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Décisions

Cass. crim., 11 janvier 2012, n° 10-88.193

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Desgrange

Avocat général :

Mme Zientara-Logeay

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel, SCP Delaporte, Briard, Trichet

Paris, prés., du 2 nov. 2010

2 novembre 2010

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, contre l'ordonnance n° 365 du premier Président de la Cour d'appel de Paris, en date du 2 novembre 2010, qui, saisi sur la régularité des opérations de visite et de saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, a prononcé sur la notification d'une ordonnance rectificative et sur la compétence territoriale et, pour le surplus, avant dire droit, a ordonné une mesure d'expertise; - Vu l'ordonnance du président de la Chambre criminelle, en date du 18 octobre 2011, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, 591 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'ordonnance n° 365 attaquée a ordonné une expertise afin de fournir au délégué du premier président les éléments lui permettant d'apprécier techniquement la possibilité de saisie sélective de messages au sein d'une messagerie électronique ou de fichiers informatiques sans compromettre l'authenticité de ceux-ci et, à cette fin, a notamment demandé à l'expert désigné de fournir des éléments permettant de connaître le fonctionnement du logiciel utilisé par les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence pour rechercher, sélectionner, copier et saisir des fichiers informatiques dans les entreprises visitées ;

" aux motifs que les parties sont contraires sur les possibilités techniques de saisie et d'inventaire des documents informatiques et messageries ; que la méthode recherchée devrait, selon les débats et les pièces, tout à la fois préserver l'authenticité et l'intégrité des saisies et le contenu des ordinateurs visités qui seront physiquement laissés à leur propriétaire, et garantir à l'entreprise visitée la possibilité de faire retirer, avant même leur analyse par les enquêteurs, les documents qui ne seraient sans rapport avec l'enquête ou couverts par un secret légal ; qu'à la différence des précédents du for cités par les parties ou relevés maintenant par le délégué du premier président (A, 4 mars 2010; B, 12 avr. 2010; C, 8 avr. 2010 ; D, 20 mai 2010 ; E, 14 sept. 2010) : - que le procès-verbal établi en l'espèce apparaît, sans qu'il soit aucunement préjugé de sa validité, sommaire sur les modalités techniques des opérations de saisies de documents et de messagerie ; que notamment, les opérations de sélection des documents et des messages, le transfèrement des fichiers sur le DVD-R vierge, les modalités successives de copie et d'inventaire, enfin les raisons qu'il y avait de ne pas recourir aux scellés semblent rudimentaires ou inexistantes, en comparaison des énonciations qui sous-tendaient les autres espèces invoquées ; que par application, les mots "données informatiques accessibles", " examinées ", " documents entrant dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie ", " constatée ", " des " données informatiques, " transférées ", " analyse approfondie ", " extraits ", " authentification numérique ", ne paraissent pas convenir à première vue pour décrire des atteintes aussi graves aux libertés que le sont une perquisition et des saisies et en permettre le contrôle judiciaire ; que de même, une messagerie a été exploitée, sans qu'il soit donné de précisions techniques au procès-verbal à ce sujet ; - qu'il ne semble pas que l'inventaire des messages saisis permette, en raison de son caractère très synthétique et par ailleurs peu lisible, de garantir l'identification de ces messages sans erreur par le juge de contrôle, par l'entreprise visitée ni même par les enquêteurs lorsqu'ils voudront établir le dossier de la poursuite et de permettre aux mêmes de vérifier quels messages ou groupes de messages entrent dans le champ de l'autorisation de perquisition ; que si les précédents cités par l'Autorité ont plus ou moins précisément justifié les inventaires électroniques, c'était faute d'une autre proposition technique de la part de l'entreprise visitée ; que ces considérations sommaires pourraient peut-être commander l'annulation du procès-verbal s'il n'était démontré que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l'efficacité des opérations, le délégué du premier président se réservant de vérifier ensuite leur conformité à la loi ; que ces mêmes considérations conduiront donc à faire droit à la demande d'expertise formulée par la société X [en réalité : Y] ; qu'il ressort aussi des débats que la littérature spécialisée a attiré l'attention, alors que le présent recours était pendant, sur des modalités de saisies et d'inventaires développées par d'autres autorités de concurrence (NL, UE, USA), qui pourraient permettre de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du Code de procédure pénale et L. 450-4 C. com., en sorte que la mission de l'expert sera d'office étendue selon cette considération ;

" 1°) alors que commet un excès de pouvoir négatif le juge qui s'abstient d'exercer la plénitude des pouvoirs que la loi lui confère ; que les messageries électroniques constituent un fichier unique insécable ; qu'il appartient dès lors au juge d'apprécier les conditions du déroulement de leur saisie ; qu'en s'en abstenant et en se bornant à ordonner une expertise pour apprécier la sécabilité des fichiers de messagerie électronique, le délégué du premier président a commis un excès de pouvoir négatif ;

" 2°) alors que le juge chargé de contrôler la régularité de visites et saisies effectuées en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce a uniquement le pouvoir d'apprécier les conditions de mise en œuvre des mesures que la loi permet aux enquêteurs d'utiliser ; qu'en revanche, dès lors que la saisie globale d'une messagerie informatique contenant des éléments intéressant l'enquête est valable en son principe, le juge ne peut empiéter sur les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence en s'immisçant dans le mode de sélection des messages ni en dévoilant le mode de fonctionnement de son logiciel ; qu'en ordonnant une expertise portant notamment sur les caractéristiques et possibilités techniques du logiciel utilisé par les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence pour procéder à la recherche et à la saisie de fichiers informatiques, en particulier de fichiers de messageries électroniques, sur la possibilité de copier ceux-ci et de les saisir de façon sélective, en permettant à l'expert de se faire assister d'un sapiteur de son choix et en lui ordonnant d'établir du tout un rapport, le délégué du premier président a pris une mesure dont l'exécution est de nature à priver de toute efficacité les saisies pratiquées par l'Autorité de la concurrence, commettant ainsi un excès de pouvoir ;

" 3°) alors que l'inventaire des éléments saisis, prévu par l'article R. 450-2 du Code de commerce, ne doit pas comporter la liste exhaustive des messages électroniques saisis et peut viser des groupes de messages ; qu'est en outre valable un inventaire informatique des fichiers saisis, spécialement lorsqu'une copie est annexée au procès-verbal relatant les opérations de saisie ; qu'en l'espèce, les fichiers informatiques saisis ont fait l'objet d'un inventaire électronique dont copie a été annexée au procès-verbal relatant le déroulement des visites et saisies dans les locaux concernés ; que le délégué du premier président ne pouvait dès lors considérer que l'inventaire des messages saisis avait un caractère très synthétique et par ailleurs peu lisible ;

" 4°) alors que, subsidiairement, l'irrégularité d'une partie d'un procès-verbal ou d'investigations relatées dans un procès-verbal peut uniquement justifier l'annulation des mentions irrégulières ou relatives aux investigations irrégulières ; qu'ainsi, le délégué du premier président ne pouvait juger que des considérations relatives à certaines mentions du procès-verbal relatant les visites et saisies opérées dans les locaux de la société concernée pouvaient commander l'annulation de l'ensemble du procès-verbal " ;

Vu l'article L. 450-4 du Code de commerce, ensemble l'article 143 du Code de procédure civile ; - Attendu que seuls les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet d'une mesure d'instruction ;

Attendu qu'il résulte de la décision attaquée que, par ordonnance du 7 décembre 2009 rectifiée le 14 du même mois, le juge des libertés et de la détention a autorisé le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société Y afin de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; qu'après avoir constaté la présence dans divers ordinateurs de documents entrant dans le champ de l'autorisation, les agents compétents de l'Autorité de la concurrence ont établi un procès-verbal qui indique que, dans les bureaux du président, du secrétaire général et de quatre employés de la société Y, des données informatiques ont été examinées et transférées depuis les ordinateurs, leur analyse approfondie a été faite, des fichiers informatiques ont été extraits après leur authentification numérique, un inventaire informatique a été élaboré et gravé sur CD-R annexé au procès-verbal, un DVD-R vierge non réinscriptible a recueilli les fichiers pour interdire toute modification des contenus ; que ce DVD a été remis en copie à l'occupant des lieux et aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence, puis placé sous scellé ; que la société Y estimant que les saisies avaient été effectuées en partie dans des locaux qui n'étaient pas visés par l'ordonnance d'autorisation, que les messageries ont été saisies comme si elles étaient insécables et, que leur inventaire a été établi de manière sommaire et inexploitable a saisi, sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le premier président d'un recours sur le déroulement desdites opérations ;

Attendu que, pour ordonner avant dire droit une expertise, dont l'objet est notamment d'obtenir les explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs, de fournir tous éléments permettant d'évaluer techniquement la possibilité de la saisie sélective de messages dans une messagerie électronique sans compromettre l'authenticité de ceux-ci, de décrire les possibilités de sélectionner les fichiers informatiques qui relèveraient d'un champ d'investigation précis et d'en dresser un inventaire lisible, le juge prononce par les motifs repris au moyen et énonce, notamment que le caractère sommaire du procès-verbal dressé pourrait peut-être commander son annulation s'il n'était pas démontré " que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l'efficacité des opérations " ; que le juge ajoute que son attention a été appelée sur des modalités de saisie et d'inventaire développées dans d'autres Etats, mieux à même de concilier les droits effectifs de la défense avec les articles 56 du Code de procédure pénale et L. 450-4 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal et à l'inventaire des opérations, la régularité de ces dernières et d'ordonner, le cas échéant, la restitution des documents qu'il estimait appréhendés irrégulièrement ou en violation des droits de la défense, le juge, qui ne pouvait ordonner une mesure d'instruction sans rapport concret avec le litige comme tendant à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu'ils ne l'avaient fait, a méconnu le principe ci-dessus énoncé ; d'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance n° 365 susvisée du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 2 novembre 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.