Livv
Décisions

CA Douai, ch. soc., 30 octobre 2009, n° 09-01452

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Léger

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Basset

Conseillers :

MM. Mouysset, Petit

Avocats :

Me Bouyer-Fromentin, Boisadam

Cons. prud'h. Arras, du 15 mai 2009

15 mai 2009

Madame et Monsieur Léger ont conclu avec la société Distribution Casino France un contrat de cogérance portant sur un magasin à l'enseigne Spar sis à Arras, et relèvent à ce titre des dispositions des articles L. 7322-1 et suivants du Code du travail relatives aux gérants non salariés des succursales de commerce de détail.

Arrêté pour maladie du 31 décembre 2007 au 13 janvier 2009, Monsieur Léger a, par acte du 15 avril 2009, fait assigner la société Distribution Casino France devant le Conseil des prud'hommes d'Arras statuant en référé pour organisation d'une visite de reprise du travail de la médecine du travail, reprise du paiement de son salaire depuis le 13 janvier 2009, et condamnation au paiement de ses frais de déplacements à hauteur de 743,76 euro.

Cette juridiction ayant par ordonnance en date du 15 mai 2009, rejeté ses demandes, Monsieur Christophe Léger a, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 mai 2009, régulièrement interjeté appel de la décision.

Aux termes de ses conclusions développées à l'audience, il prie la cour, vu l'urgence, d'ordonner à la société Distribution Casino France de:

- organiser la visite médicale de reprise du travail de la médecine du travail, sous astreinte,

- reprendre le paiement des salaires depuis le 13 janvier 2009 jusqu'à la reprise d'activité sur la base du salaire moyen des 12 derniers mois travaillés, soit 14 671,11 euro bruts, compte arrêté au 30 août 2009,

et la condamner à lui payer ses frais de déplacements à hauteur de 743,76 euro, et ce sous astreinte de 500 euro par jour.

Il précise que pour déférer à l'ordonnance, il s'est soumis à un examen médical pratiqué par son médecin traitant, lequel l'a déclaré en état de reprendre son travail "sous réserve d'éviter le port de charges lourdes, la station debout prolongée et un aménagement des horaires de travail."

Il ajoute que compte tenu de son état de santé, il leur a été impossible, à son épouse et lui-même, de reprendre l'exploitation du magasin le 15 juillet 2009, comme demandé par la société Distribution Casino France.

Moyens des parties

Monsieur Léger fait valoir en droit que par application des dispositions de l'article L. 7322-1 du Code du travail l'entreprise propriétaire de la succursale est tenue, lorsqu'elle détermine les conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de la création d'un service de santé au travail et de l'organisation des visites médicales d'embauche, périodique et de reprise du travail au profit des gérants non salariés.

Il estime que la société Casino Distribution France qui conserve la maîtrise de l'aménagement des locaux, des équipements, de l'implantation des gondoles, de tous les travaux à réaliser, y compris du chantier, du choix des entreprises, qui décide des jours et heures d'ouverture, détermine les conditions de travail, de sécurité et de santé au travail.

Il soutient que la convention collective du 18 juillet 1963 qui précise que les gérants devront se soumettre sous leur responsabilité à un contrôle médical annuel ou à une visite de reprise lorsqu'ils ne profitent pas des services de médecines préventives, est antérieure aux dispositions du décret du 14 mars 1986 qui impose à tous, salariés et assimilés, la visite médicale de reprise, et ne peut être interprétée comme une dérogation aux dispositions du Code du travail, qu'au contraire, elle tendait à l'époque de sa rédaction, à faciliter l'accès de tous à un contrôle médical, sans exclure l'accès à un service organisé qui n'existait alors pas au profit de tous les salariés.

Il fait valoir au soutien de sa demande en paiement des frais de déplacements engagés en sa qualité de délégué syndical, pour assister des gérants lors d'entretiens préalables à des ruptures de contrat, que l'accord collectif reconnaît les droits syndicaux et qu'il y a identité de nature entre les mandats conventionnels et les mandats légaux, qu'au surplus, aux termes de l'article 3 de l'avenant au contrat de cogérance, "du seul point de vue de la législation sociale, ... les cogérants sont assimilés à des salariés."

En réponse, la société Distribution Casino France rappelle aux termes de ses écritures reprises à l'audience, que les gérants mandataires non salariés exercent leur activité professionnelle dans le cadre mis en place par le contrat de location-gérance soumis à l'Accord national du 18 juillet 1963.

Elle estime en l'espèce ne pas être obligée par les dispositions de l'article L. 7322-1 du Code du travail, à la création d'un service de santé au travail dans la mesure où elle conteste organiser ou soumettre à son accord les conditions de travail des gérants mandataires non salariés de ses magasins, les époux Léger étant, aux termes du contrat de cogérance, libres d'organiser leur conditions de travail, qu'il s'agisse de fixer les horaires d'ouverture, la prise de leurs congés ou l'embauche de personnel, toutes les autres contraintes de nature commerciale n'étant que la mise en œuvre de dispositions particulières du contrat de location-gérance.

S'agissant du système de santé au travail des gérants non salariés, elle invoque les dispositions de l'accord national de 1963 qui lui font pour seule obligation :

- de faire bénéficier les cogérants d'un examen médical avant la conclusion d'un contrat de location-gérance,

- de prendre en charge les frais afférents au contrôle de santé annuel et à la visite médicale de reprise, ces deux examens étant librement organisés par les cogérants.

Elle précise toutefois qu'elle n'a jamais fait obstacle à l'organisation par l'appelante d'une visite de reprise auprès des services de la médecine du travail, dont elle était prête à supporter le coût.

Elle conclut en définitive à la confirmation de l'ordonnance de référé, soulevant à tout le moins l'existence d'une contestation sérieuse, l'urgence n'étant pas caractérisée.

Sur ce

La compétence du juge des référés au regard de l'urgence

Aux termes de l'article R. 1455-5 du Code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référés peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation ou que justifie l'existence d'un différend.

Il ne peut être contesté que la situation de Monsieur Léger dont l'arrêt maladie a pris fin, justifie qu'il soit statué dans les meilleurs délais sur la visite de reprise et répond à la condition d'urgence.

La demande de visite médicale

L'article L. 7322-1, inséré au chapitre 2, prévoit que les dispositions du chapitre premier du titre II du livre III de la partie du Code du travail relative aux dispositions particulières à certaines professions sont applicables aux gérants non-salariés, sous réserve des dispositions du chapitre 2. Celles-ci subordonnent le bénéfice des dispositions du livre 1er de la troisième partie relatif à la durée du travail, aux repos et aux congés, ainsi que de la quatrième partie relative à la santé et à la sécurité au travail à la fixation par l'entreprise propriétaire de la succursale des conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement, ou à son agrément.

En l'espèce, les époux Léger ont par acte sous seing privé en date du 23 février 2007, conclu avec Distribution Casino France un contrat de cogérance portant sur un magasin sis à Arras.

Ce contrat, expressément soumis aux dispositions des articles L. 783-2-1 et suivants du Code du travail, et de l'accord national interprofessionnel du 18 juillet 1963, stipule que "les co-gérants seront indépendants dans leur gestion, dans la limite dudit mandat. Il leur appartiendra donc à cet effet de se conformer sous leur responsabilité en cas d'infraction, à toutes les lois et règlements de ville et de police".

Pour ce qui concerne les conditions de travail, et selon le contrat de cogérance, Casino Distribution France:

- supportait la charge des frais de loyers des locaux, d'assurance du matériel et des marchandises,

- mettait à disposition le matériel nécessaire aux besoins de l'exploitation, lequel comprenait le matériel informatique, réfrigérant, de congélation, les chariots de transport ainsi que les gondoles.

Par ailleurs plusieurs échanges de courriers entre les parties montrent que Casino Distribution France, propriétaire du fonds de commerce, prenait l'initiative de la réfection des locaux, et conservait la maîtrise de l'exécution de tous travaux, d'entretien ou de transformation, comme par exemple la création d'un accès handicapé, se réservant d'apprécier une situation de danger potentiel tant pour les exploitants que pour la clientèle, déterminant par là même les conditions de travail comme celles relatives à la sécurité.

De même, veillant au respect, sous menace de "reconsidérer les relations contractuelles", des jours et heures d'ouverture du magasin définis selon un engagement écrit du gérant, exigeant communication sous forme de souhait des dates de congé et en appréciant le bien-fondé, ayant organisé un système de remplacement par des gérants intérimaires, Casino Distribution France donnait par la-même son agrément à ces conditions d'exploitation lesquelles ont une incidence directe sur les conditions de travail.

Il résulte enfin de plusieurs attestations de gérants ou anciens gérants que les jours et heures de livraison de produits étaient décidés par l'entreprise, et qu'ils devaient ranger le magasin selon une charte précise. Si comme le souligne l'intimée, ces attestations ne portent pas sur la situation particulière des époux Léger, il n'est pour autant nullement allégué qu'ils aient connu un sort différent.

Il résulte enfin des éléments du débat, et notamment du compte rendu d'une réunion du comité de gérants, en date du 25 juin 2007, que l'entreprise procède à des "mutations" de gérants au sein de son parc de magasins, et est ainsi en mesure de proposer des postes de travail différents.

Etant par ailleurs établi par les fiches de paie de Monsieur et Madame Léger que leur rémunération globale brute mensuelle s'élevait à 3 000 euro environ, outre la jouissance d'un logement, et ne permettait pas dans les faits le recrutement d'un salarié même rémunéré au Smic, il y a lieu de considérer au vu de ces éléments que les conditions de travail étaient bien fixées par Casino Distribution France.

Plus particulièrement, s'agissant d'un couple, les conditions relatives aux horaires et jours de fermeture ainsi que de congé, leur étaient communes.

S'agissant des conditions relatives à la santé, l'hygiène et la sécurité, le contrat de cogérance se borne à reprendre les dispositions de l'article 9 de l'accord national relatives aux visites médicales auxquelles les gérants doivent se soumettre "avant l'embauche", annuelles et "de reprise".

Il est par ailleurs établi que dans le cadre de l'exécution du contrat la société Casino Distribution France, au-delà de la mise à disposition du matériel, donnait dans ce domaine des instructions et en contrôlait la bonne exécution; elle verse en effet aux débats un recueil de "protocoles" destinés aux gérants de ses magasins, portant notamment sur l'hygiène et la sécurité, tels que protocoles de lutte contre les nuisibles, d'hygiène du personnel, de stockage des produits, de découpe au rayon fromage ou au rayon charcuterie, ou autre plan de nettoyage et de désinfection, et de gestion des déchets, détaillant les règles à respecter pour la bonne tenue du magasin.

En outre, le livret "process métiers" du manager commercial au sein de la branche "petit Casino" énumère notamment parmi les moyens d'action du manager au soutien des gérants des magasins, le contrôle du respect des concepts du réseau, ainsi que de la bonne application des règles d'hygiène et qualité en matière sécurité alimentaire, contrôle qui doit être effectif au rythme de toutes les trois semaines.

Monsieur Perus qui a exercé ces fonctions sur la région d'Amiens dont dépendait le magasin d'Arras, témoigne qu'il entrait dans ses missions de contrôler la tenue du magasin, notamment sa propreté, ainsi que la mise en œuvre des normes sanitaires.

Il est ainsi établi que les conditions de travail, comme les mesures d'hygiène et sécurité au sein du magasin étaient fixées ou à tout le moins recevaient l'agrément de la société Casino, laquelle au surplus veillait par la diffusion des recueils et bonnes pratiques, à la formation des gérants, conformément aux dispositions de l'article L. 4121-1 du Code du travail.

Monsieur Léger doit dans ces conditions, sans que puisse être soulevée une contestation sérieuse, bénéficier des dispositions de la quatrième partie du Code du travail relative à la santé et la sécurité au travail, qui comprennent l'organisation d'une visite de reprise par le médecin du travail.

La société Casino est mal fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 9 de l'accord national du 18 juillet 1963, en ce qu'elles ne font pas obligation de recourir à la médecine du travail pour la visite de reprise. En effet, outre que par application des dispositions des articles L. 7322-3 et L. 2251-1 du Code du travail, cet accord ne peut déroger que dans un sens plus favorable au gérant aux dispositions légales du Code du travail, le recours à un médecin généraliste n'appartenant pas à la médecine du travail n'est expressément permis par l'article 9 de l'accord que pour les visites médicales annuelles (alinéa 2), et non pour les visites d'embauche et de reprise (alinéa 1 et 3).

Enfin, il est constant que le recours hors cadre statutaire à un médecin du travail comme le propose Casino Distribution France, pour procéder à la visite de reprise est inopérant dès lors qu'il n'est pas en mesure de vérifier l'aptitude au poste de travail.

Casino Distribution France sera en conséquence condamnée à organiser la visite de reprise, une astreinte n'apparaissant toutefois pas nécessaire.

La demande en paiement du salaire depuis le 13 janvier 2009

Il n'est pas contesté que Madame Léger continue à percevoir la somme mensuelle brute de 2 468 euro correspondant à la moyenne mensuelle des commissions précédemment versées au couple. Il n'y a lieu en conséquence à référé sur cette demande.

La demande de remboursement des frais de déplacements

Monsieur Léger rappelle que l'accord collectif reconnaît l'existence d'un droit syndical, et qu'en vertu du principe selon lequel tout salarié doit être assisté lors de l'entretien préalable, les frais engagés par le salarié venu pour assurer cette assistance doivent lui être remboursés. Dès lors, il réclame paiement des frais de déplacement qu'il a engagés pour assister en différents points du territoire ses collègues menacés de rupture du contrat de gérance.

L'intimée répond que l'intéressé a déjà été indemnisé conformément à l'article 37 de l'accord national du 18 juillet 1963 en recevant paiement de ses heures de délégation.

Mais par application des dispositions de l'article L. 7321-1, les dispositions du Code du travail sont applicables aux gérants de succursales " dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre ". Or, la procédure de licenciement ne fait pas l'objet de dispositions particulières aux gérants de succursales, de sorte que les dispositions de ce Code relatives au licenciement sont applicables.

Il est par ailleurs constant en droit que le droit reconnu au salarié par l'article L. 1232-4 du Code du travail de se faire assister lors de l'entretien préalable au licenciement par un autre salarié de l'entreprise implique que ce dernier ne doit, du fait de l'assistance qu'il prête, subir aucune perte de rémunération. Il en résulte que le droit de Monsieur Léger à obtenir remboursement de ses frais de déplacements n'est pas sérieusement contestable, une astreinte n'apparaissant toutefois pas nécessaire.

La demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

La mauvaise foi de l'intimée n'étant pas démontrée, il n'y a lieu de faire droit à cette demande.

Les frais irrépétibles.

La société Distribution Casino France qui succombe en appel sera condamnée à payer à Madame Léger la somme de I 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Réforme l'ordonnance entreprise, Statuant à nouveau, Vu l'urgence, Dit que la demande de Monsieur Léger ne se heurte pas à une contestation sérieuse, Ordonne à la société Distribution Casino France d'organiser pour Monsieur Christophe Léger la visite médicale de reprise du travail dans le ressort de la ville d'Arras, Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte, Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de reprise de paiement des salaires, Condamne la société Distribution Casino France à payer la somme de 743,76 euro (sept cent quarante trois euro et soixante seize centimes) à Monsieur Léger au titre de ses frais de déplacements. Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte, Dit Monsieur Léger mal fondé en sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, l'en déboute; Condamne la société Distribution Casino France à payer à Monsieur Léger la somme de 1 000 euro (mille euro) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens.