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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 janvier 2012, n° 08-05623

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage des Pins (SARL)

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

M. Vert, Mme Luc

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau, Pelit Jumel, SCP Monin, d'Auriac de Brons

Avocats :

Mes Bertin, d'Arailh

CA Paris n° 08-05623

25 janvier 2012

LA COUR,

Vu le jugement du 11 septembre 2007 par lequel le Tribunal de grande instance de Paris dans l'instance opposant la société Garage des Pins à la société Groupe Volkswagen France a condamné cette dernière à verser à la demanderesse la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'appel interjeté par la société Garage des Pins et ses conclusions du 2 mai 2011;

Vu les conclusions de la société Groupe Volkswagen France enregistrées le 2 août 2011;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Groupe Volkswagen France, ci-après GVF, est importateur en France des véhicules neufs et des pièces de rechange neuves notamment des marques Volkswagen Utilitaires (Vul) et Audi, qu'elle distribuait par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires exclusifs jusqu'au 30 septembre 2003.

Depuis la mise en application - le 1er octobre 2003 - du règlement CE n° 1400-2002 du 31 juillet 2002, les véhicules neufs de marques Volkswagen et Audi sont distribués par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs agréés et la vente de pièces de rechange neuves et le service après-vente sont assurés par un réseau de réparateurs agréés.

La société Garage des Pins était concessionnaire exclusif sur une partie des départements de l'Isère et du Rhône pour les marques Volkswagen, Audi et Vul en vertu de trois contrats de concession signés le 3 décembre 1996 :

- un contrat de concession exclusive portant sur la représentation de la marque Volkswagen,

- un contrat de concession exclusive portant sur la vente de véhicules de marque Audi Véhicules Particuliers,

- un contrat portant sur la concession exclusive de la marque Volkswagen Véhicules Utilitaires.

Ces contrats étaient conclus pour une durée indéterminée et étaient résiliables selon la procédure ordinaire sans énonciation de motifs sous réserve du respect d'un préavis de deux années.

Par courrier recommandé réceptionné le 23 décembre 1999, la société GVF a notifié à la société Garage des Pins la résiliation ordinaire des contrats susmentionnés assortie d'un préavis de 24 mois sans en énoncer les motifs.

C'est dans ces conditions que, par acte du 27 septembre 2004, la société Garage des Pins a assigné la société GVF devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de réparation du préjudice qui lui aurait été causé,

- en résiliant dans des circonstances abusives ses contrats de concession,

- en perturbant l'exécution du préavis de résiliation,

- en permettant à son successeur de récupérer, en fraude de ses droits, une partie substantielle de la valeur incorporelle de son fonds de commerce, et qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré.

Sur la résiliation des contrats de concession

Considérant que si la société GVF, en prononçant la résiliation des contrats de concession la liant à l'appelante, n'a fait que mettre en œuvre les stipulations desdits contrats dont l'article 18 énonçait : "le présent contrat peut être résilié de façon ordinaire et selon la jurisprudence, sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un motif, par chacune des parties, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à l'autre partie, avec un préavis de vingt-quatre mois", elles-mêmes conformes aux dispositions du règlement communautaire d'exemption n° 1475-95 du 28 juin 1995, une telle résiliation peut, néanmoins, même si le préavis conventionnel est respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil aux termes desquelles les conventions légalement formées "doivent être exécutées de bonne foi" que la faculté de résiliation d'un contrat de droit privé à durée indéterminée ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le concessionnaire d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ;

Considérant, en l'espèce, que si les contrats de concession liant les sociétés GVF et Garage des Pins prévoyaient en leur article premier "le respect des standards énoncés en annexe et qui constitue un élément essentiel du contrat" et précisaient en leur article 12 "l'obligation pour le concessionnaire d'aménager, équiper et entretenir les locaux d'exploitation de sorte qu'ils soient conformes aux impératifs du marché de la marque en volume et surfaces, équipements, installations (...) les standards minimaux énoncés dans les différentes directives de commercialisation du fournisseur devant être remplies", il ressort, cependant, des pièces du dossier que les résiliations litigieuses sont intervenues dans un contexte de réorganisation du réseau de distribution en France des véhicules Volkswagen et Audi au travers d'une "séparation-spécialisation" des deux marques se traduisant pour la société Garage des Pins en une obligation de dédoublement intégral de chacune des concessions existantes en deux structures commerciales indépendantes ; que c'est ainsi, dans le cadre du programme Olympe permettant la mise en place d'aides aux concessionnaires restructurés afin d'opérer la mise aux standards de la marque des salles d'exposition, que, le 21 novembre 1997, le cabinet d'architecture Carre d'Archi a pris, pour la première fois, contact avec l'appelante afin d'organiser la restructuration de son immobilier d'exploitation dans la perspective d'une séparation de la représentation des marques Volkswagen et Audi ; que l'accord de principe de la société GVF au projet n'a été donné que le 8 septembre 1998 ; que les derniers plans modificatifs "étude préliminaire" n'ont été adressés par le cabinet d'architecte susmentionné à la société Garage des Pins que le 7 octobre 1999 ; que, critiquant la lenteur de la mise aux standards ainsi engagée, la société intimée, dans un courrier adressé le 16 novembre 1999 à l'appelante, soulignait : "Nous comptons sur une réaction urgente de votre part pour faire évoluer rapidement cette situation et vous mettre en conformité avec l'ensemble des standards, marques et services dans un calendrier précis et serré que vous nous communiquerez par écrit" ; qu'ainsi les résiliations ont été prononcées alors que la société concédante demandait à son concessionnaire la présentation d'un planning de travaux de nature à permettre l'harmonisation d'un réseau restructuré se projetant à "l'horizon 2000" comme le précisent les standards de représentation dudit réseau ; qu'il convient également de relever que cette mise aux normes ne constituait nullement une obligation imposée à la signature des contrats de concession dont s'agit (les dépenses et investissements spécifiques à la marque Volkswagen prévus dans le document précontractuel d'information ne portaient que sur l'identification de la concession, l'acquisition de matériels après-vente et l'informatisation), mais s'inscrivait dans le cadre du programme spécifique Olympe susmentionné présenté au réseau en juillet 1997 lors du "Tour de France préparation demain" et, donc, d'un partenariat nécessairement projeté vers l'avenir ; que, de même, les travaux ainsi engagés n'étaient pas inhérents au fonctionnement de toutes les sociétés mais se rapportaient directement à la reconfiguration des installations de chauffage, de tuyauterie et d'assainissement préexistantes dans le seul but d'assurer le dédoublement des infrastructures qui étaient jusqu'alors uniques et communes aux deux marques ; qu'il s'agissait, en particulier, de la réfection totale du show-room préexistant, désormais dédié en exclusivité à la marque Audi, et non plus aux deux marques, ainsi que de la transformation de la surface de stockage de véhicules d'occasion en un nouveau show-room exclusivement dédié à la marque Volkswagen et désormais accessible au public ; que la réalisation de ces investissements, dont l'achèvement devait intervenir à une date à déterminer au cours de l'exercice 2000, ne pouvait être interrompue, du fait même de leur importance, lors de la notification des résiliations litigieuses et ne se comprenait que dans le cadre d'une poursuite du partenariat commercial existant entre les parties ;

Considérant que ces circonstances de fait et de droit n'ont pu que créer chez la société appelante une confiance légitime dans le maintien de la relation commerciale l'unissant à l'intimée ; que, par suite, cette dernière doit être regardée comme ayant manqué au respect de l'exécution de bonne foi de toute convention prévue par l'article 1134 alinéa 3 susmentionné ; qu'elle a ainsi commis une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de son concessionnaire et à ouvrir à celui-ci droit à indemnisation de son préjudice ;

Considérant, en revanche, que si la société Garage des Pins sollicite également l'octroi de dommages-intérêts particuliers sur le fondement quasi-délictuel de l'article L. 442-6, I 5° du Code du commerce en reprochant à la résiliation intervenue d'être non seulement abusive mais aussi brutale et si elle expose qu'au regard de 30 années de relations ininterrompues l'intimée aurait dû lui ménager un préavis de trois ans et non de deux, la durée de deux ans du préavis conventionnel sera considérée comme suffisante en l'occurrence au regard du secteur d'activité concerné et des possibilités concrètes de reconversion du partenaire résilié, étant rappelé au surplus que le concédant n'est nullement tenu d'une obligation d'assistance du concessionnaire en vue de permettre sa reconversion professionnelle ;

Sur les conditions d'exécution du préavis

Considérant que la société Garage des Pins poursuit également la responsabilité contractuelle de la société GVF lui reprochant d'avoir agi de façon déloyale lors de la période de préavis ; qu'elle considère que la société concédante aurait adopté une attitude discriminatoire et malveillante à son égard au cours de cette période ; qu'elle cite notamment le cas du traitement différent appliqué à l'un de ses clients (Fauronalp) lorsque la prise en charge réclamée par ses soins aurait été refusée pour être accueillie sur demande d'une autre concession (Thomas de Seynod) ; qu'elle évoque également les rumeurs indiquant la prise d'effet de la résiliation dès 2000 au lieu de décembre 2001;

Considérant, tout d'abord, que s'agissant du refus de prise en charge par la société GVF des réparations sollicitées par la société Fauronalp, les cinq justificatifs produits à cet effet par l'appelante ne sont aucunement démonstratifs de la faute alléguée de ce chef à l'encontre de la société concédante ; qu'ils ne rapportent, en effet, nullement la preuve que la cause des reproches faits par la société Fauronalp à la société appelante proviennent d'une éventuelle attitude fautive de l'intimée et non pas de la seule carence personnelle de l'intéressée ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Garage des Pins prétend que l'intimée aurait sciemment propagé une rumeur selon laquelle les contrats de concession en cause auraient pris fin dès le début de l'année 2000 ; que, toutefois, les deux documents versés aux débats pour ce faire, émanant respectivement d'un des clients de l'appelante, M. Dumas, et d'un dépanneur, et datés de juin 2001, ne sont, à eux seuls, aucunement démonstratifs de l'imputabilité à l'intimée de l'information erronée concernant la date d'effet de la résiliation des contrat de concession dont s'agit qui est ainsi critiquée ; qu'il n'est, en effet, pas établi que M. Dumas eût obtenu de la société GVF ladite "information" et, par ailleurs, la société Garage des Pins ne saurait reprocher à cette dernière les propos ou le comportement de représentants de la société Europe Assistance, tierce à l'instance ;

Considérant que la société Garage des Pins reproche, en troisième lieu, à l'intimée de ne pas l'avoir traitée de façon équitable au cours du préavis de résiliation à l'occasion d'enquêtes de "satisfaction clients" et souligne le nombre particulièrement faible de questionnaires envoyés à sa clientèle ; que, cependant, le courrier du 25 avril 2000 adressé à l'appelante par la société GVF explique les raisons de la faiblesse du nombre desdits questionnaires et indique la démarche à suivre pour améliorer les résultats et le taux de retour ; que l'intimée précise dans ledit courrier : "Le peu d'envois s'explique en partie par un nombre d'adresses exploitables relativement bas. Il faut donc veiller à renseigner le plus soigneusement possible les adresses qui vous sont transmises" ; qu'ainsi la société Garage des Pins est à l'origine de son propre grief qu'elle ne saurait ainsi imputer à la société concédante ;

Considérant qu'il est, en quatrième lieu, imputé à la société GVF la fixation d'objectifs "sans prendre en considération la situation découlant des résiliations du 15 décembre 1999" ainsi que la suppression de tout encours deux mois avant le terme effectif du contrat de concession ;

Considérant qu'il sera, néanmoins, relevé qu'au-delà d'affirmations non corroborées, la société Garage des Pins ne justifie aucunement qu'elle aurait subi un quelconque traitement discriminatoire par rapport aux autres concessionnaires en matière de fixation des objectifs ; que, bien plus, tant en 2000 qu'en 2001, l'appelante a bénéficié d'abattements sur les objectifs initiaux de vente calculés conformément à la méthode de calcul standard mise en œuvre et appliquée en fonction du marché local considéré ;

Considérant, par ailleurs, qu'il échet de rappeler qu'aux termes de l'article 21-1 des contrats de concession, lequel a trait à "l'organisation de l'expiration du contrat" : "Six mois avant l'expiration du contrat consécutive à une résiliation avec préavis, le fournisseur sera en droit de prendre toutes les mesures adéquates de façon à ce qu'au jour de l'expiration du contrat, aucune somme non couverte par une caution bancaire ne lui soit due par le concessionnaire. Il pourra ainsi notamment :

- limiter l'encours des produits contractuels si des délais ont été accordés par dérogation aux conditions générales de vente, de façon à ce qu'à l'échéance du contrat le montant de l'encours soit égal au montant des garanties bancaires exigées à cette date.

- exiger pour le surplus des traites avalisées par une banque, et ce en tenant compte de l'ensemble des sommes qui pourraient lui être dues tant au titre du contrat de concession ainsi que toutes autres conventions portant sur les produits contractuels";

qu'il s'ensuit qu'en procédant progressivement à la réduction des encours consentis à l'appelante afin que ceux-ci s'établissent, à l'issue des relations entre les parties, à hauteur des garanties détenues, la société GVF n'a fait que mettre en jeu les stipulations précitées sans qu'aucune faute ne puisse être retenue à son encontre à ce titre ;

Considérant, enfin, que si l'appelante prétend aussi que "la société GVF, après l'échec des négociations, n'a pas hésité à transférer l'intégralité du fichier clients du Garage des Pins afin de permettre à M. Reypin de récupérer le fruit du travail de son prédécesseur", il ressort en réalité de l'instruction que l'intimée s'est bornée, pour réaliser ses campagnes publicitaires, à exploiter, à l'instar de l'ensemble des professionnels de l'automobile, les fichiers d'immatriculation des véhicules afin de cibler une clientèle ayant nécessairement recoupé celle de la société Garage des Pins sans pour autant qu'il y ait eu détournement du fichier de cette dernière ; que les informations relatives à la clientèle de toutes les marques automobiles sont des informations disponibles par le biais d'un organisme dénommé "AAA" qui collecte lesdites informations auprès des préfectures ; que, par le biais de ce fichier, la société GVF a accès à l'ensemble des informations relatives à la délivrance, à la modification et à la suppression des pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules terrestres ; qu'il n'était ainsi nul besoin pour l'intéressée d'exploiter le fichier de l'appelant pour procéder à l'envoi des mailings litigieux, lesquels ne pouvaient qu'être plus utilement effectués à partir de fichier "AAA" susmentionné ;

Considérant qu'il ressort qu'aucune faute ne peut être reprochée à l'intimée pendant la période d'exécution du préavis consenti à la société appelante ;

Sur le préjudice

Considérant que si la société Garage des Pins sollicite l'octroi d'une somme de 2 197 788 euro à titre de dommages-intérêts correspondant à un an de marge brute moyenne calculée sur la moyenne des trois derniers exercices contractuels et si elle indique que "le critère de la marge brute se justifie d'autant plus qu'elle a dû faire face, lors de la prise d'effet de la résiliation de ses contrats, non seulement à l'ensemble de ses charges fixes (paiement des salaires et charges sociales, paiement du coût des licenciements économiques), mais encore à la poursuite obligée des investissements qui avaient été imposés par la société GVF", il convient de rappeler que les dommages-intérêts alloués à la victime doivent réparer le préjudice sans qu'il en résulte pour elle ni profit ni perte ;

que la résiliation abusive et fautive des contrats de concession telle qu'elle a été ci-dessus analysée a généré pour l'appelante un principe de préjudice caractérisé par la réalisation de travaux imposés par le concédant et la logique de l'exploitation d'une concession déterminée et qui n'ont pu qu'être très brièvement utilisés dans le cadre pour lequel ils étaient précisément prévus et par la perte elle-même de ses activités de concessionnaire exclusif des marques Volkswagen et Audi à effet du 23 décembre 2001 dont l'impact économique et financier doit être apprécié au travers de l'évolution des résultats courants de l'intéressée antérieurement et postérieurement à la cessation des relations contractuelles entre les parties, étant observé que la société Garage des Pins, loin d'avoir cessé toute activité, s'est, par ailleurs, reconvertie dans la commercialisation de véhicules d'occasion, le service après-vente ainsi que la représentation et la commercialisation des marques Piaggio, Gileria et Vespa ; qu'eu égard, par suite, tant à l'importance des investissements réalisés qu'à la baisse des résultats courants de la société Garage des Pins dont l'activité s'est redéployée à la suite des résiliations litigieuses, il sera fait une juste appréciation du préjudice concret subi de ce chef par cette dernière en l'évaluant à la somme, toutes causes de préjudices confondus, de 250 000 euro, laquelle sera mise à la charge de la société GVF ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en celles afférentes aux dépens et frais hors dépens, et statuant à nouveau, Condamne la société GVF à payer à la société Garage des Pins la somme de 250 000 euro à titre de dommages-intérêts, Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives, Condamne la société GVF aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, La condamne aussi à payer à la société Garage des Pins la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.