Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.991
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Jacques Duflot (Sté)
Défendeur :
DAF Trucks France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Maitrepierre
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Ghestin, SCP Peignot, Garreau
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 septembre 2008), qu'invoquant la nécessité de restructurer son réseau de distribution à la suite de l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400-2002, de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, la société DAF Trucks France (la société DAF) a, par lettre du 16 juin 2003, résilié, avec préavis abrégé d'un an, le contrat à durée indéterminée de concession exclusive conclu avec la société Etablissements Jacques Duflot (la société Duflot) pour la vente de véhicules neufs et la réalisation de diverses prestations de services après-vente sur diverses parties du territoire ; qu'estimant cette résiliation irrégulière du fait du bref délai de préavis, cette dernière l'a assignée en annulation de celle-ci et en indemnisation de son préjudice ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Duflot fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer abusive la résiliation de son contrat de concession qui lui a été notifiée moyennant un préavis abrégé d'une durée d'un an et d'avoir en conséquence rejeté sa demande en indemnisation de ses préjudices, alors, selon le moyen : 1°) que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; que, dans ses conclusions d'appel, le concessionnaire avait clairement soutenu que le traitement discriminatoire que lui avait infligé la société DAF par rapport à d'autres concessionnaires du réseau participait de l'abus de résiliation de son contrat de concession, abus pour lequel il sollicitait une indemnité correspondant à sa perte de marge brute sur une année et à la perte de son activité de distributeur de véhicules industriels neufs ; qu'en énonçant que l'exposant n'aurait pas clairement explicité les conséquences du traitement discriminatoire dont il a fait l'objet, sauf à estimer qu'il formulait une demande implicite de dommages-intérêts distincts, laquelle serait alors nouvelle et comme telle irrecevable en cause d'appel, la cour d'appel a dénaturé les prétentions du concessionnaire et partant violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que dans ses conclusions d'appel, le concessionnaire sollicitait l'indemnisation du préjudice que lui avait causé la résiliation abusive de son contrat de concession, faisant valoir en cause d'appel que cet abus résultait également du traitement discriminatoire dont il avait été victime, sur le fondement de l'article L. 442-6-I du Code de commerce ; qu'en énonçant qu'il s'agissait d'une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 565 du Code de procédure civile ; 3°) que les parties sont recevables à invoquer en cause d'appel des moyens nouveaux pour justifier les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge ; que devant la cour d'appel, tout comme devant les premiers juges, le concessionnaire demandait l'indemnisation du préjudice que lui avait causé la rupture abusive de son contrat de concession soutenant que le traitement discriminatoire dont il avait fait l'objet par rapport à d'autres concessionnaires du réseau participait de l'abus de résiliation de son contrat ; qu'en estimant qu'il s'agissait d'une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 563 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé, hors toute dénaturation, que la société Duflot ne tirait pas clairement de conséquence de la pratique discriminatoire alléguée, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 3, paragraphe 5, sous b, sous ii) du règlement (CE) n° 1400-2002, de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile ; - Attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (arrêts du 7 septembre 2006, Vulcan Silkeborg C-125-05, point 37 ; du 30 novembre 2006, Brünsteiner e.a., C-376-05 et C-377-05, point 36 ; ordonnance du 26 janvier 2007, Auto Peter Petschenig, C-273-06, point 26) que la nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle d'un réseau de distribution, de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un délai de préavis d'un an, en application de l'article 3, paragraphe 5, sous b, sous ii) du règlement (CE) n° 1400-2002, implique que cette résiliation se justifie d'une manière plausible, par des motifs d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur, qui, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau, seraient susceptibles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; qu'il résulte également de cette jurisprudence (arrêts précités, Vulcan Silkeborg, point 38, et Brünsteiner, point 37 ; ordonnance précitée, Auto Peter Petschenig, point 27) que, pour apprécier la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau, il est pertinent de tenir compte des éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l'hypothèse où ce dernier procéderait à une résiliation de l'accord de distribution avec un préavis de deux ans, au lieu d'un préavis abrégé d'un an ;
Attendu que, pour retenir que la réorganisation du réseau de la société DAF revêtait un caractère nécessaire, l'arrêt rappelle que le nouveau règlement n° 1400-2002 a introduit des modifications importantes par rapport au régime d'exemption par catégorie institué par le précédant règlement, en prévoyant des règles plus strictes que celles instaurées antérieurement ; qu'il relève que, si sous l'empire du règlement de 1995, la société DAF a pu commencer la réorganisation de son réseau sans utiliser la faculté de résiliation, en conservant le réseau de distributeurs exclusifs tout en diminuant progressivement leur nombre, l'entrée en vigueur du nouveau règlement de 2002 lui imposait de renoncer aux distributeurs exclusifs et de recourir à un réseau de distribution sélective afin de continuer à assurer l'étanchéité du réseau tout en bénéficiant de l'exemption des restrictions de concurrence relevant de l'interdiction énoncée à l'article 81 du traité ; qu'il précise sur ce point que le nouveau règlement ne permet plus la combinaison de la distribution exclusive et de la distribution sélective, ni l'obligation pour le distributeur-vendeur d'assurer les services de réparation et d'entretien ; qu'il constate que les distributeurs en cause et ceux qui ont fait l'objet d'une résiliation à la même époque étaient alors titulaires d'une concession de vente sur un territoire exclusif avec obligation d'assurer les services de réparation et d'entretien, la mise en conformité devant être réalisée avant le 1er octobre 2003 au plus tard ; qu'il ajoute que le retard mis à se mettre en conformité avec le nouveau règlement a contraint la société DAF à prendre le risque de se trouver en situation irrégulière pendant la partie du délai de préavis courant au-delà de la date limite du 1er octobre 2003, mais ne l'a pas pour autant privée de la faculté de se mettre en conformité afin de pouvoir ultérieurement continuer à bénéficier de l'exemption par catégorie ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, sauf en ce qu'il a déclaré l'appel recevable et a déclaré irrecevable la demande de la société Duflot en réparation du préjudice résultant de la pratique discriminatoire alléguée, l'arrêt (n° 05-11705) rendu le 11 septembre 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.