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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 31 janvier 2012, n° 10-08011

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Voyages Rive Gauche (SAS)

Défendeur :

Samzun (ès qual.), Tourisme en France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Beauvois, Poinseaux

Avocats :

Mes Ricard, Cardona, Lafon, Fournier-Latouraille

T. com. Versailles, du 13 oct. 2010

13 octobre 2010

Vu l'appel interjeté par la société Voyages Rive gauche d'un jugement rendu le 13 octobre 2010 par le Tribunal de commerce de Versailles lequel :

- l'a condamnée à payer à la société Tourisme en France la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- l'a condamnée à payer à la société Tourisme en France la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les écritures en date du 15 décembre 2011, par lesquelles la société Voyages Rive gauche demande à la cour, au visa des articles L. 442-6-I 5° et L. 420-2 du Code de commerce, 1165 du Code civil et 32-1 du Code de procédure civile, d'infirmer cette décision et, outre divers Constater :

- de débouter la société Tourisme en France de l'ensemble de ses demandes,

- reconventionnellement, de fixer à la somme de 10 000 euro sa créance chirographaire de dommages et intérêts au passif de la société Tourisme en France,

- de condamner la société Tourisme en France à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction ;

Vu les dernières écritures en date du 28 juin 2011, aux termes desquelles Maître Samzun ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Tourisme en France prie la cour de recevoir son appel incident, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1149 du Code civil, de réformer ce jugement et :

- de rejeter les demandes de la société Voyages Rive gauche,

- de condamner la société Voyages Rive gauche à lui payer la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- de la condamner à lui verser la somme de 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens avec distraction;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

- Le 27 décembre 2007, la société Tourisme en France a acquis la branche de transport public de voyageurs de la société Guigard et Associés, exerçant sous l'enseigne Transdeco, dont la société Voyages Rive gauche était le principal client ;

- les 3 et 25 novembre 2008, déplorant une importante baisse de son chiffre d'affaires avec ce client au mois de mai 2008, elle s'est vainement rapprochée de la société Voyages Rive gauche ;

- par acte d'huissier de justice en date du 7 avril 2009, la société Tourisme en France a assigné la société Voyages Rive gauche devant le Tribunal de commerce de Versailles, essentiellement aux fins d'indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce;

- le 21 septembre 2010, la liquidation judiciaire de la société Tourisme en France a été prononcée par le Tribunal de commerce de Versailles et Maître Samzun désigné en qualité de liquidateur, après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 19 janvier 2010 ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales :

Considérant que la société Voyages Rive gauche fait valoir l'appel d'offres adressé à plusieurs autocaristes, les prix supérieurs à ceux de ses concurrents proposés par la société Tourisme en France et le rejet subséquent de ses offres ;

qu'elle soutient l'inopposabilité à son égard de la cession conclue le 27 décembre 2007 entre la société Guigard et la société Tourisme en France, souligne que cette dernière n'a pas acquis l'assurance de sa clientèle et ne peut se prévaloir de l'ancienneté des relations commerciales établies avec la société Guigard ;

que, rappelant procéder systématiquement à une mise en concurrence des prestataires de transport par autocar, une fois arrêtée la destination du voyage, elle soutient que cet aléa fait obstacle à l'existence d'une relation commerciale établie ;

qu'elle expose avoir confié à la société Tourisme en France de janvier à mai 2008, l'organisation de voyages pour lesquels les devis de la société Guigard avaient été retenus puis formalisés par la société Tourisme en France après la cession de parts, mais ne pas avoir accepté les offres de celle-ci, appelées à compter du mois de mars 2008, comme ne répondant pas aux critères demandés, en termes de nombre de cars et de prix, correspondant au double de ceux de ses concurrents ;

qu'elle souligne l'absence de contacts et de propositions de prix de la part de la société Tourisme en France entre les mois de mai et octobre 2008, en dépit de ces points de désaccord et réfute toute responsabilité dans la démission de deux chauffeurs de la partie adverse et toute collusion avec une société Inter-voyages ;

qu'elle conteste l'état de dépendance économique allégué par la société Tourisme en France, dont la reprise des autocars et personnel de la société Guigard résulte d'un choix de gestion, alors qu'elle pouvait diversifier ses activités, et soutient que les relations commerciales entretenues par la société Tourisme en France avec la société Guigard représentait 32,90 % de son chiffre d'affaires en 2007 ;

Considérant que la société Tourisme en France demande la confirmation de la décision jugeant établie la relation commerciale entre les parties, dont la société Voyages Rive gauche ne démontre pas une modification substantielle, en l'absence de preuve de l'augmentation des tarifs alléguée ;

qu'elle fait valoir que la reprise d'une activité, sans modification substantielle des contrats ou relations commerciales en cours, conserve le bénéfice de son ancienneté et que la société Voyages Rive gauche figure sur la liste des clients cédés ;

qu'elle souligne que la société Voyages Rive gauche ne rapporte pas la preuve de l'existence d'appels d'offres, mettant les candidats en concurrence, ainsi que de ses tarifs excessivement élevés, alors que ses prix sont restés identiques jusqu'à la fin de l'année 2008, et attribue au caractère exceptionnel du voyage demandé le prix de son devis du mois de mai 2008, en réalité conforme aux prix du marché ;

qu'elle soutient la brutalité de la rupture, observant que la société Voyages Rive gauche ne la conteste pas, caractérisée par la chute de son chiffre d'affaires de l'ordre de 80 % à compter du mois de mai 2008, en l'absence de préavis écrit ;

qu'elle constate la démission, à la fin du mois de mai 2008, de deux de ses chauffeurs, ayant créé la société Inter-voyages, par collusion avec la société Voyages Rive gauche, et fait valoir son état de dépendance économique, démontré par la chute de 80 % de son chiffre d'affaires en un mois, soit 44 % de son chiffre d'affaires, selon l'attestation de son expert-comptable ;

Considérant qu'ainsi que l'a justement relevé le tribunal de commerce, l'ancienneté des relations commerciales ne peut être appréciée à la date de cession de la branche d'activité, dont l'activité s'est poursuivie sans modification substantielle de ses conditions ;

qu'à cet égard, la société Voyages Rive gauche ne justifie pas de l'augmentation des tarifs qu'elle allègue, excédant l'augmentation générale des charges pesant sur les autocaristes et affectant l'ensemble du secteur; que l'ancienneté de dix années sera retenue ;

que l'appel d'offres, la mise en concurrence et le caractère moins-disant des sociétés retenues par la société Voyages Rive gauche à compter de la reprise de l'activité par la société Tourisme en France ne sont établis par aucune des pièces versées aux débats ;

que la brutalité de la rupture est justifiée par les attestation et documents comptables produits par la société Tourisme en France, la société Voyages Rive gauche n'ayant indiqué, ni respecté aucun préavis, en dépit de l'ancienneté des relations entre les parties ;

qu'ainsi, la décision du tribunal de commerce fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sera confirmée en son principe, la dépendance économique invoquée devant être appréciée dans le cadre de la réparation du préjudice ;

Sur le préjudice :

Considérant que la société Tourisme en France demande que l'indemnisation de son préjudice, estimé par le tribunal de commerce comme correspondant à un an de préavis, soit portée à la somme de 200 000 euro, représentant le gain manqué et la perte éprouvée, soit globalement la perte de chiffre d'affaires ;

qu'elle fait valoir les conséquences entraînées par la baisse brutale de son chiffre d'affaires, soit l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 19 janvier 2010 et le prononcé de sa liquidation le 21 septembre 2010, en lien direct avec les agissements de la société Voyages Rive gauche ;

qu'elle demande réparation du préjudice occasionné par les conditions vexatoires de la rupture ;

Considérant que le préjudice réparable correspond, non au chiffre d'affaires, mais à la marge brute perdue; que le chiffre d'affaires mensuel réalisé par la société Tourisme en France avec la société Voyages Rive gauche a été justement apprécié par le tribunal de commerce à la somme de 20 000 euro, ainsi que sa marge brute à 40 %, soit une marge annuelle d'un montant de 96 000 euro ;

que le caractère de dépendance économique de la société Tourisme en France doit être mesuré, non en référence à la baisse de chiffre d'affaires de 80 % au mois de mai 2008, mais au regard du chiffre d'affaires annuel, dans lequel la part de l'activité réalisée avec la société Voyages Rive gauche est de 44 %, selon l'expert-comptable de la société Tourisme en France ;

que la réparation du préjudice découlant, non de la rupture, mais de sa brutalité, en l'absence de conditions vexatoires non justifiées, a été justement appréciée à la somme de 100 000 euro par les premiers juges, dont la décision sera confirmée ;

Sur les autres demandes :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Voyages Rive gauche ne peut obtenir réparation du préjudice causé par une procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile ; que sa demande tendant au paiement de la somme de 10 000 euro sera rejetée ;

qu'il serait par ailleurs inéquitable de laisser à Maître Samzun ès qualités la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Y ajoutant, rejette le surplus des demandes, Condamne la société Voyages Rive gauche à payer à la société Tourisme en France la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Voyages Rive gauche aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.