée du fait de l'évolution récente du marché. Sevia aurait, en 2009, 61 % de part de marché. L'estimation d'Eco Huile est basée sur un tonnage collecté de 180 000 tonnes pour 2009, dont 110 000 tonnes reviendraient à Sevia.
131. Cependant, la collecte annuelle d'huiles usagées noires de toute provenance arrêtée à fin avril 2009 se situe à hauteur de 216 455 tonnes et est en baisse de 3,9 % par rapport à l'année arrêtée à fin avril 2008 (année mobile). Le tableau de bord de la filière huiles usagées du mois de juillet 2009 de l'ADEME indique qu'en année mobile, à la fin du mois de juillet 2009, la collecte d'huiles usagées noires est estimée à 213 338 tonnes, en baisse de seulement 5 % par rapport à juillet 2008.
132. Un tonnage collecté estimé à 180 000 tonnes pour 2009 comme l'affirme Eco Huile impliquerait une baisse minimale de la collecte de plus de 16 %.
133. L'estimation d'Eco Huile d'une collecte de 180 000 tonnes d'huiles usagées pour l'année 2009 n'est pas, dans le contexte actuel, sérieusement envisageable. En outre, l'affirmation selon laquelle Sevia pourrait collecter 110 000 tonnes d'huiles usagées en 2009 ne peut pas être soutenue. Eco Huile estime d'ailleurs, en s'appuyant sur les pièces communiquées par ses soins, le 16 octobre 2009, à l'Autorité de la concurrence que la collecte de Sevia et des filiales de Sarp serait de 90 000 tonnes.
134. Enfin, depuis 2006, la part de marché de Sevia baisse. Cela s'explique principalement par la concurrence de Chimirec, et par l'apparition de nouveaux collecteurs comme Faure, CMS High-Tech et Lesage. Au niveau local, la concurrence est forte entre des PME, fortement implantées, comme Astrhul, Volle, Grandidier, Martin, Rodor et les deux premiers acteurs du marché, Sevia et Chimirec.
135. Chimirec est le principal concurrent de Sevia et collecte, sensiblement, les mêmes quantités d'huiles usagées que Sevia.
136. La pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence indique clairement que, sauf circonstances particulières pouvant caractériser une position dominante collective, " l'existence d'un concurrent d'une puissance équivalente à la sienne ne permet pas [à l'entreprise mise en cause] d'adopter le comportement indépendant caractérisant une position dominante " (décision n° 05-D-50 relative à la plainte de la société SCOB à l'encontre de pratiques mises en œuvre par la société Brasseries Kronenbourg dans le secteur de la distribution de la bière) (également décision n° 91-D-31 Pratiques de la société Honda France et de la société Japauto : une entreprise qui contrôle 33,28 % d'un marché alors que son principal concurrent détient 29,75 % de part de marché, n'est pas en position dominante). Or, aucun élément ne permet d'envisager l'existence d'une position dominante collective.
137. Par conséquent, au vu de l'ensemble des éléments apportés au dossier, Sevia n'a pas de position dominante sur le marché de la vente d'huiles usagées noires collectées en vue de leur valorisation.
b) Le comportement de Sevia
138. En tout état de cause, même si Sevia disposait d'une position dominante, son comportement n'apparaît pas abusif.
139. Selon Eco Huile, la possibilité pour les ramasseurs de négocier les prix de reprise des huiles usagées collectées avec les éliminateurs a eu pour conséquence d'empêcher la filière de la régénération d'être correctement alimentée.
140. Eco Huile devrait traiter entre 60 000 et 62 000 tonnes en 2009. Pour 2010, Eco Huile prévoit de ne traiter qu'environ 40 000 tonnes. Or, selon elle, sa viabilité repose sur un traitement minimal annuel de 70 000 tonnes d'huiles.
141. Depuis le milieu des années 2000, les approvisionnements d'Eco Huile en huiles usagées sont passés de 113 000 tonnes en 2004 à 94 000 tonnes en 2006 et à 83 000 tonnes en 2007.
Les clauses du projet de contrat d'approvisionnement pour 2009
142. Aucun contrat d'approvisionnement en huiles usagées pour l'année 2009 n'a été conclu entre Sevia et Eco Huile.
143. Eco Huile estime que Sevia lui a imposé des conditions contractuelles rendant impossible la signature d'un contrat d'approvisionnement portant sur la fourniture de 17 000 tonnes, notamment en exigeant un délai de paiement à 15 jours, ainsi qu'un dépôt de garantie de 52 000 euro.
144. Les contrats d'approvisionnement conclus pour les années 2007 et 2008 comportaient des clauses sensiblement identiques.
145. Le contrat d'approvisionnement pour 2007, conclu sur la base de la fourniture de 33 000 tonnes d'huiles usagées, prévoyait le versement d'un acompte au début du contrat " correspondant à 50 % du prix [multiplié par le] volume mensuel du contrat, ledit volume mensuel [étant] estimé à 1/12ème du volume annuel (soit 56 375 , arrondi à 56 000 ) " et des conditions de règlement fixées à 14 jours après réception de facture.
146. Le contrat d'approvisionnement pour 2008, conclu sur la base de la fourniture de 23 000 tonnes d'huiles usagées, prévoyait le versement d'un acompte forfaitaire de 45 000 euro et des conditions de règlement identiques à celles définies pour l'année 2007, à savoir un règlement à 14 jours après réception de facture.
147. Les discussions entre Eco Huile et Sevia relatives aux approvisionnements en huiles usagées relevaient directement de M. Joël X et du directeur général de Sevia, jusqu'à la fin de l'année 2008. M. X a informé en décembre 2008 son interlocuteur qu'il ne discuterait plus avec lui pour les approvisionnements pour l'année 2009.
148. Une négociation sur les tonnages à livrer et leur prix est néanmoins intervenue avec un nouveau représentant d'Eco Huile. Un nouveau projet de contrat a été envoyé le 3 avril 2009. Le 30 avril 2009, bien que le délai de règlement ait été fixé à 30 jours date de facture, le représentant d'Eco Huile a confirmé son refus de verser un acompte.
149. Cependant, la demande d'un acompte ou d'une garantie représentant 50 % du prix du volume mensuel du contrat, soit l'équivalent du règlement d'un peu plus de deux semaines de livraison d'huiles usagées, n'apparaît pas abusive.
Les conditions d'approvisionnement d'Eco Huile
150. L'absence de conclusion du contrat d'approvisionnement n'a pas empêché Sevia de livrer Eco Huile, contrairement à ce qu'a pu affirmer Eco Huile. Celle-ci a accusé réception de 9 951 tonnes d'huiles usagées de la part du groupe Veolia Propreté au cours du premier semestre 2009. Chaque mois, de janvier à juin, Eco Huile a reçu plus de 1 000 tonnes d'huiles usagées du groupe Veolia Propreté.
151. La libre négociation des prix entre les ramasseurs et les éliminateurs a conduit les ramasseurs à rechercher les éliminateurs prêts à accepter les prix de reprise les plus élevés. D'autres éliminateurs qu'Eco Huile, notamment ceux de l'industrie cimentière, ont proposé des prix plus attractifs.
152. Sevia souligne, en particulier, qu'avant le 1er janvier 2007, elle était fortement dépendante de Scori et d'Eco Huile. Aussi, a-t-elle cherché à diversifier ses clients éliminateurs. Sevia a dès lors voulu répartir les volumes collectés entre ses clients. Comme Eco Huile, Scori a vu ses approvisionnements en huiles usagées diminuer.
153. La surcapacité de traitement des huiles usagées par rapport au gisement et l'entrée de nouveaux opérateurs très demandeurs d'huiles usagées comme les chaufourniers ont favorisé la hausse des prix et la diversification des exutoires pour les collecteurs.
154. Dans ce contexte, afin de garantir ses approvisionnements, Eco Huile n'a d'autre choix que d'acheter à un prix plus en phase avec le marché les tonnages d'huiles usagées nécessaires à son outil de production. Cette situation ne reflète pas, en l'espèce, une pratique abusive de son fournisseur Sevia.
155. Pour démontrer que ses difficultés d'approvisionnement n'étaient pas liées à ses conditions d'achat, Eco Huile s'est engagée à majorer de 10 euro par tonne, à compter du 1er août 2009, et pour une durée de trois mois, le prix de reprise des huiles usagées aux collecteurs.
156. Les livraisons, comptabilisées en tonnes payées par Eco Huile, ont été, au total pour les mois d'août à octobre 2009, de 21 422 tonnes. En 2008, pour les mêmes trois mois, elles avaient été de 19 796 tonnes. L'augmentation du prix d'achat de 10 euro par tonne, décidée par Eco Huile, a permis une augmentation de plus de 8 % de ses approvisionnements pour la même période d'observation.
157. Par conséquent, il apparaît que les difficultés d'approvisionnement d'Eco Huile ont résulté de mécanismes de marché normaux.
158. Aucune pratique abusive dans le chef de Sevia ne peut être mise en évidence.
2. SUR L'EXISTENCE D'UN ABUS DE DEPENDANCE ECONOMIQUE DE SEVIA A L'ENCONTRE D'ECO HUILE
159. Aux termes de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce, " est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l'article L. 442-6 ".
160. L'application de cette disposition suppose donc d'établir, dans un premier temps, l'état de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre et, dans un second temps, l'abus commis par cette dernière.
161. Ainsi qu'il ressort d'une pratique décisionnelle constante du Conseil de la concurrence (décision n° 01-D-49 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentées par la société Concurrence concernant la société Sony, décision n° 02-D-77 relative à une saisine de la Société anonyme Daniel Grenin à l'encontre des sociétés Imphy Ugine Précision, Sprint-Métal et Usinor Achats, décision n° 04-D-26 relative à la saisine de la SARL Reims Bio à l'encontre de pratiques mises en œuvre par le groupement d'intérêt public Champagne Ardenne), " la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché du fournisseur, de l'importance de la part de fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, à condition toutefois que cette part ne résulte pas d'un choix délibéré de politique commerciale de l'entreprise cliente, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ; ces conditions doivent être simultanément vérifiées pour entraîner cette qualification ". La notion même de dépendance suppose l'absence de solution équivalente, de telle sorte que l'état de dépendance implique l'impossibilité dans laquelle se trouve une entreprise de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées (décision n° 03-D-42 relative à des pratiques mises en œuvre par Suzuki et autres sur le marché de la distribution des motocycles).
162. La Cour de cassation, dans un arrêt du 3 mars 2004, a précisé que : " [...] l'état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce ".
163. Dans le cas d'espèce, entre 2006 et 2008, les approvisionnements d'Eco Huile auprès de l'ensemble des entités du groupe Veolia Propreté et notamment de Sevia ont diminué. Ils représentaient 45,41 % des approvisionnements en 2006 et seulement 28,28 % en 2008. Dans le même temps, la part des approvisionnements d'Eco Huile auprès de Chimirec a augmenté, passant de 40,35 % (2006) à 56,22% (2008). En valeur absolue, Eco Huile a acquis auprès de Chimirec 37 577 tonnes en 2006 et 44 155 tonnes en 2008 (+17 % en trois ans). Au cours du premier semestre 2009, la tendance s'est maintenue puisque Chimirec représentait 49,57 % des approvisionnements d'Eco Huile et les entités du groupe Veolia Propreté, 31,55 % de ces mêmes approvisionnements.
164. Par ailleurs, malgré la baisse de près de 40 % des volumes nets vendus à Eco Huile par Sevia et Veolia Propreté (22 218 tonnes vendues en 2008 contre 31 010 tonnes en 2007), les quantités nettes d'huiles achetées par Eco Huile n'ont diminué que de 6 % (78 538 tonnes achetées en 2008 contre 83 609 tonnes en 2007).
165. Autrement dit, Eco Huile a su trouver une solution équivalente à Sevia pour acquérir des huiles usagées en privilégiant, désormais, Chimirec dans ses approvisionnements. Eco Huile dispose, avec Chimirec, d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec Sevia pour s'approvisionner en huiles usagées.
166. Il résulte de tout ce qui précède que la saisine est insuffisamment appuyée d'éléments probants. Elle doit être rejetée en application de l'article L. 462-8 du Code de commerce. Par conséquent, la demande de mesures conservatoires doit également être rejetée.
Décision
Article 1er : La saisine enregistrée sous le numéro 09/0080 F est rejetée.
Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 09/0081 M est rejetée.