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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 24 septembre 2009, n° 08-01231

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dejaune

Défendeur :

Cité Marine (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Savatier

Conseillers :

Mmes Contal, Kamianecki

Avoués :

SCP Paille & Thibault Clerc, SCP Alirol-Laurent

Avocats :

Mes Richard, Vives

T. com. La Roche-sur-Yon, du 28 sept. 20…

28 septembre 2004

Faits et procédure

La société Spécialités d'Iroise, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Lorient, avait pour activité notamment la commercialisation en gros et demi-gros de produits agro-alimentaires, dont des produits de la mer frais et panés, sous sa propre marque ou celle du client destinataire.

Ces produits étaient fabriqués par la société Cité Marine, également inscrite au registre du commerce et des sociétés de Lorient, qui conditionnait et commercialisait aussi des produits frais et surgelés sous des marques déposées à son nom, ou sous la marque de certains distributeurs, dont Spécialités d'Iroise.

Courant 1992 la société Spécialités d'Iroise a accepté l'intervention de Maryse Dejaune, exerçant son activité sous l'enseigne Olonne Distribution, et régulièrement inscrite au registre spécial du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, en sa qualité d'agent commercial. Jean-Pierre Duteil a été salarié d'Olonne Distribution.

En mars 1998 un incendie a détruit les locaux de l'usine de production de la société Cité Marine.

Maryse Dejaune s'est plainte de carences dans la fourniture des produits commercialisés par la société Spécialités d'Iroise, consécutives à cet incendie.

Courant mai 1998 Maryse Dejaune a débuté une activité d'agent commercial au profit d'autres sociétés, fabricant aussi des produits frais panés par transformation de produits de la mer.

Les relations entre la société Spécialités d'Iroise et Maryse Dejaune se sont alors dégradées.

Par lettre recommandée avec accusé réception du 7 septembre 1999 Maryse Dejaune a mis en demeure la société Spécialités d'Iroise de lui payer ses commissions, et l'a informée qu'à défaut de règlement des factures présentées elle se considérerait comme déliée de tout engagement à son égard, sans préjudice de ses droits à indemnité et à règlement des commissions.

Par réponse du 7 octobre 1999 la société Spécialités d'Iroise a rappelé à Maryse Dejaune que leurs relations étaient rompues depuis mai 1998, de manière définitive.

Plusieurs instances ont opposé les parties devant le Président du Tribunal de grande instance de Lorient statuant en référé ainsi que devant le juge de l'exécution de Lorient. Maryse Dejaune a ainsi obtenu par ordonnance du 22 juillet 1998 la condamnation de la société Spécialités d'Iroise à lui payer une provision de 50 000 F à valoir sur ses commissions pour les mois de février et mars 1998, puis par ordonnance du 16 décembre 1998, la condamnation sous astreinte de la société Spécialités d'Iroise à communiquer son journal des ventes pour les mois de mars à octobre 1998. La Cour d'appel de Rennes a, par arrêt du 25 octobre 2001, notamment confirmé une liquidation d'astreinte jusqu'au 30 juin 2000, en retenant qu'à cette date la société Spécialités d'Iroise avait satisfait à l'injonction de communication de pièces par la production d'extraits de livres comptables.

Par jugement du 28 septembre 2004, sur assignation de Maryse Dejaune délivrée le 2 janvier 2002 tant à la société Spécialités d'Iroise qu'à la société Cité Marine, le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon a notamment:

- dit que la rupture des relations contractuelles n'était pas imputable à Maryse Dejaune,

- fixé la date de rupture au 31 mars 1998,

- condamné la société Spécialités d'Iroise à payer à Maryse Dejaune la somme de 14 852,35 euro à titre d'indemnité de préavis arbitrée et la somme de 14 852,35 euro à titre d'indemnité de rupture réduite et arbitrée,

- débouté Maryse Dejaune de ses autres prétentions dont celle concernant le paiement de ses commissions.

Par arrêt du 31 octobre 2006, sur appel de Maryse Dejaune, la Cour d'appel de Poitiers a notamment réformé la décision déférée en toutes ses dispositions, mis hors de cause la société Cité Marine, déclaré irrecevable l'appelante en ses demandes de préavis et d'indemnité de rupture, compte tenu de sa perte du droit à réparation résultant de l'article L. 134-12 du Code de commerce, débouté Maryse Dejaune de ses autres prétentions, débouté la société Spécialités d'Iroise de sa demande de dommages intérêts.

Par arrêt du 11 mars 2008, sur pourvoi de Maryse Dejaune la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Poitiers le 31 octobre 2006, et renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Poitiers autrement composée.

La Cour de cassation a considéré, d'une part, que la Cour d'appel de Poitiers avait violé les articles L. 134-12 et L. 134-11 du Code de commerce puisque le délai de déchéance d'un [an] prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce ne s'appliquait pas à l'indemnité visant à compenser le non-respect du préavis prévu par l'article L. 134-11 du même code, et que d'autre part, qu'elle avait méconnu le sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce dans son interprétation de la lettre non équivoque de Maryse Dejaune en date du 7 septembre 1999, sur son intention à réclamer une indemnité pour cause de rupture contractuelle.

LA COUR,

Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel de Poitiers par Maryse Dejaune;

Vu les conclusions du 3 juin 2009 par lesquelles Maryse Dejaune demande notamment à la cour d'infirmer la décision du 28 septembre 2004 du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, de constater la rupture des relations contractuelles au 7 septembre 1999, de condamner la société Cité Marine à lui payer la somme de 42 851,46 euro correspondant aux commissions dues pour la période allant jusqu'au 31 décembre 1998, outre la somme correspondant aux commissions dues pour la période du 1er janvier 1999 au 7 septembre 1999 pour mémoire, la somme de 168 095,71 euro au titre de l'indemnité de rupture, la somme de 14 007,97 euro au titre de l'indemnité de préavis, ces sommes devant être augmentées des intérêts légaux à compter du 2 janvier 2002, date de l'assignation, l'application de l'article 1154 du Code civil devant être ordonnée et la société Cité Marine devant être déboutée de l'ensemble de ses prétentions;

Vu les conclusions du 22 mai 2009 par lesquelles la SAS Cité Marine, venant aux droits de la SARL Spécialités d'Iroise et de la SA Cité Marine, sollicite notamment la réformation de la décision du 28 septembre 2004 du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, sauf en ce qu'elle a fixé la rupture des relations d'agent commercial au mois de mars 1998, et demande à la cour de dire que l'action engagée par Maryse Dejaune est prescrite, de constater sa faute grave résultant de son obligation de non-concurrence, faute privative de tout droit à indemnité et justifiant reconventionnellement sa condamnation à payer à la société Spécialités d'Iroise la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts;

Vu l'ordonnance de clôture du 4 juin 2009 et vu les conclusions du 10 juin 2009 par lesquelles la société Cité Marine sollicite le rejet des débats des conclusions signifiées tardivement par Maryse Dejaune le 3 juin 2009;

Motifs

Les conclusions signifiées par Maryse Dejaune le 3 juin 2009 n'ont pas ajouté à celles signifiées précédemment le 12 mai 2009, et ont simplement répondu aux conclusions du 22 mai 2009 de la société Cité Marine, par renvois aux argumentations déjà développées dans les précédentes conclusions du 22 mai 2009, sans modifier les prétentions de l'appelante.

Ces conclusions du 3 juin 2009, qui n'appelaient pas elles-mêmes de réponse, sont antérieures à l'ordonnance de clôture, sans présenter de caractère tardif. C'est donc sans pertinence que la société Cité Marine se prévaut d'un manquement au principe du contradictoire et il ne sera pas fait droit à sa demande de rejet des débats.

Les parties conviennent que leurs relations contractuelles ont débuté en 1992, sans qu'aucun contrat écrit ne soit rédigé, et que l'intervention de Maryse Dejaune en qualité d'agent commercial lui ouvrait droit au paiement d'une commission de 4,75 % du montant de chaque commande.

Il est constant que la société Cité Marine était le fournisseur exclusif de la société Spécialités d'Iroise et qu'un incendie a détruit une grande partie de l'usine de production, en mars 1998.

La société Spécialités d'Iroise ne conteste pas avoir reçu une lettre du 27 avril 1998 par laquelle Olonne Distribution l'informait d'une difficulté d'approvisionnement des clients consécutive à l'incendie, et de la nécessité d'avoir recours à un autre fabricant, en l'espèce Gastromer. Les pièces produites aux débats permettent de retenir qu'aucune réponse n'a été apportée à cette lettre.

Les instances ayant opposé les parties mettent en évidence que la société Spécialités d'Iroise a cessé de régler les commissions de son agent commercial dès mars 1998, ce que rappelle dans ses écritures l'appelante.

Maryse Dejaune soutient que les relations contractuelles se sont prolongées jusqu'à sa réaction exprimée dans la mise en demeure du 7 septembre 1999, et qu'elle a retransmis les commandes de certains clients à son mandant. Elle ne produit aucune pièce probante permettant d'identifier les commandes résultant de son intervention effective au profit de Spécialités d'Iroise entre mars 1998 et septembre 1999.

Maryse Dejaune discute dans ses écritures de ses relations avec la société Gastromer, dont elle reconnaît qu'elles se sont déroulées de mars 1998 à décembre 2003, ainsi que l'atteste la société concernée.

Si Maryse Dejaune souligne qu'entre juin 1998 et septembre 1999 elle n'a pas travaillé avec Gastromer pour les produits panés, elle procède sur ce point par simple affirmation. Plus particulièrement elle n'apporte aucune explication sur sa version de l'évolution de la situation contractuelle avec Gastromer, et la prétendue interruption de la vente de produits panés, contemporaine à la période concernant les commissions réclamées à Spécialités d'Iroise, alors que la preuve de ses ventes au profit de Spécialités d'Iroise n'est pas plus établie.

En outre une lettre du 30 avril 1998 de la société Marin Vendéen, adressée à Olonne Distribution et lui confiant l'exclusivité de la vente de ses produits auprès de grossistes et semi-grossistes en marée, à compter du 11 mai 1998, est produite aux débats par la société Cité Marine.

Un litige sur le paiement des commissions ayant opposé Maryse Dejaune et la société Marin Vendéen, une expertise a été ordonnée par le Président du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon statuant en référé le 19 août 2002. L'examen de cette pièce produite aux débats rend encore plus incontestable la réalité des relations contractuelles et l'état de l'activité de Maryse Dejaune pour d'autres mandants que Spécialités d'Iroise depuis 1998.

Il s'évince de ces motifs que les relations contractuelles entre Maryse Dejaune et Spécialités d'Iroise ont cessé à la réception de la lettre du 27 avril 1998, l'agent commercial ayant choisi à cette date de travailler pour le compte d'autres mandants et ne justifiant pas avoir par la suite commercialisé de produits pour le compte de Spécialités d'Iroise.

Les termes de la lettre du 7 septembre 1999 confirment d'ailleurs cette rupture des relations, puisque Maryse Dejaune y interroge Spécialités d'Iroise sur la continuité éventuelle du contrat, en observant que la société diffuse ses coordonnées téléphoniques et de télécopie à l'ensemble de sa clientèle, et signale que celle-ci lui transmet partiellement ses commandes. Cette situation ne correspond pas aux démarches actives de négociation et commercialisation incombant à l'agent commercial mais s'analyse comme le constat d'un simple état de fait par Maryse Dejaune, dont elle a cherché à tirer avantage.

La réponse de Spécialités d'Iroise en date du 7 octobre 1999 explique d'ailleurs le maintien de ses coordonnées par une erreur informatique, invoque l'absence de diligences accomplies par Maryse Dejaune, et souligne que les procédures ayant opposé les parties sont contraires au maintien d'une relation contractuelle, celle-ci ayant été définitivement rompue depuis le mois de mai 1998.

En conséquence la date de rupture des relations contractuelles sera fixée au 1er mai 1998.

La décision déférée sera réformée de ce chef.

Il s'évince des motifs précédents que la rupture des relations commerciales résulte de l'initiative de l'agent commercial, mais s'est trouvée justifiée par des circonstances imputables au mandant, constituées par des difficultés d'approvisionnement de la clientèle consécutives à l'incendie subi par l'usine de production de Cité Marine.

Si la société Spécialités d'Iroise conteste cette carence, elle produit seulement des listings de produits disponibles pour certains jours de mai 1998, sans qu'il soit possible d'en déduire que la clientèle pouvait obtenir en quantité et qualité les mêmes produits qu'avant l'incendie. Ainsi la poursuite de l'activité de l'agent commercial ne pouvait plus être exigée compte tenu de circonstances imputables au mandant.

En conséquence les conditions d'exclusion du droit à indemnité de rupture de l'agent commercial, telles que prévues par l'article L. 134-13 du Code de commerce ne sont pas réunies.

Toutefois l'article L. 134-12 du Code de commerce énonce que l'agent commercial perd le droit à obtenir une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi par la cessation des relations avec le mandant, s'il n'a pas notifié à ce dernier, dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

La rupture des relations contractuelles étant fixée au 1er mai 1998, Maryse Dejaune disposait d'un délai expirant au 1er mai 1999 pour faire connaître à la société Spécialités d'Iroise son intention de faire valoir ses droits à indemnité compensatrice.

La lettre du 7 septembre 1999, exprimant cette intention, a donc été adressée tardivement, alors que Maryse Dejaune était déchue de son droit à indemnisation.

Elle sera en conséquence déboutée de ses prétentions à ce titre et la décision déférée sera réformée de ce chef.

Maryse Dejaune étant à l'initiative de la rupture du contrat elle est mal fondée à solliciter le paiement d'un préavis et sera déboutée de ses prétentions à ce titre, la décision déférée étant réformée de ce chef.

L'article L. 134-3 du Code de commerce prévoit que pour accepter la représentation d'une entreprise concurrente de l'un de ses mandants, l'agent commercial doit au préalable obtenir l'accord de ce dernier.

La lettre du 27 avril 1998 s'analysant comme une rupture des relations contractuelles justifiée par le contexte d'approvisionnement, il ne peut être reproché à Maryse Dejaune un comportement fautif dans la représentation d'une entreprise concurrente.

En outre Spécialités d'Iroise n'a pas justifié d'un préjudice certain et déterminé résultant du choix de son ancien agent commercial.

La société Cité Marine sera en conséquence déboutée de sa demande reconventionnelle d'indemnisation, la décision déférée étant complétée en ce sens.

L'équité et les circonstances économiques commandent de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Reforme la décision déférée et statuant à nouveau; Fixe la date de rupture du contrat d'agent commercial au 1er mai 1998; Déboute Maryse Dejaune de ses prétentions; Déboute la SAS Cité Marine, venant aux droits de la SARL Spécialités d'Iroise et de la SA Cité Marine de ses prétentions; Y ajoutant Déboute les parties du surplus de leurs prétentions; Condamne Maryse Dejaune aux dépens et autorise l'application de l'article 699 du Code de procédure civile.