CA Reims, ch. civ. sect. 1, 3 janvier 2012, n° 11-00983
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AMV Diffusion (SARL)
Défendeur :
Les Ferrandières (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Hascher
Conseillers :
Mmes Hussenet, Dias Da Silva Jarry
Avoués :
SCP Delvincourt Jacquemet Caulier-Richard, SCP Thoma Gaudeaux
Avocats :
SELARL Guyot & de Campos, SCP Bourland Cabee Biver
Par exploit d'huissier du 18 mars 2009, la société AMV Diffusion a fait assigner la société Les Ferrandières par-devant le Tribunal de grande instance de Reims aux fins, au visa des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce, de voir constater la rupture du contrat d'agent commercial sans préavis, et l'absence de faute grave du mandataire, de voir condamner en conséquence la société défenderesse à lui payer la somme de 2 347,80 euro HT soit 2 807,97 euro TTC en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de préavis outre 18 782,37 euro HT soit 22 463,71 euro TTC du chef de la cessation du contrat d'agent commercial, ainsi que 2 500 euro au titre des frais irrépétibles, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par décision du 16 février 2010, le Tribunal de grande instance de Reims s'est déclaré incompétent ratione materiae au profit du Tribunal de commerce de Reims devant lequel l'instance s'est poursuivie.
La société Les Ferrandières s'est opposée aux prétentions adverses, invoquant une faute de l'agent commercial, et a sollicité l'allocation d'une indemnité de procédure.
Par jugement rendu le 8 mars 2011, revêtu de l'exécution provisoire, le tribunal a dit et jugé que la société AMV avait commis une faute grave et failli à toutes ses obligations d'agent commercial, l'a déboutée en conséquence de ses demandes et condamnée à verser à la société Les Ferrandières la somme de 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SARL AMV Diffusion a relevé appel de cette décision par déclaration du 14 avril 2011.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 15 juillet 2011, elle poursuit l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de constater la rupture du contrat d'agent commercial sans préavis et l'absence de faute grave du mandataire, en conséquence, de condamner la SARL Les Ferrandières à lui payer les sommes de 2 347,80 euro HT soit 2 807,97 euro TTC en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de préavis outre 18 782,37 euro HT soit 22 463,71 euro TTC du chef de la cessation du contrat d'agent commercial, outre 2 500 euro au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.
Par écritures notifiées le 2 septembre 2011, la SARL Les Ferrandières conclut pour sa part à la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a débouté la société AMV Diffusion de ses prétentions. Elle demande à la cour, y ajoutant, de condamner cette dernière à lui payer la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Attendu que les parties sont contraires sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial les ayant liées et fondant les demandes pécuniaires de la société AMV Diffusion ;
Que cette dernière soutient en effet que la lettre qu'elle a reçue le 11 août 2008 valait notification de cette rupture, ce dont il doit nécessairement résulter le paiement des sommes mises à la charge du mandant par les articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce et les usages de la profession et par référence à l'ancienneté du lien contractuel, sauf à démontrer que l'agent aurait commis une faute grave dans l'exercice de son mandat, tandis que la SARL Les Ferrandières affirme que le courrier dont s'agit ne pouvait s'interpréter comme mettant fin au contrat, de sorte que le mandataire, qui a cessé dès réception de travailler pour le compte du mandant, est seul à l'initiative de la rupture qu'il dénonce et ne peut prétendre au paiement d'une quelconque somme ;
Que subsidiairement, la société intimée affirme rapporter suffisamment la preuve des manquements de la SARL AMV Diffusion depuis le changement de gérance de cette dernière au mois de juin 2005, aucun grief n'ayant été formulé contre le précédent gérant Monsieur Vergnaud avec lequel les relations d'affaires ont donné pleinement satisfaction ;
Sur l'imputabilité de la rupture :
Attendu que l'article L. 134-11 du Code de commerce énonce que lorsque le contrat d'agent commercial est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis, ces dispositions étant applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée, auquel cas le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède ; que la durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes ; qu'en l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil ;
Que l'article L. 134-12 ajoute qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf dans l'hypothèse où ladite cessation vient sanctionner une faute grave de l'agent (article L. 134-13) ;
Attendu que le 11 août 2008, la SARL Les Ferrandières a adressé à la SARL AMV Diffusion un courrier ainsi libellé :
"Affaire Werco-Ostende
Monsieur Politi,
Nous sommes au regret de vous signaler que notre client M. Koen Thenaers, de la société Werco (...) vient de nous demander de vous imposer de ne plus vous présenter à lui. Il n'a que des reproches à vous faire - nous citons ses propres termes, en français émis par un Flamant - sur :
- "une très mauvaise communication intermédiaire
- pas de suivi
- un manque de connaissance de notre métier".
Il ne veut plus que vous serviez d'intermédiaire, car - je cite toujours - il "préfère travailler avec des personnes qui ont une personnalité et une présence" ! Vous vous êtes "vanté" en son temps des liens d'amitié qui vous liaient à Monsieur Thenaers (...) qu'en serait-il aujourd'hui si ce n'était pas le cas".
Nous vous mettons donc en demeure par la présente de cesser de vous présenter à lui.
Cette affaire est la seule digne de ce nom qui reste dans le portefeuille de clients que vous a transmis le regretté André Vergnaud (...).
Cela ne peut que nous amener à étudier avec nos conseils les conditions de la cessation de notre collaboration.
Veuillez agréer (...)" ;
Attendu qu'à Monsieur Politi qui, en réponse, contestait la faute alléguée et réclamait le paiement des indemnités compensatrices de la rupture prévues par les textes et les usages de la profession, considérant que le courrier qu'il venait de recevoir valait lettre de rupture du lien contractuel, le gérant de la société Les Ferrandières a répondu le 16 septembre suivant en explicitant les griefs, en faisant référence à un précédent de même nature, en contestant devoir une quelconque somme tout en se déclarant ouvert à "toute solution négociée"', mais en ne remettant à aucun moment en cause le principe de la rupture, manifestement considéré comme acquis par chacune des parties ;
Attendu qu'il s'ensuit qu'à bon droit la société AMV Diffusion soutient que la société Les Ferrandières est à l'origine de cette rupture, consacrée par le courrier du 11 août 2008 aux termes duquel Monsieur Gau indique envisager avec ses conseils non pas le bien-fondé de cette rupture, mais ses conditions ;
Attendu que c'est par suite à tort que le tribunal a considéré que le courrier dont s'agit ne pouvait s'interpréter comme valant notification de la fin de la cessation du contrat liant les parties ;
Sur les conséquences de la rupture :
Attendu que seule la preuve de la commission par l'agent commercial d'une faute grave est de nature à faire obstacle au paiement des indemnités prévues par les articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce sus énoncés ;
Attendu que l'article L 134-4 du même Code dispose que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information, l'agent commercial étant tenu d'exécuter son mandat en bon professionnel et notamment communiquer à son mandant toute information nécessaire à l'exécution de son contrat ;
Or attendu qu'il s'évince des pièces produites aux débats que les ventes réalisées par l'intermédiaire de Monsieur Politi - AMV Diffusion, se sont effondrées à compter de 2005 ; que le chiffre d'affaires en effet est passé de 148 000 euro en 2003 à 77 000 euro en 2005, 68 000 euro en 2006, 79 000 euro en 2007 et 33 000 euro en 2008 ;
Que du temps de Monsieur Vergnaud, la société Werco représentait 46 % de ce chiffre, et qu'à partir du remplacement de ce dernier par Monsieur Politi, non seulement le chiffre a été progressivement divisé par deux, mais que le plus gros client, la société Werco, s'est mis à représenter 68 % de l'activité en 2006, 83,5 % en 2007 et finalement 88 % en 2008, ce qui prouve une diminution substantielle du nombre total de clients, passé de 10 en 2004 à 3 en 2008 ; qu'à bon droit la SARL Les Ferrandières fait valoir qu'il était dès lors essentiel de conserver ce client ; que pourtant Monsieur Politi, loin de donner satisfaction, a fortement déplu aux dirigeants de la société Werco qui lui ont reproché son manque de professionnalisme, l'insuffisance de ses connaissances dans la matière traitée, un déficit de communication, et finalement exigé de ne plus avoir affaire à lui ;
Attendu que vainement la société AMV Diffusion soutient que le but poursuivi par Werco était en réalité d'éviter le paiement de commissions en traitant directement avec Les Ferrandières, dès lors que le recours à un mandataire n'avait jamais été contesté par le passé, lorsque celui-ci était Monsieur Vergnaud, auquel des commissions étaient pourtant versées ;
Attendu que la chute de l'activité et la gravité des griefs élevés contre Monsieur Politi démontrent suffisamment l'absence de professionnalisme de ce dernier, caractérisant une faute lourde qui interdit toute indemnisation suite à la rupture du contrat d'agent commercial ;
Attendu que le jugement déféré, qui a débouté la société AMV Diffusion, doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
Sur les autres demandes :
Attendu qu'il n'est pas établi que l'usage fait par la société AMV Diffusion d'agir en justice et en l'espèce d'exercer une voie de recours aurait dégénéré en abus, de sorte que la demande indemnitaire présentée par la SARL Les Ferrandières doit être rejetée ;
Attendu que la SARL AMV Diffusion, partie succombante, supportera les dépens d'appel et sera tenue de verser à la SARL Les Ferrandières la somme complémentaire de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ne pouvant quant à elle prétendre à une telle indemnité ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu le 8 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Reims, Y ajoutant, Déboute la SARL Les Ferrandières de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne la SARL AMV Diffusion à payer à la SARL Les Ferrandières la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa propre demande du même chef ; La condamne aux dépens d'appel et admet la SCP Thoma Delaveau Gaudeaux, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Code précité.