Cass. com., 17 janvier 2012, n° 11-13.067
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Société française du radiotéléphone (SFR), France Télécom, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Jenny
Avocat général :
M. Le Mesle
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, SCP Defrenois, Levis, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 27 janvier 2011), statuant sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 3 mars 2009, Bull. 2009, IV, n° 30, pourvois n° 08-14.464 et n° 08-14.435), que, saisi le 25 juin 1999 par l'association Tenor, devenue Etna France, de pratiques mises en œuvre sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, dans une décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004, dit que les sociétés France Télécom et Société française du radiotéléphone (SFR), ont enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE et a prononcé des sanctions pécuniaires ; qu'après avoir exposé que, dans le cadre d'une architecture classique, un appel provenant d'un téléphone fixe et destiné à un téléphone mobile, dit "appel entrant", utilise une connexion directe entre le réseau fixe de l'appelant et le réseau mobile de l'appelé, puis la boucle radio de l'appelé, et qu'après avoir délimité un marché pertinent des communications fixes vers mobiles des entreprises se décomposant entre, d'une part, un marché aval de collecte, transport et interconnexion directe des appels aux réseaux mobiles où opèrent les opérateurs de téléphonie fixe et notamment France Télécom, dominant, et, d'autre part, trois marchés amont de terminaison des appels sur le réseau mobile appelé, chacun de ces marchés étant dominé par l'opérateur de téléphonie mobile en monopole sur son réseau GSM, soit FTM, devenu Orange France filiale de la société France Télécom, SFR filiale de Cegetel groupe avant 2003 et Bouygues Télécom, le Conseil a constaté, en procédant à des tests de "ciseau tarifaire", que France Télécom et SFR avaient l'une et l'autre pratiqué pour les entreprises des tarifs de détail pour les communications fixes vers mobiles de leurs réseaux respectifs qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la "charge de terminaison d'appels" (CTA) sur leurs réseaux mobiles respectifs, que la CTA facturée à la société France Télécom ou à SFR en tant qu'opérateurs de fixe par leurs branches de téléphonie mobile étant supérieure aux coûts effectifs de fourniture de la prestation de terminaison d'appel sur réseau mobile, les tarifs des télécommunications fixes vers mobiles proposés par ces sociétés couvraient pour le "groupe" France Télécom ou le "groupe" SFR les coûts variables effectivement encourus et n'entraînaient pas de pertes, qu'en revanche, les opérateurs de réseaux fixes non intégrés entrants sur le marché de la téléphonie fixe, ouvert à la concurrence depuis le 1er janvier 1998, ne pouvaient proposer aux entreprises, à des tarifs compétitifs, des prestations fixes vers mobiles via une interconnexion directe aux réseaux mobiles, sans encourir de pertes du fait de l'obligation pour eux d'acquitter la CTA fixée par les branches mobiles des opérateurs intégrés ; que, devant le Conseil, la société France Télécom faisait valoir que le niveau élevé de la CTA ne pouvait entraîner "d'effet de ciseau" car les nouveaux opérateurs disposaient de la possibilité de proposer des prestations fixes vers mobiles, sans interconnexion directe entre réseaux et donc sans paiement de la CTA nationale, en ayant recours au "reroutage international" consistant à envoyer le trafic collecté d'un fixe à un opérateur étranger afin que celui-ci le renvoie à la société France Télécom à charge pour cette dernière de le faire aboutir sur le réseau mobile de destination, la CTA étant alors peu élevée en raison d'accords conclus entre la société France Télécom et les opérateurs étrangers ; que le Conseil, après avoir constaté que la société France Télécom avait conclu entre le 1er janvier 1999 et le 15 février 2000 avec plus de vingt-cinq opérateurs étrangers de nouveaux accords réciproques instituant une surcharge tarifaire pour les appels fixes destinés à un réseau mobile étranger, a notamment relevé qu'en raison de ces accords, mis en place au premier trimestre 1999 avec les principaux pays à travers lesquels le trafic était "rerouté", le "reroutage" par ces pays est devenu économiquement moins rentable, voire non rentable et que, contrairement à ce qu'alléguait la société France Télécom, il n'était pas établi que le trafic "rerouté" se serait alors déporté sur d'autres pays ; que le Conseil, constatant que le "reroutage" avait, avant le mois d'avril 1999, permis d'atténuer l'inégalité de la compétition entre opérateurs intégrés et opérateurs de réseaux fixes non intégrés et de retrouver une situation meilleure bien que dégradée pour le surplus du consommateur, n'a retenu les pratiques de "ciseau tarifaire" comme constitutives d'abus de position dominante que lorsqu'elles avaient été mises en œuvre pendant une période s'étendant d'avril 1999 à fin 2001 durant laquelle "les opérateurs alternatifs sur le fixe ne disposaient pas de moyens leur permettant de significativement échapper à l'obligation d'acquitter la CTA imposée par les opérateurs GSM du fait de leur position dominante" ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense : - Attendu que les sociétés France Télécom et SFR Groupe Cegetel soutiennent que le pourvoi, qui attaque l'arrêt ayant réformé la décision du Conseil de la concurrence et dit que les griefs articulés contre elles n'étaient pas établis, serait irrecevable, au motif que si aux termes de l'article L. 464-8, alinéa 4, du Code de commerce le président de l'Autorité de la concurrence peut se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel ayant annulé ou réformé une décision de cette dernière, cet article n'est pas applicable au litige dès lors que la cour d'appel a annulé une décision rendue par le Conseil de la concurrence et non l'Autorité de la concurrence ;
Mais attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans son arrêt du 7 décembre 2010 (aff C-439-08 Vlaamse federatie van verenigingen van Brood- en Banketbakkers, Ijsbereiders en Chocoladebewerkers "VEBIC" VZW / Raad voor de Mededinging, Minister van Economie) que dans un domaine tel que celui de la constatation d'infractions aux règles de concurrence et d'imposition d'amendes, qui comporte des appréciations juridiques et économiques complexes, l'obligation incombant à une autorité de concurrence nationale d'assurer l'application effective des articles 101 et 102 TFUE exige que celle-ci dispose de la faculté de participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure devant une juridiction nationale dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteur ; qu'il s'en déduit que l'obligation d'effectivité dans l'application des articles 101 et 102 TFUE commande que l'Autorité de la concurrence, qui a succédé au Conseil de la concurrence comme autorité administrative indépendante chargée de mettre en œuvre sur le territoire national notamment les articles 101 et 102 TFUE et qui avait la qualité de partie devant la cour d'appel, puisse disposer de la faculté de former un pourvoi contre un arrêt de cour d'appel réformant ou annulant une décision prise par le Conseil de la concurrence ; que le pourvoi est recevable ;
Sur le premier moyen : - Attendu que le président de l'Autorité de la concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir réformé la décision du Conseil de la concurrence, d'avoir dit que les griefs articulés contre les sociétés France Télécom et SFR Groupe Cegetel n'étaient pas établis, d'avoir dit n'y avoir lieu à sanction et ordonné le remboursement de celle-ci, et d'avoir dit que l'arrêt devrait être publié, alors, selon le moyen, qu'en ne caractérisant pas, de façon concrète, en quoi la branche France Télécom Mobiles constituait prétendument une entreprise autonome au sens du droit de la concurrence, et non une simple branche intégrée à la société France Télécom, à laquelle les pratiques litigieuses étaient en réalité imputables, la cour d'appel, qui s'est bornée à relever une autonomie dans la fixation des charges de terminaison d'appel GSM de France Télécom et les tarifs de détail fixe vers mobile GSM de France Télécom, sans établir que cette branche n'était pas soumise au pouvoir hiérarchique de France Télécom ou qu'elle était contractuellement et effectivement affranchie des directives émanant de celle-ci et de son contrôle et qu'elle disposait de la pleine liberté de contracter, de décider de sa propre politique d'investissement, de la propre gestion de son personnel et de sa propre stratégie commerciale, industrielle, technique et financière, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE ;
Mais attendu que l'arrêt retient que France Télécom Mobile était seule compétente pour déterminer à la fois la charge de terminaison d'appels GSM de France Télécom et les tarifs de détail fixes vers mobiles GSM de France Télécom et que la décision du Conseil affirmait que la politique tarifaire des opérateurs de téléphonie mobile sur les appels entrants dans leurs réseaux GSM avait pour objectif de financer les bas prix de leurs appels sortants au profit d'abonnés mobiles et de développer le marché de la téléphonie mobile ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que la structure tarifaire du groupe France Télécom ne résultait pas nécessairement d'une coordination entre ses branches de téléphonie fixe et mobile mais pouvait avoir été déterminée par la seule entité France Télécom Mobile poursuivant un objectif autre que celui de la limitation de la concurrence entre opérateurs de téléphonie fixe et qu'il n'était en conséquence pas établi que cette structure tarifaire constituait un ciseau tarifaire à objet anticoncurrentiel, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire la recherche inopérante visée par le moyen, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que le président de l'Autorité de la concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir prié et au besoin requis l'Autorité de la concurrence de publier sur son site internet et, à ses frais, dans le quotidien Les Echos, un communiqué énonçant que "par arrêt du 27 janvier 2011, la cour d'appel de Paris, chambre 5-7, régulation économique, a réformé la décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004, dit que les griefs poursuivis contre la société France Télécom ne sont pas établis et dit n'y avoir lieu à sanction ; par le même arrêt, la cour d'appel a ordonné le remboursement immédiat du montant de la sanction, soit 18 millions d'euro, assorti des intérêts au taux légal", alors, selon le moyen : 1°) que si l'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision, un tel pouvoir n'appartient pas à la cour d'appel lorsqu'elle dit n'y avoir lieu à sanction ; qu'en décidant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 2°) que le juge civil ne peut ordonner la publication de sa décision aux frais d'une partie qu'à titre de réparation d'un préjudice ou lorsqu'un texte l'y autorise ; que tel n'est pas le cas de la Cour d'appel de Paris lorsqu'elle dit n'y avoir lieu à sanction de pratiques anticoncurrentielles ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 464-2 du Code de commerce, 1382 du Code civil et 451 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui retient qu'il y a lieu de faire connaître son arrêt réformant une décision qui a elle-même été portée à la connaissance du public par son auteur, n'excède pas son pouvoir en ordonnant la publication d'un communiqué, dans des conditions identiques à celles de la décision réformée, peu important que l'arrêt confirme ou infirme la sanction imposée par la décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le deuxième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.