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Décisions

CA Lyon, ch. soc. B, 23 janvier 2009, n° 07-05281

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Airap (Sté)

Défendeur :

Muller

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gayat de Wecker

Conseillers :

Mmes Defrasne, Zagala

Avocats :

Mes de Filippis, Cornut

Cons. prud'h. Lyon, du 12 juill. 2007

12 juillet 2007

Statuant sur l'appel formé par la société Airap SA d'un jugement du Conseil de prud'hommes de Lyon, en date du 12 juillet 2007, qui a :

- condamné la société Airap à payer à Monsieur René Muller les sommes suivantes:

* 99 189,98 euro à titre d'indemnité de clientèle,

* 600 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires;

- condamné la société Airap aux dépens.

Vu les écritures et les observations orales à la barre, le 15 octobre 2008, de la société Airap SA, appelante, qui demande à la cour:

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes;

- de débouter Monsieur Muller de l'intégralité de ses prétentions;

- de condamner Monsieur Muller au paiement de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Vu les écritures et les observations orales à la barre, le 15 octobre 2008, de Monsieur René Muller, intimé, qui demande de son côté à la cour:

- de réformer le jugement entrepris;

- de condamner la société Airap à lui payer les sommes suivantes:

* 41 047,45 euro à titre de commissions pour la période de 2001 à 2002 pour le secteur 43,

* 32 358 80 euro à titre de commissions pour la période de 2002 à 2003 pour le secteur 43,

* 65 000 euro à titre d'indemnité pour non levée de la clause de non-concurrence,

* 100 000 euro à titre d'indemnité de clientèle,

* 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile; de condamner la société Airap aux dépens.

Exposé du litige

Attendu que Monsieur René Muller a été embauché à durée indéterminée le 2 janvier 1985 par la Société Airap en qualité de représentant chargé de vendre au nom et pour le compte de ladite société les articles suivants : tous ventilateurs standards, extracteurs de fumée, brasseurs d'étuve, ventilateurs spéciaux, turbines;

Qu'il était stipulé à son contrat de travail que Monsieur Muller bénéficiait d'une exclusivité sur la clientèle " constructeurs " sur les départements suivants : 01, 07, 26, 38, 42, 43, 69, 73, 74 et qu'il recevrait à titre de rémunération une commission sur le prix de vente de 2 % sur les anciens clients Airap après première visite, de 5 % sur les nouveaux clients et clients Airap n'ayant pas travaillé avec la société depuis 2 ans et plus et une commission de 7,5 % sur les nouveaux clients, utilisateurs de turbines de fours pour l'agro-alimentaire;

Que le contrat comportait également une obligation de non-concurrence à la charge du salarié;

Que le 4 février 1997, les parties ont signé un avenant modificatif par lequel Monsieur Muller se voyait adjoindre la clientèle utilisateurs ainsi que le département 71;

Qu'il était également prévu dans cet avenant de fixer le taux de commission pour les anciens clients Airap à 5 %, sauf pour Pavailler Equipement : 4 % et pour Clauger : 2 % ;

Qu'en 1999, Monsieur Muller a évoqué avec son employeur la perspective de son départ à la retraite et que la société Airap lui a proposé un protocole d'accord afin de préserver les intérêts commerciaux de la société sur la région Rhône-Alpes jusqu'à ce départ, protocole qu'il n'a pas accepté ;

Que début 2003 il s'est plaint auprès de son employeur de n'avoir pas été commissionné sur un certain nombre de clients;

Que le 31 mars 2003, la société Airap lui a notifié sa mise à la retraite en lui précisant que ses fonctions prendraient fin à l'expiration de son préavis de 3 mois ;

Qu'elle lui a versé à auteur de 5 027,92 euro l'indemnité spéciale de mise à la retraite prévue à l'article 16 de la convention nationale inter-professionnelle du 3 octobre 1975 ;

Que le 22 octobre 2004, Monsieur Muller a saisi la juridiction prud'homale afin d'avoir paiement d'un rappel de commissions, d'une indemnité de clientèle et d'une indemnité au titre de la clause de non-concurrence ;

Attendu que la société Airap fait valoir que Monsieur Muller a été payé de l'intégralité de ses commissions sur le secteur d'activité correspondant à son contrat de travail et qui correspond au Code informatique 19 ;

Qu'elle explique que le salarié réclame aujourd'hui à tort des commissions sur le secteur d'activité correspondant au code informatique 43, lequel recouvre la clientèle " installateurs et revendeurs " ainsi que les départements 39 et 63, n'ayant jamais fait partie de son secteur géographique ;

Qu'elle s'oppose au paiement d'une indemnité de clientèle au motif d'une part que Monsieur Muller n'établit pas l'existence d'une clientèle qu'il aurait apportée ou développée de manière significative et d'autre part qu'il ne justifie d'aucun préjudice, bénéficiant d'une retraite à taux plein et d'une pension de retraite au moins équivalente sinon supérieure aux revenus qu'il percevait au sein de l'entreprise;

Qu'elle ajoute, à titre subsidiaire, qu'il y a lieu de déduire du montant des commissions servant au calcul de l'indemnité de clientèle les frais professionnels ainsi que l'indemnité spéciale de mise à la retraite déjà perçue par le salarié ;

Qu'elle s'oppose également à l'indemnisation au titre de la clause de non-concurrence en indiquant que le salarié ne saurait se prévaloir de cette clause manifestement nulle et subsidiairement, que l'indemnisation ne saurait excéder la somme de 21 135 euro ;

Attendu que Monsieur Muller indique que la société Airap a créé artificiellement les codes produits 19 et 43 qu'elle lui a volontairement cachés, dans le but de lui retirer des commissions ;

Qu'il fait valoir qu'il est bien fondé à réclamer des commissions sur le secteur intitulé 43 qui correspond bien à son propre secteur (région Rhône-Alpes, département 71, entreprises, pour la majeure partie, constructeurs et non revendeurs) ;

Qu'il réclame le paiement d'une indemnité de clientèle correspondant à 24 mois de commissions en indiquant qu'il a apporté l'essentiel de la clientèle de la société Airap pendant près de 20 ans et qu'il réalisait chaque année un chiffre d'affaires d'environ 1,5 million d'euro ;

Qu'il ajoute que sa mise à la retraite d'office ne fait nullement obstacle au versement de l'indemnité de clientèle et que son préjudice résulte de l'impossibilité pour lui de percevoir des commissions ;

Qu'il fait valoir qu'il a respecté la clause de non-concurrence et n'a pu travailler pendant 2 ans dans le secteur d'activité de la société Airap ;

Qu'il réclame à ce titre l'équivalent de 16 mois de commissions en précisant qu'il n'y a pas lieu d'en déduire des frais professionnels ;

Motifs de la cour

1 - Sur le rappel de commissions

Attendu qu'il résulte des explications et des pièces que la société Airap a attribué aux secteurs de ses représentants des codes informatiques, notamment les codes 19 et 43 ;

Que cette opération ne saurait constituer une modification du contrat de travail du salarié;

Que Monsieur Muller ne conteste pas devant la cour qu'il a perçu les commissions sur le chiffre d'affaires correspondant à la clientèle de son secteur, référencée sous le code 19;

Que la société Airap verse aux débats la liste détaillée de ses clients référencés sous le code 43 ainsi que les fiches signalétiques des entreprises correspondantes, desquelles il ressort que ces entreprises, soit ont une activité d'installateurs au sens large et/ou de négoce sur les produits Airap, soit sont situées dans les départements 39 et 63, hors du secteur géographique de Monsieur Muller ;

Que le salarié n'apporte pas d'éléments pouvant remettre en cause ces constatations et que le fait qu'il ait pu exceptionnellement dans les premières années de sa collaboration contracter avec l'une de ces entreprises ne suffit pas à démontrer qu'il travaillait dans le secteur d'activité correspondant;

Qu'il y a lieu en conséquence et à l'instar des premiers juges de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de commissions de 2001 à 2003 pour le secteur 43 ;

2- Sur l'indemnité de clientèle

Attendu qu'aux termes de l'article L. 7313-13 du Code du travail, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en cas d'absence de faute grave, le voyageur représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ;

Que cette indemnité est destinée à réparer le préjudice subi du fait de la perte pour l'avenir du bénéfice de cette clientèle ;

Qu'au vu des pièces produites, le nombre des clients du secteur confié à Monsieur Muller s'élevait à 27 (anciens clients) au moment de l'embauche et à 34 au moment de la rupture du contrat de travail ;

Que parallèlement, le chiffre d'affaires de ce secteur qui représentait 60 674 euro (398 000 F) en 1983 et 1984 s'élevait à 589 017 euro en 2001 et 2002 et 453 162 euro en 2002 et 2003;

Qu'il en résulte un accroissement en nombre et en valeur de la clientèle;

Qu'en revanche, il n'est pas démontré en l'espèce l'existence du préjudice;

Que Monsieur Muller en effet a été mis à la retraite à taux plein à l'âge de 65 ans révolus et qu'à cet âge, il devait normalement cesser l'exercice de sa profession;

Qu'il perçoit depuis sa mise à la retraite une pension de retraite de la CRAM d'un montant mensuel de 1 040 euro auquel s'ajoutent des pensions de retraite complémentaire pour un montant global mensuel de 3 000 euro alors que les commissions perçues par lui au sein de la société Airap au cours des 2 dernières années s'élevaient en moyenne à 1 800 euro par mois;

Que manifestement, depuis sa mise à la retraite Monsieur Muller a des revenus supérieurs à ceux qu'il aurait pu escompter dans le cadre du démarchage de la clientèle ;

Qu'en conséquence, sa demande en paiement d'une indemnité de clientèle doit être rejetée;

3- Sur l'indemnisation de la clause de non-concurrence

Attendu que l'application en l'espèce de l'article 17 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, régissant la clause de non-concurrence n'est pas contestée par les paries;

Que la mise à la retraite du salarié par l'employeur ouvre droit à l'indemnité de non-concurrence à taux plein;

Que le fait, comme en l'espèce, que la clause de non-concurrence ne soit limitée ni dans le temps ni dans l'espace et ne comporte aucune contrepartie financière en violation des dispositions de l'accord interprofessionnel ne saurait priver le salarié de l'indemnisation prévue par cet accord ;

Que l'employeur n'a pas qualité à se prévaloir de la nullité de la clause ;

Que Monsieur Muller ayant respecté l'interdiction de non-concurrence pendant la durée maximale de 2 années autorisée par le texte conventionnel est en droit de prétendre à la contrepartie pécuniaire calculée sur la moyenne mensuelle des 12 derniers mois de rémunération après déduction des frais professionnels (30 %) et dans la proportion de 2/3 de mois pendant une durée de 24 mois;

Qu'au vu des éléments de la cause, il convient de lui allouer une indemnité de 21 135 euro;

Attendu que la société Airap supportera les dépens d'appel;

Qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs, Dit l'appel recevable ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur René Muller de sa demande en paiement d'un rappel de commissions; Confirme également le jugement sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance ; Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau ; Déboute Monsieur René Muller de sa demande en paiement de l'indemnité de clientèle ; Condamne la SA Airap à payer à Monsieur René Muller la somme de 21 135 euro au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence; Y ajoutant : Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Airap aux dépens d'appel.