CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 10 décembre 2009, n° 09-03705
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Comercio de Primeras Materias SL (Sté)
Défendeur :
Safic-Alcan (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mme Poinseaux, M. Testut
Avoués :
SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Jupin & Algrin
Avocats :
Mes Hindre Guegen, Delecluse
Vu le contredit formé le 17 avril 2009 par la société Coprima à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nanterre le 5 février 2009 qui a:
* dit recevable la société Coprima en son exception d'incompétence,
* rejeté cette exception,
* renvoyé l'affaire à l'audience du 19 mars 2009 pour conclusions au fond,
* dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
* réservé toutes les autres demandes des parties ainsi que les dépens.
Vu les dernières observations en date du 30 octobre 2009, par lesquelles la société Coprima, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de:
* dire que l'action de la société Safic-Alcan, venant aux droits de la société Sochibo, est fondée sur la responsabilité contractuelle et en conséquence que la compétence juridictionnelle doit être déterminée en application des dispositions de l'article 5-1 du règlement CE n° 44-2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale,
* constater qu'elle n'a ni connu, ni accepté la clause attributive de juridiction " aux tribunaux compétents de Nanterre ", et, en conséquence, confirmer le jugement déféré sur ce point,
* dire que la clause attributive de juridiction " aux Tribunaux compétents de Nanterre " figurant dans les conditions générales d'achat de la société Sochibo lui est inopposable,
* constater que, quelle que soit la nature de la relation commerciale ayant existé avec la société Sochibo (contrat de vente ou de distribution exclusive), la compétence juridictionnelle déterminée en application des dispositions du paragraphe b) ou a) de l'article 5.1 du Règlement CE n° 44-2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale, conduit à :
- déclarer le Tribunal de commerce de Nanterre incompétent au profit du Tribunal de première instance de Sabadell (Espagne),
- renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir,
* en tout état de cause, condamner la société Safic-Alcan, venant aux droits de la société Sochibo au versement de la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Vu les dernières observations en date du 22 octobre 2009 par lesquelles, poursuivant la confirmation de la décision entreprise, la société Safic-Alcan, venant aux droits de la société Sochibo, demande à la cour de:
à titre principal,
* constater que ses demandes d'indemnisation, fondées sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et sur l'article 1382 du Code civil, relèvent de la responsabilité délictuelle,
* dire que la compétence juridictionnelle doit être déterminée en application des dispositions de l'article 5 § 3 du Règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale,
* confirmer la décision du premier juge qui s'est déclaré territorialement compétent,
à titre subsidiaire,
* si la cour devait retenir que son action en responsabilité est de nature contractuelle, constater la stipulation d'une clause attributive de compétence au bénéfice du Tribunal de commerce de Nanterre dans les bons de commande qu'elle a émis et qui ont été acceptés par la société Coprima dans le cadre de l'exécution de leurs relations contractuelles objet du présent litige,
* dire que cette clause attributive de compétence est parfaitement valide et doit trouver à s'appliquer dans le cadre du présent litige, à l'exception de toute autre disposition légale, communautaire ou conventionnelle,
* confirmer la décision déférée,
en tout état de cause,
* condamner la société Coprima au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que:
* la société Safic-Alcan de droit français, venant aux droits de la société Sochibo, a pour activité la commercialisation de produits de chimie fine, notamment de principes actifs pharmaceutiques,
* la société Coprima de droit espagnol est spécialisée dans la fabrication de ces produits,
* la société Safic-Alcan a assuré la distribution exclusive des produits de la société Coprima sur le territoire français,
* le 1er juillet 2005, la société Moehs a informé la société Safic-Alcan de l'acquisition de la société Coprima en indiquant " qu'à compter du 1er septembre 2005, tous les négoces de Coprima seraient gérés par le réseau commercial de la société Moehs ",
* le 28 octobre 2005 et le 30 janvier 2006, la société Safic-Alcan se prévalant de la rupture des relations commerciales établies entre les parties, a sollicité de son fournisseur l'indemnisation de son préjudice,
* cette prétention étant demeurée sans effet, la société Safic-Alcan a assigné la société Coprima devant le Tribunal de commerce de Nanterre afin d'obtenir la réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale et abusive du contrat de distribution exclusive liant les parties,
* la société Coprima a soulevé in limine litis l'incompétence territoriale dudit tribunal au profit du Tribunal de première instance de Sabadell en Espagne,
* c'est dans ces circonstances qu'est intervenue la décision déférée;
Sur l'exception d'incompétence:
Considérant qu'il est acquis aux débats que la société Coprima, de droit espagnol, spécialisée notamment dans la fabrication et la commercialisation de principes actifs destinés à la confection de médicaments a entretenu des relations commerciales avec la société Safic-Alcan de droit français, revendeur de ses produits en France, de sorte que le litige oppose deux sociétés, l'une domiciliée sur le territoire espagnol, l'autre sur le territoire français ;
Considérant que la société Coprima, au soutien à l'appui de son contredit, fait valoir que le litige présente un élément d'extranéité justifiant l'application du règlement communautaire 44-2001 du 22 décembre 2000 et la compétence des juridictions espagnoles;
Qu'elle prétend que la détermination de la juridiction compétente pour connaître d'un litige international nécessite de déterminer la nature juridique du différend opposant les parties et allègue que la demande, portant sur la rupture abusive d'un contrat de distribution au visa de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, est, au sens du règlement communautaire, de nature contractuelle;
Que la société Safic-Alcan lui oppose que le litige a un fondement délictuel de sorte, selon elle, que la décision déférée, qui a retenu sa compétence, mérite confirmation;
Considérant qu'il n'est pas démenti que s'agissant de deux sociétés respectivement situées dans deux Etats différents, membres de l'Union européenne, la compétence contestée de la juridiction saisie doit être déterminée en application du règlement communautaire;
Considérant en droit, que ce règlement édicte en son article 2 que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites devant les juridictions de cet Etat ;
Que l'article 5-1 a) de ce règlement dispose qu'en matière contractuelle, une personne domiciliée dans un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; que selon l'article 5-3, en matière délictuelle, elle peut être attraite devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire;
Considérant en l'espèce, que la demande d'indemnisation formée par la société Safic-Alcan vise à obtenir la réparation du dommage qui aurait été causé par la rupture abusive de relations commerciales établies, de sorte qu'elle relève d'un fondement contractuel au sens de l'article 5-1 a) précité du règlement communautaire;
Considérant par ailleurs, que la société Safic-Alcan, ne saurait opposer à la société Coprima une clause attributive de compétence au profit des juridictions françaises en faisant état de ses conditions générales d'achat ;
Qu'en effet, pour être opposable, l'article 23 du règlement communautaire précité, exige qu'une telle clause soit conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ou sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance;
Qu'il n'est pas démenti que les bons de commande ont été envoyés par télécopie ; que si ces commandes ont été, ainsi que le prétend la société Safic-Alcan, doublées d'un courrier simple contenant le verso de la commande précisant ses conditions générales d'achat, il n'en demeure pas moins qu'au fondement des dispositions du règlement communautaire précitées, il n'est pas démontré l'acceptation de la société Coprima à une clause attributive de compétence;
Considérant qu'il s'ensuit que la compétence de la juridiction pour connaître du litige doit être déterminée au regard des dispositions de l'article 5-1 b) du règlement communautaire qui dispose que le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est pour la vente de marchandises le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées;
Considérant par voie de conséquence qu'il convient de déterminer le lieu où en vertu du contrat, la marchandise a été ou aurait dû être livrée;
Que force est de constater que le lieu de livraison des marchandises commandées par la société Safic-Alcan auprès de la société Coprima se situe en Espagne, de sorte qu'infirmant la décision déférée, sur sa compétence, il convient de faire droit au contredit et de renvoyer la société Safic-Alcan à mieux se pourvoir;
Sur les autres demandes:
Considérant qu'il ressort de la solution du litige que la société Safic-Alcan devra supporter les frais du contredit et les dépens;
Qu'en revanche, l'équité ne commande pas de mettre à sa charge une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Fait droit au contredit, Infirme le jugement entrepris, Renvoie la société Safic-Alcan à mieux se pourvoir, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Safic-Alcan, venant aux droits de la société Sochibo, aux frais du contredit et aux dépens.