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Décisions

CA Rennes, 8e ch. prud'homale, 3 septembre 2009, n° 08-04308

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Herbin

Défendeur :

Lejaby (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boivin

Conseillers :

Mmes L'Henoret, Legeard

Avocats :

Mes Roesch, Boisadam

Cons. prud'h. Saint-Nazaire, du 10 juin …

10 juin 2008

M. Herbin a été engagé par la société Lejaby le 16 juillet 1973, en qualité de VRP, exclusif, sur les secteurs 44-49-53-61-72 ; rémunéré par une partie fixe, et des commissions sur les chiffres d'affaires.

Par avenant du 18 novembre 1996, lui est confiée, en plus de la marque Lejaby, la marque Rasurel, sur le même secteur, avec rémunération fixe et commissionnement sur les ordres directs et indirects.

En 1996 la société Lejaby a été rachetée par le groupe Warnaco, qui a mis en place un réseau de magasin de vente de détail de lingerie féminine sous l'enseigne Orcanta.

La force de vente de la société Lejaby s'est inquiétée de la remise en cause des droits définis contractuellement ; la société Lejaby a mis en place fin 1997 une rémunération à titre de commissionnement sur le chiffre d'affaire des boutiques Orcanta situées sur le secteur de chaque VRP ; une discussion est née sur la pérennité de ce système de commissionnement. La société Lejaby, le 14 décembre 2000, a informé ses VRP qu'elle s'opposait au rétablissement d'un pourcentage sur l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé par la chaîne Orcanta.

Courant 2001-2005 et 2006 le secteur géographique de M. Herbin a évolué.

En octobre 2006 la société Lejaby a proposé à M. Herbin de promouvoir et développer sur son secteur la nouvelle marque "Elixir" avec commissionnement direct et indirect de 2,5 % sur les ventes réalisées par les détaillants;

M. Herbin a refusé cette proposition au motif qu'elle modifiait par ailleurs son contrat de travail.

M. Herbin a saisi le 3 août 2007 le Conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire de demandes de paiement de commissions Orcanta, de résiliation judiciaire du contrat de travail, paiement d'indemnités de rupture et dommages-intérêts, et dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Par jugement du 10 juin 2008 le Conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire a débouté M. Herbin de toutes ses demandes.

M. Herbin a interjeté appel le 19 juin 2008.

M. Herbin a été placé à compter du 30 août 2008 en arrêt maladie;

Le 7 mai 2009 il a manifesté sa volonté de reprendre son travail le 11 mai 2009, ayant été déclaré apte par la médecine du travail à la reprise de son poste.

Le 11 mai la société Lejaby l'a informé de ce qu'il avait été remplacé par un salarié embauché en contrat indéterminée, qu'en l'état son contrat de travail était suspendu avec maintien de sa rémunération.

Prétentions et moyens des parties

M. Herbin, dans le dernier état de ses écritures, reprises et développées à la barre, auxquelles il convient de se référer pour l'essentiel, sollicite la réformation du jugement, le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, la condamnation de la société Lejaby à payer:

- 375 370 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.

- 31 280,85 euro à titre d'indemnité de préavis, outre 3 128,08 euro au titre des congés payés afférents.

- 205 556,57 euro à titre d'indemnité de clientèle.

- 61 516 euro au titre des commissions Orcanta outre les congés payés afférents.

- 69 536 euro au titre des commissions sur les autres réseaux de distribution.

- 20 555,56 euro au titre des commissions de retour sur échantillonnage.

- 70 000 euro à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

- 20 000 euro pour perte de chance sur les rappels de commission prescrits.

- 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, il fait valoir que :

- le principe même du droit à commissions sur le chiffre d'affaires développé par le réseau Orcanta n'est pas contestable, déjà admis par de nombreuses juridictions qui ont condamné à plusieurs reprises l'employeur sur ce fondement, comme résultant d'un engagement unilatéral de l'employeur, pour compenser le manque à gagner des VRP dans le secteur où sont implantés les magasins Orcanta, et ce sans limitation de durée.

- il n'a pas renoncé à son droit de commission sur le chiffre d'affaires Orcanta, le 31 janvier 2001, le courrier approuvé par M. Herbin, portait sur une proposition de versement d'une compensation financière sur des problèmes de frais de livraisons défectueuses et revalorisation de salaire.

- le contrat de travail prévoyait un commissionnement sur l'intégralité des ordres directs, et indirects intervenus sur son secteur exclusif. La société Lejaby ne peut s'exonérer de cette obligation.

- le manque à gagner résultant du développement du chiffre d'affaires des magasins Orcanta résulte de la concurrence déloyale de son employeur qu'il a compensée par son professionnalisme et son investissement au travail.

- la concurrence déloyale de la société Lejaby ne se limite pas au développement des boutiques Orcanta, mais résulte de la mise en place d'un réseau de vente parallèle, ventes effectuées par le biais des vépécistes (la Redoute etc..), ventes auprès de grossistes, soldeurs et vente en ligne; tout en procédant à la restructuration de son réseau de distribution la société a renié les droits de ces VRP.

- tous ces éléments justifient la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Il ajoute qu'en cours de procédure, il y a eu évolution du litige ; après une absence de plusieurs mois pour maladie non professionnelle, il a informé son employeur de sa reprise d'activité à partir du 11 mai 2009, déclaré apte à la reprise du travail, le 11 mai 2009 la société Lejaby lui faisait savoir que son contrat de travail ayant été suspendu depuis plusieurs mois, qu'il avait été remplacé à son poste par un représentant embauché en contrat à durée indéterminée : son poste étant indisponible il était dispensé d'activité avec maintien de son salaire, situation qui justifie la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur d'autant que ce dernier n'a pas versé la commission de 1 % sur les commandes prises par son remplaçant chez les détaillants.

La société Lejaby, dans ses dernières écritures, développées oralement, auxquelles il convient de se référer pour l'essentiel, sollicite la confirmation du jugement, le débouté de toutes demandes de M. Herbin, paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle réplique que :

- les commissions Orcanta ne sont pas prévues contractuellement ; en l'absence de stipulation expresse le représentant ne peut prétendre à rappel de commissions sur les ordres indirects passés auprès de clients qu'il n'a jamais démarchés auparavant, il n'existe aucune stipulation entre le VRP et son employeur sur le droit à commissionnement sur les ordres passés directement par des clients qu'il n'a pas démarchés.

- il n'existe pas d'usage, ni d'engament unilatéral de l'employeur.

- les sommes versées en 1997, ne constituent que de simples libéralités.

- si l'on retient l'existence d'un engagement unilatéral, le paiement des commissions est subordonné à la présence de boutiques Orcanta sur son secteur, et au manque à gagner du VRP sur son secteur exclusif, condition essentielle qui n'est pas respectée, le chiffre d'affaires de M. Herbin est en progression, les commissions ont été croissantes.

- M. Herbin ne peut affirmer que sur le chiffre d'affaires développé sur les autres secteurs distribution, sur son secteur géographique, serait de 13 %; il ne peut prétendre aux commissions sur ordre indirects n'ayant jamais effectué auprès de ces réseaux quelque prospection.

- la société Lejaby n'a jamais fait perdre à M. Herbin l'exclusivité dont il bénéficie sur son secteur géographique, les principaux réseaux de distribution n'ayant d'autre objet que d'écouler les stocks après que la priorité ait été donnée aux VRP, réseau de distribution privilégié des produits Lejaby.

- le développement de ces autres réseaux de distribution nécessaires à la survie de l'entreprise n'a jamais impacté le chiffre d'affaires du VRP.

- il n'existe aucune concurrence déloyale de la société Lejaby vis-à-vis de ses VRP.

- il n'existe pas de motif de résiliation judiciaire du contrat de travail.

- compte tenu de l'absence prolongée de M. Herbin elle a été contrainte de pourvoir à son remplacement sous forme de contrat à durée indéterminée ; la société Lejaby ne s'est pas opposée à la reprise d'activité de M. Herbin dans les conditions antérieures, étant observé que ce dernier a obtenu le jour de l'avis d'aptitude un arrêt de travail de prolongation.

- la commission de 1 % sur les ordres pris par son remplaçant ne s'applique que pour les absences de moins de 3 mois.

Discussion

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Attendu que la demande initiale de résiliation judiciaire était fondée sur les manquements de l'employeur, quant au non-paiement des commissions Orcanta entraînant une modification d'un élément de rémunération du contrat de travail.

Qu'en cours de procédure, après une suspension de son contrat de travail, M. Herbin a informé son employeur le 27 avril 2009 qu'il entendait reprendre son travail le 11 mai 2009, lui demandant de mettre à sa disposition les collections, bons de commande.

Que le 11 mai 2009, sans avoir répondu à la demande de son VRP, sauf téléphoniquement, la société Lejaby a informé M. Herbin de ce qu'il avait été remplacé sur son secteur par un VRP embauché sous contrat à durée indéterminée, mais dans l'attente de trouver une solution, il était dispensé d'activité.

Qu'il résulte que la société Lejaby, dans la mesure où elle avait définitivement remplacé son VRP, alors en arrêt de travail, n'a pas respecté son obligation à l'issue de la période de suspension de fournir à son salarié un travail; que l'éventuelle proposition de changement de secteur, devenue inévitable, était de nature à entraîner une modification substantielle du contrat de travail, ce qui justifie la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, sans qu'il soit nécessaire de rechercher les causes antérieures invoquées par le VRP.

Sur le paiement des commissions Orcanta:

Attendu que l'avenant du 18 novembre 1996 qui délimite le secteur géographique M. Herbin (6 départements) précise que la clientèle visitée est composée des détaillants et grands magasins; que la rémunération est ainsi définie :

- un fixe mensuel de 7 606 F

- une commission sur le montant hors taxes des ordres directs et indirects facturés et encaissés:

* 3 % pour les détaillants Lejaby et Rasurel

* 1 % pour les grands magasins.

Que les grands comptes donc en l'espèce la boutique Orcanta (qui dépend du Groupe PPR), sont exclus du contrat de représentation signé par M. Herbin.

Attendu qu'en outre le commissionnement sur les ordres directs et indirects facturés et encaissés, prévu contractuellement s'entend des ordres passés directement auprès de l'entreprise par les clients déjà prospectés par le VRP, ce qui suppose une activité personnelle de ce dernier.

Qu'en l'espèce il est constant que M. Herbin n'a jamais visité les boutiques Orcanta, dont les commandes sont centralisées et enregistrées sous la rubrique Grands Comptes Nationaux.

Qu'il n'existe aucune disposition contractuelle portant sur un commissionnement sur le chiffre d'affaires réalisé auprès de la société Orcanta.

Attendu que M. Herbin se prévaut alors d'un usage de l'entreprise, qui doit répondre aux critères de constance, généralité et fixité.

Que le commissionnement dit Orcanta de 2 % sur le chiffre d'affaires réalisé par les "Filiales Orcanta" mises en place en fin 1997, confirmé par le directeur de l'époque, dont n'a pas bénéficié l'ensemble des salariés, n'a été versée qu'à deux reprises, en mars et septembre 1998; qu'ultérieurement des négociations ont été entreprises pour compenser un manque à gagner des VRP (expertise Vergeade novembre 2002) compte tenu de la mise en place d'un nouveau réseau de distribution.

Attendu que toutefois la société Lejaby dans son courrier du 13 novembre 2000 a précisé que le pourcentage sur l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé par la chaîne Orcanta avait été attribuée par l'ancienne direction, mais en l'absence de toute disposition contractuelle, et faute de participation au développement de ce chiffre d'affaires, de telle sorte qu'en l'absence de production d'un accord écrit, compte rendu de réunion, M. Herbin ne peut se prévaloir d'un engagement unilatéral de l'employeur, ni du droit à commission permanente sur le chiffre d'affaires réalisé avec la société Orcanta, étant rappelé qu'un droit à commission sur les ordres indirects ne se présume pas mais doit résulter d'une disposition contractuelle, ou d'un usage, ou d'une volonté explicite, non équivoque de l'employeur.

Qu'en conséquence M. Herbin ne peut prétendre au paiement des commissions Orcanta.

Sur les commissions sur les autres réseaux de distribution:

Attendu qu'il n'existe aucune disposition contractuelle prévoyant un droit à commission sur les ordres indirects passés auprès des autres réseaux de distribution (soldeurs, vente privée sur internet, vépécistes) ; que cette demande ne peut prospérer.

Sur les commissions de retour sur échantillonnage:

Attendu que M. Herbin est fondé en sa demande de commission de retour sur échantillonnage en fonction des ventes régularisées sur son secteur, correspondant à une indemnité forfaitaire de 3 mois de commissions soit 20 555,65 euro.

Sur le préjudice de Monsieur Herbin:

Attendu que M. Herbin, au titre de la rupture de son contrat de travail est fondé en sa demande d'indemnité de préavis de trois mois, soit 8 030 x 3 = 24 090 euro, et 2 409 euro au titre des congés payés afférents.

Attendu qu'eu égard à son ancienneté de 34 ans, aux difficultés pour retrouver un emploi, il y a lieu de fixer à la somme de 250 000 euro les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité de clientèle

Attendu qu'il appartient à M. Herbin de justifier soit de l'apport ou de la création d'une clientèle et de son développement en nombre en valeur;

Que l'augmentation constante de son chiffre d'affaires sur les dix dernières années (évolution produite par l'employeur) est manifeste, qu'il en est de même pour sa rémunération, étant précisé qu'en 2002 et 2003 M. Herbin a connu une augmentation importante de sa rémunération liée à un accroissement des commissions;

Que M. Herbin justifie de l'apport de nouveaux clients sur les 3 dernières années d'exercice;

Qu'il convient de lui allouer une indemnité de clientèle correspondant à 24 mois de la moyenne des commissions des 3 dernières années, déduction du fixe et des frais vie, soit la somme de 100 000 euro;

Sur la concurrence déloyale

Attendu que pour justifier sa demande d'indemnisation Monsieur Herbin reproche à la société Lejaby d'avoir mis en place un réseau de distribution parallèle à la force de vente constituée des VRP, reniant peu à peu leurs droits;

Attendu qu'en l'espèce il convient de rappeler que dans le cadre de son pouvoir de direction l'employeur est libre de la restructuration de son réseau de distribution;

Qu'il convient de rechercher si cette restructuration a entraîné une perte de l'exclusivité de M. Herbin dans son secteur géographique et catégoriel;

Que le VRP ne démontre pas que la société Lejaby aurait porté atteinte à son exclusivité de vente sur son secteur, dans la mesure où les ventes par soldeurs et (vente privée.com) sont destinées à écouler des stocks qui ont préalablement été proposés aux VRP avec remise proposée aux détaillants ; quant aux promotions et chèques de réduction consentis par les vépécistes, ils échappent à la société Lejaby qui ne dispose pas d'un droit de regard sur les conditions de revente de ses produits dans les catalogues.

Attendu qu'il convient de relever que la société Lejaby n'a jamais fait appel sur le secteur de M. Herbin à d'autres représentants, qu'aucune commande n'a été passée par un client de M. Herbin directement auprès de la société, que la société Lejaby n'a jamais cédé à d'autres sociétés de marchandises qui auraient été revendues sous sa propre marque dans le secteur exclusif de M. Herbin, il n'existe pas de comportement fautif de la société Lejaby;

Que M. Herbin ne justifie pas d'une baisse de chiffres d'affaires significative conséquence de la mise en place de ces nouveaux réseaux de distribution;

Que la concurrence déloyale ne peut résulter d'éventuels gains manqués;

Qu'il ne saurait être fait droit à la demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes de dommages-intérêts pour perte de chance:

Attendu que cette demande est de nature à indemniser des rappels de commissions qui n'ont pu être formulés compte tenu de la perception quinquennale;

Que toutefois le rejet des demandes en paiement de commissions rend sans objet une telle demande;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Herbin ses frais irrépétibles qui seront indemnisés par la somme de 3 000 euro;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement du 10 juin 2008, Statuant à nouveau, Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur Herbin aux torts exclusifs de l'employeur. En conséquence, condamne la société Lejaby à payer à Monsieur Herbin : 24 090 euro à titre d'indemnité de préavis et 2 409 euro au titre des congés payés afférents, 250 000 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, 100 000 euro au titre de l'indemnité de clientèle, 20 555,65 euro au titre des commissions de retour sur échantillonnage. Déboute Monsieur Herbin de ses demandes de paiement des commissions Orcanta, et commissions sur les autres réseaux de distribution, dommages-intérêts pour concurrence déloyale et perte de chance. Condamne la société Lejaby à payer à Monsieur Herbin la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles. La condamne aux dépens.