CA Aix-en-Provence, 2e ch., 3 septembre 2009, n° 08-04779
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bristol (SA)
Défendeur :
Château du Galoupet (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Acquaviva, Jacquot
Avoués :
SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Sider
Avocats :
Mes Baschet, Guerini
Exposé du litige
Les faits :
Par contrat du 20 septembre 2004, la société Château du Galoupet a confié à la société Bristol la distribution de ses vins dans le département des Alpes Maritimes et la Principauté de Monaco selon une commission variable de 9 à 22 % en fonction de la clientèle démarchée.
La société Bristol a succédé dans ce mandat aux sociétés Sonirep et Sonidis qui ont fait l'objet d'une liquidation judiciaire.
Elle a perçu la somme annuelle de 26 758 euro à titre de commissions. Les 28 décembre 2006 et 15 janvier 2007 la société Château du Galoupet a adressé deux courriers à la société Bristol sur le bilan de l'année 2006, les perspectives pour 2007 à savoir une augmentation de ses ventes de 40 000 à 60 000 bouteilles avec modification de sa rémunération.
Le 28 février 2007 elle a résilié le mandat d'agent commercial pour faute grave avec effet au 1er mars 2007.
La procédure :
Considérant que cette résiliation n'était pas fondée, la société Bristol a assigné la société Château du Galoupet en paiement des indemnités de préavis et compensatrice prévues aux articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce. Selon jugement contradictoire du 25 février 2008, le Tribunal de commerce de Toulon a débouté la société Bristol de sa demande et l'a condamnée à payer à la société Château du Galoupet a somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Bristol est régulièrement appelante du jugement selon déclaration du 13 mars 2008 et soutient dans ses dernières conclusions du 13 mai 2009 que:
- en réalité la société Château du Galoupet a modifié sa politique de vente;
- elle n'a formulé aucune mise en garde dans sa lettre du 15 janvier 2007, ni aucun reproche, envisageant la poursuite des relations pour l'année 2007 ;
- elle doit assumer les conséquences financières de ses choix;
- la société Bristol l'a mise vainement en demeure par l'intermédiaire de son conseil de lui régler les indemnités prévues en cette matière;
- c'est dans la lettre de rupture du 28 février 2007 que la société Château du Galoupet lui reproche " l'absence de prospection des grossistes ";
- l'augmentation des impayés ne procède pas de son fait;
- la société Château du Galoupet n'établit l'existence d'aucune faute grave à sa charge et a tenté d'augmenter les objectifs à atteindre tout en réduisant les commissions convenues;
- la baisse du chiffre d'affaires n'est pas une faute grave et n'a été invoquée que dans la lettre de rupture étant rappelé que suite au dépôt de bilan de son ancien distributeur, la société Château du Galoupet a perdu beaucoup de parts de marché;
- au demeurant la société Bristol a augmenté le chiffre d'affaires réalisé anciennement par les sociétés Sonirep et Sonidis;
- le tribunal a inversé la charge de la preuve en fondant sa décision de rejet sur l'absence de réponse de la société Bristol aux trois courriers précités ;
- c'est en vain que la société Château du Galoupet prétend aussi à un " déséquilibre contractuel " dont elle serait victime alors que c'est elle-même qui a rédigé la lettre-contrat sur son papier à en-tête que la société Bristol a retourné avec pour seul ajout sa signature.
La société Bristol sollicite l'infirmation du jugement déféré et le paiement par la société Château du Galoupet des sommes de 13 379 euro à titre de préavis, de 4 459 euro en application de l'article L. 134-7 du Code de commerce, de 53 516 euro à titre d'indemnité compensatrice, de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts pour faute et enfin de 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions récapitulatives d'intimée du 3 juin 2009, la société Château du Galoupet fait valoir en réplique que:
- il n'existe aucun texte sur le nombre de courriers que le mandant doit adresser à l'agent commercial préalablement à la rupture;
- la société Château du Galoupet a exprimé à plusieurs reprises son mécontentement sur les résultats commerciaux de la société Bristol qui n'a pas répondu à ses attentes;
- au regard de ces résultats alarmistes, elle a demandé en janvier 2007 à la société Bristol d'atteindre des objectifs et son courrier du 15 janvier 2007 impliquait nécessairement une réponse;
- le contrat d'agence imposait une visite de tous les clients et aucune démarche n'a été entreprise auprès des grossistes;
- la société Bristol agent commercial d'autres producteurs viticoles plus prestigieux que le Château du Galoupet a décidé de concentrer ces efforts sur ces représentations.
- elle ne peut tirer aucun argument de l'invitation de Monsieur Delmas au titre des résultats de l'année 2005 et qui ne change rien au fait qu'en 2006 et 2007 son activité a diminué ;
- la société Bristol avait la totale liberté de distribuer d'autres produits sans l'accord de la société Château du Galoupet la plaçant ainsi en état de dépendance économique;
- l'accumulation des faits établis à son encontre constitue une faute grave justifiant la résiliation du contrat.
La société Château du Galoupet conclut à la confirmation du jugement déféré et au paiement des sommes de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 juin 2009.
Discussion
Les termes de la lettre-contrat du 20 septembre 2004 ne sont pas discutés. Ils prévoient notamment que chaque partie pourra y mettre un terme, sauf faute grave ou lourde, par courrier recommandé et en observant un préavis de six mois.
L'article L. 134-12 du Code de commerce édicte qu'en cas de cessation du mandat à l'initiative du mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi et dont il ne peut être privé qu'en cas de faute grave. La preuve d'une telle faute incombe nécessairement à celui qui l'invoque soit la société Château du Galoupet.
Bien que cette dernière plaide qu'aucune disposition n'impose l'envoi de courriers préalables à une résiliation pour faute grave, force est de constater que les " différents courriers " selon lesquels la société Château du Galoupet aurait "fait clairement savoir à la société Bristol que les objectifs attendus étaient très insuffisants" procèdent de l'affirmation péremptoire qui ne fait pas preuve. Aussi, à défaut d'autres pièces, la cour ne peut apprécier les circonstances de la rupture qu'au travers des trois lettres de décembre 2006, janvier et février 2007.
A l'évidence, le courrier du 23 décembre 2006 n'est que la constatation de l'activité réalisée au cours de l'année écoulée avec un comparatif entre les trois vendeurs de la société Bristol à savoir, Messieurs Delmas, Lequillec et Blossier. Il note aussi un nombre d'impayés "en forte hausse" et envisage le négoce d'autres vins tels Bandol, Cassis, Baux de Provence etc...
Ce courrier n'impute aucune faute, ni le moindre reproche à la société Bristol. Il en va de même pour celui daté du 15 janvier 2007 et confirmant les termes d'une réunion entre les parties en date du 8 janvier précédent. Mieux, la société Château du Galoupet y mentionne que la société Bristol est "sur le point de renverser la situation" c'est-à-dire d'augmenter le chiffre d'affaires actuellement en baisse et qu'elle confirme les accords pour l'année 2007. Elle propose une rémunération différente soit "le même système appliqué sur l'ensemble de notre équipe" ainsi qu'un doublement des clients avec une "volonté de participer activement sur le terrain à une politique commune de développement". Elle conclut sa lettre en ces termes : "Je suis toutefois certain qu'il me paraît inutile de tenir la main à chaque client, la valeur de vos vendeurs est bien supérieure à cela".
Ce n'est donc pas par abus de langage ou excès de confiance que la société Bristol a pu légitimement considérer que le mandat se poursuivait en 2007 et ce d'autant qu'en droite ligne de son dernier courrier elle a accepté le 12 janvier 2007 de faire une tournée avec le vendeur Delmas de la société Bristol le 13 février suivant.
C'est dans le courrier de rupture du 28 février 2007 que la société Château du Galoupet fera finalement part de ses premiers reproches et essentiellement de l'absence de démarchage des grossistes. Bien que la société intimée mentionne que l'appelante n'est pas intervenue "malgré ses mises en garde répétées pour améliorer les résultats", la cour constate à nouveau qu'aucune pièce ne vient étayer ces avertissements ou mises en demeure qui ne ressortent pas plus des courriers précédents des 28 décembre 2006 et 15 janvier 2007.
La société Château du Galoupet n'établit donc aucune faute grave à l'encontre de son agent et qu'elle n'a pas mis en mesure de s'exécuter. Bien plus elle admet une légère hausse des résultats en février 2007 et ne peut se plaindre de ce que la société Bristol distribue des vins concurrents, circonstance qu'elle connaissait parfaitement lors de la mise en place du contrat d'agent commercial rédigé sous sa plume, et qu'elle a acceptée expressément ainsi qu'il résulte du quatrième paragraphe de la lettre-contrat de septembre 2004.
La société Bristol rappelle enfin que la baisse du chiffre d'affaires n'est pas en soi constitutif d'une faute grave et qu'au demeurant celui réalisé en 2005 et 2006 était très supérieur à celui réalisé de 2001 à 2003 par l'ex-agent commercial Sonirep.
Ainsi aucun élément ne peut priver la société Bristol ni de son préavis (de six mois en vertu du contrat) ni de l'indemnité compensatrice de l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Au regard des commissions perçues annuellement pendant la durée du mandat et dont le montant total n'est pas critiqué par la société Château du Galoupet, la société Bristol est fondée à obtenir paiement des sommes respectives de 13 379 euro et 53 516 euro.
Le montant de 4 459 euro qui correspond à des commissions sur des ventes réalisées postérieurement à la résiliation du mandat soit en mars 2007 n'est pas contesté et doit être alloué.
La société Château du Galoupet a en effet déclaré dans sa lettre du 28 février 2007 que pour ne pas pénaliser les clients, elle assurerait des livraisons à l'entrepôt de la société Bristol pour ce mois.
En revanche, la société Bristol ne saurait percevoir une seconde indemnité de 30 000 euro "pour faute" qui fait manifestement double emploi, faute de moyens plus circonstanciés, avec l'indemnité compensatrice allouée ci-dessus.
La société Château du Galoupet ne donne aucun élément d'appréciation sur sa prétendue dépendance envers la société Bristol qui n'a commercialisé annuellement que 40 000 bouteilles sur les 400 000 produites durant la même période.
En effet aucune pièce au dossier de l'intimée ne permet de dire que sa survie financière ait pu être compromise par l'exécution du mandat litigieux ne portant que sur 10 % de la production.
Compte tenu de l'admission du recours, la demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par la société Château du Galoupet est sans objet.
Aucune circonstance économique ou d'équité ne conduit la cour à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Château du Galoupet qui succombe supportera les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel : Infirme le jugement déféré rendu par le Tribunal de commerce de Toulon en toutes ses dispositions; Et statuant à nouveau : Condamne la société Château du Galoupet à payer à la société Bristol les sommes de : - 4 459 euro (quatre mille quatre cent-cinquante-neuf euro) à titre de solde de commissions; - 13 319 euro (treize mille trois cent soixante-dix-neuf euro) d'indemnité de préavis; - 53 516 euro (cinquante trois mille cinq cent-seize euro) à titre d'indemnité compensatrice; - 4 000 euro (quatre mille euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Château du Galoupet de l'intégralité de ses demandes; La condamne aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Touboul de St Ferréol, avoués, à les recouvrer suivant les dispositions prévues à l'article 699 du Code de procédure civile.