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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 12 novembre 2009, n° 08-02535

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hervé Balladur International (SAS), HB Consult (SARL)

Défendeur :

Coquelle-Gourdin (Sté), Gargano

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Acquaviva, Jacquot

Avoués :

SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier

Avocats :

Mes Moatti, Tallendier

TGI Marseille, du 20 déc. 2007

20 décembre 2007

Faits, procédure et prétentions des parties

Monsieur Lionel Gargano a été salarié de la SAS Hervé Balladur International, spécialisée dans " l'organisation des transports internationaux " à Marseille, depuis 1995 et exerçait en dernier lieu une fonction de " chef de groupe-responsable commercial et d'exploitation maritime export " lorsqu'il a démissionné de son emploi, le 4octobre 2005, pour rentrer aussitôt (le 24 octobre 2005) au service de la SAS Coquelle Gourdin à son agence de Marseille en qualité de " logistique container ". Monsieur Lionel Gargano avait bénéficié le 13 février 2004, de la par de la SARL HB Consult, société holding détenant la quasi-totalité du capital social de la SAS Hervé Balladur International, de l'attribution de 40 actions de la SAS Hervé Balladur International et avait signé un pacte d'actionnaires contenant une clause de non-concurrence.

Par jugement contradictoire en date du 20 décembre 2007, le Tribunal de grande instance de Marseille a, déclarant nulle la clause de non-concurrence insérée au pacte d'actionnaires, débouté la SAS Hervé Balladur International et la SARL HB Consult de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires pour violation de la clause de non-concurrence et concurrence déloyale et les a condamnées à payer à Monsieur Lionel Gargano et à la SAS Coquelle Gourdin, à chacun des défendeurs, la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Hervé Balladur International et la SARL HB Consult ont régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 ;

Vu les prétentions et moyens de la SAS Hervé Balladur International et de la SARL HB Consult dans leurs conclusions récapitulatives en date du 30 avril 2009 tendant à faire juger ;

- que leur action est recevable, la SAS Hervé Balladur International ayant intérêt et qualité à agir comme étant visée dans le pacte d'actionnaires et comme ayant subi un préjudice résultant des agissements de Monsieur Lionel Gargano et de la SAS Coquelle Gourdin, et la SAS HB Consult ayant un intérêt moral à faire sanctionner les manquements de Monsieur Lionel Gargano aux engagements qu'il avait souscrits dans le pacte d'actionnaires envers la SARL HB Consult,

- que la clause de non-concurrence est valide comme comportant une limitation dans le temps, sa validité n'étant pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie pécuniaire et comme étant nécessaire à la protection des intérêts de la SAS Hervé Balladur International qui avait de nombreux clients dans la région marseillaise où Monsieur Lionel Gargano exerçait son activité,

- que Monsieur Lionel Gargano et son nouvel employeur, la SAS Coquelle Gourdin, ont commis des actes de concurrence déloyale, la SAS Coquelle Gourdin en embauchant deux salariés (outre Monsieur Lionel Gargano, Madame Benyahia) du service dirigé par Monsieur Lionel Gargano et en obtenant des commandes grâce aux connaissances acquises par Monsieur Lionel Gargano au sein de la SAS Hervé Balladur International,

- que Monsieur Lionel Gargano était invité à développer son "portefeuille propre" de clients (lire la clientèle qu'il "apportait") en étant intéressé financièrement à cet essor par une prime d'intéressement et que le détournement de clientèle a concerné les 34 de la clientèle de la SAS Hervé Balladur International, donnée en exploitation à Monsieur Lionel Gargano,

- que le préjudice s'élève à 180 000 euro correspondant à la perte de marge brute sur deux années, outre un préjudice moral estimé à 120 000 euro;

Vu les prétentions et moyens de Monsieur Lionel Gargano et de la SAS Coquelle Gourdin dans leurs conclusions récapitulatives en date du 15 septembre 2009 tendant à faire juger:

- que seule la SARL HB Consult était signataire du pacte d'actionnaires, ce qui rend irrecevable l'action de la SAS Hervé Balladur International pour défaut de qualité, et irrecevable l'action de la SARL HB Consult pour défaut d'intérêt (elle ne formule d'ailleurs aucune demande contre les intimés),

- subsidiairement au fond, que la clause de non-concurrence est "illicite" comme ne comportant aucune limitation dans l'espace, ni contrepartie pécuniaire, et, en toute hypothèse, abusive comme trop générale et non proportionnée à l'objet du contrat,

- qu'aucune violation à la clause de non-concurrence n'est au demeurant démontrée, Monsieur Lionel Gargano n'ayant pas exercé dans le domaine d'activité de la SARL HB Consult (" conseil pour les affaires et la gestion") et aucune prime d'intéressement censée rémunérer Monsieur Lionel Gargano pour le prétendu détournement de clients n'ayant été versée à Monsieur Lionel Gargano par son nouvel employeur, la SAS Coquelle Gourdin,

- que Monsieur Lionel Gargano est en droit d'obtenir réparation (100 000 euro) du préjudice résultant de l'imposition d'une clause de non-concurrence illicite,

- que, enfin, la SAS Coquelle Gourdin n'a commis aucun fait positif de concurrence déloyale en embauchant, sans faute de sa part, Monsieur Lionel Gargano non tenu d'une clause de non-concurrence et qu'aucune preuve d'un prétendu détournement de clients, par un démarchage systématique et abusif n'est rapportée;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 12 octobre 2009.

Motifs et décision

Attendu que le pacte d'actionnaires en date du 13 février 2004 énonce en préambule que la SARL HB Consult, société holding, qui détient 99,50 % du capital social de la SAS Hervé Balladur International qui, elle, a pour activité "toutes opérations de commerce maritime, terrestre, fluvial... ", dénommée dans le pacte la "société " entend "récompenser" Monsieur Lionel Gargano "pour ses bons et loyaux services" déployés au sein et au profit de la SAS Hervé Balladur "pour son activité et son développement" on lui attribuant 40 actions du capital social de la SAS Hervé Balladur International; que la clause de non-concurrence insérée au pacte d'actionnaires par laquelle Monsieur Lionel Gargano, salarié de la SAS Hervé Balladur International et devenu son nouvel actionnaire en considération de ses "mérites personnels " s'interdit de "s'intéresser directement ou indirectement à des activités de même nature que celles exploitées et développées par la société ", précision étant donnée que " cette interdiction s'applique pour une durée de trois années après l'expiration du pacte " (par suite de la démission des fonctions salariées) et que Monsieur Lionel Gargano s'engage "en outre spécifiquement, pour cette seconde période, à ne pas démarcher activement les clients de la société " concerne l'activité exercée par la SAS Hervé Balladur International, à savoir " l'organisation des transports internationaux" et non celle de la SARL HB Consult ; qu'il ne peut être soutenu que Monsieur Lionel Gargano, salarié et actionnaire de la SAS Hervé Balladur International, avait souscrit des engagements de non-concurrence vis-à-vis de la SARL HB Consult qui lui était totalement étrangère, sauf en ce qu'elle détenait les actions qui lui ont été cédées en considération de sa qualité de salarié-cadre de la SAS Hervé Balladur international, intéressé au développement de la SAS Hervé Balladur International ; qu'il s'ensuit que cette dernière a bien qualité et intérêt à agir en vertu de la clause de non-concurrence litigieuse qui a été stipulée à son profit par la SARL HB Consult, sa société-mère;

Attendu que la validité d'une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d'actionnaires n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière ; qu'au demeurant le "droit d'entrée " de Monsieur Lionel Gargano dans le capital social de la SAS Hervé Balladur International a été symbolique (1 euro l'action) et constituerait la contrepartie financière; que la clause de non-concurrence, limitée dans le temps et visant, pour ce qui concerne la " seconde période " (celle en cause) une interdiction limitée (celle pour Monsieur Lionel Gargano, ancien actionnaire, de ne pas démarcher activement les clients de la SAS Hervé Balladur International) est valide ; que la clause de non-concurrence, telle qu'elle est rédigée, a un motif légitime (empêcher l'ancien actionnaire de démancher les clients de la SAS Hervé Balladur International qu'au surplus il prospectait en exécution de son contrat de travail), qu'elle n'est pas disproportionnée par rapport à l'objet du pacte d'actionnaires par lequel Monsieur Lionel Gargano est entré dans le capital social de la SAS Hervé Balladur International et qu'enfin elle n'apportait pas une restriction trop importante à la liberté du travail (ou du commerce et de l'industrie) dont Monsieur Lionel Gargano bénéficie; qu'il n'était pas interdit à Monsieur Lionel Gargano tout emploi salarié dans le secteur professionnel où il avait travaillé, sauf à ne pas contacter la seule clientèle de la SAS Hervé Balladur International que, de surcroit, il avait en charge aux termes de son contrat de travail;

Attendu que la preuve de la violation de la clause de non-concurrence est suffisamment rapportée par la SAS Hervé Balladur International qui a versé au débat certains documents probants établissant le "transfert" partiel ou total de certains clients (cascades Rochette, Kimmco...) de la SAS Hervé Balladur International à la SAS Coquelle Gourdin, résultant de l'action de Monsieur Lionel Gargano immédiatement après son embauche, le 24 octobre 2005, par la SAS Coquelle Gourdin; qu'une attestation de l'expert-comptable de la SAS Hervé Balladur International révèle que le volume d'affaires réalisé par les clients gérés dans le "portefeuille " de Monsieur Lionel Gargano est passé en termes de marge brute de 182 798 euro en 2005 à 38 650 euro en 2006 ; qu'il convient de fixer à 35 000 euro le montant des dommages-et-intérêts réparant la perte de marge brute provenant de la violation de la clause de non-concurrence en considération du fait qu'il n'est pas avéré que tous les "transferts" de clients allé rués sont imputables à l'action Monsieur Lionel Gargano ; que la condamnation sera prononcée " in solidum " avec la SAS Coquelle Gourdin qui a agi en concertation frauduleuse avec Monsieur Lionel Gargano et qui, bien qu'avisé pan la SAS Hervé Balladur International, dès le 29 novembre 2005, de la situation de Monsieur Lionel Gargano, l'a maintenu dans ses fonctions;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 4 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Reçoit l'appel de la SAS Hervé Balladur International et de la SARL HB Consul comme régulier en la forme. Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, condamne in solidum Monsieur Lionel Gargano et la SAS Coquelle Gourdin à porter et payer la SAS Hervé Balladur International la somme de 35 000 euro titre d dommages-et-intérêts avec intérêt au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et celle de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne in solidum Monsieur Lionel Gargano et la SAS Coquelle Gourdin aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués Marie-José de Saint Ferreol & Colette Touboul, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.