CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 février 2012, n° 09-22350
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Luc
Avoués :
SCP Duboscq, Pellerin
Avocat :
Me de Lammerville
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
La société Carrefour Hypermarchés fait partie du réseau de distribution du groupe Carrefour. Elle exploite des hypermarchés à enseigne " Carrefour ", établis dans divers départements français, aux côtés de nombreux autres distributeurs, filiales du groupe ou sociétés indépendantes. Elle dispose de 11 établissements dans le ressort du greffe du Tribunal de commerce d'Evry et de 67 établissements secondaires dans toute la France.
Dans le cadre d'une enquête nationale portant sur les conditions de mise en œuvre de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, ainsi que des autres dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce, la DGCCRF a examiné les contrats conclus pour l'exercice 2006 entre les groupes de la grande distribution et leurs fournisseurs.
Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs ont examiné les " accords de partenariat " conclus entre le groupe Carrefour et 16 de ses fournisseurs (la SAS La Bresse, la société Rana, la société Sacla Italia, la société Malongo, la société Papeterie Hamelin, la SAS Walchli, la SAS Valade, la société Coudène, la société MHP Production, la société La Toque Angevine, la SA Ederli, la société Les Salaisons Pyrénéennes, la société Agis, la SAS Conserves de Provence, la société La Fournée Dorée et la SAS Arnaud), et plus particulièrement les accords relatifs aux " services distincts " de ceux visant à favoriser la commercialisation des produits des fournisseurs, suivant la classification posée par l'article L. 441-7 du Code de commerce.
Les accords conclus entre le groupe Carrefour et les fournisseurs des produits qu'il distribue s'intègrent tous dans une même trame contractuelle comportant d'une part l'accord commercial, qui définit les conditions de l'achat des produits du fournisseur, et d'autre part un " accord de partenariat ".
Selon le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le groupe Carrefour a bénéficié de rémunérations manifestement disproportionnées eu égard à la valeur des services rendus, voire ne correspondant à aucun véritable service.
C'est dans ces conditions que, par acte du 22 mai 2008, le directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de l'Essonne, agissant au nom du ministre chargé de l'Economie, a assigné la société Carrefour Hypermarchés devant le Tribunal de commerce d'Evry.
Par jugement rendu le 14 octobre 2009, le Tribunal de commerce d'Evry a débouté la SAS Carrefour Hypermarchés de ses demandes d'irrecevabilité et autres, condamné la SAS Carrefour Hypermarchés à payer au ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi la somme de 2 millions d'euro au titre de l'amende civile et de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a débouté le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi de ses autres demandes.
Vu l'appel interjeté le 3 novembre 2009 par la SAS Carrefour Hypermarchés,
Vu les dernières conclusions signifiées le 15 novembre 2011 par lesquelles la SAS Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :
Déclarer la société Carrefour Hypermarchés recevable en son appel ;
Infirmant partiellement le jugement entrepris ;
A titre principal :
Déclarer Monsieur le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés ;
A titre subsidiaire :
Dire et juger que les dispositions sur lesquelles Monsieur le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi fonde son action relèvent de la " matière pénale " au sens de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;
Dire et juger que les dispositions des articles L. 442-6-I-2°, a) (devenu l'article L. 442-6-I-1°) et L. 442-6-III du Code de commerce sont contraires aux principes fondamentaux consacrés par la Convention européenne des Droits de l'Homme, dont notamment le principe de légalité en matière pénale et la présomption d'innocence ;
Dire et juger qu'en conséquence, leur application doit être écartée en l'espèce ;
Plus subsidiairement encore :
Dire et juger que les demandes formées par Monsieur le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi au titre des contrats n° 06-20-27197-01 (cote n° 11-8), 06-2047962-01 (cote n° 11-1), 06-14-48222-03 (cote n° 11-14), 06-20-134339-03 (cote n° 11-15), et 06-20-29741-05 (cote n° 11-20) sont mal fondées, dès lors que ces contrats ne concernent pas les magasins à enseigne " Carrefour " ;
Dire et juger, en ce qui concerne les autres contrats critiqués, que les accusations portées par Monsieur le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2°, a) (devenu l'article L. 442-6-I-1°) du Code de commerce ne sont pas justifiées et en conséquence, rejeter les demandes faites à ce titre ;
Dire et juger que Carrefour Hypermarchés ne saurait être condamnée au versement d'une amende civile pour des faits auxquels elle est étrangère ; en conséquence, rejeter la demande de condamnation formée à son encontre par Monsieur le ministre ;
Constater que Carrefour Hypermarchés n'est pas signataire des accords de partenariat contenant les clauses dont la nullité est sollicitée par Monsieur le ministre ;
Constater que les sociétés du groupe Carrefour signataires desdits accords ne sont pas parties à l'instance ;
En conséquence, rejeter la demande de nullité des clauses de rémunération des accords de partenariat formée par Monsieur le ministre ;
Constater que Carrefour Hypermarchés n'a émis que 7 des 23 factures versées aux débats par Monsieur le ministre ; Constater que les sommes reçues par Carrefour Hypermarchés au titre des services en cause s'élèvent à 2 413 756,59 euro ;
En conséquence, dire et juger qu'en toutes hypothèses, une éventuelle condamnation de Carrefour Hypermarchés à restituer les sommes perçues ne saurait excéder ce montant ;
En tout état de cause :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi de ses autres demandes ;
Condamner Monsieur le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon l'appelante l'action du ministre de l'Economie est fondée sur les contrats de prestations de services conclus par les fournisseurs avec les sociétés Interdis ou Carrefour Hypermarchés France, de sorte que la société Carrefour Hypermarchés n'était pas partie aux contrats litigieux et ne peut être tenue pour responsable des termes de contrats qu'elle n'a pas signés et de factures qu'elle n'a pas émises et dont elle n'a pas reçu le paiement.
Elle affirme, en conséquence, qu'elle n'a aucun lien avec les présentes procédures, et demande à être mise hors de cause.
La société Carrefour Hypermarchés considère que la demande de condamnation à une amende civile contrevient aux principes applicables en matière répressive car l'article L. 442-6 du Code de commerce relève de la matière pénale au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH compte tenu de son objet, de sa nature et de la sévérité des sanctions encourues, de sorte que sa mise en œuvre doit se faire dans le respect du principe de légalité des délits et des peines.
Elle soutient que ce principe n'est pas respecté compte tenu de l'imprécision de la notion d'" avantage manifestement disproportionné ", l'interprétation de ce texte à la lumière de la jurisprudence ne satisfaisant pas aux conditions d'accessibilité et de prévisibilité imposées par la CEDH et violant par conséquent l'article 7 de la CESDH.
Elle estime que le renversement de la charge de la preuve opéré par la loi du 2 août 2005 est contraire à la présomption d'innocence garantie par l'article 6 § 2 de la CESDH.
La SAS Carrefour Hypermarchés souligne également que l'interprétation extensive de l'article L. 442-6 I-2° du Code de commerce conduit à nier le principe de liberté des prix.
Selon la SAS Carrefour Hypermarchés, il n'existe aucune disproportion manifeste entre la rémunération versée par les fournisseurs et la valeur des services " Plan d'action par famille de produits " et " Plan de développement des performances " car, contrairement à ce qui est affirmé par le ministre chargé de l'Economie, ces deux plans permettant aux fournisseurs d'obtenir des informations utiles pour développer leurs produits.
Elle observe que le ministre ne parvient pas à démontrer la disproportion entre le prix facturé aux fournisseurs et la valeur des services rendus par Interdis eu égard à la disparité des sommes facturées aux divers fournisseurs et à la comparaison entre le prix facturé aux fournisseurs et le prix facturé par certains "panélistes".
Elle soutient qu'aucun avantage sans contrepartie n'a été obtenu dans le cadre du service " communication d'un plan d'implantation par type de produits ", s'agissant d'un service effectif qu'Interdis peut légitimement proposer à ses fournisseurs.
La société Carrefour Hypermarchés fait valoir qu'elle ne saurait être condamnée à une amende civile car le principe de personnalité des délits et des peines fait obstacle à ce qu'une sanction pécuniaire soit prononcée contre une société pour des faits qui concernent une autre société.
L'appelante demande ensuite à ce que le jugement soit confirmé en ce qu'il a refusé de faire droit à la demande de nullité car cette sanction conduirait à des conséquences disproportionnées en raison de l'indivisibilité tant économique que juridique des accords conclus entre Interdis, Carrefour Hypermarchés France et leurs fournisseurs, et parce que l'objet même de l'article L. 442-6 n'est pas de permettre la révision du prix du contrat, spécialement quand il s'inscrit dans un équilibre d'ensemble dépourvu de tout caractère lésionnaire.
Enfin, elle prétend que le reversement des rémunérations perçues créerait un déséquilibre significatif entre les parties en octroyant l'ensemble de la marge au fournisseur et en imposant à Carrefour Hypermarchés de travailler à perte.
Vu les dernières conclusions signifiées le 4 octobre 2011 par lesquelles Monsieur le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie demande à la cour de :
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Evry le 14 octobre 2009, en ce qu'il a jugé que la société Carrefour Hypermarchés avait obtenu en application des accords de partenariat conclu avec les fournisseurs SAS La Bresse, Rana, Sacla Italia, Malongo, Papeterie Hamelin, SAS Walchi, SAS Valade, Coudène, MHP Production, La Toque Angevine, SA Ederki, Les Salaisons Pyrénéennes, Agis, SAS Conserves de Provence, La Fournée Dorée, et SAS Arnaud, des rémunérations manifestement disproportionnées au regard des services rendus, ou ne correspondant à aucune service commercial effectivement rendu, au sens de l'article L. 442-6 I 1° du Code de commerce,
Confirmer la condamnation de la société Carrefour Hypermarchés à une amende civile d'un montant de deux millions d'euro,
Prononcer la nullité des clauses fixant la rémunération pour les seize fournisseurs susnommées des services litigieux,
Ordonner la répétition de l'indu, par le paiement entre les mains du Trésor Public, qui les reversera aux fournisseurs concernés, des sommes indûment perçues au titre de ces contrats, à savoir :
à la SAS La Bresse, la somme de 83 606,15 euro
à la société Rana, la somme de 2 830 965 80 euro
à la société Sacla Italia, la somme de 1 004 340,45 euro
à la société Malongo, la somme de 2 103 939,45 euro
à la société Papeterie Hamelin, la somme de 1 606 629,04 euro
à la SAS Walchli, la somme de 127 448,07 euro
à la SAS Valade, la somme de 317 826,44 euro
à la société Coudène, la somme de 162 882,26 euro
à la société MHP Production, la somme de 157 118,80 euro
à la société La Toque Angevine, la somme de 1 695 832,50 euro
à la SA Ederli, la somme de 585 011,70 euro
à la société Les Salaisons Pyrénéennes, la somme de 46 673,10 euro
à la société Agis, la somme de 1 638 517,16 euro
à la SAS Conserves de Provence, la somme de 3 039 756,97 euro
à la société La Fournée Dorée, la somme de 913 265,44 euro
à la SAS Arnaud, la somme de 879 947,14 euro
Confirmer la condamnation de la société Carrefour Hypermarchés à verser à Monsieur le ministre chargé de l'Economie la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le ministre chargé de l'Economie rappelle d'abord que le Conseil constitutionnel a reconnu (décision QPC, 13 janvier 2011, n° 2010-85) que l'article L. 442-6 III est conforme au principe de légalité des délits et des peines et que, dès lors que l'article 7 § 1 de la CESDH constitue la transposition en droit européen du principe de la légalité des délits et des peines, il convient d'en déduire que l'article L. 442-6 I 1° est conforme audit article.
Il rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC n° 2011-126, a en outre confirmé la constitutionnalité de l'action du ministre chargé de l'Economie portant sur des contrats conclus par des personnes privées car celle-ci n'interdit pas aux victimes de pratiques abusives d'agir en justice pour obtenir la condamnation de ces pratiques et elle ne les empêche pas non plus de se joindre à l'instance pour faire valoir leurs droits ou encore d'être entendues.
Il ajoute que les dispositions de l'article L. 442-6 III ne sauraient se confondre avec des infractions telles qu'érigées par le droit pénal de sorte que cet article n'a pas à respecter le principe de présomption d'innocence institué par l'article 6 § 2 de la CESDH alors qu'il constitue, en réalité, la transcription commerciale de l'article 1315 du Code civil.
Le ministre chargé de l'Economie se fonde sur un faisceau d'indices pour affirmer que la conclusion des accords de partenariat du groupe Carrefour avec ses fournisseurs, et en particulier avec les 16 fournisseurs dont les contrats ont donné lieu à son assignation du groupe Carrefour dans la présente affaire, relève d'une politique élaborée et coordonnée au niveau du groupe Carrefour, et en particulier de sa principale structure opérationnelle sur le territoire français, la SAS Carrefour Hypermarchés.
Il considère que les sommes facturées pour le compte de la société Carrefour Hypermarchés en contrepartie des services " plan d'action par famille de produits ", " plan de développement des performances du fournisseur " sont manifestement disproportionnées par rapport à la valeur du service rendu.
Il relève que, contrairement à ce que prétend l'appelante, il n'est pas nécessaire de démontrer l'existence d'un état de dépendance économique dans lequel serait placée la victime, vis-à-vis du bénéficiaire des rémunérations, pour pouvoir mettre en œuvre l'article L. 442-6-I-1°.
Selon le ministre chargé de l'Economie, la simple communication à un fournisseur du plan d'implantation de ses produits dans les rayons, sans qu'il dispose de quelque latitude pour peser sur les choix du distributeur en la matière, et alors qu'une simple visite dans les points de vente lui permet de prendre connaissance de cette implantation-type, ne peut être considérée comme un service rendu au fournisseur, de sorte que les sommes perçues par la société Carrefour Hypermarchés ne correspondent à aucun service commercial effectivement rendu.
Sur l'amende civile, il affirme que les fournisseurs étaient contraints de souscrire un engagement de partenariat et que celui-ci mettait à la charge de ces derniers des rémunérations manifestement disproportionnées eu égard aux services rendus.
Il considère qu'il y a lieu à répétition des sommes indûment perçues par la SAS Carrefour Hypermarchés, en contestant l'analyse des premiers juges, qui pour le débouter de ses demandes tendant à l'annulation des clauses de rémunération des services contraires aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et au reversement aux fournisseurs des sommes abusivement obtenues à ce titre, énonce que " les prix de vente négociés par les fournisseurs sont substantiellement plus élevés que ceux qui seraient pratiqués en l'absence de marges arrière ".
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes du ministre de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés :
La SAS Carrefour Hypermarchés (RCS Evry 451 321 335) soutient qu'elle ne peut être tenue pour responsable des termes de contrats qu'elle n'a pas signée et de factures qu'elle n'a pas émises et dont elle n'a pas reçu paiement.
Il est en effet constant que les accords de partenariat litigieux ont été conclus par les fournisseurs concernés par la présente procédure avec deux des centrales de référencement du groupe Carrefour, la société Carrefour Hypermarchés France (RCS Evry 428 767 859) et la société Interdis (RCS Caen 421 437 591).
Le ministre de l'Economie fait cependant valoir à juste titre que la conclusion des accords de partenariat par le groupe Carrefour avec ses fournisseurs, et en particulier avec les seize fournisseurs en cause dans la présente espèce, relèvent d'une politique élaborée et coordonnée au niveau du groupe Carrefour, et en particulier de sa principale structure opérationnelle sur le territoire français, la SAS Carrefour Hypermarchés.
La SAS Carrefour hypermarchés ne peut prétendre sans mauvaise foi qu'elle n'existait pas à la date de la signature des contrats, pour certains d'entre eux fin 2005 et pour d'autres début 2006, dès lors qu'il résulte de son Kbis qu'elle a déposé ses statuts au greffe du Tribunal de commerce de Caen le 24 décembre 2003 et qu'elle n'a fait qu'opérer un transfert de ceux-ci auprès du Tribunal de commerce d'Evry le 2 février 2006.
Au demeurant, il importe peu que son début d'activité se situe au 10 janvier 2006, dès lors que les contrats en cause concernent bien des accords de partenariat de 2006, à une date où la SAS Carrefour Hypermarchés était en activité.
En outre, la lecture des contrats en cause fait apparaître que, quelle qu'en soit l'entité signataire, celle-ci est dans tous les cas stipulée agir pour son compte ou pour le compte de "toute entité juridique en France exploitant un magasin à enseigne : Carrefour, Champion, Marché Plus, ED, Shopi, 8 à huit, Proxi, Carautoroute, Promocash, Ooshop, tout site Internet Carrefour ou toute autre enseigne exploitée par le groupe Carrefour ou un entrepôt dédié au groupe Carrefour".
Ces contrats, signés par deux filiales distinctes du groupe Carrefour, jouissant chacune de la personnalité morale, reprennent néanmoins exactement la même trame, et les mêmes clauses de l'accord de partenariat soumis par le groupe Carrefour à l'ensemble de ses fournisseurs.
D'ailleurs, la SAS Carrefour Hypermarchés met à disposition le modèle de contrat unique utilisé lors des négociations commerciales, de sorte que les actions sont engagées pour le compte de Carrefour Hypermarchés, que ce soit par l'intermédiaire de la société Carrefour Hypermarchés France ou de la société Interdis, ces dernières n'ayant aucune marge de manœuvre quant à la définition des services proposés aux fournisseurs, coopération commerciale ou services distincts, ces prestations étant toujours définies par Carrefour Hypermarchés dans leur contenu.
En outre, la SAS Carrefour Hypermarchés a bien volontairement exécuté les contrats litigieux, ce qu'elle ne conteste pas et ne peut pas contester.
Il doit également être observé que, dans tous les cas, les paiements effectués en application de ces contrats doivent être adressés à la même entité CRF Carrefour, tandis que leur gestion comptable est assurée par une autre entité commune, Carrefour Administratif France et que l'article 3.2 des accords prévoit la compensation des sommes dues au titre de ces contrats avec les sommes dues par le fournisseur "à l'ensemble des entités juridiques exploitant des magasins aux enseigne du groupe Carrefour".
La SAS Carrefour reconnaît au demeurant que sept factures concernant la rémunération des accords de coopération litigieux ont été émises par elle sans expliquer pour quelle raison elle a émis et encaissé des factures dans le cadre de l'exécution de contrats auxquels elle dit être étrangère.
En réalité, le groupe Carrefour est constitué d'une véritable nébuleuse de sociétés dont les liens apparaissent d'une grande opacité.
Ainsi, à l'adresse de la SAS Carrefour Hypermarchés, 1 rue Jean Mermoz à Evry, figurent pas moins de cinq raisons sociales différentes portant des dénominations sociales quasiment similaires.
Tel est le cas de la société Carrefour Hypermarchés France, l'un des signataires des accords de partenariat litigieux, dont le président est la SAS Carrefour Hypermarchés.
Quant à la SNC Interdis, centrale d'achat alimentaire, qui est l'autre signataire des accords de partenariat en cause, elle a comme associé Carrefour et son siège social se trouvait également 1 rue Jean Mermoz à Evry et a été transféré à Mondeville ZI Route de Paris.
La SAS Carrefour Hypermarchés dispose de 11 établissements dans le ressort du greffe du Tribunal de commerce d'Evry et de 67 établissements secondaires dans toute la France, pour l'essentiel des hypermarchés. Dès lors, il est clairement établi que la SAS Carrefour Hypermarchés s'identifie au groupe Carrefour.
La SAS Carrefour Hypermarchés, qui exploite ainsi de nombreux hypermarchés à enseigne Carrefour, a, non seulement la qualité de défendeur sérieux au litige, mais également un intérêt direct à la signature des contrats de partenariat litigieux.
Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la SAS Carrefour Hypermarchés, société exploitante, pour le compte de laquelle les contrats de partenariat ont été explicitement signés, et qui en assure l'exécution ainsi que celle des contrats commerciaux dont ils sont indissociables, ne saurait se dire étrangère aux dits contrats de partenariat.
Le jugement dont appel doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la demande du ministre de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés recevable.
Sur l'application des dispositions des articles L. 442-6 I-2° et L. 442-6 III du Code de commerce :
La SAS Carrefour Hypermarchés met en cause la conformité de l'action du ministre aux principes fondamentaux applicables en matière répressive, estimant que cette action revêt une dimension pénale compte tenu de sa finalité et du montant élevé de la sanction civile encourue.
Il a déjà été jugé par le Conseil constitutionnel, par une décision du 13 janvier 2011, que la demande de condamnation à une amende civile ne contrevenait pas aux principes applicables en matière répressive car, eu égard à la nature pécuniaire de la sanction et à la complexité des pratiques que le législateur a souhaité prévenir et réprimer, l'incrimination de l'article L 442-6 I-2° devenu L 442-6 I-1° du Code de commerce est définie en des termes suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits et ses dispositions ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
De même la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 février 2011, a considéré que les termes de l'article L 442-6 I-2° a) du Code de commerce définissent de manière claire, précise et sans ambiguïté le comportement qu'ils visent, qu'ils ont déjà fait l'objet d'une jurisprudence des juges du fond cohérente et nombreuse et qu'ils incluent un élément moral de l'infraction.
Par ailleurs, l'article 7 § 1 de la CEDH invoqué par la SAS Carrefour Hypermarchés exige seulement que l'infraction reprochée à une personne protégée par la convention ait existé en droit français à la date où les faits entraînant une condamnation ont été commis et que la peine prononcée n'excède pas celle qui était prévue au moment où l'infraction a été commise, ce qui est bien le cas en l'espèce.
S'agissant de la violation alléguée par la SAS Carrefour Hypermarchés de l'article 6 § 1 de la CEDH par l'article L. 442-6 III du Code de commerce, qui donne au ministre de l'Economie la faculté d'engager une action portant sur des contrats conclus entre des personnes privées, y compris en l'absence de l'un des cocontractants à l'instance, elle constitue une action de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs mais qui garantit les droits fondamentaux des opérateurs économiques et est justifiée par des impératifs légitimes d'intérêt général.
L'intérêt de ces dispositions législatives d'ordre public est de permettre l'action du ministre pour obtenir la condamnation des opérateurs ayant commis des pratiques illicites à des sanctions, sans possibilité pour des parties privées de paralyser leur application de par leur seule volonté.
Enfin, le Conseil constitutionnel, par une décision du 13 mai 2011, a confirmé la constitutionnalité de l'action du ministre chargé de l'Economie, qui peut demander que soit ordonnée la cessation des pratiques visées à l'article L. 442-6 du Code de commerce, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile ainsi que la réparation des préjudices.
Il considère en effet que cette action n'interdit pas aux victimes de pratiques abusives d'agir en justice pour obtenir la condamnation desdites pratiques et ne les empêche pas de se joindre à l'instance pour faire valoir leurs droits ou être entendues.
Il a émis une seule réserve à cette action concernant la nécessité que les parties au contrat soient informées de l'introduction de l'action, ce qui a été respecté en l'espèce.
Par courriers recommandés avec accusé de réception en date du 28 mai 2008, les seize fournisseurs en cause dans la présente affaire ont effectivement été informés de l'introduction par le ministre chargé de l'Economie d'une action en justice contre la SAS Carrefour Hypermarchés suite aux contrôles réalisés par la DGCCRF dans le cadre de l'enquête nationale mise en place suite à l'intervention de la loi du 2 août 2005 et de la date de la première audience devant le Tribunal de commerce d'Evry.
Enfin, les pratiques abusives visées par l'article L. 442-6 du Code de commerce ne constituent pas des infractions pénales et n'ont donc pas à être compatibles avec le principe de la présomption d'innocence édicté par l'article 6 § 2 de la CEDH. Cet article ne renverse pas la charge de la preuve et n'est que la transcription en droit commercial de l'article 1315 du Code civil.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté les moyens présentés par la SAS Carrefour Hypermarchés tirés de la non-conformité de l'action du ministre aux principes fondamentaux applicables en matière répressive.
Sur le bien-fondé des demandes du ministre de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés :
Le ministre de l'Economie de l'Industrie et de l'Emploi forme à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés une demande d'amende civile au titre des accords de partenariat conclus avec des rémunérations qu'il estime manifestement disproportionnées au regard des services rendus ou ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu, au sens de l'article L. 442-6 I-2° a) devenu L. 442-6 I-1° du Code de commerce.
Trois types de services sont en cause dans la présente espèce :
- le service "plan d'action par famille de produits"
- le service "plan de développement des performances du fournisseur".
- le service "communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin".
Pour les deux premiers types de service le ministre considère que les rémunérations sont manifestement disproportionnées au regard des services rendus alors que pour le troisième type de service il estime qu'il ne correspond à aucun service commercial effectivement rendu.
L'ensemble de seize fournisseurs concernés par l'assignation a souscrit le service "plan d'action par famille de produits", quinze d'entre eux ont souscrits le service "plan de développement des performances du fournisseur" et treize d'entre eux ont souscrit les services "communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin".
Il est certain que, pour les deux premiers types de services, le ministre doit démontrer que la rémunération versée n'a pas de contrepartie ou qu'il existe une disproportion "manifeste" par rapport à la valeur réelle du service proposé et que pour le troisième service, il doit démontré l'absence de tout service commercial effectivement rendu.
Le service "plan d'action par famille de produits" consiste en la mise au point d'actions portant sur la détermination du potentiel et des objectifs de vente des familles de produits du fournisseur, afin de lui donner "une meilleure visibilité sur les tendances du marché des produits concernés".
Ce plan prend la forme de présentations effectuées lors d'une réunion à laquelle les fournisseurs sont conviés en début d'année, puis mises à la disposition des fournisseurs sur un site extranet développé par le distributeur sans commentaire ou analyse complémentaires.
Il s'agit de données très générales sur les évolutions des ventes de familles de produits assez larges, avec indication de l'évolution des prix, des résultats enregistrés par les enseignes du groupe Carrefour et leur stratégie, ses relations avec les différentes catégories de fournisseurs et notamment avec les PME.
Ainsi, la même série de 17 diaporamas a-t-elle été fournie à des sociétés fabricants des produits très différents : société Rana (pâtes fraîches et plats cuisinés), société Coudène (produits traiteurs de la mer), société MPH Productions (produits traiteurs de la mer), société Agis (plats cuisinés, traiteur) et société La Fournée Dorée (viennoiseries) alors que ces diaporamas contiennent notamment des revues de marché portant sur certaines familles de produits, en l'espèce les produits laitiers et non-laitiers, les produits carnés et surgelés, alors qu'aucun de ces cinq fournisseurs n'opère dans le secteur des produits laitiers et que trois d'entre eux sont absents du marché des produits surgelés.
Une autre série de 8 diaporamas portant sur les produits d'épicerie a été mise à la disposition de quatre autres fournisseurs, les sociétés Valade (desserts préparés), Ederki (conserves de légumes), Arnaud (conserves de viande) et Malongo (café) mais constitue un examen très global du secteur des produits d'épicerie avec des données trop générales pour pouvoir offrir aux fournisseurs une visibilité significative de l'évolution des ventes de leurs propres produits, allant au-delà des tendances conjoncturelles communes aux marchés de détail pris dans leur ensemble.
Le décalage entre les données fournies et ce dont auraient besoin les fournisseurs pour que le service soit véritablement utile est illustré par le cas du fournisseur Malongo, producteur de cafés fins haut de gamme, pour lequel les données les plus directement liées à son activité sont celles relatives à la sous-famille "petit déjeuner" qui sont bien trop générales par rapport à la catégorie véritablement opérationnelle qui serait, pour ce fournisseur, une analyse du marché du café, et plus encore une analyse de l'évolution des différents segments de ce marché.
S'agissant particulièrement de PME, souvent spécialisées sur la fourniture de produits très ciblés, leurs ventes sont bien plus susceptibles d'être impactées par les offres de nouveaux produits commercialisés par des concurrents de dimension internationale ou encore par les choix du distributeur de commercialiser sous sa propre marque un produit concurrent.
La société Carrefour Hypermarchés ne saurait se prévaloir de témoignages de certains de ses fournisseurs qui attesteraient de la réelle valeur des prestations de service critiquées alors, qu'à l'évidence, ces PME, qui fournissent toujours le groupe Carrefour ont un intérêt fondamental à ce que leurs produits soient référencés par le canal de distribution essentiel que constitue la grande distribution et tout particulièrement celui exploité par le groupe Carrefour, de sorte que leurs témoignages doivent être examinés avec beaucoup de précautions.
Parallèlement au faible intérêt des informations diffusées, relatives à des marchés de produits sans rapport avec ceux commercialisés par les fournisseurs concernés ou consistant en des données très générales sur la politique du groupe Carrefour ou les résultats enregistrés par ses différentes enseignes, les rémunérations versées par les seize fournisseurs en cause en contrepartie du service "plan d'action par famille de produits" s'établissent à des niveaux extrêmement élevés au regard de la consistance de ces services, très contrastés d'un fournisseur à l'autre et sans rapport avec leur chiffre d'affaires respectifs avec Carrefour.
La rémunération du service "plan d'action par famille de produits" au titre de l'année 2006 a ainsi varié de 48 643,80 euro à 1 273 775,80 euro d'un fournisseur à l'autre et de 4 % à 33,5 % de leur chiffre d'affaires respectifs avec Carrefour, sans que la rémunération ainsi demandée ait un quelconque rapport avec le service effectivement rendu.
L'autre service en cause, appelé "plan de développement des performances du fournisseur" est une prestation globale ayant pour objet d'élaborer un plan visant à développer les ventes du fournisseur, à mettre au point les assortiments les plus adaptés et à analyser les ventes au moyen de chiffres disponibles au niveau de chaque point de vente.
Il se présente sous la forme de tableaux informatiques chiffrés sous format Excel, reprenant pour chaque référence commercialisée un état des sorties par entrepôt et des ventes par magasin en unités vendues et en chiffre d'affaires correspondant.
Ces données chiffrées sont adressées à l'état brut aux fournisseurs, à un rythme mensuel, sans être accompagnées d'aucun commentaire ni d'aucune analyse qui permette d'en tirer quelque enseignement en termes de stratégie commerciale, de sorte qu'elles ne peuvent, sans un travail supplémentaire de traitement et d'analyse de la part du fournisseur, constituer "une analyse de la performance" de celui-ci.
Il s'agit donc de la transmission par la société Carrefour Hypermarchés d'éléments chiffrés, très utiles pour ses propres besoins d'analyse stratégique, qu'elle aurait établis en tout état de cause et indépendamment d'un quelconque service de coopération commerciale au bénéfice de ses fournisseurs. Ces données ne peuvent constituer pour ceux-ci "les grandes lignes d'un plan de développement des performances du fournisseur" censé avoir été élaboré par Carrefour pour les bénéficiaires du service.
Or, ici également, compte tenu du faible intérêt des informations diffusées, les rémunérations versées par les quinze fournisseurs en cause en contrepartie du service "plan de développement des performances du fournisseur" s'établissent à des niveaux extrêmement élevés au regard de la consistance de ces services et très contrastés d'un fournisseur à l'autre.
La rémunération du service "plan de développement des performances du fournisseur" au titre de l'année 2006 a ainsi varié de 3 961 euro à 1 270 346 euro d'un fournisseur à l'autre et de 3 % à 17,2 % de leur chiffre d'affaires, sans qu'il soit justifié d'une prestation différente à hauteur du prix fixé et versé par chaque fournisseur.
L'enquête de l'Administration a cherché à déterminer dans quelle mesure les fournisseurs ayant souscrit auprès de Carrefour les contrats litigieux avaient pu commander auprès de prestataires spécialisés des services de nature équivalente.
Il a pu être établi que cinq des fournisseurs en cause avaient acheté des études produites par le panéliste AC Nielsen et deux autres avaient recours aux services de la société IRI.
Or, les études de ces panélistes sont tout à fait comparables à celles proposées par Carrefour dans le cadre des deux services susvisés.
Si certaines spécificités sont propres à Carrefour, en particulier le suivi des ventes pour un point de vente donné, seuls les panélistes sont en mesure d'offrir aux industriels des données relatives aux ventes toutes enseignes confondues, permettant ainsi d'observer les performances respectives des différents distributeurs pour un produit donné, sachant que ces études portent sur des segments très spécifiques correspondant précisément à l'activité du fournisseur.
Pour des prestations comparables, il faut relever que les prix demandés par les panélistes pour leurs prestations varient sur les sept fournisseurs qui y ont eu recours de 21 410 euro à 98 673 euro, ces prix étant très largement inférieurs à ceux facturés par Carrefour au titre des deux services litigieux.
Les premiers juges ont, à juste titre, souligné que les prix pratiqués par Carrefour étaient "parfois dix ou vingt fois supérieurs aux prix pratiqués par les panélistes pour des prestations non pas identiques mais néanmoins comparables".
Le fait que des fournisseurs comme, par exemple, Malongo ou Conserves de Provence, acheteurs d'études de marché à des prix compris entre 30 000 et 45 000 euro auprès des panélistes, aient rémunéré Carrefour à hauteur de plus d'un million d'euro, représentant respectivement 12 et 14 % du montant de leurs ventes, au titre du service "plan de développement des performances du fournisseur" ne peut, au regard du contenu de cette prestation relever d'un comportement économique rationnel et caractérise à lui seul l'existence d'une rémunération manifestement disproportionnée.
Par ailleurs, il a été démontré l'écart considérable entre le coût de revient des études marketing et statistiques ainsi proposées aux fournisseurs, et les recettes obtenues en contrepartie, soit 13 millions d'euro pour les seuls fournisseurs concernés par la présente espèce, qui ne constituent qu'une infime partie des rémunérations totales obtenues à ce titre par le groupe Carrefour de l'ensemble des fournisseurs.
Si la société Carrefour fait état d'un service de cinq personnes, elle ne démontre pas que celles-ci avaient une activité dédiée aux prestations destinées aux fournisseurs, dès lors que les données chiffrées sont des données internes et brutes qui s'inscrivent dans son propre fonctionnement au regard des différentes entités juridiques constituant le groupe lui-même.
La société Carrefour Hypermarchés ne saurait soutenir que les pratiques abusives en cause dans la présente instance supposeraient, pour être établies, que soit démontrée l'existence d'un état de dépendance économique dans lequel serait placée la victime vis-à-vis du bénéficiaire de ces rémunérations, alors qu'une telle condition n'est pas prévue par le texte et que l'abus de dépendance économique est sanctionné par un texte spécifique du Code de commerce.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sommes facturées pour le compte de la société Carrefour Hypermarchés en contrepartie des services "plan d'action par famille de produits", pour un montant total de 6 380 002,47 euro, et "plan de développement des performances du fournisseur", pour un montant total de 6 760 335 euro, sont manifestement disproportionnées par rapport à la valeur du service rendu, au sens de l'article L. 442-6 I 1° du Code de commerce.
S'agissant enfin du service "communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin", il est matérialisé par la transmission au fournisseur de fichiers informatiques représentant la disposition de ses produits et des produits concurrents dans le rayon concerné, avec présentation visuelle des produits dans le rayon et indication de la surface du rayon occupée, complétée par la liste des références des produits concurrents présents dans le rayon.
Ces données sont déclinées suivant les différentes structures d'assortiment présentes dans les différents formats de magasins exploités par le groupe Carrefour et représentent le mode d'organisation de son rayon par le distributeur en fonction de son choix de disposer physiquement les références qu'il a retenues en fonction de la dimension de son rayon.
Si cette analyse est primordiale pour le distributeur, qui a intérêt à organiser son rayon, pour un type de produits donné, en fonction des références le plus souvent recherchées par le consommateur et en fonction de sa propre marge, la communication aux fournisseurs des plans d'implantation des rayons dans lesquels sont proposés leurs produits ne peut être considéré comme un service rendu.
Seul l'engagement d'un distributeur d'organiser une présentation spécifique des produits d'un fournisseur en leur consacrant par exemple une part plus importante de son linéaire, pour lui permettre d'augmenter ses ventes par rapport à celles des produits concurrents, ou en lui permettant une présentation d'un produit en tête de gondole, pourrait constituer un véritable service de coopération commerciale.
En revanche, la simple communication à un fournisseur du plan d'implantation de ses produits dans les rayons, sans qu'il dispose d'une quelconque possibilité d'influencer les choix du distributeur en la matière, et alors qu'une simple visite dans les points de vente lui permet de prendre connaissance de cette implantation-type, ne peut être considérée comme un service rendu au fournisseur.
La rémunération du service "communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin" au titre de l'année 2006 a ainsi varié de 31 525 euro à 907 390 euro d'un fournisseur à l'autre et de 2 % à 11 % de leur chiffre d'affaires.
Les sommes versés au titre de ce service par les fournisseurs concernés, pour un montant total de 4 053 423 euro, ne correspondent à aucun service commercial rendu au sens de l'article L. 442-6 I 1° du Code de commerce.
Les premiers juges ont justement retenu que l'ensemble des services analysés ci-dessus ne constituent qu'un habillage ne recouvrant aucune réalité économique, sinon la volonté de fausser les prix de transaction et le seuil de revente à perte, et que l'indivisibilité de l'accord commercial et du contrat de partenariat, concrétisé par l'article 3-3 de l'accord de partenariat prouve seulement que les fournisseurs ne sont pas libres de souscrire ou de ne pas souscrire l'accord de partenariat.
Il a déjà été exposé plus haut que la société Carrefour Hypermarchés ne pouvait se prévaloir d'une non-conformité de l'action du ministre aux principes fondamentaux applicables en matière répressive, en ce que les pratiques abusives visées par l'article L. 442-6 du Code de commerce ne constituent pas des infractions pénales. Elle ne peut donc pas invoquer le principe de la personnalité des délits et des peines.
Le jugement dont appel doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société Carrefour Hypermarchés à payer une amende civile de 2 millions d'euro.
Le ministre chargé de l'Economie demande également que soit prononcée la nullité des clauses fixant la rémunération pour les seize fournisseurs susnommés des services litigieux et la répétition de l'indu.
Il a déjà été statué ci-dessus sur la recevabilité de l'action du ministre dirigée à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés de sorte que, pour les motifs déjà invoqués, cette dernière ne peut se prévaloir de ce qu'elle n'est pas signataire des accords de partenariat en cause ou du fait qu'elle n'a émis que 7 des 23 factures en cause.
Le dernier paragraphe de l'accord-type de partenariat précise que "les parties sont liées par le présent accord de partenariat et l'accord commercial. Ces deux contrats forment un ensemble indivisible".
L'article 3-3 de l'accord de partenariat-type précise que "... sauf décision contraire et expresse de Carrefour la résiliation de l'accord commercial signé entre les parties entraînera automatiquement et simultanément la résiliation du présent accord de partenariat. De même la résiliation du présent contrat entraînera automatiquement et simultanément la résiliation de l'accord commercial".
La société Carrefour Hypermarchés soutient que cette indivisibilité serait également économique, l'achat de marchandises par Carrefour au fournisseur et la réalisation par ses soins des services de coopération commerciale formant, selon elle, un ensemble économique indivisible.
Elle en déduit l'impossibilité de prononcer la nullité des clauses fixant la rémunération des services litigieux car cela conduirait à des conséquences disproportionnées.
Elle ajoute que le reversement des rémunérations perçues créerait un déséquilibre significatif entre les parties en octroyant l'ensemble de la marge au fournisseur et en lui imposant de travailler à perte.
Cependant, l'article L. 442-6 III du Code de commerce prévoit expressément que le ministre chargé de l'Economie, pour toutes les pratiques illicites visées à l'article L. 442-6, peut "faire constater" par la juridiction saisie "la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu".
Le ministre chargé de l'Economie, en tant que défenseur de l'ordre public économique, dispose ainsi d'une action autonome de protection du marché et de la concurrence qui vise à sanctionner de façon suffisamment dissuasive la commission de pratiques abusives qui portent atteinte à la loyauté des relations commerciales au détriment de l'un des partenaires commerciaux.
Si le trouble porté à l'ordre économique généré par ces pratiques doit être sanctionné par le versement d'une amende civile, la réparation du trouble passe par la restitution aux fournisseurs des sommes indûment versées.
Dans ces conditions, la stipulation contractuelle d'indivisibilité des deux contrats ne saurait faire obstacle à l'application d'un texte d'ordre public sans le priver d'une grande partie de sa portée et violer les dispositions de l'article 6 du Code civil qui dispose que "on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public...".
Il convient en effet d'observer que les PME sont confrontées à des difficultés croissantes pour obtenir le référencement de leurs produits par les distributeurs, en particulier pour celles commercialisant leurs produits sous marques propres, et qu'elles subissent un rapport de force de plus en plus déséquilibré face aux groupes de la grande distribution qui s'est traduit par une tendance à la diminution des prix de cession nets qu'elles obtenaient de la part desdits distributeurs.
Il est donc illusoire de considérer, comme le voudrait l'appelante, que les PME peuvent à loisir revoir leurs tarifs à la hausse pour compenser les demandes de rémunérations abusives de services auxquelles elles se trouvent confrontées dans leurs négociations avec les fournisseurs.
Compte tenu de l'ensemble de ces développements, il est légitime de faire droit à la demande du ministre chargé de l'Economie tendant au prononcé de la nullité des seules clauses fixant la rémunération pour les seize fournisseurs susnommés des services litigieux, sans pour autant remettre en cause l'ensemble de l'accord conclu entre les parties.
La conséquence de l'annulation des clauses litigieuses est la répétition de l'indu dont les difficultés de mise en œuvre ne sauraient réduire à néant la protection de l'ordre public économique.
En l'absence de précisions apportées par l'article L. 442-6 III du Code de commerce, force est de constater que la restitution des sommes indues aux fournisseurs par l'intermédiaire du Trésor Public est seule à même de garantir l'exécution de la décision judiciaire.
Les sommes indûment perçues au titre de ces contrats s'établissent ainsi qu'il suit :
à la SAS La Bresse, la somme de 83 606,15 euro
à la société Rana, la somme de 2 830 965,80 euro
à la société Sacla Italia, la somme de 1 004 340,45 euro
à la société Malongo, la somme de 2 103 939,45 euro
à la société Papeterie Hamelin, la somme de 1 606 629,04 euro
à la SAS Walchli, la somme de 127 448,07 euro
à la SAS Valade, la somme de 317 826,44 euro
à la société Coudène, la somme de 162 882,26 euro
à la société MHP Production, la somme de 157 118,80 euro
à la société La Toque Angevine, la somme de 1 695 832,50 euro
à la SA Ederli, la somme de 585 011,70 euro
à la société Les Salaisons Pyrénéennes, la somme de 46 673,10 euro
à la société Agis, la somme de 1 638 517,16 euro
à la SAS Conserves de Provence, la somme de 3 039 756,97 euro
à la société La Fournée Dorée, la somme de 913 265,44 euro
à la SAS Arnaud, la somme de 879 947,14 euro
Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a alloué au ministre chargé de l'Economie une indemnité de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré : - en ce qu'il a débouté la société Carrefour Hypermarchés de ses demandes d'irrecevabilité et ses autres demandes relatives à l'application des dispositions des articles L. 442-6 I-2°, devenu L. 442-6 I-1°, et L. 442-6 III du Code de commerce, - en ce qu'il a jugé que la société Carrefour Hypermarchés avait obtenu en application des accords de partenariat conclu avec les fournisseurs SAS La Bresse, Rana, Sacla Italia, Malongo, Papeterie Hamelin, SAS Walchi, SAS Valade, Coudène, MHP Production, La Toque Angevine, SA Ederki, Les Salaisons Pyrénéennes, Agis, SAS Conserves de Provence, La Fournée Dorée, et SAS Arnaud, des rémunérations manifestement disproportionnées au regard des services rendus, ou ne correspondant à aucune service commercial effectivement rendu, au sens de l'article L. 442-6 I 1° du Code de commerce, - en ce qu'il l'a condamnée à une amende civile d'un montant de deux millions d'euro, - en ce qu'il a alloué au ministre chargé de l'Economie une indemnité de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Infirme le jugement déféré pour le surplus, Statuant à nouveau, Prononce la nullité des clauses fixant la rémunération pour les seize fournisseurs susnommés des services litigieux ; Ordonne la répétition de l'indu, par le paiement entre les mains du Trésor Public, qui les reversera aux fournisseurs concernés, des sommes indûment perçues au titre de ces contrats soit : à la SAS La Bresse, la somme de 83 606,15 euro, à la société Rana, la somme de 2 830 965,80 euro, à la société Sacla Italia, la somme de 1 004 340,45 euro, à la société Malongo, la somme de 2 103 939,45 euro, à la société Papeterie Hamelin, la somme de 1 606 629,04 euro, à la SAS Walchli, la somme de 127 448,07 euro, à la SAS Valade, la somme de 317 826,44 euro, à la société Coudène, la somme de 162 882,26 euro, à la société MHP Production, la somme de 157 118,80 euro, à la société La Toque Angevine, la somme de 1 695 832,50 euro, à la SA Ederli, la somme de 585 011,70 euro, à la société Les Salaisons Pyrénéennes, la somme de 46 673,10 euro, à la société Agis, la somme de 1 638 517,16 euro, à la SAS Conserves de Provence, la somme de 3 039 756,97 euro, à la société La Fournée Dorée, la somme de 913 265,44 euro, à la SAS Arnaud, la somme de 879 947,14 euro, Déboute les parties de leurs plus amples demandes, Condamne la SAS Carrefour Hypermarchés aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.