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Décisions

Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-25.772

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA), Orange Caraïbes (SA)

Défendeur :

Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Digicel Antilles françaises Guyane (SA), Outremer Télécom (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Defrenois, Levis, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas

Cass. com. n° 10-25.772

31 janvier 2012

LA COUR : - Vu les observations adressées à la chambre commerciale de la Cour de cassation par la Commission européenne en application de l'article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003, transmises aux parties, ainsi qu'à l'avocat général ; - Joint les pourvois n° 10-25.772 formé par les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe, n° 10-25.775, formé par le président de l'Autorité de la concurrence et 10-25.882, formé par la société Digicel Ltd., qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'une plainte déposée par la société Bouygues Télécom Caraïbe, aux droits de laquelle vient la société Digicel Ltd. (la société Digicel), dénonçant des pratiques d'abus de position dominante commises, d'une part, sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane, d'autre part, sur le marché de la fourniture de liaisons louées et, enfin, sur le marché des appels fixes vers mobiles dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, commises par les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), après avoir prononcé des mesures conservatoires, le 9 décembre 2004, a dit que la société Orange Caraïbe, par divers comportements, mis en œuvre entre les années 2000 et 2005, avait abusé de la position dominante qu'elle détenait sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane et s'était aussi entendue entre le 1er avril 2003 et le 24 janvier 2005 avec la société Cetelec seule société agréée pour assurer la réparation des terminaux mobiles ; que par ailleurs, l'Autorité a encore dit que la société France Télécom avait abusé de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane, d'une part, en commercialisant une offre " Avantage Ameris " après l'arrivée de la société Bouygues Télécom sur le marché, en décembre 2000 jusqu'au 21 mai 2005, puis en la maintenant postérieurement à cette date pour les clients qui l'avaient déjà souscrite, d'autre part, par la présentation d'une offre de télécommunication " fixes vers mobiles " en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle devait nécessairement supporter pour proposer la même prestation, en réponse à un appel d'offres du Conseil général de Guyane en 2004 ; qu'en conséquence, l'Autorité a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre des sociétés France Télécom et Orange Caraïbe ; que la cour d'appel a annulé la décision et, évoquant, a considéré que les pratiques retenues par l'Autorité étaient, pour plusieurs d'entre elles, constituées en application du seul droit national et condamné les deux sociétés à des sanctions pécuniaires ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° 10-25.775 soulevée par la défense : - Attendu que les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe font valoir que dans le cas où le Conseil constitutionnel déclarerait l'article L. 464-8 du Code de commerce inconstitutionnel, à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité dont elles demandaient la transmission, cette disposition serait abrogée et l'irrecevabilité du pourvoi du président de l'Autorité de la concurrence s'ensuivrait ;

Mais attendu que par arrêt rendu le 28 juin 2011, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; que le pourvoi formé par le président de l'Autorité de la concurrence est donc recevable ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 10-25.772 : - Attendu que les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe font grief à l'arrêt d'avoir prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires pour les pratiques d'abus de position dominante retenues, alors, selon le moyen, qu'en considérant que l'Autorité de la concurrence pourrait, devant la cour d'appel saisie d'un recours contre l'une de ses décisions, " étoffer son argumentation " par rapport à la motivation de la décision entreprise, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce, ensemble l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratif et l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés ;

Mais attendu qu'en application de l'article R. 464-18 du Code de commerce, le premier président de la cour d'appel ou son délégué fixe les délais dans lesquels l'Autorité peut produire des observations écrites ; que la cour d'appel a exactement retenu qu'il n'est pas interdit à l'Autorité d'expliciter son argumentation devant elle, dès lors qu'il n'apparaît pas que ces observations comportent un élément nouveau de nature à aggraver la culpabilité ou la condamnation des parties en cause, ce qui n'est pas soutenu en l'espèce ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 10-25.772 : - Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais, sur le moyen unique du pourvoi n° 10-25.775, pris en sa première branche : - Vu les articles 3 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002, ensemble les articles 101 et 102 du TFUE ; - Attendu que pour annuler la décision n° 09-D-36 du 5 février 2009 de l'Autorité, l'arrêt, après avoir rappelé que l'application du droit européen de la concurrence suppose que soient réunies les trois conditions d'existence d'échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l'objet de la pratique, d'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et de caractère sensible de cette affectation, relève que, si l'affectation du commerce intracommunautaire peut reposer sur une influence indirecte et potentielle, elle ne peut reposer sur une influence éloignée ou hypothétique ; que l'arrêt observe qu'en l'espèce, le seul opérateur non français qui s'est manifesté sur le marché concerné n'était pas ressortissant de l'Union, mais jamaïcain et en conclut que l'affectation du commerce entre États membres par les pratiques en cause n'est pas établie ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les termes " susceptible d'affecter " énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE supposent que l'accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d'un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 10-25.775, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 3 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002, ensemble les articles 101 et 102 du TFUE ; - Attendu que pour annuler la décision n° 09-D-36 du 5 février 2009 de l'Autorité, l'arrêt retient que pour établir le caractère sensible de l'affectation du commerce intracommunautaire il est nécessaire, notamment dans le cas où seule une partie d'un État membre constitue le marché géographique pertinent, de se référer au volume de ventes global concerné par rapport au volume national et qu'à cet égard, la détermination en volume de la part de marché national prétendument affectée par la pratique anticoncurrentielle aurait conduit l'Autorité à écarter l'existence d'une affectation sensible du commerce intracommunautaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'état de pratiques cumulées d'entente et d'abus de position dominante commises sur une partie seulement d'un État membre, le caractère sensible de l'affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d'un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause, le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n'étant qu'un élément parmi d'autres, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 10-25.775, pris en sa quatrième branche : - Vu l'article 3 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002, ensemble les articles 101 et 102 du TFUE et les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ; - Attendu qu'ayant constaté que le commerce intracommunautaire n'était pas affecté par les pratiques de façon sensible, l'arrêt annule la décision en ce qu'elle est fondée sur des violations tant des articles 101 et 102 du TFUE que des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce sont, en l'absence d'affectation du commerce intracommunautaire, applicables aux pratiques d'entente et d'abus de position dominante anticoncurrentielles mises en œuvre sur le territoire national et que quand bien même l'arrêt serait fondé en ce qu'il a annulé la décision pour avoir appliqué le droit communautaire de la concurrence, celle-ci demeurait valide en ce qu'elle avait appliqué les dispositions du droit national, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 septembre 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.