Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 4e ch. C, 10 septembre 2009, n° 07-17914

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bertrand

Défendeur :

Tognarou (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Braizat

Conseillers :

MM. Gagnaux, Guery

Avoués :

SCP Bottai-Gereux-Boulan, SCP Sider

Avocats :

SCP Bessy-Garcia-Demun, Me Ricord

TGI Grasse, du 26 oct. 2007

26 octobre 2007

Faits, procédure et prétentions des parties

Le 17 février 1964 Monsieur Clémencau aux droits duquel se trouve la SCI Tognarou - bailleur - (qui a elle-même succédé à la société Arlon Prêts) - a donné à bail commercial à M. Bertrand, des locaux à Cannes, bail venu à renouvellement successif jusqu'à la date du 15 avril 2005, la SCI donnant congé à l'occupante des lieux Mlle Lona Bertrand avec offre de renouvellement par acte extra-judiciaire en date du 30 septembre 2004.

A l'occasion de ce renouvellement la SCI a expliqué avoir récemment découvert que son locataire n'était pas inscrit au RCS, donc non susceptible de se prévaloir d'un bail commercial et a demandé son expulsion sous astreinte.

Le preneur a été successivement M. Etienne Bertrand puis son fils Pierre Bertrand puis la fille de ce dernier Lona Bertrand seule en la procédure ; née le 2 novembre 1985 elle est donc majeure depuis le 2 novembre 2003.

S'estimant non convaincue par l'argumentation en défense de Mlle Bertrand se prévalant d'une location-gérance, par jugement non assorti de l'exécution provisoire en date du 26 octobre 2007 dont appel le Tribunal de grande instance de Grasse a fait droit aux demandes de la SCI Tognarou en ordonnant expulsion sous astreinte, fixant au montant du dernier loyer une indemnité d'occupation, déboutant encore Mlle Bertrand d'une demande de dommages-intérêts et la condamnant aux dépens, les parties étant enfin déboutées de leurs demandes réciproques au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de sa demande de réformation en un débouté total de la SCI et sa condamnation à lui payer 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Mlle Lona Bertrand appelante à titre principal le 21 novembre 2007 fait essentiellement valoir qu'il faut s'en tenir aux exigences de l'article L. 145-1-II du Code du commerce :

" Si le fonds est exploité sous forme de location-gérance en application du chapitre IV du présent titre ("de la location-gérance" article L. 144-1 à L. 144-13 du Code du commerce) le propriétaire du fonds bénéficie néanmoins des présentes dispositions (statut du bail commercial) sans avoir à justifier de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ".

La mère de Mlle Lona Bertrand - Mme Nassens - ès qualité d'administratrice légale de sa fille alors mineure a le 14 janvier 1998 passé contrat de location-gérance avec la société Spirit-Of Cannes locataire-gérante du fonds de commerce : certes il n'y a pas eu confirmation de ce contrat à la majorité de Mlle Bertrand mais la protection en fin de tutelle [article 456 du Code civil invoqué mais à ce jour abrogé sauf meilleure information] vise à protéger l'incapable et non le tiers; l'incapable serait selon elle seul en mesure de se prévaloir d'une difficulté à cet égard.

Au soutien de sa demande principale de confirmation sauf à requalifier la location-gérance invoquée en contrat de sous-location ou à s'en tenir au jugement entrepris et à lui allouer 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la SCI Tognarou intimée fait essentiellement valoir que la location-gérance invoquée "s'assimile d'avantage à un contrat de sous-location ; de toute façon il n'existerait pas de contrat de location-gérance en bonne et due forme à la date du 15 avril 2005 ".

L'analyse du contrat dit " location-gérance " démontrerait selon la SCI qu'il s'agit d'une sous location du bail et non d'une location d'un fonds de commerce avec tous ses composants d'ordre public.

A titre subsidiaire il faudrait s'en tenir à la motivation du jugement ou à titre plus subsidiaire encore constater qu'à tout le moins s'agissant d'une cession partielle de fonds de commerce, Mme Nassens elle-même ès qualité de représentant légal de sa fille mineure avait dû être inscrite au registre du commerce (3° niveau d'argumentation non repris au " dispositif " des conclusions).

Motifs de la décision

Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée et qu'aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité ;

Attendu qu'à titre principal l'appelante soutient qu'il s'agissait " d'avantage " (sic) d'une sous-location qu'une location-gérance, sans explicitement avancer qu'elle serait contraire à une prescription du bail ;

Attendu que quelle que soit l'appellation la juridiction saisie peut requalifier la location d'un meuble incorporel - le fonds de commerce - en sous-bail d'immeuble ;

Mais attendu qu'il appartient à celui qui se prévaut d'une telle requalification d'en apporter la preuve ;

Qu'à cet égard il convient de rappeler qu'au jour du décès de son père (Pierre Bertrand) Mlle Bertrand n'avait pas 12 ans et ne peut être commerçante et a fortiori exploiter le fonds de commerce qui lui revient par succession ;

Que sa mère tutrice légale Mme Colette Nassens devait donc veiller à l'exploitation du fonds, ce qu'elle a fait par contrat de location-gérance ;

Que ce contrat prévoit non seulement le transfert du droit au bail mais l'achalandage et les éventuels meubles garnissant le fonds ; qu'il importe peu s'agissant d'un bail commercial "tous commerces" qu'il n'y ait pas de clientèle spécifique attachée au fonds précédemment exploité ou de marchandise compte tenu de sa nature différente ;

Que la location-gérance n'excluait pas la possibilité d'une enseigne nouvelle ou d'un nom commercial nouveau en relation avec la nouvelle affectation du local commercial ;

Que ce premier moyen n'est en conséquence pas opérant ;

Qu'il en est de même de la motivation retenue par le premier juge, dès lors que la SCI n'est pas partie au contrat de location-gérance et ne peut a fortiori se prévaloir d'une nullité relative de protection n'existant qu'au profit du cocontractant protégé : Mlle Lona Bertrand seule, en sa qualité de mineure accédant ultérieurement à sa majorité et ne remettant pas en cause - et exploitant même - continuant nécessairement les actes pris en son nom par son tuteur légal en laissant se poursuivre le contrat de location-gérance.

Attendu que la preuve n'est pas rapportée et le moyen mal formulé est inopérant en ce qu'il exigerait peu ou prou que Mme Colette Nassens - qui n'est pas de plus commerçante [sic] ;

Qu'il y a lieu en conséquence de réformer le jugement entrepris ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique, contradictoirement En la forme, dit l'appel recevable. Au fond, Reformant le jugement entrepris et statuant à nouveau, Déboute la SCI Tognarou de l'ensemble de ses prétentions. Condamne la SCI Tognarou à payer à Mlle Lona Bertrand la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SCI Tognarou aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés à son encontre par les avoués à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.