CA Montpellier, 4e ch. soc., 3 juin 2009, n° 08-07837
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fedrizzi
Défendeur :
Total France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vouaux-Massel
Conseillers :
Mme Gregori, M. Prouzat
Avocats :
Mes Brihi, Régnault
Exposé du litige
M. Antonio Fedrizzi et Mme Christel Leconte sont co-gérants associés salariés de la SARL Tiga.
Un premier contrat de location de gérance était signé par la société Tiga le 19 novembre 1998, effectif le 8 janvier 1999, concernant une station-service sise à Banyuls (66). La société Tiga et la société Total France résiliaient amiablement ce contrat le 27 juin 2002.
Suivant contrat en date du 5 juillet 2002, la société Total Raffinage Marketing concluait à nouveau avec la société Tiga un contrat de location gérance d'un fonds de commerce de station-service situé route de Lodève 34990 Juvignac. Ce contrat conclu initialement pour une durée de trois ans fut prorogé par avenants successifs jusqu'au 31 juillet 2008.
Le 25 avril 2003, la société Total Raffinage Marketing et la société Tiga ont conclu un avenant d'extension de location-gérance portant sur un second fonds de commerce de station-service situé 129 avenue de Lodève 34070 Montpellier. Par avenant du 4 janvier 2007, la société Total Raffinage Marketing et la société Tiga décidaient d'un commun accord de résilier ce second avenant à compter du 1er mars 2007.
A ce jour, la société Tiga dont M. Fedrizzi est toujours co-gérant associé, n'exploite plus que la seule station de Juvignac.
Le 29 juin 2007, M. Fedrizzi saisissait le Conseil de prud'hommes de Montpellier aux fins de voir constater que le contrat de location-gérance n'est qu'un habillage juridique dont le seul intérêt est d'échapper, d'une part, aux charges de sécurité sociale et, d'autre part, à l'application des règles du droit du travail et de celles issues de la convention collective des combustibles. Il demandait au premier juge de dire que la relation qui s'est établie entre lui-même et la société Total Raffinage Marketing est une relation salariée au sens des dispositions de l'article L. 781-1 (ancien) du Code du travail et de prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Total Raffinage Marketing pour non-respect des dispositions légales du Code du travail. Il sollicitait en conséquence la condamnation de la société Total Raffinage Marketing à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, un rappel de salaire sur heures supplémentaires, une indemnité sur repos compensateur obligatoire, une indemnité pour travail dissimulé, l'indemnité conventionnelle de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis.
Suivant jugement date du 22 septembre 2008, le Conseil de prud'hommes de Montpellier a débouté M. Fedrizzi de l'ensemble de ses demandes.
M. Fedrizzi a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Dans des écritures développées oralement à l'audience et auxquelles la cour renvoie expressément pour un exposé complet de ses moyens et arguments, M. Fedrizzi soutient notamment qu'il se trouvait dans un état de dépendance économique à l'égard de la société Total France au regard de la politique des prix imposés et du caractère exclusif d'approvisionnement, mais aussi dans un état de subordination juridique manifeste envers Total France ainsi qu'en témoignent les diverses contraintes imposées dans les conditions de travail et la rémunération versée par la société qui reflète clairement l'existence d'une relation de travail salarié dans le cadre d'un service organisé. Estimant, de ce fait, que toutes les conditions prévues à l'article L. 7321-1 et L. 7321-2 du Code du travail sont réunies en l'espèce, M. Fedrizzi sollicite en conséquence la requalification du contrat de location-gérance en contrat de travail et le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Total Raffinage Marketing pour non-respect des dispositions légales du Code du travail. Il sollicite la condamnation de la société intimée à lui verser les sommes de 39 600 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 429 643,27 euro bruts à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires et celle de 42 964 euro bruts au titre des congés payés y afférents, de 405 102,99 euro à titre d'indemnités sur repos compensateur obligatoire, 15 840 euro à titre d'indemnités pour travail dissimulé, 5 016 euro à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 7 920 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 792 euro bruts au titre des congés payés afférents. Il demande également la condamnation, sous astreinte, de la société Total à lui remettre les documents de rupture, le certificat de travail, attestations Assedic, les bulletins de paie rectifiés. Il sollicite enfin l'allocation d'une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans des écritures développées oralement à l'audience et auxquelles la cour renvoie expressément, la société Total Raffinage Marketing conclut à la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté M. Fedrizzi de l'intégralité de ses demandes.
La société Total Raffinage Marketing fait valoir à titre principal que les dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail, dont M. Fedrizzi demande l'application, sont contraires aux principes constitutionnels européens communautaires de sécurité juridique et de prévisibilité du droit et, notamment, à l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
La société Total Raffinage Marketing soutient, à titre subsidiaire, que la demande présentée par M. Fedrizzi est irrecevable, dès lors qu'il ne peut revendiquer un nouveau lien juridique sans rapporter la preuve du caractère fictif de la société Tiga dont il était le salarié, et ce, alors que les obligations résultant des contrats conclus avec la société Total Raffinage Marketing étaient à la charge exclusive de la société Tiga, et non point à la charge de M. Fedrizzi.
La société Total Raffinage Marketing fait valoir, toujours à titre subsidiaire, que sont prescrites toutes demandes correspondant à la période courant du mois de février 2002 au 29 juin 2002.
La société Total Raffinage Marketing soutient qu'en tout état de cause les dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail ne sont pas applicables en l'espèce. Elle fait notamment valoir à cet égard que la deuxième condition, à savoir l'exclusivité ou la quasi-exclusivité de fourniture, n'est pas remplie dès lors que le distributeur était libre du choix de ses fournisseurs pour l'ensemble des produits autres que les produits pétroliers et qu'en outre, M. Fedrizzi a pu librement développer une activité parallèle puisqu'en plus de travailler pour le compte de Tiga, il exerce une activité de plombier, chauffagiste, dépanneur domiciliée dans les locaux de la station-service de Juvignac. La société Total Raffinage Marketing estime encore que la troisième condition n'est pas remplie, dès lors que M. Fedrizzi bénéficiait d'une large et réelle autonomie dans la gestion de l'exploitation de la station-service confiée en location-gérance ; qu'au regard de la quatrième condition relative à l'imposition des prix, les éléments de la comptabilité de Tiga démontrent que cette société s'est librement approvisionnée auprès de fournisseurs non référencés et qu'elle fixait librement le prix de vente au consommateur.
A titre infiniment subsidiaire, la société Total Raffinage Marketing fait valoir que la convention collective applicable est la convention collective nationale du commerce et de la réparation d'automobiles, du cycle et du motocycle ainsi que les activités connexes du contrôle technique automobile et que M. Fedrizzi doit bénéficier d'un coefficient correspondant à un emploi de caissier/aide comptable; que les dispositions du livre I de la troisième partie du Code du travail sont inapplicables et qu'à ce titre, M. Fedrizzi doit être débouté des demandes qu'il a formées au titre des heures supplémentaires, des congés payés et des repos compensateurs. La société Total Raffinage Marketing estime encore que, dès lors qu'il refuse de communiquer les DADS de la société Tiga correspondant aux exercices de 2007, M. Fedrizzi ne rapporte pas la preuve de ses heures de travail ; qu'il doit être en conséquence débouté de sa demande en paiement des heures supplémentaires, congés payés et repos compensatoires ; ou, qu'il soit, à défaut, sursis à statuer dans l'attente de la communication des DADS de la société Tiga ; ou qu'à tout le moins soient déduites les sommes de 132 122,50 euro et de 18 000 euro des sommes sollicitées par M. Fedrizzi et qu'il soit enjoint à M. Fedrizzi, sous astreinte de 500 euro par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, de justifier les sommes brutes perçues au titre de l'exercice de 2007 qui devront venir en déduction des sommes réclamées.
La société Total Raffinage Marketing sollicite enfin la condamnation de M. Fedrizzi à lui verser une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur l'application des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail
La société Total Raffinage Marketing a fait valoir, à titre principal, que les articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail doivent être déclarés contraires au principe constitutionnel de sécurité juridique et de prévisibilité du droit, et à l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et qu'il convient de les écarter. Elle considère en effet que l'éventuelle obligation de respecter ces règles instituées par le Code du travail, dépend d'une appréciation au cas par cas et a posteriori de l'exécution du contrat, impossible à appréhender a priori, intervenant plusieurs années après la rupture des relations contractuelles.
Dès lors que la société Total conclut, comme en l'espèce, pour l'exploitation de stations-services à son enseigne, des contrats de location-gérance dont les clauses mêmes prévoient l'exclusivité d'approvisionnement pour l'une des principales denrées vendues, à savoir le carburant, et le cas échéant, pour d'autres produits et services, la fourniture ou l'agrément des locaux, ainsi que la pratique de prix et de conditions imposés, elle se place dans une configuration qui rend tout à fait prévisible l'application des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail, de sorte qu'il lui appartient de consulter régulièrement les comptes de l'exploitant afin de vérifier que les produits et services de diversification pour lesquels l'exploitant a toute liberté d'approvisionnement et de fixation des prix ne se trouvent pas réduits à une part marginale de son activité et qu'il n'y a pas lieu pour elle à appliquer spontanément ces dispositions d'ordre public protectrices des droits de ses cocontractants, sans qu'il y ait là une quelconque atteinte au principe de sécurité juridique ou de prévisibilité du droit. Ce moyen développé par la société intimée sera dès lors écarté.
L'application des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail suppose la réunion de quatre conditions l'exercice d'une profession consistant essentiellement à vendre des denrées fournies exclusivement ou presque par une seule entreprise; un local fourni ou agréé par cette entreprise ; des prix imposés; des conditions imposées.
La première condition exigée se déduit, en l'espèce, des termes mêmes du contrat de location-gérance de la station-service de Juvignac qui prévoit en son annexe I un mandat de commercialisation exclusif pour les carburants. L'article 12 de cette annexe énonce en effet " L'exploitant devra distribuer les carburants fournis par la société. La violation de cette exclusivité exposerait l'exploitant à la résiliation du contrat sans préavis, à des dommages et intérêts et le cas échéant, à des poursuites pénales ". La distribution de gaz conditionné fait également l'objet d'une exclusivité, le locataire-gérant devant impérativement se fournir auprès de Totalgaz, suivant les conditions générales de ventes, tarifs et barèmes pratiqués par Totalgaz. L'exclusivité concerne également l'activité de lavage dont les équipements font partie intégrante de la station-service donnée en location-gérance et dont la société Total fixe les tarifs, l'annexe 3, article 6 du contrat énonçant à cet égard : " La société fixera les prix de l'activité lavage offerte à la clientèle de la station. L'exploitant devra appliquer immédiatement et exactement les prix fixés par la société ".
Or contrairement à la lecture que la société intimée fait de la pièce 62 " compte de résultat produit marges à fin juillet 2006 ", l'exclusivité des produits Total représente bien comme l'indique l'appelant 88,75 % du chiffre d'affaires de la station-service de Juvignac. En effet les ventes carburants + produits pétroliers + lavage représentent 137 255,53 euro + 4 337,50 euro + 12 810,89 euro, soit un total de 154 403,92 euro sur un chiffre d'affaires total de 173 973,37 euro (le poste " vente boutique " ne représentant que 18 230,48 euro, le poste " vente automobiles " : 99,78 euro et enfin le poste " autres produits (hors mandats)" : 1 239,19 euro)
Sur la station-service de Montpelier, l'exclusivité des produits pétroliers représentait 99,95 % du chiffre d'affaires total.
Il résulte dès lors des chiffres précités que les denrées vendues dans l'une et l'autre des stations en location-gérance, étaient fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, et ce sans qu'il y ait lieu d'y ajouter les produits alimentaires et non alimentaires vendus en boutique, pour lesquels, dans les faits et afin de se conformer à la politique commerciale définie par la société Total, comme cela résulte des pièces du dossier, le locataire-gérant s'approvisionnait auprès de deux filiales de la société Elf (Lescot et Omnium) et d'une société référencée par Elf Total (la société EDA), même si en théorie il conservait une liberté de choix pour l'approvisionnement de la boutique en produits non pétroliers.
Pour soutenir que M. Fedrizzi ne se consacrait pas " essentiellement" à l'exercice de cette profession consistant à vendre des denrées presque exclusivement fournies par une seule entreprise, la société Total Raffinage Marketing fait valoir qu'il exerçait parallèlement une activité de plombier, chauffagiste, dépanneur.
Toutefois, pour établir la réalité de l'exercice d'une telle activité parallèle, la société Total Raffinage Marketing s'appuie uniquement sur une annonce figurant dans l'annuaire des pages jaunes, alors que M. Fedrizzi indique qu'il a fait paraître cette annonce à un moment où il songeait à se reconvertir, mais qu'il ne s'est en réalité jamais livré à cette activité, les stations-services l'occupant à plein temps. Il fait encore observer qu'il n'a jamais été déclaré comme indépendant et il rapporte la preuve par la production de ses déclarations de revenus de ce qu'il n'a perçu aucun revenu provenant d'une quelconque activité secondaire.
La première condition prévue à l'article L. 7321-2 du Code du travail est dès lors remplie en l'espèce.
La deuxième condition exigée, tenant à ce que la vente de denrées fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise s'effectue dans un local fourni ou agréé par cette entreprise, est également remplie en l'espèce. En effet, il résulte des contrats de location-gérance que la société Total France, propriétaire des deux fonds de commerce, fournit les locaux servant à la distribution des carburants ainsi que toutes les dépendances nécessaires au stockage et à la distribution des essences et produits vendus. Il est d'ailleurs prévu aux dits contrats qu'en contrepartie de la mise à disposition de la station, le locataire-gérant doit verser à la société Total France une redevance calculée à partir des éléments, hors carburants, du fonds.
La troisième condition tenant au fait que les ventes des denrées s'effectuent aux prix imposés par l'entreprise est également remplie.
En effet, l'annexe I du contrat de location-gérance de la station de Juvignac énonce que " la distribution des carburants s'effectuera sous le régime du mandat. Ainsi les carburants seront mis en dépôt dans la station par la société. L'exploitant devra les vendre au nom et pour le compte de la société : il appliquera exactement le prix de vente fixé par la société, le percevra et le reversera intégralement à la société ". Il est encore précisé à l'article 5 de cette annexe que " s'il (l'exploitant) pratiquait un prix inférieur, il devrait combler la perte de recette subie par la société ".
S'agissant de l'activité lavage de la station, l'annexe 3, article 6 énonce que "la société fixera les prix de l'activité lavage offerte à la clientèle de la station. L'exploitant devra appliquer immédiatement et exactement les prix fixés par la société. S'il pratiquait un prix inférieur, il devrait combler la perte de recette subie par la société ".
Il convient de rappeler que ces deux activités : distribution de carburants et l'activité lavage représentent respectivement 88,75 % et 99 % du chiffre d'affaires des deux stations concernées.
S'agissant des lubrifiants, l'avenant d'extension conclu le 29 juillet 2005 prévoit que les conditions d'achat et de règlement seront fixées par Lescot (filiale de la société Total) au jour de la commande.
Enfin s'agissant du gaz conditionné, l'avenant d'extension du 29 juillet 2005 prévoit que les conditions d'achat seront fixées par Totalgaz au jour de la commande.
Par ailleurs, il est justifié par diverses pièces versées aux débats de ce qu'hormis les prix imposés, un certain nombre de conditions étaient imposées par la société Total France. Ainsi des instructions précises étaient données concernant les modalités de paiement par la clientèle ou encore l'entretien de la station. Il existait un manuel de démarche qualité, l'exploitant étant par ailleurs tenu à des comptes-rendus quotidiens un état des ventes effectuées chaque jour avant minuit et un état quotidien du nombre de prestations de lavage. L'activité de la station faisait également l'objet de contrôles par la société Total sous forme de " visites mystères ", comme cela résulte du courriel du 17 octobre 2007 de Mme Touchet, chef de secteur de Total France. Dans ce courriel adressé aux exploitants des stations, le chef de secteur demande " un effort particulier pour les stations dont le résultat est intérieur ou égal à 90 % ", " compte sur tous pour obtenir ce résultat ", annonce ou rappelle " l'existence de points bonus aux stations dont les espaces verts seront particulièrement entretenus et fleuris, dont les bacs à eau pour raclettes contiendront de l'eau... colorée (lave glace), dont les toilettes seront particulièrement propres et agrémentées... points bonus indiqués dans le fichier Excel ci-dessous... ".
De même, le contrat de location-gérance définit précisément les horaires d'ouverture de la station soit tous les jours de la semaine de 6 h à 22 h, même s'il est indiqué que ces horaires ont été choisis par l'exploitant. En effet dès lors qu'après ce choix, ils sont fixés dans le contrat de location, ils ne pourraient être modifiés que par un avenant, supposant donc l'accord préalable de la société Total France. Enfin le contrat de location-gérance a fixé précisément la rémunération de l'exploitant, l'article 8 prévoyant le versement d'une commission composée d'un terme fixe qui tient compte notamment du litrage annuel de référence indiqué en annexe 10, lequel sera versé mensuellement et d'un terme variable qui s'appliquera un litrage annuel réalisé par la station en sus du litrage annuel de référence, lequel sera versé dans le trimestre suivant la date anniversaire du contrat. Concernant le lavage, il était prévu au profit du locataire-gérant une commission égale à 35 % du chiffre d'affaires hors taxes à commissionner. Enfin une prime de qualité était fixée à 4 180 euro HT maximum par année civile, dans l'annexe 10 du contrat, en contrepartie du bon respect par le gérant de l'ensemble des directives de la société Total France. La dernière des conditions prévues à l'article L. 7321-2 du Code du travail est donc également remplie, l'ensemble des conditions ainsi réunie caractérisant une réelle dépendance économique.
Il résulte de l'analyse des contrats de location-gérance et des conditions dans lesquelles sont exercés les contrôles sur les stations (cf. notamment courriel cité plus haut), que si la société Tiga, dont M. Fedrizzi était co-gérant avec Mme Leconte, était la signataire des dits contrats de location-gérance et de mandat, la société Total France établit en fait un lien direct avec les gérants, la société Tiga n'étant qu'une société de façade.
M. Fedrizzi est dès lors fondé en vertu des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail à demander personnellement l'application des dispositions du Code du travail.
Sur la demande de résiliation du contrat de travail et ses conséquences
L'application du Code du travail à la relation qui s'est établie entre la société Total Raffinage Marketing et M. Fedrizzi autorise ce dernier à demander la résiliation judiciaire de cette relation de travail, dès lors qu'il est en mesure de justifier d'un manquement de l'employeur à ses obligations.
Or précisément en privant M. Fedrizzi du bénéfice des dispositions du Code du travail et des avantages liés à la qualité de salarié, notamment en matière d'assurance chômage et de régime de retraite, la société Total Raffinage Marketing a manqué gravement à ses obligations, de sorte que M. Fedrizzi est fondé à voir prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de ladite société. Une telle résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et M. Fedrizzi, dont l'ancienneté dans une entreprise (Total) occupant plus de onze salariés, est supérieure à deux ans (10 années), est en droit de se voir allouer en application de l'article L. 1235-3 du Code du travail une indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois.e
Il convient de déterminer le salaire de référence par application de la Convention collective nationale de l'Automobile dont le champ vise le commerce de détail de carburants et lubrifiants, lesquels correspondent à l'activité d'une station-service. Compte tenu des responsabilités exercées par M. Fedrizzi dans la gestion des deux stations-services, ce dernier ne relève pas comme le prétend la société Total d'un emploi de simple caissier ou aide-comptable, mais entre bien, au regard de la classification prévue dans la dite Convention collective, dans la catégorie cadre au coefficient 420, exerçant sa fonction dans le cadre de missions précises et disposant d'une expérience étendue dans sa spécialité. Le salaire brut mensuel s'établit en conséquence à la somme de 2 639 euro.
La cour dispose dès lors des éléments d'appréciation suffisants pour allouer à M. Fedrizzi la somme de 32 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. Fedrizzi a droit en application de l'article 4.11 du chapitre IV de la Convention collective applicable le versement d'une indemnité conventionnelle de licenciement égale, à partir de deux ans d'ancienneté, à 2/10e de mois par année à compter de la date d'entrée dans l'entreprise, soit en l'espèce, sur la base d'un salaire mensuel de 2 639 euro, la somme sollicitée de 5 016 euro.
L'article 4.10 de la convention collective précitée prévoit également un préavis d'une durée de trois mois, de sorte que M. Fedrizzi a droit, en l'espèce, à une indemnité compensatrice de 7 917 euro bruts, outre la somme de 791 euro bruts au titre des congés payés y afférents.
Sur la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, repos compensateur et l'indemnité pour travail dissimulé
M. Fedrizzi soutient avoir travaillé tous les jours de la semaine, du lundi au dimanche inclus, de 6 h à 22 h, sa durée de travail correspondant, selon lui, exactement aux horaires d'ouverture de l'une des deux stations-service gérées (celle de Juvignac), de sorte qu'une fois déduite la durée légale de travail mensuelle de 151,67 heures, il prétend avoir accompli tous les mois, depuis juin 2002, 333,29 heures supplémentaires dont il demande la rémunération (ce qui représente pour la période non prescrite une somme totale de 535 341,27 euro).
Toutefois le seul fait que les horaires d'ouverture des stations, et notamment de celle de Juvignac, soient fixés dans les contrats de location-gérance, ne signifie pas pour autant que la société Total a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité dans l'établissement, de sorte qu'elle n'est pas responsable, au sens de l'article L. 7321-3 du Code du travail, de l'application aux gérants des dispositions du Livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail.
En effet, les deux co-gérants salariés de la société Tiga qu'étaient M. Fedrizzi et Mme Lecomte gardaient la maîtrise de l'organisation interne et en particulier de la répartition des tâches entre eux. De même il résulte des contrats signés les 5 juillet 2002, 25 avril 2003 et 29 juillet 2005, qu'ils étaient libres du choix des personnes qu'ils employaient aux conditions qu'ils définissaient. Il résulte à cet égard des débats qu'étaient employés en permanence entre huit et dix salariés. M. Fedrizzi ne fournit aucun élément sur cette organisation interne et sur la durée de travail effectif des deux co-gérants de la société Tiga et de ses salariés en fonction des tâches confiées à chacun d'eux, éléments dont pourrait ressortir l'éventuelle nécessité pour M. Fedrizzi d'accomplir un certain nombre d'heures supplémentaires.
Dès lors, faute pour M. Fedrizzi de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande d'heures supplémentaires, celui-ci sera, en application de l'article L. 3171-4 du Code du travail, débouté de sa demande.
M. Fedrizzi sera par voie de conséquence également débouté de sa demande de repos compensateur et de sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Il est équitable, au sens de l'article 700 du Code de procédure civile, d'allouer à M. Fedrizzi, dont les demandes se sont néanmoins avérées partiellement fondées, une indemnité à titre de participation aux frais, non compris dans les dépens, qu'il a dû exposer pour assurer sa défense.
La société Total Raffinage Marketing sera déboutée de la demande d'indemnité qu'elle présentée sur le même fondement et sera tenue aux dépens.
Decision
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Rejette le moyen tiré de l'incompatibilité des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail avec le principe constitutionnel de sécurité juridique et avec l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme; Dit que la relation qui s'est nouée entre la société Total Raffinage Marketing et M. Antonio Fedrizzi est une relation salariée soumise aux dispositions de Code du travail dans les conditions prescrites aux articles L. 7321-1 et suivants dudit Code; Prononce à effet de ce jour la résiliation du contrat de travail existant entre M. Fedrizzi et la société Total Raffinage Marketing aux torts de cette dernière, laquelle résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Condamne la société Total Raffinage Marketing à payer à M. Fedrizzi les sommes de : - 32 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif; - 5 016 euro au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement; - 7 917 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis; - 791 euro au titre des congés payés afférents au préavis; - 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute M. Fedrizzi de toutes ses demandes plus amples ou contraires; Déboute la société Total Raffinage Marketing de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société Total Raffinage Marketing aux dépens de première instance et d'appel.