CA Paris, 4e ch. A, 14 janvier 2009, n° 07-12837
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bushnell Outdoor Products (SAS); Bolle Protection (SARL)
Défendeur :
Euro Protection(SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carré-Pierrat
Conseillers :
Mmes Rosenthal-Rolland, Chokron
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Duboscq-Pellerin
Avocat :
Mes Llacer Saunier-Plumaz
Vu le jugement rendu le 14 septembre 2001 par le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse qui a :
- débouté les sociétés Bolle (SAS) et Bolle Protection (SARL) de l'ensemble de leurs demandes,
- débouté la société Euro Protection (SARL) de ses demandes reconventionnelles,
- condamné les demandeurs à verser au défendeur la somme de 10 000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Lyon le 4 mai 2005 qui, statuant sur l'appel de ce jugement interjeté par les sociétés Bolle Protection (SARL) et Bushnell Performance Optics Europe (SAS), cette dernière venant aux droits de la société Bolle (SAS), l'a confirmé en toutes ses dispositions et y ajoutant, a condamné les société appelantes in solidum à verser à la société Euro Protection (SARL) la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 de ce même Code ;
Vu l'arrêt rendu le 12 juin 2007 par la Cour de cassation qui a cassé et annulé l'arrêt précité sauf en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon et remis en conséquence, sur ces autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Paris ;
Vu la déclaration de saisine après renvoi formée le 28 juin 2007 par les sociétés Bushnell Performance Optics Europe (SAS), venant aux droits de la société Bolle (SAS), et Bolle Protection (SARL) ;
Vu la constitution d'avoué de la société Euro Protection (SARL) en date du 7 décembre 2007 ;
Vu les uniques conclusions, signifiées le 21 juillet 2008, par lesquelles les sociétés Bushnell Performance Optics Europe (SAS), venant aux droits de la société Bolle (SAS), et Bolle Protection (SARL) demandent à la cour de :
- donner acte à la société Bushnell Performance Optics Europe (SAS) de ce qu'elle vient aux droits et actions de la société Bolle (SAS) ensuite de la fusion-absorption intervenue en février 2000,
- dire que la commercialisation par la société Euro Protection (SARL) d'une gamme de lunettes constituée de lunettes identiques à celles des sociétés Bolle après plusieurs années de relations commerciales est constitutive de concurrence déloyale tant au préjudice de la société Bushnell Performance Optics Europe (SAS) qu'au préjudice de la société Bolle Protection (SARL),
- réformant en conséquence le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse le 14 septembre 2001, condamner la société Euro Protection (SARL) à payer à chacune d'elles la somme de 100 000 euro sauf à parfaire par expertise si la cour s'estimait insuffisamment informée à cet égard,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux de leur choix, à concurrence d'un coût de 3811 euro HT par insertion à la charge de la société Euro Protection (SARL),
- condamner cette dernière à leur verser une indemnité de 15 000 euro par application des dispositions de l' article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens dans lesquels seront compris les frais de saisie-contrefaçon, avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 de ce même Code ;
Vu les uniques écritures, signifiées en date du 19 septembre 2008, aux termes desquelles, la société Euro Protection(SARL) prie la cour de :
- à titre principal,
* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a retenu à sa charge aucun fait fautif constitutif de concurrence déloyale ou de parasitisme et débouter en conséquence les sociétés Bushnell et Bolle de leurs demandes, fins et conclusions,
* le réformer en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle et, y faisant droit, condamner ces sociétés à lui verser la somme de 50 000 euro pour avoir abusé du droit d'ester en justice,
- à titre subsidiaire,
* dire que les sociétés Bushnell et Bolle ne justifient d'aucun préjudice, les débouter en conséquence de leurs demandes, fins et conclusions,
- en tout état de cause,
* les condamner au paiement d'une somme de 30 000 euro au titre des frais de procédure non compris dans les dépens,
* les condamner aux dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance du 13 octobre 2008 prononçant la clôture de l'instruction ;
Sur ce, la cour,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé aux décisions de justice ci-dessus visées et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
- la société Bolle (SAS) a pour activité la fabrication de lunettes de protection dont sa filiale, la société Bolle Protection(SARL) assure la distribution,
- la société Euro Protection (SARL) est spécialisée dans la fabrication, la transformation et le commerce des équipements de protection individuelle destinés à l'industrie,
- ayant découvert à la lecture de son catalogue que la société Euro Protection (SARL), proposait à la vente des modèles de lunettes de protection reproduisant servilement ses propres modèles, la société Bolle (SAS) a fait pratiquer, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, une saisie-contrefaçon en date du 1er avril 1999 dans les locaux de la société incriminée à Villeurbanne (Rhône),
- c'est dans ces circonstances que les sociétés Bolle (SAS) et Bolle Protection (SARL) ont, par un acte d'huissier de justice délivré le 9 avril 1999, assigné la société Euro Protection (SARL) devant le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse pour répondre de faits de contrefaçon de droits de modèles et de droits d'auteur ainsi que de concurrence déloyale,
- par le jugement précité, le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse, les a déboutées de toutes leurs prétentions,
- la Cour de cassation, statuant par un arrêt du 12 juin 2007 sur le pourvoi formé par les sociétés Bushnell Performance Optics Europe (SAS), venant aux droits de la société Bolle (SAS), et Bolle Protection (SARL) contre l'arrêt confirmatif rendu dans le litige le 4 mai 2005 par la Cour d'appel de Lyon, a dit, au visa de l'article 1382 du Code civil que - pour rejeter l'action en concurrence déloyale, la cour d'appel relève que cette action repose sur les mêmes faits que ceux invoqués pour les incriminer de contrefaçon, à savoir l'imitation de modèles qui ne présentent aucune originalité ; (...) qu'en se déterminant ainsi, alors que l'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif, qu'il n'importe pas que les faits incriminés soient matériellement les mêmes que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif, et que l'originalité d'un produit n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale à raison de sa copie, cette circonstance n'étant que l'un des facteurs possibles d'appréciation de l'existence d'une faute par création d'un risque de confusion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision - et a, par ces motifs cassé et annulé l'arrêt attaqué, "sauf en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon";
- c'est dans ces circonstances que la présente juridiction de renvoi est appelée à connaître du litige ;
Sur les limites du litige,
Considérant qu'il importe de rappeler en liminaire qu'en vertu des dispositions de l'article 638 du Code de procédure civile, la juridiction de renvoi juge à nouveau l'affaire en fait et en droit à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation de sorte que est désormais écartée du litige l'action en contrefaçon dirigée à l'encontre de la société Euro Protection ;
Sur la demande de donner acte,
Considérant qu'il convient de donner l'acte requis étant constant que la société Bushnell Performance Optics Europe (SAS) vient aux droits de la société Bolle (SAS) des suites d'une fusion-absorption intervenue en février 2000 ;
Sur la demande en concurrence déloyale,
Considérant que les sociétés appelantes font griefs à la société intimée d'avoir commis à leur préjudice des actes de concurrence déloyale pour avoir rompu les relations commerciales précédemment entretenues puis commercialisé une gamme de lunettes de protection reproduisant servilement les modèles diffusés par son ancien fournisseur et créé ainsi un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle tout en profitant indûment du travail de prospection et du marketing qu'elles ont réalisé pendant plusieurs dizaines d'années ;
Considérant que ce dernier grief relève précisément de la qualification de parasitisme étant observé que la concurrence déloyale et le parasitisme sont certes pareillement fondés sur l'article 1382 du Code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ;
Considérant en effet que la concurrence déloyale comme le parasitisme présentent la caractéristique commune d'être appréciés à l'aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce ;
Considérant que l'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété du produit copié ;
Or considérant qu'il résulte des observations de la Cour, que les 11 modèles de lunettes que la société Euro Protection (SARL) aurait, selon les sociétés appelantes, illicitement copiés, respectivement référencés Protex, 306, 308, Coverall, B 272, Tornado, Delta, 382, 508, Coversal, Squale, sont destinés, selon les indications du catalogue Bolle Protection versé aux débats, à protéger les yeux des impacts, des rayonnements, des projections de gaz, de liquides, de poussières, du feu et sont utilisés notamment dans l'industrie de la verrerie et de la fonderie, dans le domaine médical et paramédical, dans les travaux de bureau sur écrans informatiques ; que la physionomie des modèles en cause telle qu'elle résulte en particulier de la forme, l'épaisseur, la largeur, la teinte des verres, de la présence ou de l'absence de protections latérales et du contour de ces protections, de la mise en place de traitements anti-buée ou anti-rayure, est imposée par des nécessités purement fonctionnelles exclusives d'une quelconque recherche esthétique de nature à conférer à ces modèles un caractère distinctif de sorte que, force est de constater, ainsi que l'a pertinemment relevé le tribunal, la grande similitude, selon leur utilité, des modèles proposés sur le marché ; que le prétendu effet de gamme est vainement allégué dès lors qu'il répond encore à des impératifs fonctionnels auxquels est soumis l'ensemble du marché concerné sur lequel se retrouvent les déclinaisons habituelles de lunettes à branches, lunettes à branches avec coques, lunettes- masque, masques de soudeur ;
Et considérant que les modèles opposés s'adressent à une clientèle de professionnels qualifiés et avertis des secteurs de l'industrie, de la médecine ou des services qui ont une connaissance aiguisée du marché et de ses acteurs et qui, visant au premier chef à assurer à leurs personnels une protection efficace et confortable contre les risques du travail et se déterminant en conséquence en fonction de critères de qualité, ne sont pas susceptibles de confondre les produits en présence à raison de leur aspect ressemblant ;
Considérant par ailleurs que les sociétés appelantes qui se gardent de donner plus de précision sur les circonstances d'une prétendue rupture de relations commerciales ne sont pas pertinentes au regard du principe de la libre-concurrence à faire grief à la société intimée d'avoir changé de fournisseur, force étant de constater au demeurant que le reproche ne la vise pas directement mais s'adresse à une société Sacla, étrangère à la procédure, qui aurait les mêmes dirigeants et par l'intermédiaire de laquelle la société Euro Protection (SARL) en exécution d'un plan délibéré, nullement démontré, se serait approvisionnée auprès d'elles avant de se placer en situation de concurrence, que n'est pas davantage établie au surplus une quelconque concomitance entre une cessation des commandes par la société Sacla et la commercialisation par la société Euro Protection (SARL) des produits incriminés ;
Considérant, s'agissant du grief de parasitisme, que les sociétés appelantes se bornent à invoquer l'importance de leurs investissements de prospection de la clientèle et de marketing sans donner la moindre précision quant à leur nature, à leur importance ni les justifier au regard des modèles en cause ; que par ailleurs, elles n'établissent nullement que la société intimée aurait indûment profité de leurs investissements humains, techniques ou publicitaires ;
Qu'il s'ensuit que les sociétés appelantes ne sont pas fondées, au regard des critères précédemment évoqués, à reprocher à la société intimée d'avoir cherché, en les imitant, à détourner leur clientèle en semant la confusion sur l'origine des produits ou à tirer profit, sans bourse déliée, du succès rencontré par leurs produits de sorte que la prétention émise au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme doit être rejetée ;
Que le jugement déféré mérite confirmation de ce chef ;
Sur la demande pour procédure abusive,
Considérant que la demande de condamnation formée reconventionnellement par la société Euro-Protection à titre de dommages-intérêts pour abusive n'est pas fondée dès lors que ne sont pas caractérisées en l'espèce, à la charge des sociétés appelantes, qui ont pu légitimement se méprendre sur la portée de leurs droits, une légèreté blâmable ou encore une intention de nuire à l'image, à la réputation, aux intérêts économiques et commerciaux de la partie adverse de nature à constituer un abus du droit d'ester en justice ;
Sur les autres demandes,
Considérant qu'au regard du sens de l'arrêt les sociétés appelantes doivent être déboutées du surplus de leurs demandes ; que l'équité commande en revanche de faire droit à la demande formée par la société intimée au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en les condamnant in solidum à verser à cette dernière une indemnité de 30 000 euro ;
Que succombant à la procédure les sociétés appelantes en supporteront in solidum les dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code précité ;
Par ces motifs : Donne acte à la société Bushnell Performance Optics Europe (SAS) de ce qu'elle vient aux droits de la société Bolle (SAS), Confirme, en ses dispositions soumises à la Cour, le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bourg en Bresse le 14 septembre 2001, Condamne in solidum les sociétés Bushnell Performance Optics Europe (SAS) et Bolle Protection (SARL) à verser à la société Euro Protection (SARL) une indemnité de 30 000 euro au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens de la procédure qui seront, pour ceux d'appel, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.