Cass. com., 31 janvier 2012, n° 11-10.834
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (SAS)
Défendeur :
Asinat distribution (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Richard, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Distribution Casino France que sur le pourvoi incident relevé par la société Asinat distribution ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Asinat distribution (la société Asinat) a conclu avec la société Medis, aux droits de laquelle se trouve la société Distribution Casino France (la société Casino), un contrat de franchise d'une durée déterminée, pour l'exploitation d'un fonds de commerce sous l'enseigne Eco service ; que la société Asinat ayant notifié à la société Casino la résiliation du contrat de franchise, cette dernière a demandé en justice la condamnation du franchisé au paiement de marchandises impayées et d'une indemnité au titre de la rupture anticipée du contrat ; que la société Asinat a été mise en liquidation judiciaire en cours d'instance, Mme Bro-Rodde étant désignée en qualité de mandataire liquidateur ; que cette dernière a notamment sollicité, ès qualités, à titre reconventionnel, l'indemnisation des préjudices résultant d'un manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses cinq premières branches : - Attendu que la société Casino fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Asinat une certaine somme à ce titre, alors, selon le moyen : 1°) que le franchiseur n'est tenu qu'à une obligation de moyens dans l'établissement des prévisions d'activité de son franchisé ; qu'en décidant que les comptes prévisionnels s'étant révélés erronés, la société Casino avait par là-même engagé sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard de la société Asinat, la cour d'appel, qui a considéré que la société Casino était tenue à une obligation de résultat et non à une obligation de moyens, a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que le franchiseur n'est tenu qu'à une obligation de moyens dans l'établissement des prévisions d'activité de son franchisé ; qu'en se bornant, pour décider que la société Casino avait manqué à l'obligation pré-contractuelle d'information à laquelle elle était tenue à l'égard de la société Asinat, à relever qu'elle ne s'expliquait pas sur les bases d'élaboration des comptes prévisionnels qu'elle avait établis, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute qu'elle a retenue à l'encontre de la société Casino, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en se bornant à constater, pour décider que la société Casino avait manqué à l'obligation pré-contractuelle d'information à laquelle elle était tenue à l'égard de la société Asinat, qu'il existait un écart entre, d'une part, les prévisions d'activité qu'elle avait établies et, d'autre part, les chiffres d'affaires et les marges que cette dernière avait effectivement réalisés, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Asinat avait à certaines périodes, notamment de mars à novembre 2003, réalisé le chiffre d'affaires prévisionnel, ce qui était de nature à établir que la société Casino n'avait pas surévalué de façon grossière le potentiel commercial de l'activité de son franchisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'en décidant que la société Casino ne pouvait reprocher à la société Asinat d'avoir pratiqué une marge insuffisante sur ses prix de vente et d'avoir provoqué la cessation des paiements, motifs pris qu'aux termes du contrat de franchise, cette dernière était libre de fixer sa marge sur les prix de vente et que l'augmentation de la marge entrainant une hausse des prix, elle n'aurait pas nécessairement entraîné une augmentation du chiffre d'affaires dans les mêmes proportions, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure que les prévisions établies par la société Casino étaient exactes et que la cessation des paiements trouvait sa cause dans les fautes de gestion commises par la société Asinat, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°) qu'en décidant que l'insuffisance des chiffres d'affaires réalisés par la société Asinat n'était pas liée à la trop faible marge qu'elle pratiquait sur ses prix de vente, motif pris qu'à aucun moment, en cours d'exécution du contrat, la société Casino n'avait adressé à son franchisé une quelconque remarque ou un quelconque conseil, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser un manquement de cette dernière à son obligation pré-contractuelle d'information à l'égard de la société Asinat, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d'information précontractuelle, ils doivent, lorsqu'ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux ; qu'après avoir constaté que des comptes prévisionnels avaient été remis au franchisé, et relevé qu'il existe des écarts non négligeables entre les chiffres d'affaires prévus et ceux réalisés et que la marge prévue n'a pas été atteinte, l'arrêt retient que le franchiseur ne s'explique pas sur les bases d'élaboration des comptes prévisionnels lui ayant permis d'avancer de tels chiffres ; qu'il retient encore qu'il ne peut être fait grief au franchisé d'avoir pratiqué une marge insuffisante dès lors qu'au regard de la situation de concurrence tendue existant dans le secteur, l'augmentation de la marge, entraînant une hausse des prix, n'aurait pas nécessairement entraîné une augmentation du chiffre d'affaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines faisant ressortir que les écarts constatés n'étaient pas imputables au franchisé mais au manquement qu'avait commis le franchiseur en communiquant à celui-ci des comptes prévisionnels dépourvus de caractère sérieux, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, la cour d'appel, qui n'a pas mis à la charge du franchiseur une obligation de résultat, a, sans avoir à faire la recherche visée par la troisième branche, que ces constatations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le même moyen, pris en sa sixième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Casino à payer à la société Asinat une somme de 85 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt relève que le préjudice de la société Asinat ne saurait correspondre au manque à gagner sur la durée du contrat calculé sur la base des comptes prévisionnels, qui ne constituaient pas une promesse de rentabilité à hauteur des chiffres indiqués, mais à une perte de chance d'exploiter un magasin ne serait-ce que passablement rentable ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non par une perte d'une chance d'obtenir les gains attendus, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société distribution Casino France à payer à la société Asinat distribution la somme de 85 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 4 novembre 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Lyon, autrement composée.