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Décisions

ADLC, 26 janvier 2012, n° 12-D-06

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Ludovic Halbwax, rapporteur, , l'intervention de Mme Carole Champalaune, rapporteure générale adjointe, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Reine-Claude Mader-Saussaye, MM. Yves Brissy, Noël Diricq, membres.

ADLC n° 12-D-06

26 janvier 2012

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la décision n° 09-SOI-01 du 25 mai 2009 enregistrée sous le numéro 09-0076 F par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon sur proposition de la rapporteure générale faite à la suite de la lettre adressée par le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi au titre de l'article L. 450-5 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal du 14 octobre 2011,par lequel le GIE "Exploitation des carrières", la société Allen-Mahé, la société Atelier Fer, la société Guibert Frères et la Société Saint-Pierraise de Transport (ci-après SSPT) ont demandé à bénéficier des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu la décision de secret des affaires n° 11-DSA-333 du 14 novembre 2011 ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 25 juillet 2011 prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, tendant à ce que l'affaire soit examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par le GIE "Exploitation des carrières", la société Allen-Mahé, la société Atelier Fer, la société Guibert Frères, la société SSPT et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants du GIE "Exploitation des carrières", des sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer, Guibert Frères et SSPT entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 23 novembre 2011 ; Le représentant de la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer entendu sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par décision n° 09-SOI-01 du 25 mai 2009, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon.

2. Cette décision, prise en application des dispositions combinées des articles L. 450-5 et L. 462-5 du Code de commerce, a été précédée d'investigations menées au cours de l'année 2008 par les services de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF).

A. LE SECTEUR EN CAUSE

1. LES PRODUITS EN CAUSE

3. Le terme "agrégats" désigne de façon générique les matières premières d'origine minérale issues de l'activité extractive des carrières, sablières et du sous-sol que sont les farines minérales ou "fillers", les sables, les gravillons et les pierres concassées, les blocs et enrochements, ainsi que les produits de pré-criblage. Ces matériaux servent principalement pour les remblais routiers ou les plates-formes.

4. Parmi les agrégats, les granulats sont des petits morceaux de roches, sables et graviers calibrés entre 0,01 et 125 millimètres, destinés à réaliser des ouvrages de travaux publics, de génie civil et du bâtiment. Ils sont utilisés sur les chantiers du bâtiment et des travaux publics soit en l'état, soit transformés en béton ou en enrobés en étant associés à d'autres composants (bitume, sable, ciment, etc.).

5. Ces intrants primaires doivent préalablement à leur utilisation faire l'objet d'un nombre important d'opérations qui comportent :

- l'extraction, le concassage, le criblage et le lavage des granulats ;

- le chargement, le pesage ou l'emmetrage des matériaux sur les véhicules de transport ;

- le transport de ces granulats du lieu de production jusqu'aux aires de stockage ;

- le déchargement des matériaux en tas de dimensions géométriques sur ces aires.

6. Les granulats doivent répondre à des critères de qualité qui dépendent, d'une part, de la nature de la roche (résistance aux chocs et à l'usure, caractéristiques physico-chimiques, etc.) et, d'autre part, de caractéristiques liées à leur élaboration (dimensions, formes, propreté, etc.).

7. Les professionnels distinguent trois grandes catégories de granulats en fonction de leur nature et de leur origine : les granulats d'origine alluvionnaire, les granulats de roches massives et les granulats de recyclage, cette dernière catégorie représentant 5 % de la production nationale (source : Union nationale des producteurs de granulats).

8. Compte tenu du coût du transport, le marché des granulats demeure un marché local.

2. LA SITUATION LOCALE DU SECTEUR DES AGRÉGATS ET DE LA CARRIÈRE DU "FAUTEUIL"

a) La demande d'agrégats

9. Dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, les besoins en agrégats concernent principalement :

- les enrobés bitumineux, constitués d'un mélange de bitume (environ 5 %) et de granulats concassés, utilisés notamment par les entreprises de bâtiment et de travaux publics (BTP) lors de la réalisation de chantiers de construction, d'agrandissement, d'entretien ou de réfection d'infrastructures routières et de voirie. Les matériaux peuvent également être utilisés pour la construction de trottoirs. Les enrobés bitumineux à chaud sont fabriqués dans des centrales d'enrobage dont l'exploitation est soumise à autorisation administrative, conformément aux dispositions de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ;

- la production de pierres concassées et de granulats, et en particulier de pierre à béton dont 50 % de la production est locale depuis une dizaine d'années, le reste étant importé du Canada (Terre-Neuve) ;

- les enrochements qui sont utilisés pour le renfort des travaux maritimes (isthme reliant Miquelon à Langlade, ports, quais, protection du littoral).

10. Parmi les onze entreprises identifiées comme ayant des besoins en agrégats, le rapport administratif opère une distinction entre, d'une part, le GIE "Exploitation des carrières" et les quatre entreprises qui en sont membres, également en position de producteurs de ces intrants, et, d'autre part, six autres entreprises (cote 23).

11. Largement soutenu par la commande publique, le secteur du BTP occupe une place importante dans l'économie de l'archipel. En 2009, les travaux réalisés au titre de la commande publique s'élevaient à 19,4 millions d'euro, en progression de 3,8 % par rapport à 2008. Comme le relevait récemment le Sénat : "La commande publique joue un rôle essentiel dans l'économie de l'archipel. M. Jean-Régis Borius, préfet de Saint-Pierreet-Miquelon, a expliqué que les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics, qui constituent les plus gros employeurs de l'archipel, exerçaient chaque année une pression forte sur les pouvoirs publics afin d'obtenir un niveau suffisant de commandes. Les deux principaux entrepreneurs de ce secteur ont constitué des groupes qui interviennent également dans les domaines du commerce, du transport ou de la pêche" (Sénat, rapport d'information n° 308 du 15 janvier 2011, Saint-Pierre-et-Miquelon, trois préfets plus tard, penser l'avenir pour éviter le naufrage).

b) L'offre d'agrégats

Une structure de l'offre concentrée autour du GIE

12. L'offre d'agrégats provient pour l'essentiel de la carrière du "Fauteuil", ce qu'a confirmé le directeur des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM) en séance.

13. La carrière du "Fauteuil" est la seule carrière de roches massives située sur l'île de Saint-Pierre permettant l'extraction de matériaux issus d'une masse (colline, morne) à l'aide d'engins et d'explosifs.

14. Jusqu'en 1985, différentes entreprises (Spie-Batignolle et Sintra) ont exploité la carrière du "Fauteuil" dans le cadre d'un vaste programme routier tant à Saint-Pierre qu'à Miquelon.

A la suite du départ de ces sociétés et au bouclage de ce chantier, un groupement d'intérêt économique rassemblant des entreprises locales a été créé pour leur succéder.

15. L'autorisation préfectorale du 30 décembre 1998 a fixé à 20 ans la durée de l'exploitation sur la base de prélèvements annuels estimés à 100 000 tonnes par an. Selon la DTAM, les quantités d'agrégats issues de la carrière du "Fauteuil" se sont élevées, au regard des marchés de travaux publics exécutés, à 36 000 tonnes en 2006, 50 000 tonnes en 2007 et 40 000 tonnes en 2008. Selon la DTAM, il convient de majorer ces chiffres de 20 % pour tenir compte de la réalisation de chantiers privés (cotes 1156 à 1157).

16. Toutefois, le GIE a communiqué, sous la forme d'un tableau (cotes 4798 à 4799), des chiffres issus de l'état des pesées d'où il ressort des volumes de matériaux issus de la carrière du "Fauteuil" qui varient entre 13 000 tonnes et 82 000 tonnes sur la même période. Dans le procès-verbal de déclaration et de prise de copie de documents du 3 avril 2008 (cote 416), le représentant légal du GIE estimait de son côté que les quantités extraites se limitaient en moyenne à 20 000 tonnes par an.

17. Ce même document indique que, en dehors des enrochements, qui sont commercialisés directement par le GIE, et exception faite de l'année 2007, l'essentiel de la production issue de l'activité extractive de la carrière du "Fauteuil" a été destiné aux membres du GIE entre 2003 et 2009.

18. Enfin, selon une estimation effectuée en 2010 par un expert indépendant, les volumes extraits de la carrière du "Fauteuil" depuis 1996 ont pu être évalués à 500 000 tonnes, soit une moyenne de 38 000 tonnes par an (cote 4796).

19. Ces estimations et, d'une manière générale, les éléments recueillis au cours de l'instruction, montrent qu'il n'est pas possible de déterminer avec exactitude l'état global des ressources en agrégats sur l'archipel, pour les trois raisons suivantes.

L'absence de suivi de l'exploitation de la carrière du "Fauteuil"

20. En premier lieu, l'autorisation préfectorale du 30 décembre 1998 prévoit (articles 11 et 31) l'établissement de compte-rendus d'exploitation semestriels par le concessionnaire, ainsi que le contrôle du respect du plan d'exploitation et des conditions d'installation des postes de concassage et de criblage. Ceux-ci ne sont cependant plus fournis par le GIE depuis 2001. De son côté, la commission locale des carrières prévue par l'arrêté préfectoral du 7 septembre 1995, et destinataire de ces documents, ne s'est plus réunie depuis 2003 (cote 4795), information confirmée par la DTAM (cote 3758) qui a précisé que : "A la connaissance de l'inspecteur des installations classées, il n'y a pas eu de vérification de l'abattage pour en vérifier la conformité par rapport au plan d'exploitation annexé à l'arrêté préfectoral du 30 décembre 1998".

Des ressources alternatives à la carrière du "Fauteuil" difficiles à évaluer

21. Les entreprises membres du GIE ont allégué qu'il existait des ressources alternatives à celles de la carrière du "Fauteuil".

Les sites alternatifs

22. La DTAM a précisé que : "Plusieurs sites d'extraction existent sur l'archipel, mais ces sites, tous situés sur l'île de Miquelon, ne bénéficient pas d'une autorisation d'exploitation. De tous ces sites, seule la carrière du Ruisseau Creux présente un potentiel suffisant pour être exploitée et offre une solution alternative pour Miquelon évitant par cette occasion les transferts de matériaux entre les deux îles. (...) Il n'existe pas, sur l'île de Saint-Pierre, de site recensé offrant une solution alternative à la carrière du Fauteuil" (cote 3759).

23. Selon le directeur de la DTAM : "Cette carrière ne donne pas de roches massives pouvant servir d'enrochements ou de matériaux durs après concassage. (...) Ponctuellement des entreprises (GIE, Allen-Mahé, Floradécor...), la Mairie, ou des particuliers prélèvent des matériaux sous le contrôle de la subdivision. Ce prélèvement est relativement modeste et peut être estimé à 1 000 m3 environ. A ma connaissance, il n'a pas été constaté que le groupe Girardin et l'entreprise CDI procédaient à des extractions à la Carrière du Ruisseau Creux" (cotes 6691 à 6694).

24. Les principales entreprises concurrentes du GIE dans l'exécution de marchés de travaux publics, à savoir les sociétés Guibert TP, Constructions des îles (CDI) et les sociétés GM Béton contrôlé et Bâti-coffrage, ne recourent pas, faute de moyens matériels sur place, aux ressources de la carrière du Ruisseau Creux. D'une manière générale, leurs besoins sont situés sur l'Ile de Saint-Pierre, situation qui a été confirmée par la DTAM en séance.

Les matériaux issus du recyclage

25. Les entreprises membres du GIE ont également fait valoir que les matériaux extraits dans le cadre de la réalisation de marchés de travaux publics ou privés pouvaient constituer une source importante d'approvisionnement en agrégats.

26. La DTAM a indiqué que seules les entreprises membres du GIE et une entreprise concurrente (la société Guibert TP) disposent du matériel à la fois pour extraire et transformer les matériaux de récupération : "Lors de la réalisation de terrassements, les entreprises sont amenées à extraire ces trois types de matériaux [moraines, tourbes et blocs isolés] qui se retrouvent la plupart du temps mélangés. Les marchés de travaux publics prévoient de manière courante l'évacuation par l'entreprise des déblais en excédent. Dans ce cadre, les entreprises récupèrent des matériaux qu'elles peuvent réutiliser en partie après les avoir triés. Certaines entreprises récupèrent également des matériaux sur leurs propres terrains qu'elles terrassent. Le volume récupéré est directement lié à l'activité de terrassement des entreprises. Elle concerne donc à notre connaissance essentiellement les entreprises du GIE, l'entreprise Guibert TP. C'est ainsi que l'entreprise Guibert TP a pu se constituer un stock important de blocs d'enrochement. Concernant les quantités récupérées et ensuite recyclées, aucune donnée ne permet d'en faire une évaluation. S'agissant principalement de tranchées, ces déblais contiennent des matériaux de toutes natures, y compris des enrobés. Concernant la qualité : la tourbe récupérée au gré des chantiers est de même nature que celle récupérée en couverture de la carrière et constitue probablement une source plus importante que la carrière (base de terre végétale). Les blocs d'enrochement sont aussi de qualité comparable, en particulier lorsqu'il s'agit de blocs isolés, mais leur blocométrie est forcément aléatoire. Les matériaux pour remblais sont probablement plus hétérogènes et donc de moindre qualité qu'en carrière, mais ils peuvent être criblés si nécessaire par l'entreprise Guibert TP qui dispose d'un petit concasseur qui lui permet d'obtenir un matériau concassé pour ses chantiers. Ces matériaux de récupération ne peuvent pas être utilisés pour faire du béton en substitution aux agrégats fabriqués par le GIE qui dispose de concasseurs adaptés (lesquels peuvent aussi être alimentés par des matériaux rocheux de récupération) qui garantissent le respect d'une courbe granulométrique régulière" (cotes 3759 à 3760).

27. Il ressort des éléments figurant au dossier à cet égard que, même si des ressources alternatives à la carrière du "Fauteuil" (sites alternatifs et matériaux de recyclage) existent sur l'archipel, leur rôle ne peut affecter que de façon très marginale la structure de l'offre d'agrégats. Lors de la séance, le représentant de la DTAM a confirmé que cette offre était, dans une très large mesure, le fait du GIE et de ses membres.

B. LES ENTREPRISES EN CAUSE

1. LES ENTREPRISES INTERVENANT DANS L'EXPLOITATION DE LA CARRIÈRE DU "FAUTEUIL"

a) Le GIE "Exploitation des carrières"

28. Le GIE "Exploitation des carrières" exerce des activités d'extraction du sol et de vente d'agrégats (matière brute non transformée) au profit des entreprises qui en sont membres. Le GIE est également le client principal de ces entreprises, qui lui rétrocèdent les agrégats après transformation. Enfin, le GIE participe lui-même à l'exécution, en aval, des marchés de travaux publics, dans le cadre desquels il met en œuvre les agrégats issus de la carrière.

29. C'est en vertu d'une première convention du 24 mai 1989 conclue avec la collectivité que le GIE a été autorisé à occuper la carrière du "Fauteuil".

30. Le GIE, dont l'objet était initialement limité à "l'exploitation des carrières et l'extraction de matériaux et agrégats sur les communes de Saint-Pierre et Miquelon [et] d'une manière générale de réaliser toutes opérations financières, civiles, industrielles ou commerciales se rattachant directement à l'objet susvisé", a été étendu en 1994 (cote 77), à l'exécution de travaux publics, puis, à compter de 2003, à la réalisation de travaux publics, de terrassements et de constructions (cote 101).

31. Le GIE dispose par ailleurs de la seule station à enrobés de l'archipel sur le site de la carrière du "Fauteuil".

b) Les entreprises membres du GIE

32. Les quatre entreprises membres du GIE sont indiquées dans le schéma suivant :

< EMPLACEMENT GRAPHIQUE>

c) La SARL Allen-Mahé

33. La société Allen-Mahé est une entreprise familiale créée en 1984 qui a pour objet la construction et les travaux publics.

34. Le représentant de la société décrit ainsi l'activité : "L'activité de la société est consacrée à l'activité de chantiers maritimes (travaux sur quais de grande profondeur, dragage de ports...) (...). Nous prélevons également du sable marin dans la rade de Saint-Pierre (2 500 tonnes par an) sur autorisation de la préfecture. Cette source d'approvisionnement est utilisée pour la station à enrobés (...). Ce sable est utilisé pour la réalisation de tranchées et autres petits travaux de VRD, soit directement au niveau de la société Allen-Mahé, soit dans le cadre de sa revente à des entreprises tierces au GIE" (cote 1509).

35. Les chiffres d'affaires réalisés en 2007 et 2008 par Allen-Mahé s'élevaient respectivement à 2 091 868 euro et 1 858 600 et euro, 40 % du chiffre d'affaires étant réalisés avec le GIE ou la SSPT. Son représentant a précisé : "Considérant l'étroitesse et la diversité des activités à réaliser sur le territoire, dans des délais très courts, nous ne pouvons accéder à certains marchés que dans le cadre d'un groupement d'entreprises et/ou au travers du GIE des carrières ou la SSPT, qui officient alors avec la qualité de mandataire" (cote 3639).

36. En termes de stratégie commerciale sur les marchés privés et de positionnement sur les marchés publics à l'égard du GIE, son représentant a tenu à préciser : "Nous nous considérons comme indépendants au plan commercial. Il y a une nécessaire concertation pour la soumission aux marchés publics" (cote 1510).

d) La SARL Atelier Fer

37. La société Atelier Fer, créée en 1992, avait pour activité initiale : "La mécanique, la soudure, la métallerie, toute opération offshore ainsi que la participation à tout groupement d'intérêt économique, société en participation, groupement momentané d'entreprises ou toute autre forme de collaboration entre entreprises de tous secteurs d'activité". Son objet social a été modifié en 2001. Il concerne dorénavant "la participation à tout groupement d'intérêt économique, société en participation, groupement momentané d'entreprise ou tout autre forme de collaboration entre entreprises du secteur du bâtiment et de travaux publics".

38. Comme la société Allen-Mahé, Atelier Fer exerce une activité de production d'agrégats (après transformation) et de réalisation de marchés de travaux publics, principalement pour le compte du GIE ou de la SSPT. Son représentant a ainsi déclaré lors de l'audition du 26 janvier 2010 : "Atelier Fer n'a d'activité de TP qu'au travers de la sous-traitance apportée au GIE dans le cadre de l'exécution des marchés publics (...). Il n'y a que deux clients. A ma connaissance nous n'avons jamais été sollicités pour la fourniture de notre production à d'autres entreprises que le GIE et l'entreprise Hélène et Fils" (cote 1485).

39. Les chiffres d'affaires réalisés par cette entreprise en 2006, 2007 et 2008 s'élevaient respectivement à 1 144 545 euro, 758 808 euro et 1 390 528 euro. La part de chiffre d'affaires réalisée avec le GIE variait sur cette période de 89,5 % (2006) à 6, 7 % (2007). La baisse de ce pourcentage tient au fait que la part de chiffre d'affaires réalisée avec la société Hélène et Fils (titulaire du marché du gros œuvre de l'hôpital de Saint-Pierre sur cet exercice) a augmenté par rapport à celle du chiffre d'affaires réalisé avec le GIE.

e) La SARL Guibert Frères

40. La SARL Guibert Frères est une entreprise familiale créée en 1984, qui a pour activité les travaux publics, les terrassements et le transport. Son gérant a indiqué que l'entreprise se serait spécialisée au fil du temps dans la réalisation d'ouvrages maritimes (ports, quais).

41. L'entreprise est installée sur le site même de la carrière du "Fauteuil" et dispose de son propre matériel de concassage. Son gérant a déclaré dans le procès-verbal du 5 septembre 2008 : "L'activité de la société est le bâtiment et les travaux publics. Elle intervient sur des marchés publics et privés. En 2007 nous avons fait 60 % de marché public et 40 % de marché privé. Selon les marchés nous soumissionnons dans le cadre du GIE ou à titre individuel au nom de notre entreprise. Nous faisons de la construction de maisons individuelles. Mais actuellement la commande publique est de plus en plus faible. Je suis un associé concurrent dans le cadre du GIE" (cote 871).

42. Les chiffres d'affaires réalisés par cette entreprise en 2006, 2007 et 2008 s'élevaient respectivement à 2 181 860 euro, 1 697 087 euro et 2 348 000 euro. La part de chiffre d'affaires réalisée avec le GIE variait sur cette période de 36 % à 75 %.

f) La SSPT

43. La SSPT a pour objet social la réalisation de travaux de construction et de terrassements, de transports et de réparations de toute nature. Chacune des trois autres sociétés membres du GIE détient un tiers du capital de cette entreprise dont le représentant légal est également administrateur du GIE.

44. Dans les faits et depuis son rachat en 2003 par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, l'activité de l'entreprise a évolué par rapport à son objet initial. Son représentant a déclaré : "SSPT a une activité très variable. Lors du rachat de la société, il y a eu un démantèlement des actifs et de la structure sociale. L'espace économique s'est restreint, il n'y avait donc plus lieu ni possibilité de lui conserver une activité pleine et entière. La SSPT compte 3 à 5 salariés avec une activité assez forte en 2007 mais en dehors de l'année 2007 son activité est quasi inexistante. Je m'interroge d'ailleurs sur l'opportunité de maintenir ou non l'existence de SSPT. La SSPT a répondu à des appels d'offres pour éviter que le GIE ne soit présent sur tous les marchés car le statut du GIE est parfois dénoncé, par conséquent, il a été décidé que SSPT soit à l'occasion mandataire d'un groupement composé généralement des entreprises du GIE. La SSPT sous-traite énormément, elle n'a pas d'activité propre en dehors de l'ingénierie, du conseil, du pilotage... Les trois entreprises du GIE sous-traitent pour le compte de la SSPT. Et il est également fait appel à la société Hélène et Fils de manière privilégiée compte tenu des liens familiaux qui nous unissent ou à des sociétés de la métropole (par exemple HC Méditerranée) pour quelques travaux spécifiques. SSPT se confond en lieu et place du GIE lorsqu'il est demandé que le GIE ne soit pas présent sur tous les marchés" (cote 691).

45. Lors de l'audition du 26 janvier 2010, le représentant de l'entreprise a ajouté : "Vidée de son utilité opérationnelle dans l'activité extractive, au moment de son rachat par les sociétés Allen Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, nous avons gardé cette société, en cédant ses actifs au GIE et aux autres membres du GIE. Nous n'avons pas vu l'intérêt de dissoudre cette société. Nous avons utilisé cette société pour soumissionner de façon alternative aux marchés publics, à la demande des pouvoirs publics" (cote 1477).

46. Les chiffres d'affaires réalisés entre 2006 et 2008 (respectivement de 1 795 772 euro, 2 136 549 euro et 1 381 212 euro) incluent les montants des marchés exécutés sur ces mêmes exercices par la SSPT en tant que mandataire du groupement formé par les entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères.

2. LES AUTRES SOCIÉTÉS INTERVENANT SUR LES MARCHÉS DE TRAVAUX PUBLICS

47. Les autres entreprises du BTP identifiées par le rapport d'enquête sont les suivantes :

a) Les sociétés SARL GM Béton Contrôlé et Bâti-Coffrage

48. L'activité de ces deux sociétés qui relèvent du groupe informel "Girardin", dont les dirigeants sont communs, est consacrée principalement à la construction et au gros œuvre. La société Bâti-coffrage est également amenée à postuler à des marchés de travaux maritimes.

49. A ce titre, ces entreprises doivent se fournir en agrégats (pierres à béton et enrochement) pour la fabrication de béton, soit en important ces matériaux du Canada, soit en les achetant sur place au GIE.

50. Elles se plaignent de devoir recourir à l'importation d'agrégats de Terre-Neuve - solution qui renchérit le prix d'achat en raison du coût du transport - parce que le GIE leur refuserait la vente de ces matériaux ou pratiquerait un prix de vente supérieur à celui appliqué entre le GIE et ses membres.

51. Les deux entreprises imputent directement la baisse de leur activité aux difficultés d'accès aux agrégats de la carrière du "Fauteuil" qu'elles disent rencontrer.

b) La SARL "Construction des îles"

52. La SARL Construction des Iles (CDI) est une entreprise générale du bâtiment (gros œuvre). Elle emploie 24 salariés et a réalisé un chiffre d'affaires de 2 276 469 euro en 2008 (2 206 076 euro en 2007 et 2 005 539 euro en 2006), dont environ 60 % provient des marchés publics de bâtiment.

53. CDI estime, à l'instar des sociétés GM Béton contrôlé et Bâti-Coffrage, que les difficultés d'accès aux agrégats de la carrière du "Fauteuil" ne lui permettent pas de formuler des offres compétitives par rapport à celles des entreprises du GIE dans le cadre des appels d'offres de travaux publics (notamment les travaux maritimes), où elle cherche à se diversifier.

c) La SARL Guibert TP

54. La SARL Guibert TP apparaît, au vu de la synthèse des appels d'offres lancés entre 2003 et 2009, comme la principale entreprise concurrente du GIE et de ses membres sur les marchés publics de terrassement et de voirie et de réseaux divers (VRD). Son chiffre d'affaires est passé de 344 701 euro à 450 285 euro entre 2006 et 2008.

55. Cette société déclare disposer d'un petit concasseur depuis 2005, ce qui lui permet de recycler des matériaux de récupération pour les transformer en agrégats. Sa production annuelle est évaluée par son dirigeant entre 3 000 et 4 000 tonnes par an - à comparer aux quantités moyennes annuelles extraites de la carrière du "Fauteuil" (38 000 tonnes) - et dont une grande partie est utilisée en autoconsommation pour les besoins de ses marchés publics ou privés.

56. Cet outil lui a permis de réduire le montant de ses achats d'agrégats auprès des entreprises membres du GIE : "Avant 2005, nous achetions les agrégats. Depuis 2005, nous possédons un concasseur, donc nous utilisons sur nos chantiers notre production d'agrégats. Cependant il nous arrive d'acheter ces produits au GIE des carrières qui détient le monopole de la carrière du Fauteuil (seule carrière de pierre locale). Depuis environ trois ans, nous procédons à l'extraction de blocs rocheux et de tout venant sur un terrain mis à notre disposition pour nos activités par le conseil territorial. Nous transformons le tout venant en concassé 0/31.5 et en 0/100 étant donné que nous n'avons seulement que le concasseur primaire" (cote 2492).

57. Guibert TP estime que la baisse de son activité est due au fait qu'elle ne parvient pas à aligner ses prix sur ceux des concurrents pour les marchés de travaux, notamment pour ceux se rapportant à la mise en œuvre d'enrochements, et pour lesquels le défaut d'accès à la carrière du "Fauteuil" l'aurait obligé, à la différence d'autres types d'agrégats, à recourir à des importations (cotes 407 et 408).

C. LES PRATIQUES RELEVÉES

1. LES CONDITIONS DE FONCTIONNEMENT DU GIE

a) Les constats du rapport d'enquête

58. L'évolution de l'objet du GIE est décrite en ces termes par les enquêteurs : "La convention n° 202-99 du 7 octobre 1999 (...) et l'arrêté préfectoral n° 795 du 30 décembre 1998 autorisent respectivement le G.I.E. à occuper le domaine public concerné de la carrière du "Fauteuil" et à l'exploiter. (...) Quatre entreprises du secteur T.P. se sont constituées en groupement en vue de rationaliser l'extraction d'agrégats divers nécessaires à l'exercice de leur activité propre, par la mise en commun d'investissements lourds. Par la modification de ses statuts, il y a eu "dérive" de l'activité initiale déclarée du GIE "Exploitation des Carrières". En effet, progressivement ses statuts ont été modifiés. Les derniers statuts publiés au recueil des actes administratifs de la collectivité territoriale du 30.06.2003 font état d'un objet ainsi libellé :"Le groupement a pour objet : l'exploitation des carrières et l'extraction des matériaux et agrégats, la réalisation des travaux publics, terrassements et constructions". Un tel objet s'écarte de celui ayant initialement servi à asseoir la légitimité de cette structure. En 1987 l'objet déclaré était "exploitation des carrières" puis en en 1992 il a été étendu en devenant "Exploitation des carrières et extraction de matériaux et agrégats sur les communes de Saint-Pierre-et-Miquelon et d'une manière générale de réaliser toutes opérations financières, civiles, industrielles ou commerciales se rattachant directement à l'objet susvisé" (cote 22).

b) Les constatations effectuées au stade de l'instruction

59. La question de l'intervention du GIE sur les marchés aval de travaux publics et, d'une manière générale, la circonstance que son activité ne revête plus un caractère auxiliaire par rapport à celles des entreprises membres, ont été soulevées de façon ponctuelle par les pouvoirs publics locaux dans le cadre de l'analyse des appels d'offres sur les marchés de travaux publics.

60. Ainsi, en 2003, le représentant de la DDCRF "(...) attirait l'attention de la commission sur le problème persistant du GIE "Exploitation des Carrières" au regard de son habilitation à répondre aux marchés publics. En effet, ce groupement d'entreprises n'a pas vocation statutaire à exécuter des Travaux Publics" (cote 3829).

61. Les pouvoirs publics locaux ne se sont visiblement jamais prononcés sur l'interprétation qu'il convenait de donner aux dispositions de l'autorisation d'exploitation de la carrière du "Fauteuil" qui prévoient que : "Cette autorisation sera retirée dans le cas où (...) le GIE "Exploitation des carrières" modifierait sa composition ou son activité dans un sens différent de celui pour lequel l'autorisation lui est accordée" (cote 119).

62. Il reste que le GIE a étendu son objet social et modifié sa composition (sortie de la société SNC Portais et Cie et entrée corrélative de la SSPT en 1992 ; sortie de la société Roger Hélène (anciennement Hélène et Fils) et entrée corrélative de la SARL Atelier Fer en 1994). A cet égard, il est relevé qu'à la différence de la première convention d'occupation de 1989, la convention conclue le 7 octobre 1999 entre le GIE et le conseil territorial (cotes 128 à 133) ne prévoit plus de disposition interdisant au GIE de modifier son activité et sa composition, ladite convention se bornant à préciser que "la mise en œuvre du présent contrat est indissociable du respect par le preneur, qui s'y oblige, des dispositions de l'arrêté préfectoral du 30 décembre 1998 autorisant et réglementant l'exploitation de la carrière du Fauteuil".

63. S'agissant de la composition du GIE, ses statuts se limitent, en leur article 12, à préciser les modalités de cession des parts d'intérêt du groupement (cotes 425 à 426). Ainsi, si le contrat constitutif du GIE prévoit les conditions de retrait d'un membre par cession de ses parts d'intérêt, aucune précision n'est donnée sur les modalités d'admission d'un nouveau membre. Le GIE n'est pas, non plus, doté d'un règlement intérieur.

64. Par ailleurs, le représentant du GIE a indiqué dans le procès-verbal du 26 janvier 2010 :

"On ne m'a jamais demandé de produire les relevés d'exploitation prévus par l'autorisation préfectorale" (cote 1490). De fait, le défaut de communication d'informations sur les quantités extraites prive les pouvoirs publics et les entreprises utilisatrices de toute indication sur les quantités mobilisables par rapport à celles évaluées dans l'autorisation d'exploiter.

65. Sur le plan du suivi comptable des opérations entre le GIE et ses membres, le représentant du GIE a déclaré dans le procès-verbal du 26 janvier 2010 : "Sur le brut, il y a un suivi par opération de pesée. Il y a un suivi par tableau et par fournisseur. Il n'y a pas de tenue chronologique de la comptabilité par passage de la pièce justificative au sein de la comptabilité, qui se fait de façon extra comptable, annuelle et a posteriori (...). Nous considérons que le transfert de propriété de la matière brute est opéré au moment de l'opération de pesée. (...) Pour les fournitures aux membres du GIE, il n'y a pas de paiement ni de facture, mais une inscription en compte courant ne donnant pas lieu à l'application d'intérêt de compte courant" (cote 1491).

66. Dans le procès-verbal du 27 janvier 2010, le représentant de la société Allen-Mahé a déclaré, s'agissant des livraisons d'agrégats effectuées au profit du GIE : "Pour la matière concassée livrée au GIE, il y a au moment de la livraison, délivrance d'un bon de pesée par le GIE. Ce document mentionne le type d'agrégat, le tonnage sans mention du prix. Les bons sont récupérés par la cellule du GIE qui tient la comptabilité matière de façon extra-comptable au niveau du GIE. Je vous préciserai la manière dont ces opérations sont retranscrites au sein de la comptabilité générale de mon entreprise. Il n'y a pas de tenue de journal des ventes pour ces opérations en comptabilité générale. Je peux en revanche vous confirmer que les flux sont enregistrés quotidiennement dans la comptabilité auxiliaire de l'entreprise, et que les doubles des bons de pesée qui nous sont remis par le GIE font office de pièces justificatives qui ne mentionnent pas les prix qui sont issus de la grille tarifaire" (cote 1509).

67. Ce dénouement financier à la clôture de l'exercice, par jeu de compensation entre dettes et créances réciproques, ne peut pas être assimilé à une absence de paiement, contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport d'enquête (cote 54). Cette façon de procéder introduit un avantage par rapport au délai de paiement que les entreprises membres du GIE déclarent accorder aux entreprises tierces, qui est de 30 jours. Ces entreprises ne bénéficient pas d'effet de portage de trésorerie comme peut en profiter le GIE dans le cadre de son approvisionnement en agrégats, à hauteur du différentiel entre le prix de vente de la matière brute et le prix de vente des agrégats transformés qui est consenti par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères.

68. Enfin, s'agissant des conditions de vente des agrégats au sein du groupement, le représentant du GIE a déclaré : "Ces relations [commerciales] ne sont pas formalisées, car la gestion est centralisée au niveau du GIE, et il n'y a pas de contrat écrit entre membres d'une part et le GIE d'autre part" (cote 1491).

2. L'ORGANISATION DE LA PRODUCTION DES AGRÉGATS ENTRE LES MEMBRES DU GIE

a) La fourniture d'agrégats bruts et la fabrication d'agrégats transformés

69. L'activité de production des agrégats issus de la carrière du "Fauteuil" est scindée entre, d'une part, le GIE qui assure l'extraction des matériaux bruts ("tout venant") et leur revente (principalement aux entreprises membres du GIE), et, d'autre part, l'activité de transformation de ces agrégats en granulats par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, chacune disposant de ses propres moyens (techniques et humains) de production.

70. L'organisation de la production entre le GIE et ses membres peut être décrite de la façon suivante :

<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>

71. Le cycle de production des granulats et le besoin en granulats du GIE ne sont pas continus. Ils sont fonction des appels d'offres de travaux publics auxquels le GIE souhaite soumissionner. Dans ce cadre, les membres du GIE sont sollicités individuellement par le GIE, qui procède alors à leur approvisionnement en matière brute, comme l'indique le représentant de la société Allen-Mahé : "Si le GIE a un chantier et que j'ai une prestation à faire pour le GIE, je me fournirai sur les matériaux que j'ai achetés auprès du GIE et concassés ensuite. Les quantités de matière brute sont mises à disposition des entreprises membres" (cote 1510).

72. La matière brute non transformée est commercialisée principalement au profit des entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, aucune véritable demande n'émanant de la part d'entreprises concurrentes en aval sur le matériau "brut", ce que le représentant du GIE a résumé ainsi : "Seules les entreprises liées au groupement font appel aux matériaux produits par le GIE, à savoir du tout-venant de carrière destiné à l'activité de concassage dans l'élaboration de matériaux affinés. (0/100 - 0/4 - 6/10 - 6/18...)" (cote 4959).

73. Inversement, le GIE apparaît comme le client principal de ces trois entreprises qui lui rétrocèdent, à titre onéreux, les agrégats après opérations de transformation (qui entrent notamment dans la composition des enrobés). Ces entreprises utilisent également leur production en autoconsommation (marchés privés), ou en vue de leur revente auprès d'entreprises tierces. Sur ce dernier point, l'instruction montre que les quantités d'agrégats transformés (pierres concassées et granulats) qui sont livrées aux entreprises concurrentes en aval sont bien moindres (inférieures à 50 tonnes par an) que celles livrées au GIE.

74. Comme l'a également précisé le représentant du GIE, les matériaux bruts sont vendus au tarif unique de 5,75 euro la tonne aux entreprises membres du GIE : "Le produit brut d'abattage est de 5.75 euro la tonne pour 2008... Le tarif était à 3,75 euro la tonne en 2007 puis a évolué au cours de l'année 2007. Ces prix sont ceux qui sont facturés aux membres du GIE (...). Les principaux utilisateurs du matériau sont le GIE et ses membres" (cote 416).

75. Le prix de la matière brute étant la résultante de la mutualisation des coûts d'extraction au niveau du GIE, il apparaît logique qu'il soit identiquement appliqué à ces trois sociétés.

b) La fourniture d'enrochements

76. Au cours de l'instruction, le représentant du GIE a confirmé que les enrochements issus des opérations de fracturation de la roche de la carrière du "Fauteuil" étaient conservés au niveau du GIE et que l'offre concurrente était soit marginale (en provenance de l'archipel), soit plus coûteuse (importations du Canada) : "Les enrochements (blocs) ne sont pas vendus aux entreprises mais conservés pour l'activité propre du GIE. Le GIE est parfois obligé de se fournir en enrochements en dehors de la carrière auprès d'autres entreprises (...) Le GIE répond essentiellement sur les enrobés et l'enrochement. Le GIE est retenu systématiquement sur les enrochements car il n'y a pas de concurrence sur l'île, les concurrents canadiens étant trop chers. (...) Il n'y a pas de véritable concurrence en provenance du Canada. Sur l'île, par exemple, Guibert TP dispose de ses stocks de matériaux issus de chantiers TP mais cela reste une concurrence modeste pour le GIE" (cote 417).

77. De même, dans le procès-verbal du 26 janvier 2010, le représentant du GIE a confirmé que : "Les blocs et enrochements seuls sont conservés par le GIE après tirs d'explosifs, le reste est exploité par les entreprises membres du GIE et la société Hélène, et toutes entreprises qui en feraient la demande" (cote 1490).

78. Les modalités de production et de commercialisation des enrochements s'organisent schématiquement de la façon suivante :

<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>

79. Les rapports d'analyse des offres formulées dans le cadre des marchés de travaux publics portant sur des ouvrages maritimes (cotes 3803 à 4741) montrent que le GIE a été attributaire de dix lots sur les onze lots des appels d'offres organisés entre 2003 et 2009. L'entreprise Bâti-Coffrage a été attributaire d'un seul lot en 2007 (lot n° 2 du marché "réparation du Quai eaux profondes") qui portait sur la mise en œuvre des enrochements, et non sur leur fourniture. La valeur de ces marchés se situait entre 80 145 euro et 1 545 026 euro.

80. Entre 2003 et 2009, le GIE ou la SSPT se sont portés candidats aux marchés susvisés, sans mise en concurrence entre les entreprises membres du GIE, alors que, dans le passé, les entreprises membres du GIE ont pu présenter des offres concurrentes sur des marchés sans que soient intervenues entre temps des modifications substantielles dans la structure de l'offre ou dans les conditions d'exploitation des entreprises :

- en 2000, la société Allen-Mahé et le GIE ont déposé chacun une offre individuelle dans le cadre d'un marché relatif au renforcement du quai en eaux profondes de Saint-Pierre nécessitant la fourniture et la mise œuvre d'enrochements, finalement attribué pour un montant de 1 211 950 euro (cote 3805) ;

- en 2001, la société Guibert Frères et le GIE ont présenté chacun une candidature individuelle pour un marché concernant la reconstruction du pont du Goulet, finalement attribué pour un montant de 1 358 463 euro (cotes 4688 à 4689) ;

- en 2002, la société Allen-Mahé et la société Guibert Frères ont présenté chacune une candidature individuelle pour un marché concernant l'aménagement des rampes d'accès du pont du Goulet, comportant la fourniture de remblais et d'enrochements finalement attribué pour un montant de 258 950 euro (cotes 3545, et 6729 à 6734).

81. Entre 2003 et 2009, la société Bâti-Coffrage s'est portée six fois candidate et la société CDI une fois, sans pouvoir proposer de prix de soumission compétitifs par rapport à ceux du GIE.

82. Les entreprises Bâti-Coffrage et CDI ont déclaré qu'elles n'avaient pas accès aux enrochements de la carrière du "Fauteuil" et qu'elles n'avaient pas d'autre solution que de s'approvisionner au Canada pour pouvoir faire acte de candidature.

83. Non dotée en matières premières et se plaignant de ne pouvoir accéder à la matière de la carrière du "Fauteuil", la société Bâti-Coffrage s'est appuyée sur deux types d'approvisionnement, à savoir le recours aux importations et une coopération ponctuelle avec l'entreprise Guibert TP, qui disposait d'un stock de 3 000 tonnes d'enrochements en 2007 correspondant à l'accumulation de matériaux récupérés sur 18 années (cote 1501).

84. S'agissant des importations d'enrochements, les rapports d'analyse d'offres révèlent que les concurrents du GIE échouent en prix et non sur la valeur technique de leur offre, ce qui signifie que ces entreprises disposaient des moyens techniques et humains comparables à ceux du GIE, voire à ceux des entreprises membres du GIE, de même qu'ils soulignent de façon quasi-systématique deux paramètres qui sont de nature à expliquer l'écart en prix, à savoir, le coût des enrochements et leur différence de provenance (importations du Canada ou carrière du "Fauteuil").

85. Ainsi, la différence de prix entre les enrochements issus de la carrière du "Fauteuil" et ceux importés s'établit comme suit entre 2007 et 2009 :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

86. Les rapports d'analyse relatifs à ces appels d'offres, tout en relevant la complexité des travaux, tendent à indiquer de façon ponctuelle l'évolution incohérente des prix des enrochements pratiqués par le GIE, comme le montre le tableau suivant :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

1- Extension du quai de l'Île aux Marins : "Sans sous-estimer les difficultés de ce chantier, il apparaît assez clairement que la concurrence n'a pas joué et n'a pas permis d'obtenir un juste prix" (cotes 4330 à 4334) ;

2- Remise en état du port de Miquelon : "L'écart de prix sur l'ensemble des travaux justifie principalement par les différences concernant les prix n° 40.3 et n° 40.4 rémunérant au bloc d'enrochement la fourniture et la mise en œuvre d'enrochements 3/6T.et n° 40.4 rémunérant au bloc d'enrochement la fourniture et la mise en œuvre d'enrochements 3/6T. Ces prix sont supérieurs sans justification particulière de 75,88 % et 105,99 % à l'estimation du maître d'ouvrage (propositions GIE de 350 euro et 146,25 euro prix estimés 199 euro et 71 euro). A contrario, le prix de mise en œuvre de bloc 1,7/3,4T est inférieur de 36,25 % à l'estimation du maître d'ouvrage (proposition GIE de 20,4 euro prix estimé 32 euro). On peut également noter des écarts importants concernant le prix n° 20.1 rémunérant forfaitairement la dépose et la repose d'enrochements sans justification particulière :

- + 161,54 % pour la tranche ferme (proposition GIE de 17 000 euro prix estimation de 6500 euro.

- + 300 % pour la tranche conditionnelle 1 (proposition GIE de 8 000 euro prix estimé de 2 000 euro)

- + 37,5 % pour la tranche conditionnelle 2 (proposition GIE de 11 000 euro prix estimé de 8 000 euro)" (cotes 3859 à 3862) ;

3- Protection de la route Miquelon-Langlade : cet appel d'offres a été déclaré infructueux compte tenu, entre autres, de l'augmentation inexpliquée, selon la maîtrise d'ouvrage, du prix des enrochements (+ 44 % et + 52 % suivant le type d'enrochements) par rapport à 2007 (cotes 4116 à 4119).

87. Pour étayer les difficultés d'accès aux agrégats et aux enrochements de la carrière du "Fauteuil", le représentant légal de la société CDI a déclaré que : "Dans le cadre d'appel d'offres pour le marché du quai dit du "caisson" en 2009, nous avons fait une demande de fournitures de matériaux détaillés dans la lettre recommandée (essentiellement des enrochements) que nous avons adressée le 20 janvier 2009 à 4 sociétés (Allen-Mahé, Hélène et fils, Guibert Frères et le GIE des carrières). Nous n'avons pas reçu de réponse, malgré une relance par lettre recommandée de ces 4 sociétés le 12 mars 2009. Nous avons dû recourir, pour boucler l'offre, à des matériaux de concassés et d'enrochements en provenance de la Nouvelle-Ecosse dont le prix ne nous a pas permis de soumissionner à arme égale avec le GIE" (cote 1515).

88. Dans une note complémentaire adressée à l'Autorité le 10 juin 2010, la société CDI a précisé que, concernant "l'appel d'offres pour la reconstruction d'un quai CRIB, nous avons été dans l'impossibilité de répondre car ce marché nécessitait 490 tonnes d'enrochements 300/600mm et 470 tonnes de 80/150mm pour lesquels nous sommes restés sans réponse des fournisseurs locaux. Une entreprise d'Halifax (Waterworks Construction Ltd) qui avait accepté d'être partenaire pour l'appel d'offres du quai en eaux profondes ne souhaitait pas s'investir à nouveau sur ce projet compte tenu des problèmes de concurrence déjà rencontrés auparavant" (cote 6344).

89. La société CDI a joint à cette note les demandes de prix qu'elle a adressées le 20 janvier 2009 au GIE, ainsi qu'aux entreprises Allen-Mahé, Guibert Frères et Hélène et fils (cotes 6423 et 6426) qui sont restées sans réponse. Une deuxième demande de prix a été formulée auprès des mêmes entreprises le 12 mars 2009 (cotes 6427 à 6430) et à laquelle seule l'entreprise Hélène et fils a répondu mais sans formuler d'offres de prix sur les enrochements (cote 6431). Dans sa réponse du 24 septembre 2010, l'entreprise CDI a précisé : "S'agissant des demandes formulées en janvier 2009, elles concernaient l'appel d'offre du quai en eaux profonde antérieur à celles-ci, ainsi que l'appel d'offre pour la reconstruction du "quai CRIB" en juin 2009, pour lequel nous avons été dans l'impossibilité de répondre. Pour les livraisons "avec retard", nous n'avons pas vraiment de traces écrites, mais suite à votre remarque nous allons tâcher de les formaliser dans le cadre de notre démarche qualité" (cote 6696).

90. Pour ce qui concerne le marché de 2009 relatif aux travaux de réparation du quai en eaux profondes de 2009 (cotes 6427 à 6430), la société CDI a formulé une offre qui s'appuyait également sur l'importation des enrochements et des agrégats dont le coût global (598 771 euro) s'est révélé supérieur de 41 % à celui pratiqué par le GIE sur ce marché (cote 6715). Dans ce contexte, la société CDI estime ne pas avoir été en mesure de formuler une offre compétitive. La formalisation de demandes de prix auprès du GIE et des entreprises s'inscrivait donc en réaction à l'incapacité de l'entreprise de pouvoir présenter une offre compétitive en recourant aux enrochements importés du Canada.

91. La même difficulté a été évoquée par le représentant légal de la société Guibert TP qui s'était présentée en 2007 et 2008 en sous-traitant de l'entreprise Bâti-coffrage pour les marchés de protection du littoral entre Miquelon et Langlade : "En matière d'enrochements et dès lors que là encore et toujours dans le cadre de marchés publics, nous ne pouvons pas accéder à la Carrière, nous sommes fortement pénalisés. Pour preuve, le marché de travaux de protection du littoral sur la route Miquelon-Langlade du mois de juin 2007. Pour le lot n° 1 "enrochements", nous étions sous-traitants de Bâti-Coffrage et notre offre s'est élevée à près de 900 000 euro. En effet, nous devons nous fournir en roche à Terre-Neuve (Canada), le coût de cette opération ajoutée au transport, plus les droits de douane (18,5 %) s'élevait environ à 500 000 euro. Vous voyez qu'en ajoutant le transport sur site, la mise en place et la main d'œuvre nécessaire, l'amortissement du matériel et autres frais de fonctionnement, le montant total de notre offre s'en trouvait fortement augmenté passant donc à près de 900 000 euro. Comment voulez-vous que dans ces conditions nous puissions rivaliser ?" (cotes 407 et 408).

92. En réponse à ces déclarations, le GIE a exprimé en ces termes les raisons pour lesquelles il conservait les enrochements tout en évoquant le manque de prévisibilité qui pesait sur la production de ce type de matériaux : "selon le degré de fracturation de la roche ou de fissures présentes dans cette dernière, notre expertise démontre un taux d'enrochements lors de tirs voisin de 5 %. Cette production est anecdotique, puisque pas ciblée, pas de marché, la protection du littoral est irrégulière en termes d'intervention. D'autre part les enrochements sont très hétérogènes en taille et en masse d'où une contrainte importante en terme de gestion des stocks" (cote 436).

93. Selon la DTAM (cotes 1156 à 1157), la fourniture d'enrochements issue de la carrière du "Fauteuil" ou du GIE, et mise en œuvre dans le cadre des marchés de renforcement des ouvrages maritimes remportés par le GIE, s'établirait comme suit entre 2006 et 2008 :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

94. Cette estimation contraste nettement avec celle avancée par le GIE qui évalue le taux d'enrochements à 5 % de la production globale de la carrière du "Fauteuil", soit une moyenne de 1 900 tonnes par an.

95. S'agissant ensuite de l'existence de ressources alternatives à la production de la carrière du "Fauteuil", le représentant du GIE estime que, d'une manière générale, "(...) plus le volume d'activité en bâtiment ou de travaux publics est important, plus les stocks issus de ces chantiers sont conséquents" (cote 436).

96. Par ailleurs, les documents retraçant les types et les quantités d'agrégats livrés au GIE par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères entre 2003 et 2009 qui ont été fournis par le GIE (cotes 4866 à 4867) montrent que ces entreprises fournissent le GIE en enrochements et sont donc en situation d'offreurs potentiels pour ce produit, en complément de l'offre du GIE.

97. Enfin, l'offre alternative d'enrochements en provenance de la société Guibert TP est jugée exceptionnelle par son représentant légal : "Les 3000 tonnes d'enrochements [fournies au GIE en 2008] constituaient le stock de matières accumulées depuis 18 ans, issues des récupérations. Nous ne disposons absolument pas de ce type de quantités mobilisables sur le nouveau terrain où nous sommes installés. A notre connaissance, il n'y a aucun autre endroit sur l'archipel que la carrière du Fauteuil où de telles quantités sont disponibles. Nous serions évidemment intéressés de pouvoir accéder directement à cette matière au niveau de la carrière" (cote 1501).

c) La fourniture d'enrobés

98. S'agissant de la production d'enrobés, l'administrateur du GIE a déclaré lors de l'audition du 26 janvier 2010 : "Historiquement, les investissements liés à la transformation ont été localisés au niveau des entreprises membres du GIE. C'est la raison pour laquelle l'activité est scindée entre, l'extraction de la matière brute au niveau du GIE, et l'activité de transformation au niveau des membres du GIE. L'idée d'organiser une mise en concurrence entre les membres du GIE, via la commercialisation de l'enrobé auprès de la commande publique n'a jamais prospéré compte tenu des investissements lourds (centrale à enrobés) à assumer au niveau des membres, et d'autres moyens, tel que la cellule gestion (maîtrise d'œuvre, 5 personnes, qui est dirigée par M. Tony X...)" (cote 1490). Le représentant légal de la société Allen-Mahé avait déjà indiqué aux enquêteurs dans le procès-verbal du 4 septembre 2008 que : "Pour les enrobés le GIE a son propre marché, il est le seul à intervenir sur ce marché" (cote 559).

99. L'organisation de la production et de la commercialisation des enrobés peut être illustrée de la façon suivante :

<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>

100. Le recensement des appels d'offres passés avec la collectivité et l'État (cotes 3803 à 4741), tels que recensés dans la notification de griefs (page 43), montre qu'entre 2003 et 2009, l'ensemble des 30 lots relatifs à la fourniture et à la mise en œuvre d'enrobés a été attribué au GIE dans le cadre d'une candidature unique.

101. Dans le procès-verbal du 4 septembre 2008, le représentant de la société Allen-Mahé a déclaré : "Dans le cadre du GIE on sous-traite pour des travaux plus importants : enrobés, travaux portuaires et routiers (...). Si le GIE a un chantier et que j'ai une prestation à faire pour le GIE, je me fournirai sur les matériaux que j'ai achetés auprès du GIE et concassés ensuite. Le concassé en 0/10 est essentiellement vendu au GIE pour sa station à enrobés" (cote 558).

102. Par ailleurs, les redditions de compte transmises par le GIE pour ces mêmes années, et qui permettent un suivi des refacturations effectuées par le GIE au profit de ses membres au titre de la fourniture de prestations de travaux (cotes 5921, 5848, 5721,5644, 5519 et 5374) et de transport (cotes 5406, 5441, 566, 5744, 529 et 5953) montrent que les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères interviennent systématiquement pour l'exécution des marchés d'enrobés en sous-traitance.

103. Parallèlement à l'absence de concurrence au stade de la soumission des marchés concernés, le rapport d'enquête constate une augmentation continue du prix des agrégats dans le cadre de la soumission aux marchés publics, alors que les prix des agrégats entrant dans la composition des enrobés bitumineux qui sont revendus par les entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères au GIE ont connu une parfaite stabilité entre 2003 et 2008 (27,44 euro la tonne pour le concassé 0/10 et 24,39 euro la tonne pour le concassé 0/31,5).

104. Le tableau suivant (cote 4071) qui dresse la synthèse de l'évolution des prix des enrobés proposés par le GIE entre 2005 et 2009, met en évidence une augmentation des tarifs qui varie de 51 % à 20% selon le type d'agrégat concerné et une augmentation moyenne du prix des enrobés, coût de mise en œuvre compris, de 25 % :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

105. De façon ponctuelle, la maîtrise d'ouvrage, dans le cadre de l'analyse des offres formulées sur des marchés importants de l'archipel, relève que l'augmentation de certains coûts peut apparaître artificielle ou sans justification évidente, l'obligeant à déclarer l'appel d'offres infructueux dès lors que l'offre formulée est nettement supérieure à son estimation, étant précisé que l'estimation de la maîtrise d'ouvrage est réévaluée chaque année pour tenir compte de l'évolution de certains coûts.

106. En effet, pour apprécier l'augmentation des prix proposés par le GIE, les acheteurs publics intègrent généralement d'une année sur l'autre une augmentation des coûts dans leur estimation globale du marché.

107. Ainsi, en 2007, s'agissant du marché à prix ferme de fourniture et mise en œuvre de matériaux enrobés sur la route de l'isthme Miquelon-Langlade, l'écart de prix entre la proposition initiale du GIE et l'estimation de l'acheteur public provenait principalement du prix rémunérant la fourniture et la mise en œuvre de matériaux enrobés. Le rapport d'analyse des offres relevait à cet égard que : "En 2006, le prix du mètre carré de matériaux enrobés était de 37,40 euro. L'estimation de l'Administration pour ce marché 2007 a été établie sur la base d'une hausse de 7 % des prix d'enrobés par rapport à 2006 compte tenu du renchérissement des produits pétroliers, soit 40 euro. Le GIE a proposé dans sa première offre, sans justification convaincante, un prix de 44,68 euro le mètre carré d'enrobés soit une hausse de 19,5 % par rapport à 2006. Après négociations, le GIE revient à un prix de 40,35 euro le m2, plus cohérent avec la réalité économique" (cotes 4251 à 4253).

108. L'évolution du prix des matériaux n'est pas le seul révélateur du possible surcoût auquel ont à faire face les acheteurs publics sur les marchés des enrobés. Ces chantiers s'accompagnent également d'opérations (installation, transport) qui peuvent elles-mêmes être sujettes à des augmentations non justifiées.

109. Ainsi, pour l'appel d'offres de 2008 relatif à la fourniture et à la mise en œuvre d'enrobés sur la route de l'isthme de Miquelon-Langlade (cotes 4129 et 4130), l'évolution suivante par rapport à 2007 est constatée :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

L'appel d'offres relatif au marché de fourniture et de mise en œuvre d'enrobés dans le cadre de l'entretien des routes de la collectivité (programme 2008)

110. Dans le cadre de la reconduction de ce marché, il est constaté que : "Les prix des enduits sur Miquelon augmentent d'environ 17 % et les enrobés mis en œuvre à Miquelon augmentent d'environ 22 % [par rapport à 2006]. L'entreprise explique cette différence par rapport à Saint-Pierre, par le coût très important du transport des matériaux et des matériels sur Miquelon. L'entreprise a joint à l'appui de son offre un sous-détail justifiant ces coûts. Toutefois, l'entreprise, pour intégrer dans son prix d'enrobés à Miquelon le coût du transfert des matériels de mise en œuvre, a divisé le coût de ce transfert évalué à 15 200 euro par le tonnage d'enrobés indiqué au détail estimatif soit 400 tonnes. Compte tenu de ce faible tonnage, cette façon de calculer renchérirait artificiellement le prix des enrobés à Miquelon, lorsque les tonnages réellement mis en œuvre dépassent 400 tonnes, ce qui est généralement le cas sur l'ensemble de la saison" (cote 4112).

3. LA COMPENSATION DE CHIFFRES D'AFFAIRES ENTRE LES SOCIÉTÉS ALLEN-MAHÉ, ATELIER FER ET GUIBERT FRÈRES

111. Dans le procès-verbal du 3 septembre 2008, le représentant légal de la société SSPT, également administrateur du GIE, a déclaré aux enquêteurs : "Lorsque le GIE a besoin de matériaux élaborés, il s'adresse aux entreprises qui le composent, dont Atelier Fer. La concurrence est beaucoup plus importante aujourd'hui qu'il n'y a quatre ou cinq ans du fait de la réduction de la commande publique. La compensation faite au sein du GIE dans un but d'équité porte essentiellement sur les matériaux et la location (véhicules, matériel). En matière de travaux, la compensation n'est pas systématique et se fait plutôt en fonction du domaine de compétence de chacune des entreprises membres du GIE" (cote 691).

112. Dans le procès-verbal du 3 septembre 2008, le représentant du GIE a déclaré : "Au sein du GIE a été mis en place un principe de compensation entre les entreprises du GIE pour passer du tarif 2007 au nouveau tarif établi au cours de cette même année. Il a été décidé que les 40 000 tonnes seraient dépassées, le prix facturé passerait à 5,75 euro la tonne" (cote 416).

113. De son côté, le représentant légal de la société Allen-Mahé a confirmé en ces termes le principe d'une répartition portant, non seulement sur la production d'agrégats transformés, mais aussi sur les travaux de mise en œuvre : "Si le GIE a un chantier et que j'ai une prestation à faire pour le GIE, je me fournirai sur les matériaux que j'ai achetés auprès du GIE et concassés ensuite. Le concassé en 0/10 est essentiellement vendu au GIE pour sa station à enrobés. Pour les enrobés le GIE a son propre marché, il est le seul à intervenir sur ce marché (...). Au sein du GIE nous essayons d'équilibrer les montants des travaux réalisés chaque année entre les trois entreprises membres du GIE. Les travaux que nous réalisons pour le compte du GIE sont établis de telle façon que chaque entreprise le composant travaille selon un principe d'équité, ce qui veut dire que les chiffres d'affaires sont étudiés régulièrement afin d'équilibrer l'activité de chacun, sur une base de référence année 1994" (cote 559).

114. En complément du GIE, la SSPT a également été utilisée, depuis son rachat en 2003 par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères en vue de se répartir les marchés ainsi que l'a déclaré son représentant : "La SSPT a répondu à des appels d'offres pour éviter que le GIE ne soit présent sur tous les marchés car le statut du GIE est parfois dénoncé, par conséquent, il a été décidé que SSPT soit à l'occasion mandataire d'un groupement composé généralement des entreprises du GIE. La SSPT sous-traite énormément, elle n'a pas d'activité propre en dehors de l'ingénierie, du conseil, du pilotage (...). Les trois entreprises du GIE sous-traitent pour le compte de la SSPT. Et il est également fait appel à la société Hélène et Fils de manière privilégiée compte tenu des liens familiaux qui nous unissent ou à des sociétés de la métropole (par exemple HC Méditerranée) pour quelques travaux spécifiques. SSPT se confond en lieu et place du GIE lorsqu'il est demandé que le GIE ne soit pas présent sur tous les marchés" (cote 691). Lors de l'audition du 26 janvier 2010, le représentant de la SSPT a également déclaré : "Nous avons utilisé cette société pour soumissionner de façon alternative aux marchés publics, à la demande des pouvoirs publics" (cote 1477).

115. Au cours de l'instruction, les entreprises auditionnées ont confirmé l'existence d'un principe de compensation des chiffres d'affaires entre les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer, et Guibert frères, s'agissant à la fois de la revente d'agrégats au GIE et des prestations de travaux et de locations de matériels nécessaires à leur mise en œuvre.

116. Le GIE a transmis des documents intitulés "rapport d'activité -sous-traitance" concernant les années 2003 à 2008 (cotes 5371 à 5963) qui sont accompagnés du détail de l'intervention, par marché, de chaque entreprise membre du GIE. Ces documents mettent en évidence l'évolution des chiffres d'affaires relatifs à la fourniture d'agrégats, aux prestations de location de matériels et de travaux effectuées par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères.

117. La répartition du montant des locations de matériel, de la fourniture de matériaux et de la réalisation de travaux entre les membres du GIE ressort de la façon suivante :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

118. Hormis pour les années 2005 et 2007, l'activité entre les trois entreprises membres a une tendance à être répartie par tiers. Un relatif équilibre global en situation cumulée s'est établi depuis 2003, ce que corroborent les déclarations du représentant légal de la société Allen-Mahé concernant la mise en œuvre d'une répartition équitable de l'activité entre les entreprises membres du GIE.

119. Par ailleurs, l'examen, marché par marché, de la nature de l'intervention de ces trois entreprises sur ces années, dont le détail est joint aux rapports d'activité du GIE précités (cotes 5371 à 5963), montre que leur participation se fait de façon indistincte pour les marchés d'enrobés et les travaux de terrassement et de mise en œuvre d'enrochements, qui constituent la majorité des marchés attribués par l'État et la collectivité, sans qu'il y ait de corrélation évidente entre le montant desdits marchés, les compétences techniques requises et le principe de réalisation en sous-traitance.

120. Sur les 30 lots composant les marchés d'enrobés recensés entre 2003 et 2009 compris dans une fourchette allant de 10 440 euro à 1 603 349 euro, 15 concernant la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés portaient sur un montant inférieur à 100 000 euro.

121. Le recensement des marchés effectué (cotes 1221 à 1244) montre que pour 18 des 24 lots de VRD et de terrassements pour lesquels le GIE ou la SSPT se présentent en candidat unique, leur valeur est comprise entre 14 350 euro et 140 570 euro, alors que les sociétés Allen-Mahé et Guibert Frères ont été titulaires, à elles deux et sur la même période, de 18 marchés de valeur comparable (entre 9 210 euro et 123 000 euro).

122. A cet égard, la recherche d'une égale répartition des chiffres d'affaires fondée sur un principe de rattrapage par rapport à l'année 1994 apparaît pour les prestations de location de matériels consenties par les sociétés membres du GIE, comme le montre le document suivant, qui émane de l'entreprise Allen-Mahé (cote 550) :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

123. Enfin, comme cela a été précisé par les représentants du GIE et de la société Allen-Mahé, le principe d'une répartition équitable de ces prestations a également donné lieu à l'application d'un barème commun : "Ces prix font l'objet d'une grille de tarifs qui sont élaborés de la même manière que pour la fourniture de matières au GIE. Cette grille n'a pas évolué depuis 5/6 ans. Il n'y a pas de facture de délivré (sic), le prix est intégré dans la comptabilité auxiliaire. Je vous donnerai la grille et les types de tarifs et le chemin de révision utilisé pour suivre ces opérations dans notre système d'information comptable" (cote 15010) ou encore : "Le GIE a peu de camions en propre et fait appel aux camions de ses membres pour le transport des enrobés. Le GIE paie une forme de location en fonction du tonnage de matériaux transportés. (...) Les prix unitaires pour la location de matériel et le transport sont identiques entre tous les membres du GIE" (cotes 416 et 417).

124. Ce barème commun ressort du tableau suivant pour l'année 2007 qui a été remis par le GIE aux enquêteurs (cote 459) et qui a également été appliqué en 2008 (cotes 3672 à 3675) :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

4. LES MODALITÉS DE SOUMISSION AUX APPELS D'OFFRES DU GIE ET DE SES MEMBRES

125. Le tableau suivant retrace, au regard des appels d'offres lancés par la collectivité territoriale et l'État (cotes 1221 à 1244), l'évolution croissante des parts de marchés - exprimées en valeur - du GIE et des entreprises membres entre 2003 et 2008 sur les marchés de travaux publics :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

126. Depuis 1994, le GIE a étendu son activité statutaire à l'exécution de marchés de travaux publics, dans le cadre desquels il met en œuvre les agrégats qui lui sont revendus après transformation par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères ou directement issus de la carrière du "Fauteuil". En conséquence seul le GIE se porte candidat aux appels d'offres de travaux publics nécessitant la fourniture et les travaux de mise en œuvre d'enrobés et d'enrochements et dans une moindre mesure, sur les marchés publics de terrassements.

127. Les entreprises concurrentes ou potentiellement concurrentes sur les marchés aval de travaux publics se résument à une petite demi-douzaine de TPE, de taille et de niveau d'activité comparables ou inférieurs aux sociétés membres du GIE, avec une intensité concurrentielle qui varie suivant le type de travaux publics concernés :

- nulle pour les travaux comportant la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés, que ce soit entre les sociétés membres du GIE ou de la part d'entreprises tierces et surtout quelle que soit 1'importance des travaux ;

- réduite pour les travaux nécessitant la fourniture et la mise en œuvre d'enrochements, les trois entreprises concurrentes qui se sont présentées contre le GIE en candidat unique depuis 2003 (CDI, Guibert TP, Bâti-coffrage) n'ayant remporté qu'un seul lot, lequel ne nécessitait pas la fourniture d'agrégats ;

- réelle pour les travaux de VRD et de terrassement, les entreprises concurrentes du GIE réussissant à obtenir entre 28 % et 48 % des marchés suivant les années, la candidature unique du GIE ou de la SSPT n'étant d'ailleurs pas systématique sur ces marchés.

128. En effet, pour ce dernier type de marchés, l'approche par nombre de marchés obtenus sur la même période vient nuancer les conclusions du rapport d'enquête selon lesquelles "la non possibilité des entreprises non membres du GIE d'accéder à l'unique carrière de l'archipel et de s'approvisionner aux mêmes conditions tarifaires que leurs homologues du groupement, implique l'impossibilité pour celles-ci de présenter des offres concurrentielles lors de marchés publics de travaux" (cote 58).

129. S'agissant des 70 lots des marchés de travaux de terrassement et de VRD passés entre 2003 et 2008, il est constaté, qu'en moyenne, et ainsi que le relève la notification de griefs (point 189), 40 % des marchés publics sont remportés par des entreprises concurrentes du GIE et de ses membres, soit 28 lots. Sur les 42 lots restants, 24 ont été remportés par le GIE ou la SSPT en présentant un candidat unique et 18 par l'une des sociétés membres du GIE.

130. Pour expliquer la logique à laquelle répond le recours au GIE ou à la SSPT en tant que candidat unique, le représentant du GIE a indiqué aux enquêteurs que : "Les entreprises qui composent le GIE ne soumissionnent pas à un appel d'offres lorsque le GIE soumissionne. Chaque entreprise du GIE a des activités spécifiques que les autres n'ont pas, chacune a son domaine de compétence particulier. Lorsque le GIE répond à un marché, la répartition des travaux entre les entreprises du GIE se fait en fonction du domaine de compétence des entreprises, en fonction de la nature des travaux. Le GIE soustraite parfois des marchés lorsqu'il n'a pas les compétences en interne mais cela reste assez rare" (cote 417).

131. Du côté des sociétés membres du GIE, le fait de présenter une seule offre par soumission au travers de la candidature en groupement du GIE a été justifié de la façon suivante par le représentant légal de la société Allen-Mahé : "Nous répondons peu aux appels d'offre et privilégions plutôt les marchés privés. (...) Pour les marchés publics, la société Allen-Mahé intervient généralement dans le cadre du GIE. (...) Lorsque la société Allen-Mahé sous-traite pour le compte du GIE, une réunion est organisée suite à la remise des offres entre les membres du GIE afin de déterminer le montant des prestations et la nature des travaux à réaliser par chacun. La répartition se fera selon les compétences et le carnet de commandes en cours. La cellule marché du GIE analyse et calcule les offres de prix pour les appels d'offres. L'offre de chacun est alors établie au cours de cette réunion après discussion" (cote 559).

132. S'agissant des raisons pour lesquelles la société Allen-Mahé répondait peu aux appels d'offres ou ne soumissionnait pas directement, notamment pour les marchés qui portaient pourtant sur le domaine des chantiers maritimes, pour lequel la société revendique une spécialité, le représentant légal de la société a répondu lors de l'audition du 27 janvier 2010 : "Nous ciblons les marchés TP non par rapport à la nature des chantiers mais par rapport à leur importance économique (150 000 euro). Nous avons déjà déposé des offres séparées (par exemple, pose de protection pour l'île aux marins en 2009 qui a été obtenue par la société Guibert Frères)" (cote 1510).

133. Or, l'examen des 24 lots de terrassement et de VRD pour lesquels le GIE ou la SSPT se sont présentés alternativement comme candidat unique entre 2003 et 2008, montre que quinze de ces lots portaient sur un montant inférieur à 150 000 euro (valeur moyenne par lot de 67 000 euro), allant de 14 350 euro à 140 570 euro (point 199 de la notification de griefs). Au demeurant, pour ce type de marchés, la maîtrise d'œuvre considère de façon générale que "les travaux en cause ne nécessitent pas de technicité particulière" (cote 4647).

134. Confirmant le principe d'une stratégie commune dans le cadre de la préparation des offres aux marchés de travaux publics, le représentant légal de la société Guibert Frères a également déclaré aux enquêteurs : "Le GIE et ses membres, après discussions, établissent les prix en fonction de l'étude de faisabilité et de l'offre des collectivités. Ensuite le GIE dépose une offre. Selon les marchés, le GIE soumissionne seul. Tout ce qui est carrière et enrobés est la spécialité du GIE. Les entreprises qui composent le GIE, mais pas uniquement elles, peuvent selon les marchés déposer une offre en groupement selon les compétences et spécificités de chaque entreprise. Cette offre en groupement est ouverte à des entreprises de l'île ou de l'extérieur. Bien entendu le GIE n'est pas seul à soumissionner, d'autres entreprises remettent des offres concurrentes. SSPT est amenée à répondre aux appels d'offres seule. Elle exécute ou sous-traite ensuite les travaux aux sociétés selon les marchés aux sociétés du GIE mais également à d'autres entreprises en fonction de leur savoir-faire et des spécificités du marché. Lorsque SSPT soumissionne, les associés élaborent les prix ensemble" (cote 872).

135. La coopération ainsi mise en œuvre au stade de la commercialisation entre les membres du GIE laisse planer un doute sérieux sur la justification économique et technique du recours au groupement pour tous les marchés publics d'enrochements et de terrassement et de VRD remportés par le GIE ou la SSPT.

136. En revanche la coopération mise en œuvre en aval s'est traduite par une renonciation expresse et permanente des membres du GIE à candidater aux marchés publics de fourniture et de mise en œuvre d'enrobés.

5. L'EXISTENCE D'UN BARÈME COMMUN CONCERNANT LES AGRÉGATS TRANSFORMÉS QUI SONT REVENDUS AU GIE

137. Dans le cadre de l'enquête, le gérant de la société Allen-Mahé a déclaré : "Le GIE achète les matériaux concassés par les membres du GIE au même prix auprès de chacun de ses membres. Nous n'établissons des factures que pour les clients extérieurs au GIE" (cote 559).

138. A contrario, dans une note de présentation du GIE remise aux enquêteurs, il est indiqué qu'"(...) en aucun cas ne peuvent préfigurer des tarifs des matériaux ayant subi une transformation car là ce sont les entreprises disposant des équipements nécessaires qui agissent, avec des coûts d'exploitation différents selon la nature des matériels dont ils sont propriétaires" (cotes 437 et 438).

139. Or, l'existence d'un barème commun portant sur le prix à la tonne des agrégats qui sont vendus au GIE ressort de façon claire des documents produits et des déclarations des représentants du GIE et des sociétés membres lors de l'instruction.

140. La pièce suivante (cotes 4866 à 4867) traduit l'application d'un prix à la tonne rigoureusement identique pour chaque type d'agrégat entre 2003 et 2008 :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

141. Le représentant légal de la société Allen-Mahé a déclaré lors de l'audition du 26 janvier 2010 que : "Pour la matière concassée livrée au GIE, il y a au moment de la livraison, délivrance d'un bon de pesée par le GIE. Ce document mentionne le type d'agrégat, le tonnage sans mention du prix. Les bons sont récupérés par la cellule du GIE qui tient la comptabilité matière de façon extra comptable au niveau du GIE. Je vous préciserai la manière dont ces opérations sont retranscrites au sein de la comptabilité générale de mon entreprise. Il n'y a pas de tenue de journal des ventes pour ces opérations en comptabilité générale. Je peux en revanche vous confirmer que les flux sont enregistrés quotidiennement dans la comptabilité auxiliaire de l'entreprise, et que les doubles des bons de pesée qui nous sont remis par le GIE font office de pièces justificatives qui ne mentionnent pas les prix qui sont issus de la grille tarifaire. Il s'agit d'une grille qui est élaborée en concertation au niveau du GIE. Une étude de prix a été réalisée dans les années 2002-2003 que je fournirai. Depuis cette date, les prix n'ont pas varié et ne font pas l'objet d'une indexation" (cote 1509).

142. De même, lors de l'audition du 27 janvier 2010, le représentant légal de la société Guibert Frères a confirmé l'existence d'une telle concertation entre les entreprises membres du GIE. A la question "Quelles sont les conditions générales de ventes accordées aux clients pour la revente de ces matériaux au niveau de votre société (prix, délai de paiement, réalisation du transport, pesée...) ? Les conditions sont-elles identiques suivant que les ventes sont réalisées au profit du GIE "des carrières", de ses membres, ou au profit d'autres entreprises ? Ces conditions générales de vente ont-elles évolué depuis 2003 ?", le représentant de la société Guibert Frères a répondu : "Les éléments de réponse ont été fournis dans le cadre de la réponse le questionnaire du 22 décembre 2009. Les prix de fourniture de matières concassés au GIE sont fixés de façon concertée entre les membres du GIE. La stabilité des prix est due à la concurrence (Guibert TP)" (cote 1481).

143. Interrogé sur les modalités de détermination de la marge prise par les entreprises de transformation de la matière brute qui est fournie par le GIE, le représentant du groupement a répondu dans le procès-verbal du 26 janvier 2010 que : "C'est le GIE qui fixe le prix d'achat, après négociation, qui est le même pratiqué pour tous les membres du GIE (28 euro). Ces tarifs sont conclus verbalement entre les deux parties, à savoir le GIE d'une part, et les membres d'autre part. En revanche, le GIE n'a pas de droit de regard sur les prix pratiqués pour les ventes de ces mêmes agrégats, par les membres du GIE à d'autres entreprises" (cote 1492).

D. LES GRIEFS NOTIFIÉS

144. Par lettre en date du 28 juillet 2011, la rapporteure générale a notifié les griefs suivants :

1) au GIE "Exploitation des carrières", à la société Allen-Mahé, à la société Atelier Fer, et à la société Guibert Frères, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il a été reproché :

- grief n° 1 : d'avoir mis en œuvre et ce, au moins depuis 1994, date à laquelle le GIE a étendu son activité à la réalisation des marchés publics, des règles de fonctionnement ne prévoyant pas un accès au GIE reposant sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires, et qui ont pour objet ou qui ont pu avoir pour effet de limiter l'accès aux agrégats pour les entreprises concurrentes sur les marchés aval, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

- grief n° 2 : d'avoir fixé de façon concertée, entre 2003 et 2009, un barème commun de prix pour l'ensemble des agrégats revendus au GIE qui a eu pour objet et pour effet d'éliminer toute concurrence par les prix entre les entreprises membres du GIE au stade de la fourniture d'agrégats transformés (granulats), en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

- grief n° 3 : d'avoir convenu et ce, au moins depuis 1994, des modalités de soumission aux marchés de fournitures d'enrobés consistant à ce que le GIE soumissionne seul, qui ont eu pour objet et pour effet d'éliminer toute concurrence sur les marchés des enrobés, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2) au GIE "Exploitation des carrières", à la société Allen-Mahé, à la société Atelier Fer, à la société Guibert Frères, à la société SSPT, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il a été reproché :

- grief n° 4 : d'avoir mis en œuvre et ce, depuis au moins 1994, une répartition de chiffres d'affaires s'agissant de la fourniture d'agrégats transformés au GIE et des travaux exécutés en sous-traitance du GIE, qui a pour objet et pour effet de garantir un niveau d'activité équitable aux entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, et donc de diminuer l'intensité concurrentielle intra-groupement, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

3) au GIE "Exploitation des carrières", à la société Allen-Mahé, à la société Atelier Fer, à la société Guibert Frères, sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce, il a été reproché :

- grief n° 5 : d'avoir utilisé, entre 2003 et 2009 leur position dominante collective sur le marché de la commercialisation des enrochements pour mettre en œuvre des pratiques consistant à réserver la vente de ceux-ci au GIE ayant pour objet d'entraver le fonctionnement normal de ce marché dès lors que les concurrents, les sociétés Bâti-Coffrage et CDI, ne disposaient pas d'autres solutions économiquement et techniquement acceptables et ayant pour effet de les évincer de ce même marché, en violation des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

E. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE

145. Le GIE "Exploitation des carrières", la société Allen-Mahé, la société Atelier Fer, la société Guibert Frères et la société SSPT, après avoir été destinataires de la notification des griefs, ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce selon lesquelles : "Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction".

146. La mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal établi par la rapporteure générale adjointe, signé le 14 octobre 2011 par les représentants desdites sociétés, ainsi que du GIE (cotes 7624 à 7629), qui ont proposé des engagements. En séance, plusieurs améliorations ont été apportées à cette proposition, dont la version définitive figure en annexe 1 de la présente décision.

147. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs et des engagements souscrits, la rapporteure générale adjointe a proposé que la sanction éventuellement encourue soit réduite dans une proportion allant de 20 à 25 % du montant qui aurait normalement été infligé.

II. Discussion

148. L'organisme ou l'entreprise qui sollicite le bénéfice de la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ne doit pas contester la réalité des griefs qui lui ont été notifiés.

149. Il en résulte que l'intéressé doit renoncer à contester, non seulement la réalité des pratiques visées par la notification des griefs, mais également la qualification qui en a été donnée par les services d'instruction de l'Autorité au regard des dispositions du Code de commerce, et leur responsabilité dans la mise en œuvre de ces pratiques. Cette renonciation doit, sur l'ensemble de ces points, être claire, complète et dépourvue d'ambiguïté (décision n° 04-D-42 du 4 août 2004, relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre du marché de la restauration de la flèche de la cathédrale de Tréguier, paragraphe 15 ; décision n° 06-D-09 du 11 avril 2006, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication des portes, paragraphe 303 ; voir également en ce sens, décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphes 226, 228 et 425 ; décision n° 11-D-07 du 24 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques, paragraphe 113).

150. En l'espèce, il convient de relever que toutes les entreprises mises en cause, ainsi que le GIE, ont renoncé à contester les griefs notifiés, qu'il s'agisse des pratiques relevées, des qualifications juridiques mises en avant par les services d'instruction et de leur responsabilité dans ces pratiques.

151. Une telle renonciation à contester les griefs, visés au paragraphe 144 ci-dessus et relatifs aux pratiques constatées aux paragraphes 58 à 143 ci-dessus et commises par les parties décrites aux paragraphes 28 à 46 ci-dessus, suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions en cause sont établies (voir en ce sens l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France, p. 10, confirmé sur ce point par l'arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France ; voir également décision n° 11-D-07 précitée, paragraphe 113 ; et également, en ce sens, décision n° 04-D-42 précitée, paragraphe 12).

152. Ces infractions et les responsabilités respectives des parties dans leur mise en place sont rappelées aux paragraphes suivants.

A. SUR LA DÉFINITION DES MARCHÉS PERTINENTS

1. LES MARCHÉS DE PRODUITS

153. La commande publique en matière de marchés de travaux publics, hors construction d'ouvrages, est structurée à Saint-Pierre-et-Miquelon autour de trois types de chantiers : les travaux de terrassement et de VRD, le renforcement d'ouvrages maritimes (quais, ports, route de l'Isthme de Miquelon-Langlade) et la fourniture d'enrobés pour la réfection du réseau routier.

154. Les caractéristiques de la demande ont conduit, au cas d'espèce, à identifier :

- d'une part, un marché spécifique pour les enrochements, qui sont des blocs rocheux massifs de 500 kg à 6 tonnes, utilisés après simple opération de triage pour les travaux de renforcement des ouvrages maritimes, dont ils représentent l'essentiel des composants ; - d'autre part, les agrégats de plus petite taille (agrégats concassés ou granulats), qui après opération de concassage, sont destinés à être utilisés, en fonction de leurs propriétés et de leur calibre, soit en l'état comme remblais pour les travaux de terrassements ou de sous-couche d'accrochage pour la préparation des enrobés (pierres concassées 1/100), soit en étant incorporés pour la fourniture d'un produit nécessitant l'association d'autres agrégats (sable, pierres concassées 31/5) ou d'autres composants (ciment ou bitume), comme pour le béton ou les enrobés.

155. S'agissant des enrobés, il a été retenu à plusieurs reprises et notamment dans la décision n° 01-D-02 du 6 mars 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché des enrobés bitumineux de la Communauté urbaine de Bordeaux, l'existence d'un marché spécifique à ces produits.

156. Bien que chaque appel d'offres constitue en principe un marché pertinent (voir la décision n° 00-D-38 du 20 septembre 2000 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la restauration de monuments historiques en Ile-de-France), "peuvent être sanctionnées les pratiques anticoncurrentielles affectant chacun des marchés publics en cause, ainsi que l'entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur ces marchés, en ce qu'elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts" (arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2004, DTP Terrassement ; arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 janvier 2003, Bouygues).

157. S'agissant de l'appréciation de la dominance d'une entreprise, l'analyse du marché pertinent n'est pas, de même, limitée à ces marchés instantanés que constituent les appels d'offres. Au contraire, pour déterminer si une entreprise active dans un secteur qui fonctionne par appel d'offres détient une position dominante, il peut être pertinent de retenir non pas le marché particulier résultant de la rencontre d'un appel d'offres et des soumissions déposées en réponse, mais le marché plus général sur lequel sont actifs l'ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l'appel d'offres concerné.

158. Au cas d'espèce, il faut constater que les pratiques reposent sur une ligne d'action commune entre les entreprises membres du GIE et le GIE lui-même, qui se fonde à la fois sur une stratégie durable d'intégration de l'activité de production et de commercialisation des agrégats et sur un mécanisme général de compensation visant à une répartition de l'activité entre ces entreprises inscrite dans la durée.

159. Dans ce contexte, en dépit de l'unicité de chaque appel d'offres, les marchés de travaux publics peuvent être regroupés en trois types de marchés distincts, mais néanmoins connexes, en tenant compte de la segmentation retenue pour les marchés amont de produits, à savoir les marchés publics de terrassement et de VRD, les marchés de fourniture et de mise en œuvre d'enrochements (travaux en sites maritimes) et les marchés d'enrobés (travaux routiers).

160. Une telle segmentation entre ces trois catégories de travaux publics a déjà été retenue par l'Autorité (avis n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l'acquisition du groupe GTM par la société Vinci, s'agissant des travaux routiers et décision 11-DCC-35 du 8 mars 2011 relative à l'acquisition par la société CSF de la société Ajaccio Distribution, s'agissant des travaux de terrassement et des travaux en sites maritimes).

2. LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

161. La demande ne porte que sur des routes et d'autres ouvrages se trouvant à Saint-Pierre-et-Miquelon et émane à titre principal des acheteurs publics locaux.

162. L'offre est limitée par la charge du coût de transport s'agissant des agrégats et la localisation du principal site d'extraction et d'exploitation. En outre, à l'exclusion de deux catégories d'agrégats qui font également l'objet d'importations (la pierre à béton et le sable) qui n'interviennent pas dans l'exécution des marchés de travaux publics, l'offre n'émane que d'entreprises disposant d'un site d'exploitation se trouvant sur l'archipel.

163. Dans ce contexte, le marché géographique en cause correspond au territoire de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

B. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS

1. SUR LES PRATIQUES D'ENTENTES MISES EN OEUVRE AU STADE DE LA PRODUCTION (MARCHÉ AMONT) ET DE LA MISE EN OEUVRE DES AGRÉGATS (MARCHÉS AVAL DE TRAVAUX PUBLICS)

164. Un accord de volontés relevant du champ de l'article L. 420-1 du Code de commerce peut prendre la forme de la constitution d'un GIE entre entreprises indépendantes, par lequel ces dernières mettent en commun certains éléments de leur politique commerciale. A l'instar d'autres décisions d'organismes collectifs qui se présentent comme des décisions unilatérales, cette organisation est en réalité le fruit d'une décision fondée sur le concours de volontés de membres du GIE (voir notamment la décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE "groupement des Taxis amiénois et de la métropole", paragraphe 200). La forme que peut revêtir cet accord est indifférente, dès lors que sont démontrées, d'une part, la volonté d'une entreprise de se lier à d'autres et, d'autre part, l'acceptation de ces dernières.

165. Néanmoins, ainsi que l'Autorité l'a indiqué à plusieurs reprises, la réunion d'entreprises indépendantes au sein d'un groupement d'intérêt économique ne saurait être considérée, en soi, comme une pratique d'entente prohibée. Dans la décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE "groupement des Taxis amiénois et de la métropole", l'Autorité a ainsi rappelé "qu'un groupement d'intérêt économique, créé en vue d'améliorer les conditions d'exploitation de ses membres, ne constitue pas en soi une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce". Comme l'a toutefois poursuivi l'Autorité, "le recours à une telle structure ne fait pas obstacle à l'application de ces dispositions, lorsqu'il est établi qu'elle a été utilisée pour mettre en œuvre des pratiques concertées ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence".

a) Sur le grief n° 1 relatif aux conditions d'accès et de fonctionnement du GIE

166. S'agissant de la possibilité pour un GIE ayant un caractère "fermé" de réserver le statut de membres à certaines entreprises, il ressort de la décision n° 01-D-70 du 24 octobre 2001 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la mélasse et du Rhum à la Réunion "qu'il est loisible à des entreprises de constituer entre elles des groupements et, le cas échéant, d'en limiter l'accès à leur gré, sous réserve de ne pas porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence ; que la "fermeture" d'un groupement, c'est-à-dire le fait d'en réserver l'adhésion à ses fondateurs ou à des entreprises acceptées par eux, n'est susceptible d'entraver le libre jeu de la concurrence que si la participation au groupement est la condition de l'accès au marché".

167. Cette analyse est confirmée par une jurisprudence constante, rappelée par la Cour d'appel de Paris dans l'arrêt du 27 mai 2003, Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France, selon lequel les conditions d'adhésion à une association professionnelle peuvent porter atteinte à la libre concurrence si cette adhésion est une condition d'accès au marché ou si elle constitue un avantage concurrentiel et si ces conditions d'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire.

168. En l'espèce, il n'est pas contesté par l'ensemble des parties concernées que l'adhésion au GIE conditionne l'accès à une part essentielle du marché des agrégats à Saint-Pierre et Miquelon. En particulier, même si des ressources alternatives à la carrière du "Fauteuil" existent sur l'archipel, leur rôle ne pèse que de façon très marginale sur la structure de l'offre d'agrégats. En outre, cette offre complémentaire est, dans une large mesure, le fait du GIE et des sociétés qui en sont membres. Enfin, les éléments figurant au dossier ainsi que les précisions apportées en séance par le représentant de la direction de l'équipement confortent l'idée que le recours aux importations du Canada n'est pas une véritable alternative pour les entreprises concurrentes. S'agissant des enrochements, le représentant du GIE a ainsi affirmé : "Il n'y a pas de véritable concurrence en provenance du Canada. Sur l'île, par exemple, Guibert TP dispose de ses stocks de matériaux issus de chantiers TP mais cela reste une concurrence modeste pour le GIE" (cote 416).

169. Par ailleurs, les statuts du GIE ne contiennent aucune précision relative aux modalités d'admission d'un nouveau membre. L'absence de règlement intérieur amplifie l'opacité de fonctionnement du GIE. Cette situation prive les entreprises concurrentes qui souhaiteraient adhérer au GIE de précisions sur la consistance et la nature des obligations qui s'imposent aux membres.

170. Compte tenu de la position de force du GIE et de ses membres sur le marché, l'absence de conditions d'adhésion objectives et transparentes au GIE est de nature à restreindre l'accès des entreprises concurrentes à la carrière du "Fauteuil". Le caractère fermé du GIE contribue, dans un contexte de marché lui-même déjà fermé, au verrouillage du marché amont, lequel tend à restreindre la concurrence sur les marchés aval de travaux publics. Il est, dans ces conditions, contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

b) Sur le grief n° 2 relatif à la fixation en commun d'un barème de prix des agrégats revendus au GIE

171. Selon une pratique décisionnelle constante rappelée dans la décision n° 07-D-16 du 9 mai 2007 relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales, "s'il est loisible à un syndicat professionnel ou à un groupement professionnel de diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l'exercice de leur activité, cette aide ne doit pas exercer d'influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession ; en particulier, les indications données ne doivent pas avoir pour effet de détourner les entreprises d'une appréhension directe de leurs coûts qui leur permette de fixer individuellement leurs prix" (paragraphe 77. Voir également la décision n° 07-D-05 du 21 février 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d'orthoprothèses, paragraphes 53 et suivants).

172. En l'espèce, il n'est pas contesté, d'une part, que le prix de vente des agrégats au GIE qui est pratiqué par les entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères est identique sur une longue période et se caractérise par une parfaite stabilité entre 2003 à 2009 et que, d'autre part, l'application de ce tarif unique concerne l'ensemble de la gamme des agrégats vendus au GIE.

173. Par ailleurs, les sociétés ont reconnu l'existence d'un barème commun de prix des agrégats livrés au GIE, et que ce tarif était fixé de façon concertée entre les membres de ce dernier, alors que ses représentants avaient pleinement conscience de l'existence d'une structure de coûts propre à chaque membre. Dans une note remise aux enquêteurs, le représentant du GIE indiquait ainsi que, à la différence de la matière brute qui fait l'objet d'une exploitation commune via le GIE, "(...) en aucun cas ne peuvent préfigurer des tarifs des matériaux ayant subi une transformation car là ce sont les entreprises disposant des équipements nécessaires qui agissent, avec des coûts d'exploitation différents selon la nature des matériels dont ils sont propriétaires" (cote 438).

174. Le représentant de la société Allen-Mahé a déclaré lors de l'audition du 26 janvier 2010 :

"Il s'agit d'une grille qui est élaborée en concertation au niveau du GIE. Une étude de prix a été réalisée dans les années 2002-2003 que je fournirai. Depuis cette date, les prix n'ont pas varié et ne font pas l'objet d'une indexation" (cote 1509).

175. De même, le représentant de la société Guibert Frères a confirmé l'existence d'une concertation entre les membres du GIE (cote 1481).

176. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la fixation d'un barème commun de prix des agrégats revendus au GIE a eu pour objet d'éliminer toute concurrence par les prix entre les sociétés membres du GIE au stade de la fourniture d'agrégats transformés. Cette pratique était de nature à conduire à une rigidité et à un alignement des tarifs des prestations réalisées pour le compte du GIE par ces mêmes sociétés en aval, dans le cadre de l'exécution des marchés de travaux publics. Elle a aussi été de nature à éliminer la concurrence pour une partie substantielle de la production d'agrégats dans l'archipel. Elle est à considérer comme contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

c) Sur le grief n° 3 relatif aux modalités de soumission aux appels d'offres entre le GIE et ses membres s'agissant des marchés aval de travaux publics d'enrobés

177. La constitution de groupements par des entreprises indépendantes et concurrentes, en vue de répondre à un appel d'offres, n'est pas illicite en soi. De tels groupements peuvent avoir une incidence pro-concurrentielle s'ils permettent à des entreprises, ainsi regroupées, de concourir, alors qu'elles n'auraient pas été en état de le faire isolément, ou de concourir sur la base d'une offre plus compétitive. Ils peuvent, à l'inverse, tendre à restreindre la concurrence s'ils sont de nature à provoquer une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates ou dissimulent une entente anticoncurrentielle de prix ou de répartition des marchés (voir l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 5 janvier 2010, Ponsaty).

178. S'agissant du cas particulier des groupements entre entreprises concurrentes et indépendantes exploitant en commun des centrales productrices d'enrobés, le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de considérer que : "De tels groupements peuvent avoir un effet proconcurrentiel s'ils permettent à des entreprises, ainsi regroupées, de concourir alors qu'elles n'auraient pas été en état de le faire isolément ou de concourir sur la base d'une offre plus compétitive. Ils peuvent, en revanche, avoir un effet anticoncurrentiel s'ils provoquent une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates, dissimulant une entente anticoncurrentielle ou de répartition des marchés. Si l'absence de nécessités technique et économique de nature à justifier ces groupements peut faire présumer leur caractère anticoncurrentiel, elle ne suffit pas à apporter la preuve d'un tel caractère" (décision n° 04-D-57 du 16 novembre 2004 relative aux marchés publics de travaux de revêtement de chaussées dans le département des Pyrénées Orientales, paragraphe 31).

179. S'agissant des justifications techniques et économiques relatives à la constitution des groupements, la Cour d'appel de Paris a retenu dans l'arrêt du 18 février 2003, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau de la région de Dunkerque, qu'un groupement pouvait aider une entreprise à acquérir une compétence lui faisant défaut, à s'assurer de meilleures chances de succès, à répartir la charge de travail afin de gagner en souplesse ou encore à la mettre en situation de réaliser des travaux qu'il lui aurait été difficile de réaliser seule, compte tenu de leur importance. De même, dans la décision n° 08-D-28 du 3 décembre 2008 relative aux pratiques mises en œuvre par des entreprises exploitant des granulats dans le département d'Ille-et-Vilaine, le Conseil a estimé que la constitution de groupements en vue de soumissionner aux marchés publics de fourniture de granulats pouvait trouver sa justification dans l'intérêt qu'il y avait pour les entreprises, compte tenu de leur éloignement respectif du site de livraison, à mutualiser leurs coûts de transport.

180. Toutefois, dans la décision n° 04-D-57 précitée, le Conseil a fait observer que "la formation de groupements n'apparaît pas toujours comme la seule solution aux problèmes soulevés ou la plus adaptée : la recherche d'un taux d'occupation optimal des équipements et personnels pourrait peut-être relever plus efficacement de la gestion des entreprises prises individuellement et non du recours systématique aux groupements, pratique qui réduit le nombre de concurrents et affaiblit donc nécessairement le jeu de la concurrence" (paragraphe 37).

181. En l'espèce, il n'est pas contesté que la pratique consistant à présenter systématiquement la candidature unique du GIE sur les marchés publics d'enrobés et de travaux routiers repose sur un concours de volontés par lequel les membres du GIE ont renoncé à toute forme de concurrence entre eux.

182. Il n'est pas non plus contesté que ce recours au GIE comme candidat unique aux appels d'offres organisés pour attribuer les marchés publics relatifs à la fourniture d'enrobés ne trouve pas sa justification dans l'importance des marchés concernés, leur technicité ou la recherche de l'optimisation des coûts, mais repose uniquement sur le choix qui a été fait initialement de localiser l'investissement principal (la centrale à enrobés) au niveau du GIE. S'agissant de ces marchés, les dirigeants du GIE ont, en effet, indiqué : "L'idée d'organiser une mise en concurrence entre les membres du GIE, via la commercialisation de l'enrobé auprès de la commande publique n'a jamais prospéré compte tenu des investissements lourds (centrale à enrobés) à assumer au niveau des membres, et d'autres moyens, tel que la cellule gestion (maîtrise d'œuvre, 5 personnes, qui est dirigée par M. Tony X...)" (cote 1490). Le représentant de la société Allen-Mahé a également indiqué dans le procès-verbal du 4 septembre 2008 : "Pour les enrobés le GIE a son propre marché, il est le seul à intervenir sur ce marché" (cote 559).

183. Dès lors, le recours au GIE comme candidat unique aux appels d'offres organisés pour attribuer les marchés publics relatifs à la fourniture d'enrobés avait pour objet d'éliminer toute concurrence par les prix entre les parties mais également de limiter le volume total des produits. Un rôle analogue à celui du GIE, de mandataire du groupement des trois sociétés, a été confié à la SSPT (voir les paragraphes 44 et 45 ci-dessus).

184. Ces pratiques doivent donc en l'occurrence être considérées comme constitutives d'une pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

d) Sur le grief n° 4 relatif aux modalités de répartition de la production d'agrégats et des travaux de sous-traitance sur les marchés aval entre les membres du GIE ou de la SSPT

185. Dans la décision n° 91-D-59 du 3 décembre 1991 relative au groupement d'intérêt économique "Géosavoie", le Conseil de la concurrence a sanctionné l'utilisation d'un GIE pour mettre en œuvre une répartition de marché entre ses membres : "Considérant qu'en l'espèce l'article 2 du règlement intérieur du GIE Géosavoie réalise un partage de marchés entre ses membres en réservant par avance à chacun d'eux un quota de travaux en fonction de son implantation géographique et du chiffre d'affaires réalisé et en prévoyant un "correctif d'attribution" qui contribue à accentuer la rigidité du système ; que la modification de cet article décidée le 24 janvier 1991 maintient un système d'attribution en fonction des disponibilités de chacun et des souhaits du maître d'ouvrage qui reprend en réalité, sans le détailler, le principe de répartition originel". Dans la décision n° 98-D-27 du 21 avril 1998 relative à des pratiques constatées à l'occasion de la passation d'un marché de sel de déneigement dans le département de la Nièvre, le Conseil a également sanctionné la pratique des entreprises membres d'un GIE consistant en une répartition égalitaire des chiffres d'affaires.

186. En l'espèce, il n'est pas contesté que les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères se sont d'abord coordonnées sur l'évolution du niveau de sous-traitance entre elles, comme le font apparaître les documents intitulés "rapport d'activité sous-traitance" concernant les années 2003 à 2008, qui sont accompagnés du détail de l'intervention, marché par marché, de chaque entreprise membre du GIE.

187. Ces documents mettent en évidence une répartition de l'activité entre les trois entreprises membres par tiers, en situation cumulée entre 2003 et 2008, tant en ce qui concerne les prestations de location de matériels de transport, que la vente de matériaux et les prestations de sous-traitance qui sont fournies par ces trois entreprises dans le cadre de l'exécution des marchés de travaux publics de terrassement, d'enrochements et de mise en œuvre d'enrobés remportés par le GIE et par la SSPT.

188. L'existence d'une répartition du chiffre d'affaires entre les trois entreprises ressort également des documents décrits aux paragraphes 111 à 124 de la présente décision, qui établissent le caractère concerté de la recherche d'un effet de rattrapage, et ce depuis 1994, sur les prestations de location de matériels de transport.

189. Ces éléments sont confortés par les déclarations des représentants légaux de ces sociétés qui ont confirmé l'existence d'un principe de compensation des chiffres d'affaires entre les entreprises Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert frères, s'agissant à la fois de la revente d'agrégats au GIE et des prestations de travaux et de locations de matériel nécessaires à leur mise en œuvre.

190. Cette pratique, qui tend à garantir un niveau d'activité équitable à ces entreprises qui sont toutes membres du GIE "exploitation des carrières" et actionnaires de la SSPT, en diminuant l'intensité concurrentielle entre les entreprises qui se sont réunies dans le groupement, est contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2. SUR LES PRATIQUES NÉES DE LA POSITION DOMINANTE DU GIE ET DE SES MEMBRES

a) Sur la position du GIE et de ses membres

191. Il ressort d'une jurisprudence constante que des parts de marché extrêmement importantes constituent, sauf circonstances exceptionnelles, un élément suffisant pour tenir pour établie l'existence d'une position dominante. En effet, la possession de telles parts de marché place l'entreprise qui les détient dans une situation de force qui fait d'elle un partenaire obligatoire et qui lui assure l'indépendance de comportement caractéristique de la position dominante. Cette analyse peut être transposée à un oligopole, dans les mêmes conditions.

192. Pour démontrer l'existence d'une position dominante collective, il convient d'établir que les entreprises "ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs" (arrêt de la Cour de justice du 31 mars 1998, Kali & Salz, C-68/94 et C-30/95, point 221, Rec. p. I-1375 ; arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T-102/96, point 163, Rec. p. II-753), ce qui peut ressortir de l'examen des liens ou facteurs de corrélation juridiques existant entre les entreprises ou de l'examen de la structure du marché selon les critères dégagés par le Tribunal dans l'arrêt du 6 juin 2002, Airtours (T-342/99, Rec. p. II-2585, point 62).

193. Ainsi, l'existence de liens structurels entre des entreprises, d'une part, tels que des liens en capital ou des accords formalisés entre elles, et l'adoption d'une ligne commune d'action sur le marché, d'autre part, suffisent à démontrer l'existence d'une position de dominance collective (arrêt de la Cour de justice du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge/Commission, C-395/96 P, Rec. p. I-1365, points 29-31 ; arrêt du tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, Rec. p. II-2969, points 45-46 ; arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 1996, Total Réunion Comores ; arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 octobre 2001, OMVESA ; arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 juin 2002, CFDT Radio Télé).

194. Dans la décision n° 06-D-02 du 20 février 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur des travaux routiers liés à la fabrication d'enrobés bitumineux dans le département des Ardennes, le Conseil, qui a conclu à l'existence d'une position dominante, a considéré dans le même sens que "les liens structurels résultaient de la présence des quatre sociétés routières titulaires des parts des trois centrales ardennaises. La structure oligopolistique du marché découlait de ce que les quatre sociétés, par leurs trois centrales d'enrobage, couvraient le territoire ardennais et fournissaient la plus grande partie des enrobés de ce département puisqu'elles approvisionnent en amont leurs quatre associés ou leurs filiales à hauteur de 84,5 % de leurs débouchés et que ces entreprises routières ont emporté, ensemble ou en groupement avec des tiers, 95,8 % du montant des marchés recensés auxquels s'ajoutaient des ventes aux tiers pour le complément. Chacune d'entre elles a une parfaite connaissance des capacités de production de chaque centrale, de ses coûts, des prix de vente des enrobés qui sont déterminés à l'unanimité par les quatre associés et enfin des quantités enlevées par celles-ci ou par ou leur filiale opérationnelle" (paragraphes 110 et 111).

195. Par ailleurs, dans son arrêt rendu le 7 juillet 2009, société Vicat, la Cour de cassation a précisé que, pour déterminer si des sociétés disposent d'une position dominante collective, il convient de rechercher si, en l'absence de l'entente qui leur était imputée, ces sociétés auraient disposé en commun de la possibilité de se comporter sur le marché concerné, dans une mesure appréciable, de façon indépendante vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs.

196. En l'espèce, l'existence d'une position de dominance collective, indépendamment des pratiques d'ententes en cause, n'est pas contestée sur le marché de la commercialisation des enrochements, marché distinct de ceux sur lesquels se sont déployées ces pratiques d'ententes.

197. En particulier, il n'est pas contesté que l'importance des parts de marché des sociétés membres du GIE (respectivement 86 % et 88 % des marchés amont et aval) ; l'existence de liens structurels et d'une ligne action commune entre elles ; le fait que, de par leurs liens historiques au travers du contrôle de la carrière du "Fauteuil", les sociétés membres du GIE avaient peu d'intérêt à dévier d'une stratégie commune ; l'existence de barrières à l'entrée liées à la réglementation des carrières ; l'atonie de la concurrence en aval, entretenue par le caractère fermé du GIE et la nécessité de recourir aux importations pour les concurrents (notamment pour les enrochements) caractérisent la position dominante collective des parties.

b) Sur le refus de vente d'enrochements à la société CDI

198. Il résulte d'une pratique décisionnelle constante "qu'une entreprise ou un groupe d'entreprises en position dominante a la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective sur le marché" ou sur un marché connexe (décision n° 02-D-44 du 11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l'eau potable et de l'assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence).

199. Il ressort également d'une jurisprudence constante que "la notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 91, et Akzo/Commission, précité, point 69). De même, si l'existence d'une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportements lorsqu'ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser (arrêts United Brands/Commission, précité, point 189, BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 69, Tetra Pak/Commission, précité, point 147, et Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, précité, point 107)" (arrêt du tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, précité, points 111 et suivants).

200. En l'espèce, il n'est pas contesté que les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères conservent la production d'enrochements au niveau du GIE et ne procèdent pas à leur commercialisation auprès d'entreprises tierces qui sont concurrentes sur les marchés aval de travaux publics nécessitant ces enrochements, alors que ces entreprises sont obligées de recourir à l'importation dans des conditions tarifaires désavantageuses. En effet, le recours aux importations pour ce type de matériaux ne présente pas une alternative économique comparable pour les entreprises concurrentes, le niveau de prix des enrochements importés pouvant se situer au double de celui proposé par le GIE.

201. A cet égard, le représentant légal de l'entreprise CDI a invoqué l'existence de deux demandes de prix auprès des sociétés membres du GIE et du GIE lui-même formulées début 2009 qui sont restées sans réponse.

202. Dans ce contexte, le comportement en cause, en ce qu'il tend à exclure les concurrents de l'accès aux marchés aval d'enrochements, constitue une pratique abusive au sens des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Conclusion sur les griefs

203. Comme cela résulte des paragraphes qui précèdent, le GIE et l'ensemble des sociétés mises en cause ont renoncé à contester la réalité des pratiques visées par les griefs n° 1 à 5 qui leur ont été notifiés en l'espèce, et le fait qu'elles soient contraires, selon les cas, aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce.

C. SUR LA RESPONSABILITÉ DES PARTIES

204. Il est possible de retenir la responsabilité personnelle d'un organisme collectif, parallèlement à celle de ses membres, dès lors que cet organisme collectif adopte un comportement anticoncurrentiel distinct et autonome de celui de ces membres (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 octobre 2004, Yann Penard, confirmant la décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne).

205. Le Conseil de la concurrence a ainsi retenu la responsabilité parallèle d'une structure commune et de ses membres, dès lors que la structure commune contribuait elle-même à la mise en œuvre de l'entente dont elle était en même temps le cadre (voir la décision n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés des titres restaurant et des titres emploi service).

206. Si les groupements d'entreprises, tels que des GIE, peuvent se voir imputer la responsabilité de pratiques anticoncurrentielles, la responsabilité parallèle de leurs membres n'est pas pour autant exclue.

207. En l'espèce, il n'est pas contesté que le GIE "Exploitation des carrières" exerce des activités de production et de commercialisation d'agrégats et d'enrobés qui constituent une activité économique au sens de l'article L. 410-1 du Code de commerce. L'analyse de son mode de fonctionnement montre que ce GIE dispose, pour ces activités, de ses propres moyens en personnel et matériel, et qu'il est doté d'un certain degré d'autonomie par rapport à ses membres, laquelle s'exprime notamment dans son pouvoir de négociation lors de la soumission aux appels d'offres organisés pour l'attribution de marchés publics auxquels il candidate seul.

208. Il n'est pas non plus contesté que le GIE a pris une part active dans la mise en œuvre des pratiques visées par l'ensemble des griefs et est responsable de la mise en œuvre de ces pratiques. De même, il n'est pas contesté que les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères ont chacune participé à la mise en œuvre de ces pratiques.

209. S'agissant de la SSPT, "les autorités de concurrence doivent s'assurer si "un investissement passif dans une entreprise concurrente, ne vise pas en réalité à (....) instaurer une coopération entre les entreprises en vue d'un partage de marché" (décision n° 97-D-39 du 17 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par différentes entreprises dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur).

210. En l'espèce, la prise de contrôle de la SSPT en 2003 par les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères a permis l'utilisation d'une structure analogue à celle du GIE pour postuler aux appels d'offres organisés pour attribuer des marchés de travaux publics. La SSPT a donc constitué un support complémentaire à la répartition de chiffre d'affaires convenu entre les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, ce qui justifie que le grief n° 4 lui soit imputé, comme cela n'est pas contesté.

D. SUR LES SANCTIONS

211. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

212. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la sanction pécuniaire maximum qui peut être imposée à une entreprise est "de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante".

213. En l'occurrence, il doit aussi être tenu compte de la circonstance que le GIE "Exploitation des carrières", la société Allen-Mahé, la société Atelier Fer, la société Guibert Frères et la société SSPT ont tous renoncé à contester les griefs dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce et que, dans une telle hypothèse, "le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié".

214. De plus, lorsque, comme en l'espèce, l'Autorité statue selon la procédure simplifiée prévue par l'article L. 464-5 du Code de commerce, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs de pratiques prohibées.

215. L'Autorité vérifiera donc, au terme de la détermination des sanctions imposées à chacun des auteurs des pratiques en cause, que chacune d'entre elles n'excède pas le maximum légal de 750 000 euro, qu'il n'y a pas lieu de réduire de moitié (voir en ce sens l'avis de la Cour de cassation n° 005-0006 du 11 juillet 2005) ou, dans l'hypothèse où il serait plus favorable à tel ou tel des intéressés, le maximum légal de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre, réduit de moitié en application du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

216. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction".

217. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.

218. Chacune des entreprises en cause dans la présente affaire, ainsi que le GIE, ont été mis en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination des sanctions pouvant leur être imposée, à la suite de la réception de la notification des griefs qui décrivent ces différents éléments. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants des sanctions, qui relève de sa seule délibération.

1. SUR LA VALEUR DES VENTES

219. La valeur des ventes de l'ensemble des catégories de produits et de services en relation avec les infractions, effectuées en France par chacune des entreprises en cause ainsi que par le GIE durant leur dernier exercice comptable complet de participation à ces infractions, pourra être utilement retenue comme assiette de leur sanction respective. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères). Pour autant, à la lumière d'une jurisprudence constante des juridictions de l'Union, ce paramètre peut être considéré comme une référence appropriée et objective pour proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à l'ampleur économique de l'infraction en cause, d'une part, et au poids relatif sur le secteur concerné de chaque entreprise qui y a participé, d'autre part (arrêts de la Cour de justice du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission, 100-80, Rec. p. 1825, points 119 à 121, et du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler AG e.a./Commission, C-322-07P, C-327-07P et C-338-07P, Rec. p. I-7191, point 314). Cette jurisprudence, même si elle n'est pas directement applicable à la détermination des sanctions par l'Autorité, n'en constitue pas moins un point de référence utile pour l'exercice concret du pouvoir d'appréciation dont dispose l'Autorité à cet égard, à l'intérieur du cadre prévu par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

220. L'Autorité s'est donc engagée à déterminer le montant de base des sanctions qu'elle prononce en se référant à cette notion comme assiette, que le droit de l'Union soit applicable parallèlement au droit interne aussi bien que lorsqu'il ne l'est pas, afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière de sanctions.

221. En outre, en l'espèce, bien que l'Autorité puisse imposer à chaque partie plusieurs sanctions dans l'hypothèse où elles ont mis en œuvre plusieurs infractions (arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, société Bouygues Télécom), comme c'est le cas en l'occurrence, l'Autorité estime qu'il est opportun, eu égard à l'identité ou à la connexité, selon les cas, des marchés en cause et à l'objet général des pratiques en cause, qui ont tendu à verrouiller les marchés aval de travaux publics, de n'infliger qu'une sanction unique à chacune des entreprises en cause, ainsi qu'au GIE (voir les arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2005, société Dexxon Data Media, et de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, p. 20), et, à cette fin, de ne prendre en considération, comme assiette, qu'une seule et même valeur des ventes, en relation avec l'ensemble des pratiques en cause.

222. Les catégories de produits et de services à prendre en considération à cet effet sont celles faisant l'objet des pratiques, telles que décrites dans la partie de la décision consacrée à leur qualification (paragraphes 164 et suivants ci-dessus).

223. Pour le GIE, la valeur des ventes retenue correspond au total des commissions qu'il perçoit dans le cadre de la soumission aux appels d'offres organisés pour l'attribution des marchés publics concernés par les pratiques. Ces commissions s'élèvent à 5 % du chiffre d'affaires correspondant aux prestations de travaux et de services que les membres du GIE lui fournissent en leur qualité de sous-traitant.

224. Pour la société SSPT, la valeur des ventes retenue correspond, de même, au total des commissions perçues par l'intéressée dans le cadre de la soumission aux appels d'offres organisés pour l'attribution des marchés publics concernés par les pratiques. Ces commissions s'élèvent à 5 % du chiffre d'affaires correspondant aux prestations de travaux et de services que les actionnaires de la société lui fournissent en leur qualité de sous-traitant.

225. Pour les trois membres du GIE (les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères), la valeur des ventes retenue est le chiffre d'affaires correspondant aux prestations de travaux et de services qu'ils fournissent au GIE et à la société SSPT en leur qualité de sous-traitants et qui, en pratique, correspondent dans l'ensemble à l'exécution des prestations de travaux publics visées par les griefs.

226. Eu égard à la participation individuelle de chaque entreprise en cause et du GIE aux infractions, telle que constatée ci-dessus aux paragraphes 164 et suivants, l'exercice comptable complet retenu pour déterminer cette valeur des ventes sera, compte tenu des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, l'exercice 2008.

227. Au vu des considérations qui précèdent, le tableau ci-dessous récapitule les valeurs des ventes servant d'assiette à la sanction individuelle de chacun des intéressés :

PARTIE EN CAUSE / VALEUR DES VENTES (EN €)

GIE / 101 152

Allen-Mahé / [500 000 – 1 000 000]

Atelier Fer / [500 000 – 1 000 000]

Guibert Frères/ [500 000 – 1 000 000]

SSPT / 53 007

2. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE

228. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de base de la sanction de chaque entreprise en cause et du GIE sera déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, critères qui se rapportent tous deux aux pratiques constatées. Les appréciations de l'Autorité à cet égard trouveront une traduction chiffrée dans le choix d'une proportion de la valeur des ventes retenue pour chaque entreprise en cause et pour le GIE, démarche qui, comme indiqué plus haut, permettra de proportionner l'assiette de la sanction à l'ampleur économique de l'infraction en cause, d'une part, et au poids relatif sur le secteur concerné de chaque entreprise qui y a participé, d'autre part. Les autres éléments d'individualisation pertinents relatifs à la situation et au comportement de chacune des entreprises en cause et du GIE seront pris en considération dans un second temps.

229. La durée des pratiques constituant un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (voir en ce sens arrêts de la Cour de cassation du 28 juin 2003, Domo services maintenance, et du 28 juin 2005, Novartis Pharma) que l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments), elle fera l'objet d'une prise en compte sous ce double angle selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué du 16 mai 2011 précité.

a) Sur la proportion de la valeur des ventes

Sur la gravité des faits

230. En premier lieu, il convient de constater que les entreprises en cause, ainsi que le GIE, ont mis en œuvre des pratiques consistant en quatre ententes horizontales entre concurrents et en un abus de position dominante collective :

- les pratiques visées par le grief n° 1 relatif aux conditions d'accès et de fonctionnement du GIE et par le grief n° 5 relatif au refus de vente d'enrochements apparaissent particulièrement graves en l'occurrence, dans la mesure où elles ont fermé l'accès des entreprises concurrentes à la carrière du "Fauteuil" ;

- les pratiques visées par le grief n° 2 relatif à la fixation en commun d'un barème de prix des agrégats revendus au GIE constituent des ententes de prix, pratiques considérées, de jurisprudence constante, comme particulièrement graves dans la mesure où elles affectent un des paramètres essentiels de la concurrence ;

- les pratiques visées par le grief n° 3 relatif aux modalités de soumission aux appels d'offres entre le GIE et ses membres s'agissant des marchés aval de travaux publics d'enrobés et par le grief n° 4 relatif aux modalités de la production d'agrégats et des travaux de sous-traitance sur les marchés aval entre les membres du GIE ou de la SSPT constituent des ententes de répartition de clientèle, également considérées, de jurisprudence constante, comme des pratiques d'une particulière gravité dans la mesure où elles affectent un des paramètres essentiels de la concurrence.

231. En outre, le fait que ces pratiques, qui sont distinctes dans la mesure où elles affectent des paramètres de concurrence eux-mêmes distincts, se cumulent et couvrent l'intégralité de la chaîne de valeur sur les différents marchés en cause en accroît la gravité intrinsèque (voir en ce sens la décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, paragraphe 449).

232. En deuxième lieu, il y a lieu d'observer que les pratiques, prises dans leur ensemble, ont tendu à verrouiller les marchés aval de travaux publics. Or, des pratiques qui faussent, voire suppriment, la concurrence dans l'attribution de marchés publics sont, de jurisprudence constante, considérées comme d'une particulière gravité, en ce qu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises si elles s'étaient déterminées de manière indépendante (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 septembre 2007, Entreprise Vendasi).

233. En troisième lieu, il convient de rappeler que le fait qu'une entreprise, auteur de pratiques anticoncurrentielles, détienne un monopole de droit ou de fait, ou bénéficie d'une exclusivité publique ou privée, est de nature à accentuer la gravité du comportement anticoncurrentiel dont elle est l'auteur (voir la décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE "groupement des Taxis amiénois et de la métropole", paragraphe 207).

234. En l'espèce, il faut noter que le GIE, et donc indirectement ses membres, bénéficient de l'autorisation préfectorale d'exploiter la carrière du "Fauteuil", qui constitue une condition essentielle permettant d'accéder aux marchés publics concernés en aval.

235. Il résulte de ce qui précède que les pratiques mises en œuvre par les entreprises en cause et par le GIE sont d'une particulière gravité.

Sur l'importance du dommage causé à l'économie

236. Il est de jurisprudence constante que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour l'infraction en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants à la pratique sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chaque entreprise prise séparément (arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2004, CERP, et de la Cour d'appel de Paris du 17 septembre 2008, Coopérative agricole l'Ardéchoise).

237. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale apportée par ces pratiques à l'économie (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF). Ainsi, dans le cas particulier de pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appels d'offres organisés pour l'attribution de marchés publics, la Cour d'appel de Paris a jugé que le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot, et du 28 octobre 2010, Maquet).

238. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée, y compris en cas d'entente (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange).

239. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée entre autres par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des parties sur le secteur concerné, de sa durée, des conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur concerné (voir, par exemple, l'arrêt de la cour d'appel du 30 juin 2011, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation Novartis Pharma, précité).

240. A cet égard, le montant des marchés affectés constitue, en premier lieu, un des éléments d'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie, ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans la décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales (paragraphe 119), même si celui-ci ne se limite pas à ce montant.

241. En l'espèce, le montant des marchés de travaux publics concernés s'élevait à plus de 18 millions d'euro entre 2003 et 2008 s'agissant des marchés publics de terrassements et de VRD et des marchés d'enrobés. Durant cette période, le GIE et ses membres détenaient, en moyenne, des parts de marché s'élevant à 88,82 % (voir le paragraphe 125 ci-dessus). S'agissant des marchés publics de fourniture et de mise en œuvre d'enrochements, le montant des marchés passés par l'État et la collectivité territoriale dépassait 4 millions d'euro entre 2003 et 2009.

242. Ces chiffres ne peuvent être tenus pour modestes, dès lors qu'ils sont rapportés à la petite taille et au faible nombre d'habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu'au nombre limité des entreprises actives sur les marchés concernés.

243. En deuxième lieu, il doit être relevé que le prix des agrégats mis en œuvre dans les marchés de fourniture d'enrobés a augmenté, en moyenne, de 25 % entre 2005 et 2009.

244. S'agissant des enrobés, les entreprises en cause et le GIE relèvent que le prix global des enrobés n'a augmenté que de 8 % entre 2001 et 2008, alors que l'indice TP09 augmentait de 49 % sur la même période.

245. Il convient à cet égard de relever que les acheteurs publics intègrent généralement d'une année sur l'autre une augmentation des coûts dans leur estimation globale du marché, et que l'indice TP09 n'est utilisé que pour les marchés fractionnés à bons de commande. Ainsi, en 2007 s'agissant du marché à prix ferme de fourniture et mise en œuvre de matériaux enrobés sur la route de l'Isthme Miquelon-Langlade, l'écart de prix entre la proposition initiale du GIE et l'estimation de l'acheteur public provenait principalement du prix rémunérant la fourniture et la mise en œuvre de matériaux enrobés. Le rapport d'analyse des offres relevait à cet égard que : "En 2006, le prix du mètre carré de matériaux enrobés était de [35-40] euro. L'estimation de l'Administration pour ce marché 2007 a été établie sur la base d'une hausse de 7 % des prix d'enrobés par rapport à 2006 compte tenu du renchérissement des produits pétroliers, soit [40-45] euro. Le GIE a proposé dans sa première offre, sans justification convaincante, un prix de [40-45] euro le mètre carré d'enrobés soit une hausse de 19,5 % par rapport à 2006. Après négociations, le GIE revient à un prix de [40-45] euro le m², plus cohérent avec la réalité économique" (cotes 4251 à 4253).

246. L'évolution du prix des matériaux n'est pas, à elle seule, l'unique révélateur d'un possible surcoût auquel ont dû faire face les acheteurs publics sur les marchés des enrobés. Ces chantiers s'accompagnent également de coûts (installation, transport) qui ont, eux-mêmes, pu être sujets à des augmentations non justifiées.

247. Pour les marchés de fourniture d'enrochements, les rapports d'analyse produits par la DTAM mettent d'ailleurs en évidence une évolution très sensible des prix proposés par le GIE d'une année sur l'autre, le GIE pouvant procéder à des compensations entre les différents postes de coût relatifs à ces marchés, ce que les entreprises concurrentes ne pouvaient faire que dans une moindre mesure, compte tenu du coût des matériaux importés.

248. En troisième lieu, il faut rappeler que l'importance du dommage causé à l'économie est également fonction du fait qu'il existe, sur ces marchés, une faible sensibilité de la demande au prix des agrégats, qui constitue une dépense contrainte pour maintenir l'état des infrastructures publiques sur l'archipel. La demande émane d'une clientèle captive puisque les acheteurs publics ne peuvent, en raison des coûts supplémentaires qu'engendre le recours aux importations de Terre-Neuve à Saint-Pierre et Miquelon, s'approvisionner en agrégats et ne peuvent faire appel à des entreprises qu'au niveau local pour les marchés concernés, sauf à subir une hausse importante de leurs coûts.

249. Les entreprises en cause et le GIE contestent le caractère captif des acheteurs publics en raison du prétendu fort pouvoir de négociation de ces derniers et soulignent, à cet égard, la possibilité pour les maîtres d'ouvrage de déclarer infructueux les appels d'offres en cas de dépassement de prix.

250. Cependant, loin de constituer une cause d'atténuation de l'importance du dommage causé à l'économie, le fait pour une personne publique d'être obligée de déclarer un appel d'offres infructueux et de recourir à la procédure négociée peut, au contraire, engendrer des coûts supplémentaires. En l'espèce, de tels procédés ont été mis en œuvre à 17 reprises sur les 84 lots analysés entre 2003 et 2009 (cotes 7593 à 7596).

251. En dernier lieu, l'importance du dommage causé à l'économie est renforcée en l'espèce par l'existence de barrières à l'entrée qui tiennent à la réglementation des carrières et des centrales à enrobés, ainsi qu'aux coûts d'entrée importants liés à l'exploitation de ce type d'installations.

252. Cette situation est de nature à accroître l'effet d'éviction attaché aux pratiques en cause, et en définitive le verrouillage de l'ensemble de la chaîne de valeur.

253. Il ressort de ce qui précède que l'importance du dommage causé à l'économie, lequel, doit être considéré comme certain et significatif sur le marché de Saint-Pierre-et-Miquelon, tout en restant limité par rapport à l'économie générale française dans son ensemble.

Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes

254. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux sociétés Allen-Mahé, Guibert Frères et Atelier Fer ainsi qu'au GIE, une proportion de 16 % de la valeur des ventes retenue pour chacun d'entre eux.

255. S'agissant de la SSPT, l'Autorité retiendra une proportion de 13 % de la valeur des ventes retenue afin de tenir compte du fait qu'elle n'a participé qu'à une seule des pratiques mises en œuvre, celle visée par le grief n° 4 relatif aux modalités de répartition de la production d'agrégats et des travaux de sous-traitance sur les marchés aval, mais aussi que cette pratique occupait une place centrale dans les comportements généraux reprochés aux parties.

b) Sur la durée de participation

256. Comme indiqué au paragraphe 229 ci-dessus, la durée de l'infraction est un facteur qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de l'appréciation tant de la gravité des faits que de l'importance du dommage à l'économie. En effet, plus une infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au libre jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur en cause, et plus généralement pour l'économie, sont susceptibles d'être substantielles.

257. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes. La proportion retenue pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage à l'économie est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l'exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de la dernière année complète de participation à l'infraction, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.

258. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chaque entreprise à l'infraction et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.

259. En l'espèce, les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, ainsi que le GIE ont mis en œuvre cinq infractions différentes. Afin de déterminer la durée individuelle de participation des parties à ces infractions, il conviendrait d'additionner les durées correspondant à chacune d'entre elles. Cependant, dans la mesure où, en l'espèce, prises dans leur ensemble, les pratiques mises en œuvre concourent à une seule et même stratégie globale tendant à verrouiller les marchés aval de travaux publics, il y a lieu de retenir, au titre de la durée de participation des sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères, ainsi que du GIE, la durée globale de mise en œuvre de cette stratégie. Le point de départ de la participation des sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères et du GIE à cette stratégie, tel qu'il ressort des preuves au vu desquelles l'Autorité a qualifié les infractions en cause, est le 5 mai 1994. Cette participation est, au vu des mêmes éléments, retenue jusqu'à la date de la présente décision.

260. S'agissant de la SSPT, qui n'est en cause qu'au titre du grief n° 4, le point de départ de sa participation est le 1er octobre 2003. La fin de celle-ci est, au vu des mêmes éléments, le 31 décembre 2008.

261. Compte tenu des éléments disponibles, la durée de participation individuelle de chacune des parties en cause est établie au mois près. Au-delà de leurs années complètes de participation aux pratiques prises dans leur ensemble, l'Autorité retiendra donc les mois complets de participation au prorata temporis.

262. Pour les sociétés Allen-Mahé, Atelier Fer et Guibert Frères ainsi que pour le GIE, les pratiques ont donc duré 17 ans et 8 mois. Pour la SSPT, elles ont duré 5 ans et 3 mois.

263. Sur cette base, un coefficient multiplicateur constitué comme suit sera appliqué au titre de la durée : 1 pour la première année des pratiques ; puis 0,5 pour chaque année supplémentaire complète ; puis 0,5 pour chaque mois complet.

264. Le tableau ci-dessous récapitule la durée individuelle de participation aux pratiques de chacune des parties en cause et le facteur multiplicateur correspondant.

PARTIE EN CAUSE / DURÉE INDIVIDUELLE DE PARTICIPATION AUX PRATIQUES / COEFFICIENT MULTIPLICATEUR APPLICABLE

GIE / 17 ans et 8 mois / 9,33

Allen-Mahé / 17 ans et 8 mois / 9,33

Atelier Fer / 17 ans et 8 mois / 9,33

Guibert Frères / 17 ans et 8 mois / 9,33

SSPT / 5 ans et 3 mois / 3,12

c) Conclusion sur la détermination du montant de base

265. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, eu égard à la particulière gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause, le montant de base de la sanction pécuniaire déterminé en proportion des ventes de produits et de services en relation avec les infractions, effectuées par chacune des parties en cause, d'une part, et de sa durée individuelle de participation à ces infractions, d'autre part, est le suivant :

PARTIE EN CAUSE / MONTANT DE BASE (EN €)

GIE / 150 999

Allen-Mahé / [746 400 – 1 492 800]

Atelier Fer / [746 400 – 1 492 800]

Guibert Frères / [746 400 – 1 492 800]

SSPT / 21 499

3. SUR LA PRISE EN COMPTE DES CIRCONSTANCES PROPRES À CHAQUE PARTIE

266. L'Autorité s'est ensuite engagée à adapter les montants de base retenus ci-dessus au regard du critère tenant, comme le prévoit la loi, à la situation individuelle de chaque organisme ou entreprise en cause ou du groupe auquel appartient telle ou telle de ces entreprises.

267. A cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, l'Autorité peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque partie dans le cadre de sa participation à l'infraction, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut, selon les cas, conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.

268. En l'occurrence, il convient de constater qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer qu'une des quatre entreprises en cause, non plus que le GIE, aurait joué un rôle particulier dans la conception ou la mise en œuvre des pratiques, que ce soit dans un sens aggravant ou atténuant, et qu'il n'y a pas non plus lieu de tenir compte d'autres éléments propres à leur situation individuelle, sous réserve de la vérification du maximum légal applicable, puis de la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce. La capacité contributive des parties, qui ont toutes soulevé cette question, sera ensuite examinée par l'Autorité.

a) Sur la vérification du maximum légal applicable à chacune des parties

269. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le GIE est de 8 962 599 euro en 2002. Le montant maximal de sanction s'élève donc à 448 129 euro en ce qui le concerne. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 265. Avant mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de sanction s'élève donc à 150 999 euro.

270. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par la société Allen-Mahé est de 2 238 038 euro en 2003. Le montant maximal de sanction s'élève à 111 901 euro en ce qui la concerne. Ce montant est inférieur au montant mentionné au paragraphe 265. Avant mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de la sanction s'élève donc à 111 901 euro.

271. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par la société Atelier Fer est de 1 464 781 euro en 2009. Le montant maximal de la sanction s'élève donc à 73 239 euro en ce qui la concerne. Ce montant est inférieur au montant mentionné au paragraphe 265. Avant mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de la sanction s'élève donc à 73 239 euro.

272. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par la société Guibert Frères est de 2 382 985 euro en 2008. Le montant maximal de la sanction s'élève donc à 119 149 euro en ce qui la concerne. Ce montant est inférieur au montant mentionné au paragraphe 265. Avant mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de la sanction s'élève donc à 119 149 euro.

273. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par la société SSPT est de 2 136 549 euro en 2007. Le montant maximal de la sanction s'élève donc à 106 827 euro en ce qui la concerne. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 265. Avant mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de la sanction s'élève donc à 21 499 euro.

b) Sur la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce

274. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce permet au rapporteur général de proposer à l'Autorité de tenir compte, dans le cadre de la détermination de la sanction, du fait qu'une entreprise ou un organisme ne conteste pas les griefs qui lui ont été notifiés. Le rapporteur général peut, par ailleurs, lui proposer de tenir compte du fait que l'intéressé s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir.

275. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs et des engagements souscrits en commun par les parties, chacune en ce qui la concerne, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction éventuellement encourue soit réduite dans une proportion allant de 20 % à 25 % du montant qui aurait normalement été infligé.

276. En l'occurrence, les engagements n° 1 et n° 2 consistant d'une part, à scinder les activités de production de celles relatives, sur l'aval, à la mise en œuvre des agrégats et des travaux routiers, et d'autre part, à rendre transparentes et non discriminatoires les conditions d'achats des agrégats pour les entreprises tierces aux GIE, visent à atténuer les risques de restriction d'approvisionnement à l'égard des concurrents en aval des entreprises membres du GIE, ou de dégradation des conditions tarifaires ou de la qualité. Le fait que le GIE ne se positionne plus en candidat sur l'aval procède du même objectif (engagement n° 4). Enfin, le regroupement de l'ensemble des actifs nécessaires à la production d'agrégats et à leur transformation est de nature à atténuer les risques de pratiques concertées sur le prix de ces agrégats.

277. Par ailleurs, l'exigüité du marché et le caractère très limité des ressources, extraites en très grande partie de la seule carrière du "Fauteuil" ne permettent pas d'envisager l'utilisation de leviers telle que la cession d'actifs à une entreprise concurrente.

278. Dans ce contexte, si la création par les entreprises membres du GIE d'une structure dédiée à la réalisation des travaux routiers (engagement n° 4) maintient un fort pouvoir de marché au bénéfice de l'ensemble verticalement intégré "GIE - Structure dédiée", les risques de forclusion par les intrants paraissent pouvoir être contrebalancés par une ouverture plus grande de la structure juridique du GIE (engagement n° 3), comme s'y sont engagés le GIE "Exploitation des carrières", la société Allen-Mahé, la société Atelier Fer, la société Guibert Frères et la société SSPT.

279. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer ces différents engagements structurants comme étant substantiels, crédibles et vérifiables.

280. Il convient donc de les rendre obligatoires et de réduire, eu égard à la renonciation de chacune des parties en cause à contester les griefs et aux gains procéduraux ainsi réalisés par l'Autorité, d'une part, et au contenu de ces engagements, d'autre part, la sanction infligée à chacune des entreprises en cause et au GIE dans une proportion de 20 %. Cette proportion est identique pour chacune des parties en cause dans la mesure où, comme cela a déjà été signalé, les engagements proposés sont communs à toutes les parties, bien qu'ils ne soient pris par chacune qu'en ce qui la concerne.

281. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le montant de la sanction pécuniaire, après prise en compte du pourcentage de réduction au titre de la non contestation des griefs est le suivant :

Partie en cause /Sanction avant prise en compte du pourcentage de réduction au titre de la non-contestation des griefs (en €)/ Sanction après prise en compte du pourcentage de réduction au titre de la non-contestation des griefs (en €)

GIE / 150 999 / 120 790

Allen-Mahé / 111 901 / 89 520

Atelier Fer / 73 239 / 58 590

Guibert Frères / 119 149 / 95 310

SSPT / 21 499 / 17 190

c) Sur la capacité contributive

282. Le GIE a invoqué des difficultés financières particulières qui seraient de nature à limiter sa capacité contributive. Afin de permettre à l'Autorité d'apprécier l'existence et, le cas échéant, l'étendue des difficultés alléguées, il a versé au dossier un certain nombre d'éléments de nature fiscale et comptable.

283. L'analyse des éléments financiers et comptables transmis par le GIE conduit l'Autorité à considérer qu'ils n'attestent pas de difficultés financières particulières empêchant l'intéressé de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 281 ci-dessus. En particulier, les ratios de solvabilité et d'endettement qu'ils permettent d'établir conduisent à conclure que le GIE peut se voir infliger une telle sanction, compte tenu de son montant.

284. La sanction du GIE sera donc fixée à 120 790 euro.

285. Allen Mahé a invoqué des difficultés financières particulières qui seraient de nature à limiter sa capacité contributive. Afin de permettre à l'Autorité d'apprécier l'existence et, le cas échéant, l'étendue des difficultés alléguées, elle a versé au dossier un certain nombre d'éléments de nature fiscale et comptable.

286. L'analyse des éléments financiers et comptables transmis par Allen Mahé conduit l'Autorité à considérer qu'ils n'attestent pas de difficultés financières particulières empêchant l'intéressée de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 281 ci-dessus. En particulier, les ratios de solvabilité et d'endettement qu'ils permettent d'établir conduisent à conclure qu'Allen Mahé peut se voir infliger une telle sanction, compte tenu de son montant.

287. La sanction d'Allen Mahé sera donc fixée à 89 520 euro.

288. Atelier Fer a invoqué des difficultés financières particulières qui seraient de nature à limiter sa capacité contributive. Afin de permettre à l'Autorité d'apprécier l'existence et, le cas échéant, l'étendue des difficultés alléguées, elle a versé au dossier un certain nombre d'éléments de nature fiscale et comptable.

289. L'analyse des éléments financiers et comptables transmis par Atelier Fer conduit l'Autorité à considérer qu'ils n'attestent pas de difficultés financières particulières empêchant l'intéressée de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 281 ci-dessus. En particulier, les ratios de solvabilité et d'endettement qu'ils permettent d'établir conduisent à conclure qu'Atelier Fer peut se voir infliger une telle sanction, compte tenu de son montant.

290. La sanction d'Atelier Fer sera donc fixée à 58 590 euro.

291. Guibert Frères a invoqué des difficultés financières particulières qui seraient de nature à limiter sa capacité contributive. Afin de permettre à l'Autorité d'apprécier l'existence et, le cas échéant, l'étendue des difficultés alléguées, elle a versé au dossier un certain nombre d'éléments de nature fiscale et comptable.

292. L'analyse des éléments financiers et comptables transmis par Guibert Frères conduit l'Autorité à considérer qu'ils n'attestent pas de difficultés financières particulières empêchant l'intéressée de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 281 ci-dessus. En particulier, les ratios de solvabilité et d'endettement qu'ils permettent d'établir conduisent à conclure que Guibert Frères peut se voir infliger une telle sanction, compte tenu de son montant. La sanction de Guibert Frères sera donc fixée à 95 310 euro.

293. La SSPT a invoqué des difficultés financières particulières qui seraient de nature à limiter sa capacité contributive. Afin de permettre à l'Autorité d'apprécier l'existence et, le cas échéant, l'étendue des difficultés alléguées, elle a versé au dossier un certain nombre d'éléments de nature fiscale et comptable.

294. L'analyse des éléments financiers et comptables transmis par SSPT conduit l'Autorité à considérer qu'ils n'attestent pas de difficultés financières particulières empêchant l'intéressée de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 281 ci-dessus. En particulier, les ratios de solvabilité et d'endettement qu'ils permettent d'établir conduisent à conclure que la SSPT peut se voir infliger une telle sanction, compte tenu de son montant.

295. La sanction de la SSPT sera donc fixée à 17 190 euro.

4. SUR LE MONTANT FINAL DES SANCTIONS

296. Eu égard à l'ensemble des éléments décrits plus haut, il y a lieu d'imposer les sanctions pécuniaires suivantes, arrondies à la baisse, à chacune des entreprises mises en cause ainsi qu'au GIE :

PARTIE EN CAUSE / SANCTION FINALE (EN €)

GIE / 120 790

Allen-Mahé / 89 520

Atelier Fer / 58 590

Guibert Frères / 95 310

SSPT / 17 190

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que le GIE "Exploitation des carrières" et les sociétés Allen-Mahé SARL, Guibert Frères SARL, Atelier Fer SARL et Société Saint-Pierraise de Transport SA ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

Article 2 : Pour les infractions visées à l'article 1er, sont infligées des sanctions pécuniaires :

- de 120 790 euro au GIE "Exploitation des carrières" ;

- de 89 520 euro à la société Allen-Mahé SARL ;

- de 58 590 euro à la société Atelier Fer SARL ;

- de 95 310 euro à la société Guibert Frères SARL ;

- de 17 190 euro à la Société Saint-Pierraise de Transport (SSPT) SA.

Article 3 : Il est enjoint au GIE "Exploitation des carrières" et aux sociétés Allen-Mahé SARL, Atelier Fer SARL, Guibert Frères SARL et SSPT SA de se conformer en tous points aux engagements visés au paragraphe 146 et dont la version définitive figure en annexe 1 de la présente décision, qui sont rendus obligatoires.