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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 25 janvier 2012, n° 10-01660

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Revol Porcelaine (SA)

Défendeur :

Consortium Ménager Parisien (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avoués :

SCP Oudinot-Flauraud, SCP Arnaudy, Baechlin

Avocats :

Mes Greffe, Bensimhon-Cance

T. com. Paris, du 20 janvier 2010

20 janvier 2010

Vu le jugement contradictoire du 20 janvier 2010 rendu par le Tribunal de commerce de Paris, Vu l'appel interjeté le 28 janvier 2010 par la société Revol Porcelaine (ci-après dite Revol), Vu les dernières conclusions du 10 octobre 2011 de l'appelante, Vu les dernières conclusions du 15 novembre 2011 de la société Consortium Ménager Parisien (CMP), intimée et incidemment appelante, Vu l'ordonnance de clôture du 15 novembre 2011,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Revol se prévalant de droits d'auteur sur sept modèles de plats ou marmites miniatures en porcelaine blanche, ayant découvert l'offre en vente par la société CMP de six modèles constituant, selon elle, la reproduction servile des caractéristiques de ses modèles a, dûment autorisée par ordonnance présidentielle, fait procéder le 25 mars 2008 à la saisie-contrefaçon des documents afférents à trois modèles référencés KT 81261 et trois autres modèles référencés KTB 81259, puis fait assigner le 18 avril 2008 la société incriminée devant le Tribunal de commerce de Paris en contrefaçon de droits d'auteur ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire ;

Que, selon jugement dont appel, les premiers juges l'ont déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Considérant que l'appelante soutient cependant que les modèles par elle revendiqués, protégeables au titre des livres I, III et V du Code de la propriété intellectuelle, ont été contrefaits par les modèles litigieux, et que la société CMP a volontairement crée une confusion avec sa gamme de produits "Belle Cuisine" et porté atteinte à leur valeur économique ;

Sur la contrefaçon

Considérant que pour combattre le grief de contrefaçon l'intimée prétend, à titre principal, que la société Revol ne décrirait pas précisément les caractéristiques qu'elle revendique, ne justifierait d'aucune originalité de ses modèles, et serait irrecevable à invoquer pour la première fois en cause d'appel une protection au titre du droit des dessins et modèles ;

Considérant à cet égard que la société Revol, tout en indiquant (p 4 de ses écritures) que la discussion sur la recevabilité d'une demande au titre d'un dépôt communautaire du 30 juin 2003 serait vaine "en ce sens qu'elle se prévaut des dispositions du livre I du Code de la propriété intellectuelle", demande à bénéficier devant la cour des dispositions du livre V dudit Code, non invoquées en première instance ;

Que l'action en contrefaçon du modèle communautaire d'anse pour produits en porcelaine, ainsi invoquée, tend à la protection d'un droit conféré par un enregistrement ; qu'elle n'a pas le même but que celui initialement recherché, dans le cadre de l'action en contrefaçon des sept modèles revendiqués au titre d'une protection de leur forme sans formalité, étant relevé que ces modèles ne constituent que quelques pièces d'une collection présentant toutes le même type d'anses ; qu'il s'infère de ces éléments qu'il ne saurait être admis que les deux actions tendent aux mêmes fins, au sens de l'article 565 du Code de procédure civile, et il sera fait droit à la fin de non-recevoir opposée par l'intimée ;

Considérant qu'il incombe à celui qui entend se prévaloir de droits d'auteur, de caractériser l'originalité des créations revendiquées ; que pour conclure à la protection de modèles invoqués, savoir :

-cocotte miniature (BC 0108, dim : 7,5 X 7 X 4),

-cassolette ovale (BC 0707, dim : 7,5 X 7 X 2),

- miniatures carrées (BC 1407, basse, dim : 7 X 7 X 2,3 et BC 1207, haute, dim : 7 X7 X 3,5), -ravier carré (BC 1813, dim : 13 X 13 X 4,1) et ravier rond (BC 0912, dim : 12 X 5),

-bol à bouillon (BC 1325, dim : 12,5 X 9,5),

figurant tous sur un catalogue de 2006, antérieur aux faits reprochés, l'appelante précise que chacun d'eux a fait l'objet de dessins par son service de création, produisant à cet égard trois dessins, l'un datant d'octobre 2002 (cocotte), un autre de juin 2004 (ravier rond) et le dernier d'octobre 2005 (ravier carré), le dessin d'anse ayant été déposé en juin 2003 ;

Que l'appelante soutient que l'originalité procède de la combinaison arbitraire de la forme respective des modèles (cocotte miniaturisée de forme haute, cassolette miniaturisée, forme carrée, forme géométrique et hauteur, enfin forme géométrique miniaturisée) avec des anses de forme rectangulaire aux bords galbés et arrondis sur le dessus, un côté triangulaire, et un dessous comportant une ligne parallèle au contour de la poignée ;

Que l'intimée fait cependant valoir que la miniaturisation des plats s'inscrit dans une tendance de la mode, que les modèles en cause constituent la reprise d'éléments connus et que leur forme est purement fonctionnelle ; que certaines des pièces par elle produites ne mentionnant pas de date de diffusion ou de création préexistante aux modèles revendiqués ne sauraient être retenus, étant dénués de pertinence, mais il s'avère établi que des modèles de plats préexistants présentent des anses de forme rectangulaire aux bords galbés et arrondis sur le dessus, voire un côté triangulaire ;

Qu'il résulte par ailleurs de l'examen auquel la cour a procédé qu'indépendamment de l'idée non protégeable de miniaturiser des formes connues de l'univers de la cuisine (cocotte, cassolette, plats carrés, ravier carré ou rond, bol à bouillon) le simple choix de dimensions, qui ne sont pas en elles-mêmes originales permettant de donner à voir ces formes familières malgré la réduction de taille, associé à des anses monoblocs s'avérant présenter comme seule réelle particularité le dessin en relief d'une ligne parallèle au contour formant arrête sur le dessous, ne saurait suffire à traduire un réel effort créatif au sens du droit d'auteur ;

Qu'en définitive, si les combinaisons revendiquées renvoient à un genre d'ustensiles de cuisine et procèdent de choix arbitraires, il ne peut être admis qu'elles portent l'empreinte de la personnalité de leur auteur ; qu'il s'infère du sens de l'arrêt que si la décision entreprise ne peut pas être approuvée en ce qu'elle a admis que ces modèles étaient protégeables au titre du droit d'auteur, elle doit être confirmée en ce qu'elle a débouté la société Revol de toutes ses demandes au titre de la contrefaçon, lesquelles ne sauraient prospérer ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que l'appelante reproche à la société CMP des actes de concurrence déloyale et parasitaire à raison d'une commercialisation à des prix très inférieurs, sous des conditionnements de couleur noire qui accentueraient la confusion avec ses produits, lesquels représenteraient une importante valeur économique, et dont la gamme serait reproduite ;

Considérant que c'est à juste titre que le tribunal a retenu qu'il ne pouvait être reproché à la société CMP son circuit de distribution et ses prix dont elle a la liberté de choix, étant observé que si ses prix sont notablement inférieurs à ceux de la société Revol il n'est pas démontré qu'ils seraient vils, ni que la société CMP vendrait à perte ;

Considérant, par contre, qu'il résulte de la comparaison des modèles commercialisés par les sociétés Revol et CMP que cette dernière a repris l'idée de diffuser des plats en porcelaine blanche de petite taille, présentant globalement l'aspect de ceux exploités par la société Revol, comme munis de poignées comparables, ce qui ne s'impose pas, et reprenant en apparence, sans plus de nécessité, respectivement les dimensions du bol à bouillon, du ravier carré et de la miniature carrée haute de la société Revol ; que des différences de détail, ou de hauteurs ou largeurs pour les autres plats incriminés n'effacent pas l'impression globale de commercialisation d'une série similaire, même si l'intégralité des produits de la gamme "Belle Cuisine" de la société Revol n'est pas concernée ;

Qu'il s'infère de l'examen de la présentation des produits en cause que l'utilisation de la couleur noire par la CMP dans ses conditionnement individuels, certes inexistants pour les produits Revol, incite en outre à associer les produits ; qu'en effet, si cette couleur est appliquée dans l'univers de l'art culinaire par d'autres sociétés et n'est pas utilisée pour tous les coffrets de la société Revol ni présente de manière significative sur tous les stands qui lui sont consacrés, les pièces produites démontrent que, de façon constante, depuis 2006 ses catalogues mettent en valeur cette couleur pour présenter ses produits en porcelaine blanche et conseillent aux revendeurs un présentoir sur fond noir ; qu'en outre il n'est pas sans intérêt de relever que la couleur, orangée, présente sur les emballages de la société CMP, pour certaines mentions ou en souligner d'autres, évoque la coloration rouge foncée apparaissant sur les étiquettes Revol, systématiquement apposées sur ses produits, mettant en valeur son initiale "R" au-dessus de sa dénomination ;

Considérant, en définitive, que même si la société Revol s'adresse à des professionnels ou à une clientèle de grands magasins, visant un public plus aisé que celui de la société CMP, la manière dont cette dernière reproduit et présente des produits comparables, même sous son nom, est de nature à créer un risque de confusion, ou à tout le moins d'association, avec ceux de la société Revol dans l'esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement avisé, et génère nécessairement un trouble commercial, même s'il ne peut être admis que tous les clients de la société CMP auraient, sans ses agissements fautifs, acquis des produits Revol nettement plus onéreux ;

Considérant que les choix de commercialisation de la société CMP, démontrent de la part d'un professionnel de la distribution d'ampleur significative (l'intimée admettant que 17 320 produits litigieux ont été vendus) une volonté délibérée de s'inscrire dans le sillage de la société Revol pour tirer indûment profit de ses diffusions, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles ont connu du succès auprès du public ; que s'il n'apparaît pas que les agissements reprochés ont perduré ensuite de la procédure de saisie, ils ont, même de façon limitée, nécessairement porté atteinte à la valeur économique des produits de la société Revol ;

Considérant que la cour dispose d'éléments suffisants d'appréciation pour évaluer l'entier préjudice subi par celle-ci, du fait à la fois des actes de concurrence déloyale et parasitaire, à la somme totale de 30 000 euro, sans qu'il y ait lieu à mesure de publication ;

Considérant qu'une mesure d'interdiction ne s'impose pas dès lors que la société CMP indique avoir mis un terme aux agissements reprochés, sans que la preuve contraire en soit rapportée ;

Sur la demande reconventionnelle

Considérant qu'il n'est pas établi que la présente action, qui s'est avérée pour partie justifiée, a revêtu un caractère malin et en conséquence abusif qui ouvrirait droit à indemnité compensatoire ; qu'il convient donc de débouter la société CMP de sa demande à ce titre et de confirmer de ce chef la décision de rejet des premiers juges ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare la société Revol Porcelaine irrecevable à revendiquer pour la première fois en cause d'appel le bénéfice des dispositions du livre V du Code de la propriété intellectuelle ; Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Revol Porcelaine de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur et la société Consortium Ménager Parisien de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ; L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau, Condamne la société Consortium Ménager Parisien (CMP) à payer à la société Revol Porcelaine la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; Dit n'y avoir lieu à autre mesure ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Consortium Ménager Parisien aux dépens de première instance et d'appel, qui pour ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.