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Décisions

CA Riom, 4e ch. soc., 9 juin 2009, n° 08-02038

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Toupargel (SAS)

Défendeur :

Forestier, Pôle Emploi Auvergne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Payard

Conseillers :

Mme Sonokpon, Thomas

Avocats :

Mes Bousquet, Borie

Cons. prud'h. Clermont-Ferrand, du 1er s…

1 septembre 2008

Faits et procédure :

Monsieur Christian Forestier est engagé en qualité de vendeur le 25 juin 1984 par la société Frigedoc devenue Agrigel puis bénéficie du statut de VRP exclusif en vertu d'un avenant signé le 1er janvier 1999.

Son contrat de travail est repris en 2005 par la SAS Toupargel qui modifie le système de vente et, estimant qu'il s'agit d'une modification de son contrat de travail, le salarié sollicite la résiliation judiciaire de ce dernier devant le Conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand qu'il saisit le 18 juillet suivant.

Il réclame alors le paiement d'une indemnité spéciale de rupture, d'une indemnité conventionnelle de rupture, d'une indemnité compensatrice de préavis avec congés payés correspondants, d'un solde de congés payés le tout avec intérêts de droit à compter de la demande et capitalisation des intérêts.

Il prétend également à l'octroi de dommages et intérêts en réparation de son préjudice né de la rupture du contrat de travail, la remise de documents administratifs sous astreinte et une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La juridiction prud'homale, par décision du 1er septembre 2008 :

• prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail

• condamne la société au paiement des sommes de :

- 10 538,98 euro à titre d'indemnité spéciale de rupture,

- 2 731,80 euro à titre d'indemnité conventionnelle de rupture,

- 6 723,45 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 672,34 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 2 241,15 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 13 500 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 700 euro au titre du Code de procédure civile,

• fait droit à la demande au titre des intérêts de droit,

• ordonne la remise de documents administratifs sous astreinte de 30 euro par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours à partir de la notification du jugement et ce pendant un mois,

• déboute le salarié de ses autres prétentions,

• condamne la SAS Toupargel au remboursement, à la caisse Assedic concernée, des indemnités de chômage versées à Monsieur Christian Forestier dans la limite de six mois.

Le 16 septembre 2008, la SAS Toupargel forme appel du jugement qui lui a été notifié le 4 septembre 2008.

Le 20 novembre 2008, Madame la Première Présidente de notre cour d'appel rejette la demande d'arrêt d'exécution provisoire et de consignation présentée par la SAS Toupargel.

Prétentions des parties :

La SAS Toupargel fait valoir qu'à partir du mois de décembre 2004, elle a décidé de faire évoluer le système de vente en laisser sur place (LSP) vers un système de télélivraison (TLL), tout en maintenant inchangé le portefeuille clients de ses vendeurs, de même que leur système de rémunération, le salarié étant alors dénommé télélivreur-VRP.

Elle explique qu'auparavant les VRP, à bord d'un camion magasin, effectuaient des tournées à l'occasion desquelles ils vendaient et laissaient immédiatement la marchandise à la clientèle et qu'il a été décidé que ces deux fonctions seraient accomplies de façon successive : la prise de commandes dans un premier temps (3 jours), la livraison dans un second temps (3 jours).

Elle avance que ces nouvelles modalités n'ont pas mis un terme au statut de VRP de l'intéressé mais étaient définies dans un souci d'amélioration de ses performances commerciales, mais également de réduction de la pénibilité de ses tâches.

Elle affirme que le salarié est toujours chargé d'assurer des activités de prospection, qu'il visite toujours ses clients et prend toujours personnellement les commandes et elle précise avoir confirmé cette absence de modification du contrat de travail en réponse au premier courrier du salarié en date du 15 février 2007.

Elle soutient que les seules limites à son autonomie résident dans le respect d'une organisation de trois jours de prises de commandes avant trois jours de livraisons mais ajoute qu'il est désormais amené à proposer l'intégralité des produits du catalogue au lieu d'être cantonné au stock qu'il transportait.

Elle ajoute que la dénonciation, le 1er janvier 2008, de l'usage relatif à la pratique de l'abattement forfaitaire de 30 % à titre de frais professionnels résulte du fait qu'elle assume maintenant l'intégralité de ces frais, ce qui ne peut donc s'analyser en une modification de la rémunération.

Elle fait remarquer que c'est seulement deux années après le changement des conditions de travail que Monsieur Christian Forestier a engagé son action en résiliation dont il doit être débouté, le jugement étant infirmé.

Elle sollicite le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Christian Forestier expose qu'à la suite de la modification du système de vente en 2005 il n'avait plus du VRP que le nom et que, par lettre du 15 février 2007, il a refusé de signer l'avenant que lui soumettait l'employeur.

Il fait valoir que cet avenant modifiait complètement la structure de sa rémunération, l'organisation de son travail et l'accord collectif applicable et que, devant la position de la société, il a saisi le conseil de prud'hommes avec 10 autres collègues.

Il ajoute que le 1er octobre 2007, la société Toupargel continuait de modifier unilatéralement le contrat des VRP en leur annonçant qu'elle mettait fin à l'abattement de 30 % pour frais professionnels sur leur rémunération brute à compter de 2008, sans demander leur accord.

Rappelant la teneur du statut de VRP qui passe par un exercice exclusif et constant de la fonction de représentant à l'extérieur de l'entreprise, il soutient que la société a transformé son métier en celui de Télévendeur au sein de l'entreprise, selon des horaires imposés, ce qui est en contradiction avec le statut de VRP.

Il souligne que la SAS Toupargel a elle-même reconnu ce fait puisqu'elle a écrit que son contrat actuel ne correspondait plus à son statut de VRP et qu'il lui serait proposé un contrat mieux adapté.

Il ajoute que malgré son refus, la société a continué à lui confier des fonctions étrangères à son contrat et qu'en plus, les Télévendeurs de l'entreprise ont pour instruction de prospecter auprès de la clientèle du secteur des VRP et qu'ainsi c'est à bon droit que les premiers juges ont reconnu l'existence d'une modification unilatérale de son contrat de travail.

Par ailleurs, il expose que la dénonciation de l'abattement forfaitaire de 30 % s'analyse de même dans la mesure où elle a des conséquences sur le cumul net imposable de ses salaires. Il conclut donc à la confirmation du jugement sauf à majorer les dommages et intérêts qui lui ont été accordés en les portant à la somme de 70 000 euro et à le faire bénéficier de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le Pôle Emploi Auvergne ne comparaît pas et n'est pas représenté. Comme il a été régulièrement convoqué par lettre recommandée dont l'avis de réception a été signé le 16 février 2009, le présent arrêt sera réputé contradictoire.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.

Discussion :

- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail -

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, le juge doit d'abord rechercher si la demande en résiliation du contrat de travail était justifiée par des fautes commises par l'employeur et suffisamment graves pour emporter la rupture du contrat de travail.

- La modification du contrat de travail -

- Les principes -

La modification du contrat de travail par l'employeur, pour quelque cause que ce soit, nécessite l'accord express du salarié, lequel est en droit de la refuser et l'acceptation de la modification du contrat ne résulte pas de la simple poursuite du travail.

Par contre, l'employeur, dans l'exercice de son pouvoir de direction, peut apporter des changements dans les conditions de travail de l'intéressé.

Il appartient aux juges de vérifier si, du fait de cette modification de la fonction, la tâche nouvellement confiée, bien que différente de celle accomplie antérieurement, répond à la qualification de l'intéressé, si sa position hiérarchique et sa rémunération sont maintenues et si ses attributions ne sont ni restreintes ni supprimées.

La transformation des attributions d'un salarié, même pour des fonctions plus valorisantes constitue également une modification du contrat de travail et doit recevoir son accord.

- Les faits -

Aux termes du contrat de travail signé entre les parties, Monsieur Christian Forestier est engagé en qualité de "vendeur en laisser sur place à domicile". Dans le cadre de ses fonctions, il est chargé de visiter et servir les clients de la société et de vendre, contre paiement au nom et pour le compte de la dite société, les produits distribués par celle-ci. Il doit prospecter tous les clients susceptibles d'être intéressés par ces produits dans la limite du territoire qui lui est attribué.

Par l'avenant du 1er juin 1999, dans lequel il lui est rappelé qu'il exerce sa profession de prospection et de vente de façon exclusive et constante, le statut de VRP exclusif lui est attribué.

Selon la note diffusée par l'employeur suite à une réunion tenue le 10 mars 2005, il est indiqué, sous l'intitulé "nouveaux métiers", qu'à la suite de la reprise d'Agrigel par Toupargel, il est prévu "d'uniformiser" les deux sociétés, et, plus particulièrement, d'avoir un système commun, la "télévente".

Dans cette note, il est expliqué que la télélivraison est la première étape de la transformation et qu'elle consiste à prendre des commandes par téléphone puis à livrer au client, le tout étant réalisé par la même personne.

Il est ajouté que la seconde étape, à intervenir en 2006, doit consister dans la séparation totale des deux métiers de télévendeur et de livreur.

- L'appréciation des faits au vu des principes -

Les conditions tenant à l'exercice de l'activité professionnelle de représentation, portent sur l'exercice exclusif et constant de la profession et sur l'interdiction d'opérations commerciales personnelles. La prospection, qui est une condition déterminante, consiste dans la visite d'une clientèle, à l'extérieur de l'entreprise, dans le but de prendre ou de provoquer des ordres. Cette activité suppose une activité de démarchage auprès de la clientèle organisée librement et, par conséquent, des déplacements et des visites.

En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'employeur, l'activité des anciens salariés d'Agrigel qui assuraient des activités de prospection et de vente en laisser sur place sur un secteur géographique déterminé, répond aux conditions légales d'application du statut de VRP. Or, le nouveau système de vente a, de manière certaine, profondément modifié l'activité professionnelle des intéressés.

En effet, les fonctions de télévendeur ainsi attribuées au salarié impliquent que celui-ci assure un travail de démarchage téléphonique ("télévente") pendant plusieurs jours, chaque semaine, avant de se consacrer à la livraison des produits ainsi vendus.

La télévente doit se dérouler au centre d'appel d'Aubière et non en dehors de l'entreprise et cette activité est soumise aux horaires de l'entreprise ainsi qu'il résulte de la note précitée, rédigée en ces termes :

"En ce qui concerne les prises de commandes, vous serez soumis aux horaires du centre de télévente. Les horaires de livraisons devront être respectés afin de ne pas dépasser la durée légale de travail".

L'activité du salarié se trouve donc scindée en deux parties distinctes, d'une part, une activité de démarchage par téléphone, exercée de manière sédentaire, pour la moitié du temps, et une activité consacrée exclusivement à la livraison des produits commandés.

Il ressort en outre des éléments versés aux débats que des télévendeurs de la société se livrent à un travail de prospection téléphonique auprès de la clientèle du secteur des VRP de sorte que des commandes sont ainsi prises, ce qui n'est pas contesté par la société.

Des représentants se sont d'ailleurs plaints auprès d'elle au sujet de ces pratiques qui engendrent, selon eux, le mécontentement des clients appelés plusieurs fois pour la même chose et les discréditent à leurs yeux.

L'employeur n'est donc pas fondé à soutenir que les fonctions du salarié n'auraient pas été modifiées au motif qu'il a continué à vendre des produits alimentaires surgelés aux clients dans le cadre de tournées similaires et à livrer les produits commandés.

En effet, dans la mesure où il admet lui-même que la nouvelle organisation oblige le salarié à organiser ses prises de commande sur une période de trois jours avant de livrer les commandes précédemment prises par téléphone, il reconnaît que l'activité de prospection a été réduite à une activité téléphonique exercée dans les locaux de l'entreprise, ce qui constitue une modification de l'essence même du contrat de représentant.

Il est également établi que l'activité de livraison du VRP se fait avec la nouvelle organisation, non plus à l'aide d'un camion magasin mais d'une simple camionnette de livraison de sorte que l'intéressé n'a plus que la possibilité d'offrir à la vente les produits préalablement commandés et ne peut développer une nouvelle clientèle sur place.

Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de la modification de la rémunération, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une modification unilatérale du contrat de travail de Monsieur Christian Forestier par la SAS Toupargel et accueilli la demande en résiliation judiciaire compte-tenu de la gravité de ce comportement.

- Les conséquences financières -

Il sera tout d'abord constaté que les parties ne remettent pas en cause les condamnations prononcées par le conseil de prud'hommes au titre des indemnités de rupture et des congés payés sauf à actualiser cette dernière demande au 31 mai 2009 en allouant au salarié la somme supplémentaire de 560,28 euro non discutée par l'employeur.

En ce qui concerne les dommages et intérêts alloués, compte tenu des circonstances de la cause, notamment la durée de la présence du salarié au sein de l'entreprise, sa rémunération mensuelle brute, le préjudice résultant pour lui de son licenciement sera réparé par l'octroi de la somme de 41 000 euro.

Le jugement qui a accordé une somme inférieure sera donc réformé sur ce montant.

- Sur les intérêts -

Le jugement mérite confirmation en ce qu'il a dit que les sommes allouées au titre de l'indemnité de préavis et de l'indemnité compensatrice de congés payés, sommes ayant le caractère de salaire, produiront intérêts au taux légal à compter de la demande. Il convient cependant de préciser, d'une part, que la date de la demande doit s'entendre de la date de convocation de l'employeur à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 23 juillet 2007 et, d'autre part, que la somme supplémentaire allouée en cause d'appel au titre du solde des congés payés produira intérêts à compter du 11 mai 2009, date des débats devant la cour.

Pour le surplus des dispositions relatives aux intérêts, le jugement doit être infirmé.

En effet, les sommes allouées à titre indemnitaire (indemnité spéciale de rupture et indemnité conventionnelle de rupture), doivent produire intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2008, date du jugement du conseil de prud'hommes.

Quant à la somme allouée à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle produira intérêts à compter du présent arrêt.

Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a dit que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés en application de l'article 1154 du Code civil.

- Sur la demande de documents -

Le jugement mérite confirmation en ce qu'il a condamné à remettre au salarié un certificat de travail et une attestation destinée au Pôle Emploi Auvergne rectifiés.

- Sur les droits du Pôle Emploi de la région Auvergne -

Le salarié comptant plus de deux années d'ancienneté dans une entreprise occupant habituellement plus de dix travailleurs, et le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a condamné la société à rembourser au Pôle Emploi de la région Auvergne le montant des indemnités, des prestations de base de l'allocation chômage versées à l'intéressé à la suite de son licenciement.

Le jugement sera également confirmé sur ce point sauf à substituer le Pôle Emploi Auvergne à l'Assedic.

- Sur l'article 700 du Code de procédure civile -

La SAS Toupargel, qui succombe principalement en ses prétentions sera donc d'abord tenue aux dépens d'appel, ce qui prive de fondement sa demande au titre de l'article susvisé.

Elle sera ensuite condamnée à payer à Monsieur Christian Forestier, en plus de la somme déjà allouée en vertu du même texte en première instance, la somme de 1 000 euro en répétition de ses frais non compris dans les dépens d'appel.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Confirme le jugement sauf en ses dispositions relatives au montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'aux intérêts sur les sommes allouées à titre indemnitaire et à remplacer l'Assedic par le Pôle Emploi Auvergne. Infirmant, Condamne la SAS Toupargel à payer à Monsieur Christian Forestier la somme de 41 000 euro (quarante et un mille euro) à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Dit que les sommes allouées à titre indemnitaire (indemnité spéciale de rupture et indemnité conventionnelle de rupture), doivent produire intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2008, Y ajoutant, Condamne la SAS Toupargel à payer à Monsieur Christian Forestier la somme supplémentaire de 560,28 euro (cinq cent soixante euro vingt-huit centimes) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés arrêtée au 31 mai 2009. Dit que les sommes allouées au titre de l'indemnité de préavis et de l'indemnité compensatrice de congés payés produiront intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2007 et que la somme supplémentaire allouée en cause d'appel au titre du solde de l'indemnité compensatrice de congés payés produira intérêts à compter du 11 mai 2009, Condamne la SAS Toupargel à payer à Monsieur Christian Forestier la somme de mille euro (1 000 euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile La condamne aux dépens d'appel. Ainsi fait et prononcé lesdits jours, mois et an.