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Décisions

ADLC, 17 décembre 2009, n° 09-D-38

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Ethicon SAS, Tyco Healthcare France et le syndicat national des industries des technologies médicales

ADLC n° 09-D-38

17 décembre 2009

L'Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la lettre, enregistrée le 29 août 2005 sous le numéro 05/0066 F par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Ethicon SAS, Tyco Healthcare France et le syndicat national des industries des technologies médicales ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu le Code de la sécurité sociale ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 1er décembre 2009 ;

Adopte la décision suivante :

1. Par lettre enregistrée le 29 août 2005 sous le numéro 05/0066 F, le ministre chargé de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre à partir de 2001 dans le secteur de la fourniture d'implants de suture et de ligature internes mécaniques aux établissements publics de santé.

I. Constatations

A. PRESENTATION DU SECTEUR

1. LES PRODUITS

2. L'article L. 5211-1 du Code de la santé publique définit un dispositif médical comme " tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels intervenant dans son fonctionnement, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ".

3. Au sein de cette catégorie se trouvent notamment les implants de suture et de ligature internes mécaniques (ci-après " ISLIM "), qui sont des dispositifs permettant d'effectuer des sutures et des ligatures rapides sur tissus mous, essentiellement utilisés en chirurgie digestive.

4. Cette dénomination recouvre deux grands types de fonction, et donc d'instruments :

. la suture, qui est réalisée par un système d'agrafage ;

. la ligature, par le biais de la pose de clips.

5. Il existe, pour chacune de ces deux catégories, un très grand nombre de références, variant notamment par la taille, le nombre d'éléments (clips ou agrafes) posés en une application, la forme... A titre d'exemple, se trouvent dans la catégorie des agrafeuses :

. l'agrafeuse à hernie 5 mm, qui réalise une multi application d'agrafes droites et est utilisée pour la fixation d'implants en cas de cure de hernie inguinale par coelioscopie ;

. les agrafeuses linéaires coupantes, qui permettent de couper des tronçons d'intestins et de les réséquer ;

. les agrafeuses circulaires, permettant notamment de suturer l'oesophage.

2. LES ACTEURS

6. En 2001, deux entreprises se partageaient la très grande majorité du secteur de la fourniture des ISLIM aux établissements de santé :

. Tyco Healthcare France SAS (désormais Covidien France SAS, ci-après " Tyco "), filiale jusqu'en 2007 de Tyco International Ltd, qui représentait environ 55 % des ventes ;

. Ethicon SAS (ci-après " Ethicon "), qui appartient au groupe Johnson & Jonhson et représentait environ 40 % des ventes.

7. Quatre entreprises se partageaient à l'époque le reste du marché, aucune d'entre elles ne proposant une gamme relativement complète de produits.

8. Par ailleurs, les industriels du domaine des technologies médicales étaient et sont toujours regroupés au sein d'une organisation professionnelle, le Snitem (syndicat national des industries de technologies médicales). Ce dernier compte environ 200 adhérents, parmi lesquels les fabricants d'ISLIM.

3. LES SPECIFICITES DU MARCHE

a) La réglementation en vigueur jusqu'en 2006 en matière de remboursement

9. Les ISLIM étaient initialement pris en charge par l'assurance maladie à hauteur des montants facturés par les fabricants ou les intermédiaires aux établissements privés de santé, les établissements publics fonctionnant sur le principe d'une dotation globale.

10. Dans le but de contenir les dépenses de santé, ces dispositifs ont, en 1996, fait l'objet d'une inscription par arrêté sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR, anciennement tarif interministériel des prestations sanitaires ou TIPS), cette inscription étant assortie de la fixation d'un tarif maximum de remboursement. Ce dernier était déterminé par le Comité économique des produits de santé (ci-après " CEPS ", créé en 2000 pour remplacer le Comité économique des médicaments).

11. A cette occasion a été créé un Code spécifique pour les ISLIM, le Code 301J03, regroupant l'ensemble des produits appartenant à cette catégorie, les tarifs de remboursement maximaux ayant été fixés par ligne de produits.

12. Ce système de tarif maximum de remboursement par type de produit a perduré jusqu'en 2006, date à laquelle a été mise en place pour les établissements de santé la tarification à l'activité.

b) Deux demandes différentes : les établissements publics et les cliniques privées

13. Avant 2006 et la mise en place de la tarification à l'activité, la demande différait notablement selon le statut de l'établissement de santé concerné.

14. En effet, pour les hôpitaux publics et les établissements privés participant au service public, le coût d'achat de l'ensemble des ISLIM était pris en charge dans le cadre de la dotation globale de l'établissement. Ces achats étaient réalisés par appels d'offres.

15. S'agissant des autres établissements privés, les ISLIM étaient pris en charge au titre des prothèses internes, c'est-à-dire en supplément du forfait de salle d'opération et du prix de journée, conformément à la convention type de l'hospitalisation privée. Dans la plupart des cas, les implants étaient placés par le fabricant en dépôt dans l'établissement et ne faisaient l'objet d'une facturation puis d'un paiement qu'après avoir été posés sur un patient.

16. Cette différence se traduisait de manière concrète par le fait que les établissements publics faisaient jouer la concurrence, contrairement aux cliniques privées, dans la mesure où ces dernières n'y avaient aucun intérêt, puisqu'elles n'avaient qu'un rôle d'intermédiaire passif. Ainsi, les prix des fabricants à l'égard des établissements publics étaient notablement inférieurs à ceux pratiqués à l'égard des cliniques privées, ces derniers étant égaux au tarif maximum de remboursement. D'importants écarts entre les prix publics et privés pouvaient ainsi être constatés pour certains types de produits, comme le révèle le tableau 1 ci-après.

<emplacement tableau>

Tableau 1-Prix moyen pratiqué pour chaque type de produit à l'égard des établissements publics en pourcentage du prix pratiqué à l'égard des établissements privés en 20001

B. LES PRATIQUES

17. Dans le rapport administratif d'enquête sont relevés des comportements mis en œuvre par Ethicon et Tyco en réaction à des évolutions concernant les tarifs maximum de remboursement des ISLIM.

1. LE CONTEXTE DE MODIFICATIONS DES TARIFS DE REMBOURSEMENT

18. Parallèlement à la fixation des tarifs maximum de remboursement des ISLIM intervenue en 1996, s'est engagé un processus de limitation des dépenses conduisant les fabricants et la CNAMTS (caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) à s'accorder sur une baisse de prix concernant les cliniques privées de l'ordre de 25 %.

19. Deux ans plus tard, en 1998, l'ensemble des lignes inscrites sous le Code 301J03 a fait l'objet d'une nouvelle baisse de 2 % du tarif de remboursement.

20. Ces deux baisses ont été suivies en 2001 par l'annonce faite par le CEPS d'une prochaine diminution du tarif maximum de remboursement dans le secteur des ISLIM, sans toutefois préciser ni le montant exact de cette diminution, ni les produits touchés. Le CEPS justifiait alors cette volonté par la différence de prix constatée entre les établissements publics et les établissements privés.

21. Confirmant cette annonce, un avis interministériel de novembre 2001 a précisé l'intention des ministres chargés de la sécurité sociale, de la santé, et de l'économie et des finances de baisser les tarifs de remboursement des ISLIM correspondant à 6 lignes de la nomenclature, baisse confirmée par deux arrêtés ministériels de juin 2002, et appliquée dans sa totalité en février 2003 (baisse de 3 % en juin 2002, baisse de 3 % en février 2003).

22. Confrontées à ces baisses successives des tarifs maximum de remboursement, qui correspondaient aux prix pratiqués par Tyco et Ethicon à l'égard des établissements privés, ces deux entreprises ont décidé de réagir en 2001.

2. LA REACTION DES FABRICANTS

23. Selon les représentants d'Ethicon, les autorités publiques, après les hausses de 1996 et 1998, s'étaient engagées à maintenir un statu quo pour les années suivantes. Le revirement de 2001-2002 a conduit Ethicon et Tyco à adopter toutes les deux la même stratégie consistant, dès fin 2001, à ne plus proposer de remises aux établissements publics, et à aligner, l'une comme l'autre, les prix de l'ensemble des produits du Code 301J03 proposés à ces établissements sur le tarif maximum de remboursement.

24. Plus précisément, Ethicon a décidé en juillet 2001 d'aligner ses prix sur le tarif maximum de remboursement, comme le précise la directrice export d'Ethicon Endo-Surgery France : " La décision de ne plus offrir de remises aux hôpitaux publics et de s'aligner sur le TIPS a été prise en juillet 2001. C'était en quelque sorte une "salve d'essai". Nous savions que les prix TIPS allaient baisser et ce, de façon injustifiée, dans la mesure où nos engagements conventionnels avaient été respectés. Nous nous étions donné environ 3 mois pour voir comment le marché allait réagir ".

25. Si Tyco a également répondu à des appels d'offres des établissements publics de santé sans proposer de remise dès juillet 2001, des documents internes attestent que ses dirigeants n'ont eu connaissance de la modification de la politique commerciale d'Ethicon qu'en juillet 2001, et que ce n'est qu'à partir d'octobre 2001 que la société a généralisé ce principe d'alignement sur le tarif maximum de remboursement.

26. Par ailleurs, alors que les entreprises ignoraient encore les caractéristiques précises des modifications réglementaires envisagées (de mi 2001 à début 2002), le syndicat professionnel a été le lieu de nombreuses réunions de discussion et d'information sur ces modifications réglementaires et les éventuels moyens à mettre en œuvre pour éviter qu'elles ne se produisent.

II. Discussion

27. Selon la saisine, les pratiques relevées pourraient résulter d'une entente contraire aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après " TFUE "). Le rapport administratif d'enquête envisage également que le comportement observé puisse découler d'une " coordination tacite ", susceptible d'être considérée comme un abus de position dominante collective contrevenant aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu article 102 du TFUE. Ces deux hypothèses sont analysées ci-après.

28. A titre liminaire, il convient de préciser que rien dans les éléments matériels recueillis, que ce soit au cours des opérations de visites et saisies, lors des auditions ou en réponse à des demandes de renseignements, ne laisse entendre que les réunions qui se sont déroulées dans le cadre du Snitem aient pu avoir un quelconque objet anticoncurrentiel. Elles ont consisté en un suivi des modifications réglementaires susceptibles de s'appliquer au secteur, ainsi qu'en une recherche des stratégies possibles pour les minimiser, comprenant notamment la possibilité de solliciter l'arbitrage de la ministre de la santé ou de tenter de retarder ces évolutions, via par exemple l'élaboration d'un argumentaire juridique.

29. Ces actions, que rien ne permet de qualifier de pratiques anticoncurrentielles, correspondent à l'exercice des missions du Snitem, notamment :

- " assurer l'étude et la défense des intérêts économiques et industriels de ses membres ;

- les représenter, tant en France qu'à l'étranger, auprès des Pouvoirs Publics, et de tout organisme public ou privé, des Chambres de Commerce et autres Groupements industriels, commerciaux ou professionnels ;

- étudier toutes les questions d'ordre économique, professionnel et technique se rapportant à l'Industrie des Technologies Médicales et des Dispositifs Médicaux ".

30. Dès lors, seuls les comportements de Tyco et Ethicon consistant à adopter la même stratégie de prix restent à analyser, en tant qu'éventuelle concertation tout d'abord, en tant que possible collusion tacite ensuite.

A. SUR L'EXISTENCE D'EVENTUELLES PRATIQUES CONCERTEES

1. LES ELEMENTS MATERIELS

31. Les seuls éléments du dossier appuyant la thèse de l'existence d'une pratique concertée sont des déclarations de pharmaciens des hôpitaux publics, rapportant eux-mêmes les propos de commerciaux des deux entreprises.

Ainsi, le pharmacien du centre hospitalier de Dieppe a déclaré : " Mi novembre 2001, le délégué médical de Tyco m'a informé que pour compenser le manque à gagner auprès des cliniques, le syndicat qui regroupe les industriels du secteur avait proposé que les fabricants répondent aux appels d'offres sans remise. Ceci explique que Tyco et Ethicon aient répondu à notre appel d'offres en proposant des prix identiques. Je sais que d'autres collègues sont confrontés comme moi à cette situation ".

32. Évoquant les visites des représentants de Ethicon et de Tyco, le pharmacien du centre hospitalier de Saint-Brieuc a quant à lui affirmé : " Dans leurs explications, j'ai aussi compris que les deux sociétés s'étaient entendues pour adopter cette politique de prix au niveau du tarif de remboursement T.I.P.S. ".

33. Les opérations de visites et saisies n'ont pas apporté d'élément permettant de confirmer ces pratiques. Au contraire, elles ont fait apparaître des pièces de nature à l'infirmer, telles celles révélant chez Ethicon, initiateur de la stratégie, des interrogations quant à l'attitude que Tyco allait adopter en réponse, ou celles attestant la grande surprise de Tyco face à la nouvelle stratégie de son concurrent.

34. Ainsi, un document rappelant la stratégie de communication des forces de vente d'Ethicon portant la date du 27 octobre 2003 témoigne de l'absence d'information de l'entreprise concernant la stratégie en réponse de Tyco :

" Et que va faire TYCO ? Les alternatives sont simples : soit TYCO nous suit, ce que nous espérons, car ils ont les mêmes contraintes que nous ; mais il est possible qu'ils ne le fassent pas, dans ce cas nous devrons baisser nos prix sur certains produits, mais sur d'autres cela ne sera pas possible (car nous serions en dessous du niveau européen et ils ne seraient plus rentables) et il faudra que nous retirions ces produits du marché. D'ailleurs, nous avons un exemple dès aujourd'hui puisque nous retirons 2 produits, l'ECS et la TLCIO ".

35. Symétriquement, dans l'autre entreprise, un courriel interne fait état en juillet 2001 de la surprise de ses dirigeants quant à l'augmentation des prix envisagée par Ethicon :

" J'ai eu une conversation intéressante avec le Professeur X... ce matin au sujet du problème potentiel du TIPS. Il travaille encore sur la proposition dont nous avons discuté à l'ambassade US mardi dernier mais, l'autre commentaire intéressant qu'il a fait était au sujet d'une conversation téléphonique qu'il a eue avec M. Y... d'Ethicon, hier au cours de laquelle ce dernier l'a informé qu'Ethicon était en train d'envisager d'augmenter ses prix au niveau du TIPS au plus tôt la semaine prochaine. Je suis très surprise de cette information. Pourriez-vous vérifier avec votre organisation si un quelconque feedback vous a été donné par vos consommateurs en ce qui concerne une décision potentielle de J&J [groupe auquel appartient Ethicon] ?

D'autre part, j'aimerais avoir une petite discussion avec vous et Serge lundi après le debriefing avec Mme Z... pour prévoir ce que pourrait être notre attitude si cela était vrai " (soulignement ajouté).

36. La réponse à ce courriel démontre tout autant l'absence de concertation des deux entreprises :

" Maintenant, en ce qui concerne l'info relative au TIPS sur le terrain : Serge m'a informé ce matin qu'un Directeur Régional des Ventes l'avait informé de rumeurs indiquant qu'Ethicon allait augmenter ses prix de 30 %. J'ai aussi parlé à Pascal A... vendredi dernier qui m'a dit qu'il y avait des rumeurs de baisse de 8 % des prix TIPS. Il semble que l'info relative au TIPS soit sortie et il est important que nous gardions nos directeurs régionaux des ventes en alerte. En ce qui concerne l'info relative aux prix d'ETHICON, il est difficile de savoir si c'est une info fiable de la part de Serge. D'un autre côté, nous avons l'info émanant du Professeur X....

A la lumière de ce qui est ci dessus, je suggère que nous organisions une conférence téléphonique avec nos directeurs régionaux des ventes, pour les tenir informés et pour clarifier autant que possible la rumeur du marché concernant la hausse de prix d'ETHICON ".

37. Non seulement les éléments matériels ne permettent pas de démontrer la concertation, mais l'évolution des tarifs de remboursement réglementés semble de nature à pouvoir expliquer à elle seule le comportement adopté par Ethicon et Tyco.

2. UNE REGULATION INCITANT AU PARALLELISME DE COMPORTEMENT

38. Si la similitude des comportements des deux entreprises en matière de prix est incontestable, il convient de rappeler que le parallélisme de comportements ne suffit pas à lui seul à démontrer l'existence d'une entente anticoncurrentielle. En effet, ce parallélisme peut résulter de la mise en œuvre de stratégies autonomes par des entreprises souhaitant s'adapter aux évolutions du marché (2). Ainsi que le rappelle le Conseil de la concurrence dans son rapport annuel 2006 (3), " même si ce comportement d'alignement peut avoir le même objet ou effet restrictif de concurrence qu'une entente, le concours de volonté, dont il a été souligné qu'il constituait un élément constitutif de l'infraction d'entente anti-concurrentielle, fait défaut. L'infraction n'est donc pas caractérisée. Les oligopoles ne constituent pas en eux-mêmes des atteintes à la concurrence ".

39. Ainsi que l'exposait le Conseil de la concurrence dans son avis n° 01-A-14 du 23 octobre 2001 : " Des réponses parallèles mais indépendantes peuvent se produire [lorsque] un événement extérieur affecte de façon identique l'ensemble des concurrents, qui en sont tous également informés ".

40. En l'espèce, l'évolution de la régulation tarifaire a modifié le fonctionnement du marché et donné aux deux entreprises les incitations suffisantes pour qu'elles modifient leurs comportements de manière parallèle.

41. Ainsi, Ethicon et Tyco ont été doublement incités à aligner leurs prix à l'égard des établissements publics sur le tarif maximum de remboursement : d'une part ce tarif constitue un point focal facilitant l'adoption d'une position stratégique identique des deux entreprises ; d'autre part et surtout le CEPS a plusieurs fois justifié la nouvelle baisse de tarif par le différentiel entre les prix du secteur public et ceux du secteur privé, poussant ainsi mécaniquement les deux entreprises à annuler ce différentiel.

42. En effet, tant les déclarations des entreprises que les documents saisis, notamment au Snitem, attestent que cette justification a été avancée par le CEPS, comme le montre par exemple le compte-rendu d'une réunion de l'organisation professionnelle du 23 septembre 2001 :

" La décision de procéder à une baisse de prix de certaines lignes étant motivée par le constat d'un différentiel de prix entre secteur privé et secteur public, j'ai suggéré à plusieurs reprises aux 2 entreprises de faire réaliser une analyse juridique qui permettrait de connaître le degré de recevabilité de l'argument utilisé par le CEPS pour fonder sa décision ".

43. Par ailleurs, si cette mesure de régulation est suffisante pour expliquer le comportement parallèle des entreprises, il faut replacer ce dernier dans un contexte de baisses successives des tarifs maximum de remboursement. Les autorités publiques s'étaient, semble-t-il, engagées à les faire cesser après 1996.

44. Ainsi, Ethicon, qui a été la première à aligner ses prix sur le tarif maximum de remboursement, a indiqué que le manque à gagner engendré par les baisses successives de ce tarif s'élevait, depuis 1996, à plus de 76 millions d'euros de chiffre d'affaires. En comparaison, l'entreprise a précisé que les gains liés à la stratégie d'alignement s'élevaient à moins de 26 millions d'euros.

45. Ethicon explique d'ailleurs sa décision d'aligner ses prix sur le tarif maximum de remboursement ainsi :

" Partant du constat des prix relativement bas pratiqués dans le public pour les raisons précitées [différence du système de prise en charge entre établissements publics et privés], les pouvoirs publics ont décidé de réduire sensiblement et à plusieurs reprises les prix

TIPS.

Concrètement, plus les prix baissaient dans le public, plus le prix TIPS baissait ou risquait de baisser.

En conséquence de ce double système, les prix de ventes des produits Ethicon étaient en baisse permanente, réduisant significativement la rentabilité de la commercialisation de ces produits.

De plus, en comparaison des prix de vente d'autres pays européens comparables, tels que le Royaume-Uni et l'Italie, les prix français étaient les plus bas.

En prévision de la mise en place d'appels d'offres européens sur notre marché, le siège Européen d'Ethicon a donc décidé de mettre en place une stratégie d'harmonisation de ces prix, avec également le souci de limiter l'hémorragie de baisse de prix et donc de perte de rentabilité en France ".

46. Force est donc de constater que la thèse de la concertation ne peut être retenue. Il convient alors d'examiner celle de la collusion tacite.

B. SUR L'EXISTENCE D'UN ÉVENTUEL ABUS DE POSITION DOMINANTE COLLECTIVE

47. La démonstration de l'existence d'un abus de position dominante collective nécessite de délimiter le marché pertinent, de démontrer que les entreprises concernées détiennent une position dominante collective sur ce marché et enfin de caractériser l'abus qui a été commis. En l'espèce, il est possible de démontrer l'absence d'abus, sans qu'il soit besoin de procéder à la délimitation du marché et à la caractérisation d'une position dominante collective.

48. Les pratiques relevées, consistant à remonter les prix à destination des établissements publics et à les aligner conjointement au niveau du tarif maximum remboursable, ne pourraient être appréhendées que sous l'angle des prix abusivement élevés.

49. Au cas d'espèce, il n'apparaît pas que le prix fixé individuellement par les membres du duopole soit abusivement élevé. Une pratique de prix abusivement élevés peut être établie s'il existe une disproportion manifeste entre ce prix et la valeur du service correspondant, et que cette disproportion ne s'appuie sur aucune justification économique. Ainsi, en principe, l'appréciation d'un prix abusivement élevé doit au premier abord s'apprécier au regard des coûts de la prestation. S'il n'est pas possible d'établir cette disproportion par examen des coûts, il est permis de recourir à une évaluation par comparaison avec les prix pratiqués par des entreprises placées dans des situations équivalentes (voir notamment les décisions n° 03-D-18 du 10 avril 2003 relative à une saisine de la société GLEM, n° 05-D-15 du 13 avril 2005 relative à une saisine de la société Regal Pat contre la société Electricité de Strasbourg et n° 06-D-39 du 15 décembre 2006 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Impression des Pyrénées).

50. En l'espèce, il est impossible de démontrer l'existence d'une disproportion entre le prix pratiqué, qui est le tarif maximum de remboursement, et la valeur du produit correspondant, dans la mesure où il s'agit précisément du tarif remboursé par la sécurité sociale et donc implicitement reconnu par les autorités publiques comme correspondant à la valeur que la société accorde à ce produit.

51. En effet, le tarif est déterminé par le CEPS sur le fondement des critères fixés par l'article R. 165-14 du Code de la sécurité sociale qui dispose notamment que " La détermination de ces tarifs tient compte principalement du service rendu, de l'amélioration éventuelle de celui-ci, des tarifs et des prix des produits ou prestations comparables inscrits sur la liste, des volumes de ventes prévus et des conditions prévisibles et réelles d'utilisation. ". Dès lors, il est impossible de considérer que ce tarif maximum de remboursement peut constituer un prix abusivement élevé.

52. Enfin, à titre subsidiaire, il convient de rappeler que les prix pratiqués tant par Ethicon que par Tyco dans d'autres pays européens à l'époque des faits étaient pour la plupart supérieurs à ceux en vigueur en France.

53. A cet égard, Tyco a fourni un tableau, reproduit ci-après, précisant les prix moyens de ses principaux produits en 2003, pour la France et quatre autres pays européens, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne. La comparaison internationale montre que Tyco vend ses produits en France à des prix inférieurs à ceux pratiqués dans les autres pays, et ce en 2003, année pendant laquelle la pratique relevée est toujours mise en œuvre.

<emplacement tableau>

54. S'agissant d'Ethicon, cette dernière a fourni les prix moyens qu'elle pratiquait dans d'autres pays en 2001. Le tableau 3 ci-après montre une comparaison de ces prix moyens avec le tarif maximum de remboursement fixé par le CEPS en 2001 et adopté comme prix en France par l'entreprise à cette période. Cette comparaison ne permet pas non plus de mettre en évidence que Ethicon aurait pu profiter d'un pouvoir de marché pour imposer des prix excessivement élevés.

<emplacement tableau>

55. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les pratiques constatées, consistant en une augmentation parallèle des prix des ISLIM vendus aux hôpitaux publics pour les porter au niveau du tarif maximum de remboursement, ne résultent pas de pratiques concertées prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE, et ne sont pas non plus constitutives d'un abus de position dominante collective prohibé par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

Décision

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Constance Valigny et l'intervention orale de M. Stanislas Martin, rapporteur général adjoint, par Mme Élisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, MM. Emmanuel Combe, Noël Diricq, Jean-Bertrand Drummen et Pierre Godé, membres.

Notes

1 Ce différentiel a été calculé à partir des chiffre d'affaires et des volumes vendus fournis par les deux entreprises.

2 Voir notamment la décision n° 06-D-19 du 6 juillet 2006 relative à une saisine de la société TNC Distribution concernant le commerce en gros de pièces détachées pour automobiles, § 36, ou la décision n° 06-D-11 du 16 mai 2006 relative à une saisine de la société Turbo Europe, § 19.

3 Etudes thématiques, p. 107.