CA Paris, 18e ch. D, 6 janvier 2009, n° 07-07328
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mareva (SARL), Brault (EARL)
Défendeur :
Bourderieux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Panthou-Renard
Conseillers :
Mmes Martinez, Oppelt-Reveneau
Avocats :
Mes Sultan, Regnier
Faits et procédure
L'exploitation agricole à responsabilité limitée Brault, société civile, est issue de la transformation le 22 juillet 1996 du GAEC du domaine de Sainte Anne-Brault père et fils constitué le 21 janvier 1985 entre les consorts Brault. Les associés en sont M. Marc Brault, Mme Eva Denion, son épouse, Mme Marie-Madeleine Brouard veuve Brault et Mlle Anne Brault. Son siège social est fixé à Brissac-Quince (49) et elle a pour objet social l'exercice d'activités réputées agricoles au sens de l'article 2 de la loi 88-1202 du 30 décembre 1988, c'est-à-dire en ce qui la concerne la production et la commercialisation de vins du Val-de-Loire. Les gérants statutaires en sont M. Marc Brault et Mme Marie-Madeleine Brouard-Brault.
La société à responsabilité limitée Mareva a été créée le 12 septembre 1997 par M. Marc Brault et Mme Eva Denion, son épouse. Elle a pour objet social le commerce des denrées alimentaires et plus particulièrement des vins, le commerce de matériels et fournitures vinicoles et toutes opérations pouvant se rattacher à cet objet. M. Brault est gérant statutaire de cette société dont le siège social est à Cholet (49).
Mme Claudine Bourderieux a été embauchée à compter du 11 juin 2001 par la société Mareva en qualité de voyageur-conseiller à cartes multiples dans les conditions du statut des VRP défini par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail et par la convention collective du 3 octobre 1975. Elle a été chargée de la vente exclusivement aux particuliers et aux CHR des vins du Val-de-Loire et de tous autres produits que la société déciderait d'adjoindre dans le département de l'Yonne (89) en exclusivité. Sa rémunération consistait dans une commission de 25 % HT franco sur toute commande directe ou indirecte émanant de son secteur géographique et de 10 % pour la première année sur la clientèle existante visitée à deux.
Mme Bourderieux a également été embauchée le même jour, à compter de la même date, par la société EARL Brault en qualité de voyageur-conseiller à cartes multiples dans les conditions du statut des VRP défini par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail et par la convention collective du 3 octobre 1975. Elle a été chargée de la vente exclusivement aux particuliers et aux CHR des vins du Val-de-Loire et de tous autres produits que la société déciderait d'adjoindre dans le département de l'Yonne (89) en exclusivité. Sa rémunération consistait une commission de 25 % HT franco sur toute commande directe ou indirecte émanant de son secteur géographique et de 10 % pour la première année sur la clientèle existante visitée à deux.
Le 6 septembre 2006, Mme Bourderieux a saisi le Conseil de prud'hommes de Sens de demandes tendant en dernier lieu à l'application des dispositions de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, au paiement d'un rappel de commissions pour des ventes sur le département du Loiret, d'un rappel de commissions pour des ventes indirectes sur le territoire de l'Yonne, de dommages et intérêts pour non-respect des obligations contractuelles et d'une allocation de procédure.
Par jugement du 12 octobre 2007, le conseil de prud'hommes a:
- condamné in solidum la société Mareva et la société EARL Brault à payer à Mme Bourderieux:
- 26 561,29 euro au titre de la rémunération conventionnelle minimale,
- 2 656,12 euro au titre des congés payés afférents,
- 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté Mme Bourderieux du surplus de ses demandes,
- débouté la société Mareva et la société EARL Brault de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Mareva et la société EARL Brault ont fait appel. Elles concluent à l'infirmation du jugement, à l'irrecevabilité des demandes pour la période antérieure au 6 septembre 2001, au débouté du surplus des demandes et sollicitent chacune une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mme Bourderieux demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement et de condamner solidairement la société Mareva et la société EARL Brault à lui payer:
- 26 561,29 euro à titre de rappel de salaire en application de l'article 5 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 pour la période du 11 juin 2001 au 30 septembre 2006,
- 2 656,13 euro au titre des congés payés afférents,
- 29 853,36 euro au même titre pour la période du 1er octobre 2006 au 31 août 2008,
- 2 985,33 euro au titre des congés payés afférents,
- 1 285,17 euro à titre de rappel de commissions pour les ventes sur le département du Loiret,
- 128,51 euro au titre des congés payés afférents,
- 6 000 euro à titre de rappel de commissions pour les ventes indirectes sur le département de l'Yonne,
- 600 euro au titre des congés payés afférents,
- 2 000 euro supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 17 septembre 2008, reprises et complétées lors de l'audience.
Motifs de la décision
Sur le rappel de salaire relatif à la rémunération minimale conventionnelle
L'article 5 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs représentants placiers du 3 octobre 1975, contractuellement et expressément applicable à l'espèce, prévoit:
"La fixation de la rémunération relève du libre accord des représentants de commerce et de leurs employeurs.
Néanmoins, lorsqu'un représentant de commerce est engagé à titre exclusif par un seul employeur, il aura droit, au titre de chaque trimestre d'emploi à plein temps, à une ressource minimale forfaitaire qui, déduction faite des frais professionnels, ne pourra être inférieure à 520 fois le taux horaire du salaire minimum de croissance, le taux applicable étant celui en vigueur à la fin du dernier mois échu pris en compte à chaque paiement. Cette ressource minimale trimestrielle sera réduite à due concurrence lorsque le contrat de travail aura débuté ou pris fin au cours d'un trimestre, ou en cas de suspension temporaire d'activité du représentant au cours de ce trimestre.
Le complément de salaire versé par l'employeur en vertu de l'alinéa précédent sera à valoir sur les rémunérations contractuelles échues au cours des trois trimestres suivants et ne pourra être déduit qu'à concurrence de la seule partie de ces rémunérations qui excéderait la ressource minimale prévue à l'alinéa précédent".
Les contrats de travail signés le même jour par Mme Bourderieux d'une part avec la société EARL Brault et d'autre part avec la société Mareva sont strictement identiques tant en ce qui concerne leur forme que le contenu de leurs clauses, seul varie le nom de l'employeur. Ils portent sur le même produit, les vins du Val-de-Loire, sur le même territoire, l'Yonne, et sur la même clientèle. Ils sont tous deux signés de M. Brault, gérant, pour l'employeur.
Ces contrats contiennent tous deux la clause suivante:
"Autres représentations et clause de non-concurrence.
Représentant-Conseiller de la société, Madame Claudine Bourderieux est en qualité tenue à cet égard d'une véritable obligation de fidélité qui lui interdit de s'intéresser directement ou indirectement à une entreprise concurrente ou de collaborer sous quelque forme que ce soit avec une telle entreprise".
Il s'agit d'une clause d'exclusivité et de non-concurrence stipulée apparemment au profit de deux sociétés dont les activités sont exactement concurrentes et donc doublement méconnue dès sa stipulation.
Chacun des deux contrats comporte en annexe une note ayant "pour but de définir les modalités de fonctionnement de l'activité de Mme Claudine Bourderieux", qui prévoit identiquement l'utilisation de carnets de commande "pour la SARL Mareva".
Il est d'ailleurs produit pour la période en question des bons de commandes établis indifféremment pour les deux sociétés sur un même carnet.
En outre, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il est produit plusieurs courriers adressés à Mme Bourderieux pendant la période antérieure à l'introduction de la présente procédure, qui mentionnent en entête les noms des deux sociétés et dont certains font état d'un chiffre d'affaires "tout confondu", c'est-à-dire des deux sociétés confondues.
L'imbrication des intérêts et du fonctionnement des sociétés Mareva et EARL Brault, sociétés de type familial ayant pratiquement les mêmes associés et le même gérant, qui résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus, caractérise l'existence dans les faits d'un seul et unique employeur au service duquel Mme Bourderieux est un VRP exclusif.
En l'absence de stipulation d'un travail à temps partiel dans les contrats signés entre les parties et de tout écrit en ce sens, le contrat liant les parties est présumé conclu pour un horaire à temps complet, sauf preuve contraire de l'employeur, qui n'est pas rapportée en l'espèce. La circonstance, seule établie, que, de façon ponctuelle, pendant une période limitée de quatre mois en 2007, Mme Bourderieux a effectué quelques heures de ménage par semaine rémunérées par chèques emploi-service n'est pas de nature à modifier cette analyse.
Les sociétés employeurs ne peuvent utilement invoquer, pour priver Mme Bourderieux du bénéfice des dispositions de l'accord interprofessionnel en cause, l'absence de reddition de comptes et de remise par elle de rapports d'activité, dans la mesure où, d'abord il n'est pas justifié qu'il a été demandé à la salariée de rendre compte et, ensuite, la seule circonstance qu'un salarié ne remplisse pas son obligation d'établir un rapport ne saurait, sans constituer une sanction pécuniaire illicite, le priver de la rémunération minimale forfaitaire.
C'est par conséquent à juste titre que les premiers juges ont dit que Mme Bourderieux pouvait prétendre à la rémunération minimale prévue par l'accord interprofessionnel précité.
A l'appui de sa demande de rappels de salaire, Mme Bourderieux produit des calculs détaillés, corroborés par les pièces qu'elle fournit, d'ailleurs repris in extenso dans le jugement, et dont il résulte qu'elle a bien déduit les commissions qu'elle a perçues. Les deux sociétés employeurs se contentent de contester de façon globale ces décomptes sans opposer de critiques précises, voire leurs propres calculs, fût-ce à titre subsidiaire. Les décomptes de Mme Bourderieux seront par conséquent retenus.
Toutefois, Mme Bourderieux ayant saisi le conseil de prud'hommes le 6 septembre 2006, ses demandes en paiement de rappels de salaire se heurtent à la prescription quinquennale prévue par les articles L. 3245-1 (ancien L. 143-14) du Code du travail et 2277 du Code civil pour la période antérieure au 1er septembre 2001, les salaires étant exigibles enfin de mois.
Le jugement sera donc infirmé pour tenir compte de l'incidence de la prescription pour la période du 1er septembre 2001 au 30 septembre 2006 et il sera fait droit à la demande relative à la période postérieure, du 1er octobre 2006 au 31 août 2008, nouvelle en cause d'appel.
Sur les commissions sur ventes dans le département du Loiret
Il résulte d'un courrier adressé le 19 mai 2005 à Mme Bourderieux par M. Brault, "en qualité de patron du domaine de Sainte-Anne et de gérant de la société Mareva", que Mme Bourderieux a accompagné un autre VRP à l'occasion de ventes sur le Loiret, territoire de celui-ci et que l'employeur lui a remboursé les frais de restaurant et d'hôtel exposés à cette occasion et lui a versé une prime de 200 euro en mars 2004. Mme Bourderieux demande à être rétribuée pour ce déplacement de la même façon que lorsqu'elle opère sur son territoire.
S'il n'est pas justifié de dispositions contractuelles ou d'un accord particulier entre les parties attribuant dans ce cas à Mme Bourderieux les mêmes commissions que sur son secteur, il n'en reste pas moins que la salariée a accompagné ce collègue à la demande de l'employeur et que, pendant ce temps, elle n'a pas prospecté sur son propre territoire.
La demande de Mme Bourderieux de ce chef est par conséquent fondée. Son montant n'étant pas discuté, le jugement sera infirmé et les intimées seront condamnées in solidum à lui payer la somme qu'elle réclame à ce titre et les congés payés afférents.
Sur les commissions sur ventes indirectes dans le département de l'Yonne
Mme Bourderieux ne produit aucune pièce de nature à démontrer la réalité des ventes faites par un autre VRP sur son secteur qu'elle allègue, ses propres courriers ne pouvant constituer une preuve à son profit.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.
Sur les frais irrépétibles
Les conditions d'application de l'article 700 du Code de procédure civile sont réunies en cause d'appel comme elles l'étaient en première instance. Il convient de confirmer le jugement de ce chef et d'allouer à Mme Bourderieux une somme supplémentaire de 1 500 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives au rappel de commissions sur ventes indirectes, aux dommages et intérêts, à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens; L'infirme pour le surplus; Statuant à nouveau et ajoutant, Condamne in solidum la société Mareva et la société EARL Brault à payer à Mme Bourderieux les sommes de : - 26 278,12 euro à titre de rappel de salaire minimal conventionnel pour la période du 1er septembre 2001 au 30 septembre 2006, - 2 627,81 euro au titre des congés payés afférents, - 29 853,36 euro à titre de rappel de salaire minimal conventionnel pour la période du 1er octobre 2006 au 31 août 2008, - 2 985,33 euro au titre des congés payés afférents, - 1 285,17 euro à titre de rappel de commissions pour les ventes sur le département du Loiret, - 128,51 euro au titre des congés payés afférents, - 1 500 euro en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum la société Mareva et la société EARL Brault aux dépens.