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Décisions

CA Bourges, ch. soc., 15 mai 2009, n° 08-00915

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Denizot

Défendeur :

Stearinerie Dubois et fils (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Vallée

Conseillers :

MM. Lachal, Boutet

Avocats :

Mes Avril, Trecourt

Cons. prud'h. Châteauroux, du 13 mai 200…

13 mai 2008

Monsieur Alain Denizot a été embauché le 2 janvier 1980 par la SA Stéarinerie Dubois fils en qualité de directeur technico commercial, promu directeur commercial par avenant du 22 mai 1985.

A partir de septembre 2002, les sociétés de droit italien Vama et Respharma ainsi que la société EPI France ont confié à la SA Stéarinerie Dubois fils la distribution de produits de leur gamme.

La SA Stéarinerie Dubois fils et Monsieur Denizot ont convenu en février 2004 que le salarié, qui devait avoir 65 ans en avril 2006, poursuivrait ses activités jusqu'à son 69e anniversaire.

Monsieur Denizot a été licencié pour faute grave le 17 février 2006.

Les 14 et 20 mars 2006, le 26 mai 2006 les sociétés Vama et EPI France puis la société Respharma ont avisé la SA Stéarinerie Dubois fils de leur décision de mettre fin à leur relation commerciale compte tenu du départ de Monsieur Denizot.

Celui-ci, qui n'a pas été délié de la clause de non-concurrence figurant à son contrat de travail, en a reçu la contrepartie financière à partir de février 2006.

Le 3 mai 2006, a été immatriculée au RCS de Nanterre la société d'Etudes et de développement de nouveaux actifs (Sedna) ayant pour associés les dirigeants des sociétés Vama, Respharma et EPI France; les statuts portaient la signature de Monsieur Denizot.

Le 29 janvier 2007 la SA Stéarinerie Dubois fils, autorisée par une ordonnance sur requête du 4 janvier 2007, a fait diligenter un constat d'huissier dans les locaux de la Sedna, en présence de Monsieur Denizot, puis a avisé ce dernier par courrier du 28 février 2007 qu'elle mettait fin au versement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

Monsieur Denizot a saisi à partir du 10 avril 2007 la juridiction prud'homale, d'abord en formation de référé, puis en formation ordinaire, pour obtenir la poursuite du versement de cette contrepartie financière. Il a également déposé plainte le 13 septembre 2007 contre son ancien employeur du chef de violation de sa correspondance personnelle, notamment de sa boîte e-mail au sein de la société.

Par jugement du 3 octobre 2007, le Tribunal de commerce de Nanterre, en formation de référé a ordonné à la Sedna de cesser toutes relations avec Monsieur Denizot, décision confirmée par la Cour d'appel de Versailles le 4 juin 2008.

Par jugement du 13 mai 2008, dont Monsieur Denizot a interjeté appel, le Conseil de prud'hommes de Châteauroux constaté que l'intéressé avait violé la clause de non-concurrence qui le liait à la SA Stéarinerie Dubois fils, l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à verser à son ancien employeur

101 837,69 euro en remboursement de la contrepartie financière indûment perçue, avec actualisation au taux légal sur le fondement de l'article 515 du Code procédure civile à compter du jugement ainsi que 500 euro sur le fondement de l'article 700 du même Code.

Les parties ont développé oralement à l'audience leurs conclusions écrites au détail desquelles il est renvoyé et dont il résulte en substance ce qui suit :

Monsieur Denizot demande d'abord le rejet des pièces obtenues par la SA Stéarinerie Dubois fils en violation de sa vie privée, notamment les mails des 6, 9 et 20 mars ayant nécessité un piratage de sa boîte e-mail, ce qui a justifié un dépôt de plainte de sa part.

Après avoir rappelé les caractéristiques de la clause de non-concurrence, distincte de la concurrence déloyale et de l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail, il fait valoir que l'objet social de son ancien employeur est limité à la fabrication et la commercialisation d'esters d'acides gras et qu'il ne peut donc légitimement opposer des activités intervenant d'autres chefs que les esters alors que les faits qui lui sont reprochés se rapportent à des principes actifs différents.

Subsidiairement, la société ne peut lui reprocher aucun acte de concurrence directe et il n'a pas violé la clause de non-concurrence au travers de la Sedna qui n'est elle-même pas concurrente de la Stéarinerie Dubois fils laquelle a perdu le droit de vendre les produits de Vama Respharma et EPI France. Ces dernières sociétés ne sont pas elles-mêmes en concurrence avec sa propre production. Le fait que la SA Stéarinerie Dubois fils et la Sedna interviennent dans le même secteur professionnel n'implique pas qu'elles soient en concurrence, car offrir aux mêmes personnes des produits non substituables exclut toute possibilité de concurrence.

Par ailleurs, la création de la Sedna n'est pas un acte de fraude mais une décision économiquement justifiée car les trois sociétés fondatrices étaient déçues par les résultats de la SA Stéarinerie Dubois fils et voulaient créer une structure indépendante pour la commercialisation de leurs produits. Les résultats obtenus dans ces conditions ont été en progression, ce qui confirme leur intérêt à créer leur propre bureau de distribution. Contacté par les intéressés, Monsieur Denizot a informé les dirigeants des sociétés Varma, Respharma et EPI France qu'il acceptait de prêter son concours à l'organisation de la distribution de leurs produits, sous réserve de Sa clause de non-concurrence. Le 13 avril 2006, les dirigeants des trois sociétés lui ont donc confié par procuration le soin de faire enregistrer la nouvelle société Sedna. Il a ensuite collaboré de façon indépendante à l'activité export de Sedna, son activité étant limitée à une clientèle hors de France pour une gamme de produits qui n'est pas commercialisée par la SA Stéarinerie Dubois. Il conteste à cet égard l'attestation de Monsieur Legout, responsable d'une société sous dépendance économique de la SA Stéarinerie Dubois fils.

S'agissant d'un petit milieu, le recoupement partiel des fichiers clients de la Sedna et de la Stéarinerie Dubois fils n'est pas probant.

Les liens de Monsieur Lenizot avec Sedna sont ténus il n'existe aucun contrat de travail, ni de salaire et il n'y a aucun intérêt financier.

Pour le surplus, les actes de concurrence déloyale reprochés par l'intimée ne reposent que sur ses allégations ou ne lui sont pas imputables.

Dans ces conditions, la SA Stéarinerie Dubois fils sera condamnée à lui verser le reliquat de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, soit 95 992 euro avec intérêts légaux à compter de l'interruption des versements le 31 janvier 2007, outre 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Subsidiairement, l'appelant précise que son ancien employeur n'a servi que onze échéances correspondant à une somme nette de 65 153 euro et non 101 837, 69 euro au remboursement de laquelle il a été condamné de manière inexacte par le Conseil de prud'hommes.

La SA Stéarinerie Dubois fils rétorque qu'il n'y a eu aucune violation de la vie privée de Monsieur Denizot car les messages e-mail communiqués à la procédure proviennent d'une boîte de messagerie au nom de la société, qui a toujours pris en charge le coût de l'abonnement. Elle n'était pas identifiée par Monsieur Denizot comme messagerie personnelle. Le contenu des messages ne saurait donc être couvert par le secret des correspondances privées. En outre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 4 juin 2008, qui fait référence à ces mails, a force définitive de chose jugée entre la société Sedna et la société Stéarinerie Dubois fils qui peut s'en prévaloir.

Elle rappelle que l'objet social est "la fabrication et la commercialisation d'esters d'acides gras", que la portée d'une clause de non-concurrence doit s'apprécier par rapport à l'activité réelle de l'entreprise et non par la définition statutaire de son objet, ce qui est indiqué dans le contrat de travail. La commercialisation de principes actifs entre donc dans l'interdiction de concurrence.

Monsieur Denizot a été l'initiateur de la création d'une société concurrente, utilisant sans scrupules tous les moyens en sa possession, fussent-ils déloyaux, pour tromper son ancien employeur, en dissimulant ses agissement pour conserver la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Il a ainsi communiqué au dirigeant de la société Vama le montant du chiffre d'affaires et la marge réalisée par la société employeur avec la société Respharma ; il a également adressé à Madame Foulon, dirigeante de la société EPI France, un courrier électronique édifiant le 9 mars 2006 ainsi qu'un projet de statuts le lendemain, a recherché une domiciliation pour la nouvelle société Sedna, dont l'objet social déclaré recouvrait l'activité de la SA Stéarinerie Dubois fils, les statuts de cette société comportant le paraphe et la signature de Monsieur Denizot en vertu d'une procuration de Monsieur Agostino Facchini, dirigeant de Respharma, en date du 13 avril 2006. Monsieur Denizot a été l'animateur de la société Sedna ainsi que le prouvent le fait d'avoir été présent dans ses locaux lors du constat du 29 janvier 2007 et le fait qu'il soit destinataire d'une lettre adressée le 18 janvier 2007 à la société Sedna par la société Verfilco. Il a du reste admis devant la formation de référé intervenir pour le compte de la société Sedna. Il importe peu que cette intervention soit effectuée à titre indépendant, en dehors de tout contrat de travail et sans rémunération, le seul fait d'intervenir pour une société concurrente caractérisant une violation de la clause de non-concurrence.

L'intimée rappelle qu'elle exerce une activité de fabrication et une activité de commercialisation qui ne se réduit pas à la vente des produits qu'elle fabrique elle-même et comprenait la vente comme distributeur des produits fabriqués par les sociétés Vama, Respharma et EPI France.

L'activité de Monsieur Denizot a permis la captation au sein de la société Sedna de la clientèle de son précédent employeur, étant observé que le constat du 29 janvier 2007 apporte un démenti à l'intéressé lorsqu'il affirme ne viser qu'une clientèle hors de France, au regard de la liste des clients concernés dont nombreux sont français. De plus un mailing émanant de Respharma, rédigé en langue française, a été adressé aux anciens clients et prospects de la SA Stéarinerie Dubois fils pour les orienter vers la société Sedna. Enfin, Monsieur Denizot a contacté Monsieur Legout, directeur de la société Verfulco, son distributeur en France, pour lui présenter la société Sedna lui indiquer qu'elle recherchait un distributeur pour ses petits et moyens clients.

Surabondamment, Monsieur Denizot s'est livré à des actes de concurrence déloyale engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement des indemnités indûment perçues en ce compris les charges patronales supportées par l'intimée, avec intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2007, date de la demande de paiement par communication de conclusions prises lors de la procédure en référé, valant mise en demeure de payer au sens de l'article 1153 du Code civil. Il conviendra également d'ordonner la capitalisation par application des dispositions de l'article 1154 du même Code.

La SA Stéarinerie Dubois fils demande enfin la condamnation de Monsieur Denizot à lui verser 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Attendu que les parties ont renoncé expressément à se prévaloir des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur le juge impartial au regard de la composition de la cour d'appel, certains magistrats ayant déjà statué en appel d'une précédente ordonnance de référé;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1121-1 du Code du travail que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence;

Qu'en l'espèce, si la messagerie de Monsieur Denizot au sein de la SA Stéarinerie Dubois fils était simplement identifiée par son nom, il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait de sa messagerie professionnelle dont l'abonnement était payé par l'employeur qui en justifie;

Qu'il importe peu que le salarié ait continué à l'utiliser après son licenciement, ce qui ne change pas la nature de cet outil de travail;

Que dès lors, alors que Monsieur Denizot n'avait pas signalé que certains fichiers ou certains messages concernaient su vie privée, il n'y a pas lieu d'écarter les messages produits par l'employeur au soutien de sa position dons le cadre du présent litige;

Attendu que le contrat de travail du 22 mai 1985 comportait une clause de non-concurrence interdisant à Monsieur Denizot d'entrer au service d'une entreprise concurrente ou de s'intéresser directement ou indirectement à toute fabrication, commerce ou autres activités pouvant concurrencer les produits fabriqués ou les activités de la société;

Qu'elle était limitée au territoire métropolitain et à une durée de deux ans;

Attendu que la portée de la clause de non-concurrence, qui conditionne sa validité, doit s'apprécier par rapport à l'activité réelle de l'entreprise, et non par rapport à la définition statutaire de son objet;

Qu'en l'espèce, Monsieur Denizot ne peut donc être suivi lorsqu'il estime que l'activité de la SA Stéarinerie Dubois fils à prendre en considération est celle de son activité déclarée au RCS portant sur la fabrication et la commercialisation d'esters d'acides gras, alors qu'il est constant qu'elle a également commercialisé des produits fabriqués par les sociétés Vama, Respharma et EPI France;

Attendu qu'il résulte enfin de l'ensemble des pièces produites que Monsieur Denizot ne s'est pas contenté de favoriser la création de la société Sedna, à laquelle il a participé très activement, laquelle a repris la commercialisation des produits des trois sociétés précitées, mais encore a travaillé pour le compte de cette société qu'ainsi il a été trouvé présent dans ses locaux lors du constat d'huissier que la société Sedna a été créée par les trois sociétés Vama, Respharma et EPI France dès le licenciement de Monsieur Denizot, qui ont mis fin à leur relation avec la SARL Stéarinerie Dubois fils, notamment au motif que Monsieur Denizot n'en était plus salarié tout en déplorant des résultats insuffisants alors qu'il était leur correspondant jusqu'à la rupture du contrat de travail, ce qui peut paraître contradictoire;

Que si l'intéressé affirme ne s'occuper que de la partie export, l'expert comptable qui a analysé les documents objets du constat d'huissier du 29 janvier 2007 a observé que la société Sedna à de nombreux clients français et que 90 % de son chiffre d'affaires en 2006 a été réalisé auprès des sociétés figurant sur la liste de la SA Stéarinerie Dubois fils ; que l'expert comptable s'interroge sur les conditions dans lesquelles la société nouvellement créée et disposant d'un personnel réduit a pu constituer son portefeuille de clientèle aussi rapidement ; qu'il est noté que le client Verfilco, français, s'adresse personnellement à Monsieur Denizot dans Sedna;

Que de plus, Monsieur Legout, directeur de la société Verfilco, atteste avoir reçu courant mai 2006, soit concomitamment à la création de la société Sedna, Monsieur Denizot qui lui a présenté cette dernière et l'a informé qu'il cherchait un distributeur pour ses petits et moyens clients, comme il le faisait pour le compte de Stéarinerie Dubois; que Monsieur Legout lui a dit son intérêt ; que courant juin 2006, Verfilco a travaillé avec la société Sedna ;que par courrier adressé le 18 janvier 2007 à "Sedna M. Denizot" il a mis fin à cette commercialisation; que la dépendance économique de ce témoin envers la SA Stéarinerie Dubois fils alléguée par Monsieur Denizot pour expliquer ce dernier courrier et faire écarter l'attestation n'est aucunement prouvée;

Qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'il affirme, Monsieur Denizot n'a pas limité son activité dans la société Sedna à l'exportation, n'a en conséquence pas respecté la clause de non-concurrence sur le territoire métropolitain et qu'il ne peut prétendre à sa contrepartie financière;

Qu'il devra reverser les sommes perçues, à charge pour l'employeur de récupérer auprès des organismes concernés les cotisations sociales qu'il a versées ;

Qu'au regard des dispositions de l'article 1153 du Code civil, il y a lieu de dire que les intérêts au taux légal courront à compter de la première demande devant le juge des référés, soit le 26 avril 2007 par voie de conclusions incidentes, ce qui n'est pas contesté, avec en outre application des dispositions de l'article 1154 du Code civil;

Attendu que Monsieur Denizot, qui succombe, supportera les dépens et versera à la SA Stéarinerie Dubois fils 1 200 euro supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, bonne acte aux parties qu'elles n'entendent pus se prévaloir des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur le juge impartial, Confirme le jugement sauf à fixer à 63 908 euro la somme que Monsieur Denizot devra rembourser à la SA Stéarinerie Dubois fils, que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2007, avec application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, Condamne Monsieur Denizot à verser à la SA Stéarinerie Dubois fils 1 200 euro supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les demandes plus amples ou contraires, Condamne Monsieur Denizot aux entiers dépens. Ainsi fait, jugé et prononcé les jours, mois et an que dessus.