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Décisions

CJUE, 4e ch., 23 décembre 2009, n° C-376/08

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Serrantoni Srl, Consorzio stabile edili Scrl

Défendeur :

Comune di Milano, Bora Srl Construzioni edili, Unione consorzi stabili Italia, Associazione nazionale imprese edili

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, MM. Juhász (rapporteur), Arestis, von Danwitz

Avocat général :

Mme Kokott

CJUE n° C-376/08

23 décembre 2009

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 4 de la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), des articles 39 CE, 43 CE, 49 CE et 81 CE ainsi que des principes généraux d'égalité de traitement et de proportionnalité.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la société de construction Serrantoni Srl (ci-après "Serrantoni") au Comune di Milano (ville de Milan), au sujet de la décision de ce dernier d'exclure Serrantoni de la participation à une procédure de passation d'un marché public de travaux.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le deuxième considérant de la directive 2004-18 énonce:

"La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l'État, des collectivités territoriales et d'autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité [CE], notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l'égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d'élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu'une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu'aux autres règles du traité."

4 Aux termes de l'article 2 de cette directive:

"Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d'égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence."

5 L'article 4 de ladite directive, sous l'intitulé "Opérateurs économiques", dispose:

"1. Les candidats ou soumissionnaires qui, en vertu de la législation de l'État membre où ils sont établis, sont habilités à fournir la prestation en question ne peuvent être rejetés seulement du fait qu'ils auraient été tenus, en vertu de la législation de l'État membre où le marché est attribué, d'être soit des personnes physiques, soit des personnes morales.

[...]

2. Les groupements d'opérateurs économiques sont autorisés à soumissionner ou à se porter candidats. Pour la présentation d'une offre ou d'une demande de participation, les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent exiger que les groupements d'opérateurs économiques aient une forme juridique déterminée, mais le groupement retenu peut être contraint de revêtir une forme juridique déterminée lorsque le marché lui a été attribué, dans la mesure où cette transformation est nécessaire pour la bonne exécution du marché."

6 Conformément à l'article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004-18, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal à la suite de l'adaptation apportée par le règlement (CE) n° 2083-2005 de la Commission, du 19 décembre 2005, modifiant les directives 2004-17-CE et 2004-18 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d'application en matière de procédures de passation des marchés (JO L 333, p. 28), la directive 2004-18 s'appliquait aux marchés publics de travaux dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée était égale ou supérieure à 5 278 000 euro.

7 L'article 45 de cette directive, intitulé "Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire", prévoit à son paragraphe 2:

"Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique:

a) qui est en état de faillite, de liquidation, de cessation d'activités, de règlement judiciaire ou de concordat préventif ou dans toute situation analogue résultant d'une procédure de même nature existant dans les législations et réglementations nationales;

b) qui fait l'objet d'une procédure de déclaration de faillite, de règlement judiciaire, de liquidation, de concordat préventif ou de toute autre procédure de même nature existant dans les législations et réglementations nationales;

c) qui a fait l'objet d'un jugement ayant autorité de chose jugée selon les dispositions légales du pays et constatant un délit affectant sa moralité professionnelle;

d) qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier;

e) qui n'est pas en règle avec ses obligations relatives au paiement des cotisations de sécurité sociale selon les dispositions légales du pays où il est établi ou celles du pays du pouvoir adjudicateur;

f) qui n'est pas en règle avec ses obligations relatives au paiement de ses impôts et taxes selon les dispositions légales du pays où il est établi ou celles du pays du pouvoir adjudicateur;

g) qui s'est rendu gravement coupable de fausses déclarations en fournissant les renseignements exigibles en application de la présente section ou qui n'a pas fourni ces renseignements.

Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d'application du présent paragraphe."

La réglementation nationale

8 Le décret législatif n° 163, portant création du Code des marchés publics de travaux, de services et de fournitures en application des directives 2004-17-CE et 2004-18-CE (Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004-17-CE e 2004-18-CE), du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI n° 100, du 2 mai 2006, ci-après le "décret législatif n° 163-2006"), régit en Italie, dans leur ensemble, les procédures de passation des marchés publics dans les secteurs des travaux, des services et des fournitures. L'article 34 de ce décret législatif, tel que modifié par le décret législatif n° 113, du 31 juillet 2007, intitulé "Personnes auxquelles les marchés publics peuvent être attribués", prévoit à son paragraphe 1:

"1. Sans préjudice des limites expressément indiquées, les personnes suivantes sont admises à participer aux procédures d'attribution des marchés publics:

[...]

b) les groupements de sociétés coopératives de production et de travail [...] ainsi que les groupements d'entreprises artisanales [...];

c) les groupements stables, constitués sous forme de sociétés de consortiums [...], entre des entrepreneurs individuels (y compris des artisans), des sociétés commerciales ou des sociétés coopératives de production et de travail, conformément aux dispositions de l'article 36;

[...]

f) les personnes ayant conclu un contrat de groupement européen d'intérêt économique (GEIE) [...];

f bis) les opérateurs économiques [...] établis dans d'autres États membres et constitués conformément à la législation en vigueur dans l'État concerné."

9 Aux termes de l'article 36, paragraphe 1, du décret législatif n° 163-2006:

"On entend par 'groupements stables' ('consorzi stabili') ceux [...] qui, par décision adoptée par leurs organes de direction respectifs, sont convenus de participer conjointement à des marchés publics de travaux, de services et de fournitures, pour une période non inférieure à cinq ans, en créant à cette fin une structure d'entreprise commune."

10 L'article 36, paragraphe 5, du décret législatif n° 163-2006, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, disposait:

"[...] la participation du groupement stable et de ses membres à la même procédure d'attribution est interdite; en cas de non-respect de cette interdiction, l'article 353 du Code pénal s'applique [...]"

11 L'article 37, paragraphe 7, dudit décret législatif, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, prévoyait:

"[...] Les groupements visés à l'article 34, paragraphe 1, sous b), sont tenus d'indiquer, dans le cadre de l'offre, pour quels membres le groupement soumissionne; il est interdit à ces derniers de participer, sous une quelconque autre forme, à la même procédure d'appel d'offres; en cas de violation, tant le groupement que le membre sont exclus de l'appel d'offres; en cas de non-respect de cette interdiction, l'article 353 du Code pénal s'applique [...]"

12 Conformément à l'article 353 du Code pénal, le non-respect de l'interdiction susvisée est passible d'une peine de réclusion pouvant aller jusqu'à deux ans et, dans certaines circonstances, jusqu'à cinq ans, et d'une amende.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Le Comune di Milano a lancé, au cours de l'année 2007, un appel d'offres aux fins de l'attribution d'un marché de travaux portant sur des "interventions d'urgence et [la] rationalisation des bureaux annexes de l'état civil, Ve lot". Le 27 septembre 2007, le Comune di Milano a décidé d'exclure de la procédure de passation du marché Serrantoni, membre du groupement stable Consorzio stabile edili Scrl, ainsi que ce groupement, pour infraction à l'article 36, paragraphe 5, du décret législatif n° 163-2006. Le Comune di Milano a également ordonné, sur le fondement de cette disposition, la transmission des actes au parquet général aux fins de l'application de l'article 353 du Code pénal et a adjugé le marché à une autre entreprise.

14 Serrantoni et le groupement stable auquel elle appartient ont introduit un recours contre cette décision du pouvoir adjudicateur devant la juridiction de renvoi, faisant valoir que l'article 36, paragraphe 5, du décret législatif n° 163-2006 est incompatible avec l'article 4 de la directive 2004-18, avec les articles 39 CE, 43 CE, 49 CE et 81 CE ainsi qu'avec le principe de non-discrimination.

15 La juridiction de renvoi souligne, tout d'abord, que la réglementation nationale en cause au principal opère une distinction entre les groupements stables, d'une part, et les groupements de sociétés coopératives de production et de travail ainsi que les groupements d'entreprises artisanales, d'autre part. En ce qui concerne les premiers, il est prévu une interdiction absolue, pour le groupement et pour les sociétés qui en font partie, de participer simultanément au même marché par des offres séparées, sous peine d'exclusion automatique de ceux-ci et de sanctions pénales. En ce qui concerne les seconds, cette interdiction s'applique uniquement au groupement et à la société dans l'intérêt de laquelle ce groupement a déposé une offre dans le cadre du marché considéré. Cette juridiction fait observer que, dans l'affaire au principal, le groupement stable dont il s'agit n'a pas participé à l'appel d'offres dans l'intérêt de Serrantoni.

16 La juridiction de renvoi relève, ensuite, que les différents types de groupements susmentionnés ne présentent pas entre eux de différences de finalité et d'organisation susceptibles de justifier une telle inégalité de traitement. Tous ces types de groupements sont caractérisés par l'existence d'une structure commune, aux fins d'instaurer une coopération entre les entreprises membres, destinée à réduire les frais de gestion, à optimiser les résultats économiques de chacune d'elles et à augmenter la compétitivité en matière de marchés publics. Elle se demande donc si une telle différence de traitement est compatible avec le principe de non-discrimination et avec l'exigence communautaire d'assurer la plus large participation possible aux procédures de marchés publics.

17 La juridiction de renvoi se demande également si cette différence de traitement est compatible avec l'article 4 de la directive 2004-18, dans la mesure où l'exclusion en cause est uniquement fonction de la forme juridique de l'entité considérée en tant que groupement stable, ainsi qu'avec les articles 39 CE, 43 CE, 49 CE et 81 CE. Cette discrimination revêtirait, de surcroît, une importance particulière en raison du fait que l'institution de groupements a été amplement prévue dans les ordres juridiques des autres États membres et qu'elle trouve sa synthèse au niveau communautaire dans les groupements européens d'intérêt économique (GEIE).

18 Enfin, la juridiction de renvoi relève que l'interdiction absolue en cause est fondée exclusivement sur un élément formel, à savoir la participation d'une société à un certain type de groupement. En effet, la réglementation litigieuse n'exigerait nullement une appréciation concrète de l'influence réciproque exercée par le groupement et par l'entreprise membre, mais poserait au contraire une présomption abstraite d'interférence réciproque. Ainsi, relève ladite juridiction, même lorsque le groupement ne participe pas au marché dans l'intérêt de la société considérée, ne recourt pas à celle-ci pour l'exécution du marché et ne s'est donc pas mis d'accord avec cette société sur la présentation de l'offre, cette interdiction absolue est applicable. Elle se demande, dès lors, si cette interdiction absolue peut être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la sauvegarde de la régularité des procédures de marchés publics et si elle ne dépasse largement sa finalité.

19 Eu égard à ces considérations, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les dispositions nationales figurant à l'article 36, paragraphe 5, du décret législatif n° 163-2006 [...], qui prévoient:

- en présence d'un membre de groupement soumissionnaire, l'exclusion automatique des procédures de marchés d'une entité associée, du seul fait qu'elle revêt une forme juridique donnée (celle du groupement stable) plutôt que d'autres formes juridiques identiques en substance (groupement de coopératives de production et de travail ou groupement d'entreprises artisanales),

- et en même temps, en présence d'un groupement stable participant qui aurait pourtant déclaré qu'il soumissionnait pour le compte d'entreprises différentes et qu'il attribuerait les travaux à d'autres entreprises en cas d'adjudication, l'exclusion automatique d'une entreprise du seul fait formel d'avoir adhéré à ce groupement,

font-elles obstacle à l'exacte application de l'article 4 de la directive 2004-18 [...] ?

2) Les dispositions nationales de l'article 36, paragraphe 5, du décret législatif n° 163-2006 [...], qui prévoient:

- en présence d'un membre du groupement participant, l'exclusion automatique des appels d'offres d'une entité associée, du seul fait qu'elle revêt une certaine forme juridique (celle de groupement stable) plutôt que d'autres formes juridiques identiques, en substance (le groupement de coopératives de production et de travail ou le groupement d'entreprises artisanales),

- et en même temps, en présence d'un groupement stable participant, qui aurait pourtant déclaré qu'il soumissionnait pour le compte d'entreprises différentes et qu'il attribuerait les travaux à d'autres entreprises en cas d'adjudication, l'exclusion automatique d'une entreprise du seul fait formel d'avoir adhéré à ce groupement,

font-elles obstacle à l'exacte application des articles 39 CE, 43 CE, 49 CE et 81 CE ?"

Sur les questions préjudicielles

20 Il y a lieu de signaler, à titre liminaire, que, ainsi qu'il ressort du dossier soumis à la Cour, la valeur du marché sur lequel porte la procédure de passation litigieuse au principal est nettement inférieure au seuil prévu à l'article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004-18. Par conséquent, ce marché ne relève pas du champ d'application des procédures prévues par cette directive.

21 Toutefois, il importe de relever que le fait que la valeur d'un marché n'atteint pas le seuil prévu par les règles communautaires ne signifie pas pour autant que ce marché échappe complètement à l'application du droit communautaire.

22 Il ressort, en effet, de la jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre de la passation d'un marché dont la valeur n'atteint pas ledit seuil, les règles fondamentales du traité et en particulier le principe d'égalité de traitement doivent être respectés. L'élément de distinction par rapport aux marchés dont la valeur dépasse le seuil fixé par les dispositions de la directive 2004-18 est que seuls ces derniers sont soumis aux procédures particulières et rigoureuses prévues par ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2008, SECAP et Santorso, C-147-06 et C-148-06, Rec. p. I-3565, points 19 et 20).

23 Cette interprétation est confirmée par le deuxième considérant de la directive 2004-18, qui énonce que la passation de tous les marchés conclus dans les États membres pour le compte d'entités ayant la qualité de pouvoir adjudicateur doit respecter les règles de base du traité, notamment celles concernant la libre circulation des produits et des services ainsi que le droit d'établissement, et les principes fondamentaux qui en découlent, notamment ceux d'égalité de traitement, de proportionnalité et de transparence.

24 Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour, l'application des règles fondamentales et des principes généraux du traité aux procédures de passation des marchés d'une valeur inférieure au seuil d'application des dispositions communautaires présuppose que les marchés en cause présentent un intérêt transfrontalier certain (arrêt SECAP et Santorso, précité, point 21 et jurisprudence citée).

25 À cet égard, la Cour a déjà souligné qu'il appartient à la juridiction de renvoi de procéder à une appréciation circonstanciée de tous les éléments pertinents concernant le marché en cause afin de vérifier l'existence d'un intérêt transfrontalier certain (arrêt SECAP et Santorso, précité, point 34). En l'espèce, les réponses aux questions posées partent de la prémisse, qu'il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, selon laquelle le marché en cause au principal comporte un intérêt transfrontalier certain.

Sur la première question

26 Par cette question, la juridiction de renvoi demande si l'article 4 de la directive 2004-18 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l'exclusion automatique de la participation à une procédure de passation d'un marché public et l'infliction de sanctions pénales à l'encontre tant d'un groupement stable que des entreprises qui sont membres de celui-ci, lorsque ces dernières ont présenté des offres concurrentes de celle de ce groupement dans le cadre de la procédure en question, quand bien même l'offre dudit groupement n'aurait pas été déposée pour le compte et dans l'intérêt de ces entreprises.

27 À cet égard, ainsi qu'il a été rappelé au point 20 du présent arrêt, le marché en cause au principal ne relève pas du champ d'application des procédures prévues par cette directive, étant donné que sa valeur est inférieure au seuil prévu à l'article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004-18.

28 Par conséquent, il n'y a pas lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.

Sur la seconde question

29 Par cette question, considérée à la lumière de la demande de décision préjudicielle prise dans son ensemble, la juridiction de renvoi demande si les principes généraux d'égalité de traitement et de proportionnalité découlant des articles 43 CE et 49 CE ainsi que les articles 39 CE et 81 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui prévoit l'exclusion automatique de la participation à une procédure de passation d'un marché public et l'infliction de sanctions pénales à l'encontre tant d'un groupement stable que des entreprises qui sont membres de celui-ci, lorsque ces dernières ont présenté des offres concurrentes de celle de ce groupement dans le cadre de la même procédure, quand bien même l'offre dudit groupement n'aurait pas été déposée pour le compte et dans l'intérêt de ces entreprises.

30 Pour ce qui est des articles du traité auxquels se réfère la juridiction de renvoi, il convient de constater, tout d'abord, que la situation d'exclusion en cause au principal ne saurait présenter un rapport avec la libre circulation des travailleurs, non plus qu'avec les accords entre entreprises et les décisions d'associations d'entreprises, au sens des articles 39 CE et 81 CE. Une réponse de la Cour au regard de ces articles n'est donc pas nécessaire.

31 En ce qui concerne les principes d'égalité de traitement et de transparence, il convient de reconnaître aux États membres une certaine marge d'appréciation aux fins de l'adoption de mesures destinées à garantir le respect de ces principes, lesquels s'imposent aux pouvoirs adjudicateurs dans toute procédure de passation d'un marché public (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Michaniki, C-213-07, non encore publié au Recueil, point 44).

32 Chaque État membre est, en effet, le mieux à même d'identifier, à la lumière de considérations historiques, juridiques, économiques ou sociales qui lui sont propres, les situations propices à l'apparition de comportements susceptibles d'entraîner des entorses au respect de ces principes (voir arrêt Michaniki, précité, point 56).

33 Toutefois, conformément au principe de proportionnalité, qui constitue un principe général du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 2004, Swedish Match, C-210-03, Rec. p. I-11893, point 47), les mesures adoptées par les États membres ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêt précité Michaniki, points 48 et 61, ainsi que du 19 mai 2009, Assitur, C-538-07, non encore publié au Recueil, points 21 et 23).

34 En premier lieu, pour ce qui est des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité, il convient de relever que la réglementation en cause au principal prévoit l'exclusion automatique de la participation à un marché public en cas d'offres simultanées et concurrentes déposées par un établissement stable et par une ou plusieurs des entreprises qui en font partie.

35 À cet égard, il importe de souligner que l'exclusion automatique en cause au principal est uniquement applicable aux groupements stables et aux entreprises qui les composent, et non pas à d'autres types de groupements, tels que ceux de sociétés coopératives de production et de travail ainsi que ceux d'entreprises artisanales. En ce qui concerne ces derniers types de groupements, l'exclusion est applicable, en vertu de l'article 37, paragraphe 7, du décret législatif n° 163-2006, uniquement en cas d'offres concurrentes présentées par le groupement en question et par celles des entreprises qui le composent pour le compte desquelles ledit groupement a lui-même déposé une offre.

36 La juridiction de renvoi relève, à cet égard, que toutes ces formes de groupements sont substantiellement identiques et ne présentent pas entre elles de différences de finalité et d'organisation susceptibles de justifier une inégalité de traitement.

37 Il convient donc de constater que la mesure d'exclusion automatique en cause au principal, qui concerne uniquement la forme de groupement stable et les entreprises qui en sont membres et est applicable en cas d'offres concurrentes, indépendamment de la question de savoir si le groupement considéré participe ou non au marché public en cause pour le compte et dans l'intérêt des entreprises qui ont déposé une offre, constitue un traitement discriminatoire au détriment de cette forme de groupement et, partant, n'est pas conforme au principe d'égalité.

38 Il importe d'ajouter que, à supposer même que le traitement en cause soit indistinctement applicable à toutes les formes de groupements, ou que la juridiction nationale constate l'existence d'éléments objectifs propres à distinguer la situation des groupements stables de celle des autres formes de groupements, une règle d'exclusion automatique telle que celle en cause au principal ne serait, en tout état de cause, pas compatible avec le principe de proportionnalité.

39 Une telle règle comporte, en effet, une présomption irréfragable d'interférence réciproque dans les cas où un groupement et une ou plusieurs des entreprises qui le composent ont déposé, dans la même procédure de marché public, des offres concurrentes, même lorsque le groupement en question n'est pas intervenu à la procédure pour le compte et dans l'intérêt desdites entreprises, sans que la possibilité ait été laissée tant au groupement qu'aux entreprises concernées de prouver que leurs offres ont été formulées d'une manière pleinement indépendante et que, par conséquent, un risque d'influence sur la concurrence entre les soumissionnaires n'existe pas [voir, en ce sens, à propos des marchés publics entrant respectivement dans le champ d'application des directives 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), et 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), arrêts précités Michaniki, point 67, et Assitur, point 30].

40 Une telle règle d'exclusion systématique, qui comporte également, pour les pouvoirs adjudicateurs, une obligation absolue d'exclusion des entités concernées, même dans les cas où les rapports existant entre ces dernières restent sans incidence sur leur comportement dans le cadre des procédures auxquelles elles ont participé, est contraire à l'intérêt communautaire à ce que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d'offres et va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif consistant à assurer l'application des principes d'égalité de traitement et de transparence (voir, en ce sens, à propos des marchés publics entrant dans le champ d'application de la directive 92-50, arrêt Assitur, précité, points 26 à 29).

41 En second lieu, il convient de relever que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, les articles 43 CE et 49 CE s'opposent à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants communautaires, de la liberté d'établissement et de prestation des services garantie par ces dispositions du traité (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2004, Commission/Pays-Bas, C-299-02, Rec. p. I-9761, point 15, et du 9 novembre 2006, Commission/Belgique, C-433-04, Rec. p. I-10653, point 28).

42 Or, ainsi que le fait observer pertinemment la Commission des Communautés européennes, une règle nationale telle que celle en cause au principal, qui prévoit une mesure d'exclusion automatique au détriment des groupements stables et des entreprises qui sont membres de ceux-ci, est de nature à exercer une influence dissuasive sur les opérateurs économiques établis dans d'autres États membres, à savoir, d'une part, les opérateurs qui souhaiteraient s'établir dans l'État membre concerné par la création d'un groupement stable, constitué éventuellement d'entreprises nationales et étrangères, et, d'autre part, ceux qui envisageraient d'adhérer à de tels groupements déjà constitués, afin de pouvoir participer plus aisément à des procédures de marchés publics lancées par des pouvoirs adjudicateurs de cet État membre et de pouvoir ainsi offrir plus facilement leurs services.

43 Une telle mesure nationale susceptible d'avoir un effet dissuasif sur des opérateurs économiques établis dans d'autres États membres constitue une restriction au sens des articles 43 CE et 49 CE (voir, en ce sens, arrêt Commission/Belgique, précité, point 29), d'autant plus que cet effet dissuasif est accentué par le risque présenté par les sanctions pénales prévues par la réglementation nationale en cause au principal.

44 Toutefois, une restriction telle que celle en cause au principal peut éventuellement être justifiée dans la mesure où elle poursuit un objectif légitime d'intérêt général et pour autant qu'elle est propre à garantir la réalisation de celui-ci et qu'elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

45 Or, en l'occurrence, force est de constater que la restriction en cause, en dépit de son objectif légitime de lutte contre les collusions potentielles entre le groupement en question et les entreprises qui le composent, ne saurait être justifiée étant donné que, ainsi qu'il ressort des points 38 à 40 du présent arrêt, elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

46 Il convient donc de répondre à la seconde question que le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, lors de la procédure de passation d'un marché public dont le montant n'atteint pas le seuil prévu à l'article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004-18 mais qui revêt un intérêt transfrontalier certain, l'exclusion automatique de la participation à cette procédure et l'infliction de sanctions pénales à l'encontre tant d'un groupement stable que des entreprises qui sont membres de celui-ci, lorsque ces dernières ont présenté des offres concurrentes de celle de ce groupement dans le cadre de la même procédure, quand bien même l'offre dudit groupement n'aurait pas été déposée pour le compte et dans l'intérêt de ces entreprises.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit:

Le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, lors de la procédure de passation d'un marché public dont le montant n'atteint pas le seuil prévu à l'article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, mais qui revêt un intérêt transfrontalier certain, l'exclusion automatique de la participation à cette procédure et l'infliction de sanctions pénales à l'encontre tant d'un groupement stable que des entreprises qui sont membres de celui-ci, lorsque ces dernières ont présenté des offres concurrentes de celle de ce groupement dans le cadre de la même procédure, quand bien même l'offre dudit groupement n'aurait pas été déposée pour le compte et dans l'intérêt de ces entreprises.