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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 3 mars 2009, n° 06-05378

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cabinet Tiso (SAS)

Défendeur :

Alary, Rastoul, Lebel (Epoux), Pimpaud, Ronchi, Deschamps, Gaillard, Pontault, Mas et Bastide de Cocagne (SARL), Martine Pimpaud (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouyssic

Conseillers :

M. Coleno, Mme Salmeron

Avoués :

SCP Château, SCP Nidecker Prieu-Philippot Jeusset, SCP Dessart Sorel Dessart

Avocats :

SCP Saint Geniest-Guerot, Mes Beaudet, Dupuy Bonnecarrère Serres Perrin

T. com. Toulouse, du 27 oct. 2006

27 octobre 2006

Faits constants et procédure

Pour élargir son activité toulousaine sur le département du Tarn, la SAS cabinet de Transactions Immobilières du Sud-Ouest (ci-après société Tiso) a, le 7 mars 2003, fait l'acquisition de l'intégralité des parts de la SARL cabinet Alary pour le prix de 320 000 euro, sous conditions pour M. Alary de ne pas la concurrencer sur le territoire national pendant deux ans, de ne pas embaucher du personnel appartenant à la société cédée pendant 5 ans, étant précisé que tous les contrats de travail d'agent commercial et de VRP seraient repris par la cessionnaire à laquelle ils étaient transférés, et de faire déposer auprès de l'INPI la marque " cabinet Alary ", le tout à compter de la date de la cession réitérée par acte du 28 avril 2003, étant précisé que M. Alary serait lui-même embauché par contrat à durée indéterminée en qualité de directeur du développement comportant une clause d'exclusivité et une clause de secret professionnel.

Les salariés concernés étaient:

- M. Rastoul agent commercial à Gaillac exerçant sous l'enseigne "Mas et Bastides de Cocagne" en vertu d'un contrat du 9 avril 2002 qui lui imposait, en cas de rupture, une clause de non-concurrence de deux ans dans un rayon de 50 km autour de Gaillac, d'Albi, de l'Isle-sur-Tarn et de Lavaur,

- Mme Pimpaud agent commercial à Lavaur, tenue dans les mêmes termes par contrat du 19 avril 2002,

- M. Deschamps agent commercial, tenu par un contrat du 29 novembre 2004 comportant une clause de non-concurrence pendant le temps d'activité au profit de la SARL cabinet Alary,

- Mme Lebel, agent commercial à Albi, tenue par un contrat du 1er novembre 1993 comportant une clause de non-concurrence de deux ans après rupture et pendant la durée du mandat,

- Mme Gaillard, agent commercial à Gaillac par l'effet d'un contrat du 17 mars 2003 contenant les mêmes stipulations,

- Mme Pontault, agent commercial à Albi dont le contrat en date du 24 novembre 2004 lui impose une obligation de fidélité,

- M. Lebel et M. Ronchi, VRP salariés animateurs pour le département du Tarn qui s'étaient interdits d'agir pour leur compte ou celui d'un concurrent.

Mme Lebel et Mme Pimpaud sont devenues VRP salariées de la société Tiso à compter du 9 juin 2005.

Prétendant qu'à compter du premier semestre 2005, les chiffres d'affaires des dites personnes s'étaient effondrés alors que l'activité immobilière était devenue florissante notamment en comparaison de ses propres chiffres dans les autres régions du Sud Ouest, et que leurs démissions étaient intervenues presqu'en même temps au début du second semestre 2005 (juillet et août), ce qui a déstabilisé son activité dans le Tarn, tandis que concomitamment deux sociétés, la SARL Mas et Bastides de Cocagne, et la SARL Martine Pimpaud, s'étaient créées entre différents anciens salariés démissionnaires pour exploiter une activité d'agence immobilière concurrente sous des marques, " Agence 3 " et " Profoncier ", qui avaient été déposées à l'INPI le 18 mars 2005 par M. Alary, la société Tiso a d'abord obtenu du président du tribunal de commerce d'Albi la désignation d'huissiers pour faire constater les actes déloyaux dont elle se prétendait victime puis a saisi le tribunal de commerce d'Albi lui-même pour obtenir réparation par condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Par jugement du 27 octobre 2006, le Tribunal de commerce d'Albi a:

- rejeté l'exception d'incompétence au profit du Conseil de prud'hommes soulevé par M. Alary et s'est déclaré compétent,

- dit que les parties défenderesses n'avaient pas de responsabilité contractuelle ni délictuelle à assumer à l'égard de la baisse du chiffre d'affaires de la société Tiso, qui a ainsi été déboutée de ses demandes en réparation,

- dit que la rupture des contrats d'agents commerciaux de Mme Gaillard et M. Rastoul était imputable à la société Tiso,

- fait droit à l'exception d'inexécution de la clause de non-concurrence,

- condamné la société Tiso à payer une somme de 900 euro à titre de dommages et intérêts au profit de M. Alary pour réparer le préjudice subi du fait du dessaisissement de trois dossiers d'expertise judiciaire,

- fait droit à la demande de M. Alary de restituer des dossiers personnels et un PV de restitution partielle d'un huissier, sous astreinte de 50 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- ordonné également la restitution de leurs dossiers personnels à M. et Mme Lebel, Mme Pimpaud, M. Rastoul, Mme Pontault et M. Ronchi sous astreinte de 50 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- condamné la société Tiso à payer à ses adversaires pris comme une seule et même partie une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

La société Tiso a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe le 23 novembre 2006 dont la régularité n'est ni contestée ni contestable en la forme et/ou quant au délai d'appel.

Moyens et prétentions

Dans le dernier état de ses très longues écritures déposées le 28 mai 2008 auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé sur le détail de l'argumentation qu'il serait fastidieux et inutile de rapporter ici, la société Tiso fait valoir:

- au soutien de la confirmation de la compétence du tribunal de commerce remise en cause par M. Alary, qu'elle ne reproche pas à ce dernier un manquement à ses obligations de salarié qui relèverait effectivement de la compétence du Conseil de prud'hommes mais une attitude générale fautive qui associée à celle des autres défendeurs constitue le fondement d'une responsabilité délictuelle que le tribunal de commerce est parfaitement compétent pour apprécier,

- au fond, que M. Alary en créant deux ans après la cession de ses parts, deux sociétés dont l'activité est similaire sur la même aire géographique, avec l'aide d'anciens salariés qu'il a débauchés pour exploiter deux marques qu'il a lui-même déposées avant d'entreprendre ses nouvelles activités hors de son emploi au sein de la société Tiso et en contravention avec ses engagements de délivrance et de non-concurrence, a commis des fautes qui rapprochées de la chute du chiffre d'affaires reposant sur l'activité "déployée" pour elle par les intimés dans le Tarn, de leurs démissions en cascade sur un temps court (juillet et août 2005), de leur attitude de dénigrement de Tiso pour parvenir à détourner de la clientèle, et comme les intimés l'ont reconnu dans leurs écritures de première instance, afin de mettre en œuvre " le projet de reprise d'un concept que M. Alary leur avait exposé quelques années auparavant et qui consistait alors à se rapprocher des honoraires pratiqués par les notaires en matière de transactions immobilières dont la moyenne se situe aux alentours do 3 % hors taxes ", constituent autant de fautes délictuelles justifiant leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 350 000 euro à titre de dommages et intérêts outre une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à conduire la cour à les débouter de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles en les chargeant des dépens de première instance et d'appel avec pour ces derniers distraction directe au profit de son avoué.

Aux termes de leurs dernières conclusions en réplique tout aussi inutilement prolixes déposées le 17 janvier 2008 auxquelles il est également renvoyé pour plus ample informé sur le détail de l'argumentation, M. Alary, Mme Pontault, Mme Gaillard, Mme Pimpaud, M. Ronchi et la SARL AG3 venant aux droits de la SARL Martine Pimpaud demandent à la cour:

" - de confirmer partiellement le jugement entrepris,

- de constater que le fondement juridique de l'action intentée par la société Tiso n'est pas déterminé,

- de dire et juger que les intimés à l'action en concurrence déloyale n'ont pas de responsabilité contractuelle ni délictuelle dans la baisse du chiffre d'affaires de la société Tiso ni dans sa désorganisation,

- de dire et juger que la rupture provoquée du contrat d'agent commercial de Mme Gaillard doit être imputée au torts exclusifs de la société Tiso, par les manquement graves de notification unilatérale de modifications substantielles de rémunération et dans leurs conditions d'exercice de travailleur indépendant,

- de recevoir en son bien-fondé l'exception d'inexécution de sa clause de non-concurrence,

- de dire et juger que les documents saisis lors de la fouille du 31 août 2005 doivent être écartés des débats pour violation des libertés individuelles des personnes salariées concernées, sur le fondement de l'article 9 du Code de procédure civile,

- de dire et juger que les sommations interpellatives du 28 septembre 2005 et du 13 octobre 2005 n'ont pas été diligentées dans le respect de règles de procédure fixée par les articles 200 et suivants du Code de procédure civile,

- de constater que la société Tiso n'a exécuté que très partiellement l'ordonnance de restitution des effets et documents personnels de M. Alary détenus par Maître Razes, huissier de justice, et ordonner la liquidation de l'astreinte fixée par le juge de première instance, par voie incidente:

- de réformer partiellement le jugement du Tribunal de commerce d'Albi pour les demandes reconventionnelles,

- de condamner ma société Tiso à payer à M. Alary la somme de 563 240 euro de dommages et intérêts en réparation de tous préjudices confondus,

- de condamner la société Tiso à payer respectivement à Mme Gaillard et à Mme Pontault la somme de 30 000 euro de dommages et intérêts en réparation de tous préjudices confondus,

- de condamner la société Tiso à payer à Mme Pimpault la somme de 55 350 euro en réparation de l'entier préjudice consécutif aux opérations de constat du 18 octobre 2005 ayant permis le détournement des fichiers commerciaux de la SARL Martine Pimpaud par le paiement de 55 333 euro de dommages et intérêts au profit de Martine Pimpaud,

- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux quotidiens aux frais de la société Tiso dans la limite de 3 000 euro par insertion,

- d'ordonner que l'ensemble des condamnations soit assorti de l'exécution provisoire, nonobstant appel et constitution de garanties, au regard du discrédit commercial porté aux parties défenderesses en pleine phase de démarrage,

- de condamner la société Tiso à payer 15 000 euro au titre des frais avancés par M. Alary, Mme Pontault, Mme Gaillard, la SARL AG3 venant aux droits de la SARL Martine Pimpaud pour assurer leur défense sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de condamner la société Tiso aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP B Château avoué soussigné. "

Aux termes de leurs conclusions en réplique déposées le 19 juin 2008 auxquelles il est également renvoyé pour plus ample informé sur le détail de l'argumentation, M. Lebel, Mme Lebel, M. Deschamps, M. Rastoul et la SARL Mas et Bastides de Cocagne déclarent s'associer aux arguments de M. Alary, Mme Pontault, Mme Gaillard, Mme Pimpaud et la SARL AG3, sauf à apporter des précisions sur la situation juridique de chacun, la nécessité d'une mise hors de cause et l'absence de faute en relation causale avec un préjudice qui leur serait imputable et réclament au visa des article 1134 et 1382 du Code civil la confirmation du jugement entrepris ou leur mise hors de cause pure et simple, en tout cas de débouter la société Tiso de toutes ses demandes et de la condamner à leur payer la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à prendre en charge les entiers dépens avec pour ceux d'appel distraction directe au profit de leur avoué.

L'ordonnance de clôture est du 6 octobre 2008.

Discussion

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence soulevée par M. Alary, tant par adoption de ses motifs fondés sur le constat que l'intéressé est recherché non pas à raison de fautes commises à l'occasion de l'exécution ou au mépris d'obligations de son contrat de travail post-cession mais bien à raison de manquements prétendus à ses obligations découlant du contrat de cession à caractère exclusivement commerciales, que pour le motif y ajouté par la cour qu'une telle exception ne peut en aucun cas prospérer avec efficacité devant elle qui est juridiction d'appel du Tribunal de commerce d'Albi et du Conseil de prud'hommes d'Albi.

Au fond, l'étude de la demande principale en réparation d'une concurrence déloyale présentée par la société Tiso nécessite une distinction entre ce qui pourrait être retenu à l'encontre de M. Alary, désigné comme principal auteur du préjudice revendiqué (I), ce qui pourrait être reproché aux deux sociétés commerciales concurrentes créées ultérieurement à la cession (II), et ce qui pourrait être retenu à l'encontre des autres parties dans un cadre strictement commercial (III), ce qui éventuellement conduira à la définition du préjudice subi par la société Tiso et à caractériser un lien de causalité entre ce préjudice, s'il existe, et les fautes qui auraient été retenues précédemment (IV) avant que la cour examine les demandes reconventionnelles des intimés (IV).

I. M. Alary a t-il commit une (ou des) faute (s) préjudiciable(s) à la société Tiso ?

Comme rappelé ci-dessus, eu égard au fondement de la demande qui vise la mise en cause d'une responsabilité issue à la fois de l'application du contrat de cession et d'agissements indépendants, l'examen des faits ne peut concerner les manquements supposés qu'auraient commis M. Alary dans le cadre de son contrat de travail.

Il est constant que M. Alary a cédé à la société Tiso pour la somme de 320 000 euro la totalité des parts d'une SARL cabinet Alary exploitant un fonds de commerce d'agence immobilière, par protocole du 7 mars 1983 qui prévoyait entre autres stipulations une obligation à la charge du cédant à compter de l'acte définitif de cession qui sera signé le 28 avril 2003, de ne pas concurrencer directement ou indirectement sur le territoire national le cessionnaire pendant deux ans, en dehors de son activité salariée de directeur du développement au sein de la société Tiso (et hors le cas du frère notaire de M. Alary, également cédant à qui la clause ne s'applique pas), soit jusqu'au 28 avril 2005, clause renforcée par une interdiction de débaucher pendant cinq ans ses anciens salariés repris par le cédant, soit jusqu'au 28 avril 2008.

Or, dès le 18 mars 2005, M. Alary a déposé à l'INPI deux marques, " Agence 3 " et " Profoncier ", relevant des classes affaires immobilières, estimations immobilières, gérance de biens immobiliers et gestion des affaires commerciales, qu'il a concédé moyennant redevances à l'utilisation non pas par la société Tiso mais bien par des tiers concurrents de cette société parmi lesquels figurent en première place la SARL Mas et Bastides de Cocagne et la SARL Martine Pimpaud, créées par lui-même et d'anciens salariés de la société Tiso, comme il va être vu ci-après, et ce au moins dès le mois de juillet 2005.

Il est certain qu'un tel dépôt ne saurait en lui-même constituer à la charge de M. Alary ni une faute ni un manquement contractuel à la clause de non-concurrence insérée au contrat de cession, dès lors que le dépôt lui-même n'a jamais été interdit audit contrat et qu'il n'est pas démontré que la concession de l'utilisation des dites marques soit intervenue avant le 28 avril 2005, date de fin d'application de la clause de non-concurrence insérée dans la cession.

Cependant, il est établi par la production de sommations interpellatives notamment du 28 septembre et du 13 octobre 2005 dont l'irrégularité alléguée par les intimés n'est pas démontrée dans ce procès strictement commercial, que M. Alary a pu ou a cherché à détourner, dès le mois de juin 2005, plusieurs salariés de la société Tiso, dont, outre ses co-intimés personnes physiques dont la situation sera examinée ci-après, Mme Vinke, Mme Pages, Mme Verdeil, M. Boneta, Mme Windholds et ce en revenant à plusieurs reprises auprès de ces personnes pour les persuader de le suivre dans sa nouvelle aventure d'exploitation des deux marques sus-visées à travers les deux entités juridiques et commerciales précitées (et ci-après décrites). Or, il s'était interdit une telle attitude dans le contrat de cession jusqu'au 28 avril 2008.

En outre il est établi que M. Alary a perçu, dès le lendemain de la date de la fin de son obligation contractuelle de non-concurrence pendant deux ans, une commission pour une transaction qui n'a pu être menée par lui qu'avant le 29 juin 2005, date de l'acte authentique constatant l'opération avec paiement hors comptabilité du notaire mais attesté par une facture (sur laquelle en plus, mais sans que cela ait une importance pour le présent litige, il a fait état de sa qualité d'expert judiciaire près la cour d'appel de Toulouse alors qu'il n'avait pas agi en cette qualité), et ce au mépris tant de son obligation de salarié, ce qui n'est pas en cause non plus dans le présent litige, que de son obligation de non-concurrence pendant deux ans insérée au contrat de cession et qui se terminait le 28 juin 2005.

De telles infractions à ses obligations contractuelles rapprochées du dépôt préparatoire des marques en vue de leur exploitation selon un projet formulé bien avant la cession, ainsi qu'admis dans les écritures de première instance, forment de surcroît un ensemble fautif prémédité à l'encontre de la société Tiso qui en sa qualité de cessionnaire ayant payé un prix de cession était en droit d'attendre plus de loyauté de la part de son cédant.

Doit s'y ajouter le fait que M. Alary a fait payer par la société Tiso le loyer de locaux commerciaux qu'il occupe pour ses activités d'expert, alors qu'il se prétend seul locataire des dits locaux et seul habilité comme expert alors qu'il n'a pas hésité à faire comprendre les produits de cette activité dans l'estimatif de son chiffre d'affaire ayant permis de déterminer le prix de cession de son ancienne agence.

II. La SARL Mas et Bastides de Cocagne et la SARL Martine Pimpaud ont-elles commis une (ou des) faute(s) a l'encontre de la société Tiso?

La première a été créée le 10 juin 2005 entre M. Lebel et M. Rastoul et la seconde le 8 août 2005 entre Mme Pimpaud et M. Ronchi pour exploiter des agences immobilières sous les marques déposées par M. Alary.

Toutes deux ont commencé leurs activités respectives sur un fond de clientèle qui curieusement se trouvait juste avant dans les fichiers de la société Tiso, certaine fiches provenant d'ailleurs de fiches cédées par M. Alary à cette société. Il est vrai qu'en France, le principe demeure de la liberté de la clientèle de s'adresser à qui elle veut notamment lorsqu'elle n'est pas tenue comme c'est le cas en l'espèce, par un mandat non exclusif. Cependant, il est remarquable de constater dès le premier mois de fonctionnement de chaque société nouvelle la présence en dossiers actifs de fiches relatives à des clients inscrits dans les registre de mandats de la société Tiso et la cour est convaincue que ces fiches ont été apportées à chacune des sociétés nouvelles par leurs initiateurs alors tenus par leurs contrats de travail ou d'agents commerciaux de la société Tiso au respect des acquis de cette société, et non par les clients eux-mêmes.

En acceptant d'utiliser ces fiches et en se constituant ainsi une clientèle détournée de la société Tiso (cela porte sur une trentaine de dossiers pour chaque société nouvelle), les deux sociétés, dirigées par d'anciens salariés de la société Tiso dont ils connaissaient les bases, ont manifestement commis un acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Tiso.

En outre, la constitution de ces sociétés s'est opérée sur des prévisionnels d'activité élaborés sur du papier à en-tête du " cabinet Alary " devenu propriété de la société Tiso à l'aide du logiciel de gestion de cette dernière, par des personnes dont elle était l'employeur ou la co-contractante, et en tout cas qui étaient tenues à son égard à la loyauté. En utilisant ces documents ainsi élaborés pour créer une concurrence, les deux sociétés ont commis une faute par détournement de moyens à l'encontre de la société Tiso.

III. Ce qui peut être reproché aux autres intimes

Leur démission de la société Tiso sur un temps aussi cours que les mois de juillet et août 2005 pour consacrer leur activité au profit des deux sociétés susvisées est plus que suspecte, au regard notamment de l'irrespect des clauses d'exclusivité ou de non-concurrence insérées dans les contrats le liant à la société Tiso, sauf peut-être pour Mme Pimpaud à qui il a été expressément consenti une réduction de préavis à une journée par M. Marcos dirigeant de la société Tiso, encore que sa démission et la réduction de son préavis sont intervenus début août 2005, alors que la SARL Martine Pimpaud créée par Mme Pimpaud de concert avec M. Ronchi pour exploiter les marques de M. Alary a été créée le 20 juillet 2005 et immatriculée le 8 août 2005.

Cependant la cour constate que ces démissions en bloc sont intervenues après que M. Marcos ait proposé à ces intimés un changement de statut ou une restriction de liberté dans leur travail que ceux-ci étaient parfaitement en droit de refuser. Il s'agit là d'une erreur stratégique de M. Marcos dont il ne saurait tirer avantage au profit de la société Tiso et le raisonnement des premiers juges trouve partiellement sa pertinence sur le sujet comme sur la baisse incontestable du chiffre d'affaires des unités tarnaises rachetées ou transférées à cette société par M. Alary.

Pourtant il est indéniable que même poussés à la démission par la société Tiso, les intéressés ne pouvaient détourner une partie de la clientèle au bénéfice des deux sociétés dont les agissements ont été examinés ci- dessus, pas plus que certains d'entre eux ne pouvaient s'autoriser à détourner des commissions qui revenaient de droit à la société Tiso.

Ainsi, cette société établit, par la production de ses pièces, que:

- M. Rastoul a détourné la commission due pour une vente d'un terrain à bâtir sis à Gaillac sur mandat n° 6870 transféré du cabinet Alary à la société Tiso qui n'en a jamais perçu le montant, M. Rastoul s'étant ainsi comporté comme un agent immobilier indépendant et concurrent de la société Tiso avec laquelle il était en lien de droit avec clause d'exclusivité et de non-concurrence,

- Mme Lebel a détourné la commission due à la société Tiso pour la signature le 8 juillet 2005 d'un bail d'un appartement sis à Albi se comportant elle aussi comme un agent immobilier indépendant et concurrente de la société Tiso et donc non autorisée ce d'autant plus que la transaction s'est conclue alors qu'elle était en lien de droit soumise à clause d'exclusivité et de non-concurrence à l'égard de cette société,

- M. Ronchi a spécialement détourné au profit de la SARL Mas et Bastides de Cocagne la commission d'une transaction Pythac/cases dont il s'était occupé sur mandat n° 14169 de la société Tiso en juillet 2005 mais qui a été retrouvée sous mandat MBC n° 57, ce qui caractérise de sa part un acte de concurrence déloyale.

En revanche la cour n'a pas trouvé aux dossiers les éléments qui permettraient de retenir les trois fautes personnelles de détournements que la société Tiso impute à Mme Pontault. Elle n'a pas trouvé non plus de quoi étayer sa conviction que les intéressés sous la houlette de M. Alary s'étaient fait rembourser des frais de repas ou de réunion en vue de préparer leurs agissements à l'encontre de la société Tiso.

Il n'en demeure pas moins que les autres faits ci-dessus retenus constituent dans le contexte des agissements des deux sociétés et sous la préméditation de M. Alary telle que caractérisée également ci-dessus, un ensemble suffisant pour établir une opération de concurrence déloyale de la société Tiso.

IV. Ces actes de concurrence déloyale ont-ils préjudicié à la société Tiso?

Si la baisse du chiffre d'affaires tarnais ne peut être entièrement retenue à l'encontre des intimés pour les raisons exposées par les premiers juges, il n'en demeure pas moins que cette baisse existe et s'explique en partie par les actes ci-dessus définis, ne serait-ce que par les détournements de commissions et de clientèle susvisés.

Ces actes sont cependant limités et ne correspondent en eux-mêmes qu'à une perte pour la société Tiso de 80 000 euro, somme qui parait suffisante pour réparer son préjudice auquel sera ajouté une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Cette réparation doit être assumée solidairement entre tous les intimés qui ont participé activement à la création du préjudice limité de la société Tiso, hors cependant Mme Pontault contre laquelle la cour n'a trouvé aucune preuve des reproches qui lui sont adressés même si ceux-ci sont vraisemblables, le doute devant lui profiter.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce sens sur l'action principale.

V. Les demandes reconventionnelles

Hormis leur mises hors de cause, impossibles pour les raisons qui précèdent, les époux Lebel, M. Deschamps, M. Rastoul et la SARL Mas et Bastides de Cocagne ne demandent rien si ce n'est l'allocation d'une indemnité de frais irrépétibles qui dépend des condamnations aux dépens.

M. Alary se prétend victime de vols de la part de la société Tiso qui a opéré dans ses locaux des perquisitions illégales et s'est emparés de dossiers notamment d'expertises judiciaires et d'expertises amiables outre des correspondances personnelles, disparition qui alliées à une interdiction d'occuper son bureau lui aurait causé des préjudices dont il estime la réparation à 563 240 euro.

Or:

- l'interdiction précitée relève d'un autre litige sans lien avec le présent puisqu'il nécessite de savoir qui est locataire, chacune des parties concernée affirmant le contraire de l'autre. Il convient de renvoyer M. Alary à se mieux pourvoir sur ce point,

- le manque à gagner relatif à la disparition des expertises amiables ne saurait constituer un poste de préjudice puisque M. Alary prétend lui- même n'en tirer que très rarement des revenus (cf. p. 39 de ses abondantes conclusions),

- le dessaisissement de trois expertises judiciaires n'est pas le fait de la société Tiso mais celui des magistrats mandants,

- l'absence de désignation en qualité d'expert ne résulte que de la volonté de l'autorité susceptible d'accorder sa confiance à l'expert,

- l'ensemble des dossiers a été restitués les 20 et 27 octobre 2005 par huissier et M. Alary ne démontre pas qu'il manquait des documents.

Reste seulement la disparition effective des dossiers de clients amiables qui ne saurait être la " propriété " de la société Tiso et la perte d'une telle clientèle, distincte de celle intéressée par les transactions immobilières transférées par le cabinet Alary à la société Tiso, qui ne saurait contester être responsable de la dite disparition. Eu égard aux probabilités tirées des documents produits aux débats et non à des preuves irréfutables, la cour estime que la réparation du préjudice de M. Alary en relation directe avec les disparitions du fait de la société Tiso peut s'élever à 80 000 euro à l'exclusion de tout autre poste infondé (y compris le prétendu droit de suite réclamé pour le dossier " Bellevue ").

Martine Pimpaud sollicite 55 330 euro " HT " pour réparer sa déstabilisation du fait du procès, poste qui n'est absolument pas justifié. La demande sera rejetée.

Mme Gaillard et Mme Pontault réclament chacune 30 000 euro pour les désagrément d'une fouille de leur bureau et détournements de leurs effets personnels dont elles n'apportent pas la preuve, alors qu'il est établi pour la première qu'elle a joué un rôle important dans les faits de concurrence déloyale au détriment de la société Tiso. Ces demandes seront rejetées.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce sens sur ces points.

Succombant les intimés supporteront solidairement les dépens de l'entière instance et devront payer à la société Tiso une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement déféré en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence articulée par M. Alary, l'infirmant pour le surplus, met hors de cause Mme Pontault, condamne solidairement M. Alary, M. et Mme Lebel, M. Deschamps, M. Rastoul, Mme Pimpaud, Mme Gaillard, la SARL AG3 venant aux droits de la SARL Martine Pimpaud et la SARL Mas et Bastide de Cocagne à payer à la SAS Cabinet de Transactions Immobilières du Sud-Ouest une somme de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la SAS Cabinet de Transactions Immobilières du Sud-Ouest à payer à M. Alary une somme de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts, déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne solidairement M. Alary, M. et Mme Lebel, M. Deschamps, M. Rastoul, Mme Pimpaud, Mme Gaillard, la SARL AG3 venant aux droits de la SARL Martine Pimpaud et la SARL Mas et Bastide de Cocagne à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, autorise la SCP Dessart-Sorel-Dessart à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision préalable.