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Décisions

CA Paris, 3e ch. C, 9 novembre 2001, n° 2000-13867

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dutot (ès qual.), Mondial Auto (SARL)

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albertini

Conseillers :

Mme Le Jan, M. Bouche

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Monin

Avocats :

Mes Veyssière, Bricogne

CA Paris n° 2000-13867

9 novembre 2001

Vu l'appel, relevé par Me Jocelyne Dutot agissant en sa qualité de liquidateur de la SARL Mondial Auto, du jugement, rendu le 26 avril 2000 par le Tribunal de grande instance de Paris, qui la déboute de ses demandes et fixe à la somme de 1 837 029,68 F la créance de la société Groupe Volkswagen France à inscrire au passif de la société Mondial Auto, la condamne, ès qualités, au paiement de la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions aux fins de reformation déposées au greffe le 17 août 2001 pour Me Dutot ès qualités, qui prie la cour de :

- constater que la société VAG a modifié l'économie du contrat de concession passé avec la société Mondial Auto,

- dire la société VAG en conséquence de ses immixtions, être fauti[ve] en sa résiliation, en regard de la commune intention des parties,

- condamner la société Groupe Volkswagen France à payer les sommes de 1 800 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'obligation faite par VAG à Mondial Auto d'investir à cette hauteur en 1995, 800 000 F à titre de dommages et intérêts en indemnisation des pertes de Mondial Auto telles qu'évaluées à juin 1998, 1 000 000 F au titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi tant par la société que ses dirigeants,

- condamner la société Groupe Volkswagen France au paiement de la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions déposées au greffe 6 septembre 2001 par la société Groupe Volkswagen France qui prie la cour de:

- débouter Me Dutot, ès qualités, de toutes ses demandes,

- fixer la créance de la société Groupe Volkswagen France au passif de la société Mondial Auto à hauteur de la somme de 1 837 029,68 F,

- condamner Me Dutot, ès qualités, au paiement de la somme de 50 000 F, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Groupe Volkswagen France est l'importateur en France de véhicules de marque Seat dont elle assure la distribution par un réseau de concessionnaires exclusifs au nombre desquels, pour la zone de Toulouse Nord et en vertu d'un contrat à durée indéterminée en date du 1er octobre 1996, la société Mondial Auto ;

Considérant que, motif pris du non-respect par la société Mondial Auto de ses obligations de paiement, la société Groupe Volkswagen France a, par lettre en date du 24 juin 1998, résilié ce contrat sans préavis ;

Considérant que la société Mondial Auto a été mise en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Toulouse en date du 21 septembre 1998 et que la société Groupe Volkswagen France a déclaré une créance de 1 837 029,68 F ;

Considérant que Me Jocelyne Dutot, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire, a assigné la société Groupe Volkswagen France devant le Tribunal de grande instance de Paris auquel elle a demandé, au visa de l'article 1134 du Code civil, de dire que celle-ci avait fait preuve d'une attitude déloyale tant dans l'exécution que dans la rupture du contrat de concession et, en réparation de son préjudice, de la condamner au paiement de la somme de 3 600 000 F dont, 1 800 000 F au titre des investissements faits par la société Mondial Auto en 1995 à la demande de son concédant, 800 000 F au titre des pertes évaluées au mois de juin 1998 et 1 000 000 F en réparation du préjudice moral subi tant par cette société que par ses dirigeants ;

Considérant que pour rejeter ces prétentions, le jugement déféré retient que le soutien financier abusif du concédant n'est pas démontré et que la résiliation du contrat est justifiée au regard des dispositions de l'article 20-1 du contrat de concession, en raison des violations contractuelles non contestées commises par le concessionnaire ;

Considérant qu'en 1995, la société Mondial Auto rencontrait des difficultés financières ; que le 28 septembre 1995, M. Bouche, alors gérant de la société Muret General Automobiles, et une Dame Puig ont acquis les 1 000 parts sociales de la société Mondial Auto ; que M. Eric Bouche a été désigné comme gérant ;

Considérant que par lettre en date du 2 octobre 1995, la société VAG Financement informait Muret Générale Automobiles que dans l'hypothèse où celle-ci reprendrait Seat Mondial Auto à Toulouse elle lui accorderait une remise de 25 % sur le capital restant dû sur chaque véhicule financé en stock VN, VD et VO ; qu'elle lui précisait les conditions ct modalités de financement;

Considérant que la société VAG France a donné son accord de principe sur la reprise de la concession par lettre en date du 4 octobre 1995, sous réserve que le repreneur accepte les conditions commerciales juridiques et financières qui lui seraient précisées par un prochain courrier ; qu'elle confirmait qu'elle était disposée à lui accorder "une subvention exceptionnelle de 1 400 000 F HT qui viendra s'imputer sur la créance de Mondial Autos dans nos livres, et ce, sous réserve : * de la confirmation des abandons de créance de Tofinso de 500 000 F et de Cofica de 200 000 F, * un apport en capitaux propres de 500 000 F par vous-même et vos associés, ces apports devant être affectés à une augmentation de capital social de même montant".

Considérant que cette augmentation de capital a été décidée par les associés le 7 octobre 1995 ;

Considérant que par lettre d'intention en date du 30 octobre 1995, adressée à Muret Général Automobiles (à l'attention de M. Eric Bouche), la société Groupe Volkswagen France signifiait son accord pour lui confier la représentation exclusive pour la vente et l'après-vente de la marque Seat sur le secteur de Toulouse Nord ; que cet accord était assorti de diverses conditions suspensives ; qu'en outre, sous réserve de la réalisation de ces conditions, elle lui confirmait qu'elle était disposée à lui accorder une subvention exceptionnelle de 1 400 000 F HT qui viendrait s'imputer sur la créance de Mondial Auto en ses livres ;

Considérant que le contrat de concession a été signé le 1er octobre 1996;

Considérant que, par lettre en date du 28 novembre 1997, la société Mondial Auto a averti la société Groupe Volkswagen France de ce qu'elle rencontrait des difficultés financières ; que prenant acte de la volonté de M. Bouche de céder Mondial Auto dans les meilleurs délais et pour faciliter ses démarches auprès des candidats repreneurs, la société Groupe Volkswagen France a informé son concessionnaire mettre en place une convention de dépôt de trente véhicules neufs; qu'elle précisait : "Les véhicules neufs faisant partie du crédit-fournisseur actuel et, non livrés à client final feront l'objet d'une défacturation et feront partie intégrante des véhicules objet de la convention de dépôt";

Considérant qu'un contrôle de stock effectué le 15 avril 1998 a révélé que Mondial Auto avait livré sept véhicules sans régler la société Groupe Volkswagen France:

Considérant que la société Groupe Volkswagen France a mis en demeure la SARL Mondial Auto, par lettre en date du 17 avril 1998, de lui payer la somme de 578 604,63 F sous huitaine ;

Considérant que six nouvelles livraisons étant intervenues sans le règlement correspondant au profit de la société Groupe Volkswagen France, celle-ci a informé la société Mondial Auto, par lettre en date du 12 mai 1998, "à titre tout a fait exceptionnel, du gel provisoire de la créance afférente, soit 420 040,14 F et ce pour une durée ne pouvant excéder le 15 juin 1998, date à laquelle votre situation devra être complètement régularisée"; qu'elle l'avisait que "tout nouvel incident de paiement serait susceptible de remettre en cause cet accord et entrainerait en conséquence l'exigibilité immédiate de l'intégralité des sommes dues" ;

Considérant que ces deux mises en demeure n'ont pas été complètement suivies d'effet puisque la société Mondial Auto restait débitrice de la somme de 371 547,97 F, au 18 avril 1998, date à laquelle, une troisième mise en demeure de régulariser sa situation avant le 23 juin, lui était adressée ;

Considérant qu'à défaut de régularisation, la société Groupe Volkswagen France a signifié à Mondial Auto, par exploit d'huissier en date du 24 juin 1998, le courrier par lequel elle prononçait la résiliation extraordinaire sans préavis du contrat de concession, avec déchéance du terme quant à l'intégralité des sommes dues, d'un montant total de 2 145 898,88 F;

Considérant que l'appelante soutient que la société Groupe Volkswagen France s'est comportée de manière déloyale et que cette résiliation revêt un caractère abusif ; qu'elle lui reproche de s'être immiscée dans la gestion de la société Mondial Auto, d'avoir incité les époux Bouche à reprendre une structure financièrement viciée, d'avoir consenti des conditions anormales d'apurement du passif, d'avoir livré des véhicules en dépôt-vente et d'avoir, de la sorte, créé une nouvelle économie de rapports entre les parties et laissé croire à une relation moins impersonnelle et moins contractuellement figée ;

Mais considérant d'abord qu'est dénuée de toute pertinence l'allégation selon laquelle le concessionnaire s'est immiscé dans la gestion de la société Mondial Auto, en prenant une part active dans la reprise de la concession ;

Considérant qu'il n'est en effet nullement démontré que la société Groupe Volkswagen France a sollicité M. Bouche ; que si la lettre de candidature en date du 18 septembre 1995 à laquelle la société Groupe Volkswagen France fait référence dans sa lettre du 30 octobre 1995 n'est pas versée aux débats, est en revanche produite, celle en date du 25 septembre 1995 par laquelle Eric Bouche écrivait à VAG Financement : "je m'apprête à reprendre la concession Seat Mondial Auto à Toulouse. Après un examen du dossier, je constate un dû en votre faveur de 5 78 088 F ; dans le cadre d'un éventuel partenariat, je vous serais reconnaissant de bien vouloir revoir la dette à hauteur de 50 %" ; qu'en outre M. Bouche a repris la société Mondial Auto en toute connaissance des difficultés de sa situation ; que la société Groupe Volkswagen France en voit à juste raison la preuve dans la lettre en date du 28 novembre 1997, dans laquelle il écrivait à M. Michel Lepayre, président du directoire de la société Groupe Volkswagen France, et se référant aux conditions particulières de reprise et d'exploitation de la concession, il indiquait que son prédécesseur l'avait contacté en avril 1995 et lui avait fait part des énormes difficultés qu'il éprouvait dans l'exploitation de la marque Seat. "A compter de cette date... la concession de Toulouse Nord a été approvisionnée par nos soins (SARL MGA à Muret), en véhicules neufs et en pièces détachées, et ce malgré le risque d'impayés et notre position de concurrent".

Considérant qu'est de même sans pertinence le reproche fait au concédant d'avoir consenti des facilités exorbitantes à l'occasion de la cession;

Considérant en effet que l'octroi, par la société de financement, d'une remise de 25 % sur le capital restant dû sur chaque véhicule financé en stock est consécutif à la sollicitation formulée spontanément par M. Bouche dans sa lettre du 25 septembre 1995 ; qu'en toute hypothèse, l'appelante n'établit pas alors que Mondial Auto n'était pas dans une situation irrémédiablement compromise et que les conditions s'inscrivaient dans un ensemble de mesures d'assainissement, en quoi l'octroi d'une subvention et un étalement de la créance à des conditions, au demeurant, moins favorables que celles réclamées, constituerait l'octroi d'un avantage exorbitant de l'octroi usuel d'aides à la reprise dans un réseau de concession automobile de nature à engager la responsabilité du concédant ;

Considérant que l'appelante soutient ensuite que la société Groupe Volkswagen France aurait apporté à la société Mondial Auto un soutien abusif au cours de l'exploitation de la concession alors que sa situation aurait été compromise, dans l'unique but d'organiser une reprise de la concession par un nouvel investisseur ;

Mais considérant que dans sa lettre en date du 2 avril 1998 la société Groupe Volkswagen France (Département Seat France) a pris acte de la volonté exprimée par M. Bouche de céder la société Mondial Auto en raison de ses difficultés financières ; qu'elle a clairement manifesté son souci de demeurer étrangère aux négociations menées avec les éventuels repreneurs même si elle a appelé l'attention de son concessionnaire sur la nécessité pour celui-ci de revenir à une position plus raisonnable et de réduire ses exigences, afin de trouver un acquéreur (sa lettre à Mondial Auto à l'attention de Monsieur Eric Bouche, en date du 18 juin 1998); que l'attestation établie par M. Inacio qui affirme avoir été mis en relation avec M. Bouche par les chefs de régions du groupe Volkswagen afin d'essayer de négocier la société Mondial Automobiles à Toulouse ne suffit pas à démontrer que les conditions de la négociation avaient été préalablement fixées par la société Groupe Volkswagen France, si même celle-ci a pu mettre les deux parties en présence l'une de l'autre et si en raison du caractère de contrat intuitu personae du contrat de concession, le concédant dispose du pouvoir de refuser d'agréer le candidat à la cession ;

Considérant ensuite que la preuve n'est nullement apportée que la société Mondial Auto se trouvait dans une situation irrémédiablement compromise au printemps 1998, une situation obérée ne suffisant pas à caractériser une telle situation ; qu'il n'est pas davantage établi, si même tel avait été le cas, que la société Groupe Volkswagen France en ait eu connaissance ; que la simple production du bilan 1997 et d'un état des comptes pour 1998 est inopérante à cet égard ; que comme le relève de manière pertinente le jugement déféré, le contrat de concession a été résilié le 24 juin 1998, alors que le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Mondial Auto fixe la date de cessation des paiements au 9 septembre 1998 ; qu'enfin la société Groupe Volkswagen France a mis fin au crédit-fournisseur qu'elle consentait habituellement à son concessionnaire ; que par trois fois elle a mis en demeure celui-ci d'apurer l'arriéré ; qu'enfin l'appelante ne démontre pas que la signature de la convention de dépôt a eu pour conséquence de faciliter la survie de la société dans l'intérêt de la société Groupe Volkswagen France et d'accroitre l'endettement de Mondial Auto ; que celle-ci n'a retourné la convention après l'avoir signée que le 23 avril 1998 alors que la société Groupe Volkswagen France avait constaté, dès le 17 avril 1998, la vente de véhicules à des clients sans règlement à son bénéfice ;

Considérant qu'en revanche la société Groupe Volkswagen France est fondée à soutenir que la résiliation du contrat de concession trouve sa justification dans la violation répétée de ses obligations par la société Mondial Auto ;

Considérant qu'il n'est pas discuté qu'en violation de son obligation contractuelles, cette dernière a, par trois fois, livré des véhicules à des clients sans déclaration ni règlement des sommes correspondantes à la société Groupe Volkswagen France ; que les mises en demeure de payer n'ont pas été complètement suivies d'effet ; d'ou il suit que la société Groupe Volkswagen France est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 20.1 du contrat de concession qui permet au fournisseur de résilier le contrat de façon extraordinaire sans préavis avec effet immédiat en cas de non-respect par le concessionnaire de ses obligations de paiement ... ou non-règlement concomitamment à la livraison au client ;

Considérant dès lors, que le jugement déféré déboute à bon droit Me Dutot, ès qualités de ses demandes de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat de concession ;

Considérant que les dispositions du jugement relatives à la fixation de la créance de la société Groupe Volkswagen France ne sont pas discutées ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Groupe Volkswagen France la somme de 20 000 F pour frais non taxables d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré, Condamne Me Jocelyne Dutot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Mondial Auto, à verser à la société Groupe Volkswagen France la somme de 20 000 F pour frais non taxables d'appel ; Met les dépens d'appel à la charge de Me Jocelyne Dutot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Mondial Auto et dit qu'ils pourront être recouvrés, par la SCP Patrice Monin, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.