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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 12 janvier 2012, n° 11-01478

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bricomidis (SARL), Perin (ès qual.), Menant, GM Investissements (SCI)

Défendeur :

Monsieur Bricolage (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avoués :

Mes Bordier, Daude

Avocats :

Mes Legout, Ruivo

T. com. Orléans, du 14 avr. 2011

14 avril 2011

La société Bricomidis, dont le gérant est Monsieur Menant, a conclu en juin 2002 avec la société Mr Bricolage un contrat de franchise en vue de l'exploitation d'un magasin à cette enseigne à Comines dans le département du Nord sur un terrain appartenant à la SCI GM Investissements. Le magasin enregistrant des résultats déficitaires a été fermé en juin 2004 et le contrat a été résilié amiablement le 31 décembre 2004. Prétendant que la société Mr Bricolage avait commis des fautes dans l'exécution de son obligation précontractuelle d'étude et de renseignement, Monsieur Menant et les sociétés Bricomidis et GM Investissements ont obtenu en référé la désignation d'un expert, Monsieur Le Pironnec, puis, par acte du 2 novembre 2009, ont assigné le franchiseur en responsabilité et paiement de dommages et intérêts, la société Bricomidis mise en liquidation judiciaire le 20 janvier 2009 étant représentée par son liquidateur Me Perin.

Par jugement du 14 avril 2011, le Tribunal de commerce d'Orléans a rejeté les prétentions des demandeurs.

Me Perin, Monsieur Menant et la SCI GM Investissements ont relevé appel.

Par leurs dernières écritures signifiées le 12 octobre 2011, ils font valoir que la convention répond au critère d'un contrat de franchise. Ils prétendent que la société Mr Bricolage, au regard des seuls documents signés, a manqué à son obligation précontractuelle d'information prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce. Ils font grief au franchiseur de ne pas avoir fourni une présentation loyale de l'état général et local du marché et des perspectives de son développement et d'avoir établi des prévisions de chiffres d'affaires irréalisables, alors que la société Mr Bricolage n'a pas justifié à l'expert les moyens d'investigation statistiques, informatiques et économiques mis en œuvre. Ils reprochent encore à la société intimée ses manquements à son obligation d'assistance technique et à son devoir de collaboration en matière de gestion des stocks et des commandes, de mise en place de l'informatique et de gestion du personnel. Ils demandent la condamnation de la société Mr Bricolage à payer à la société Bricomidis les sommes de 147 901 euro au titre de l'absence de versement de la remise forfaitaire annuelle, 73 303 euro pour les intérêts versés au compte courant de la SCI GM Investissements et 821 122 euro à raison des pertes cumulées entre 2002 et 2004. Sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, ils sollicitent également l'indemnisation de la perte du compte courant de la société GM Investissements dans la société Bricomidis à hauteur de 917 096 euro et la réparation de l'absence de rémunération de Monsieur Menant du 1er février 2003 au 30 juin 2004 pour 38 879 euro.

Par ses dernières écritures du 9 novembre 2011, la société Mr Bricolage soulève, in limine litis, l'irrecevabilité des demandes de Monsieur Menant et de la SCI GM Investissements, eu égard à l'article 1165 du Code civil. Elle affirme avoir rempli pleinement son obligation précontractuelle d'information, ainsi qu'il résulte du rapport de l'expert, et avoir communiqué à Monsieur Menant tous les documents nécessaires, de sorte que ce dernier, qui avait déjà l'expérience de la franchise puisqu'il gérait deux supermarchés à l'enseigne Champion, et avait lui-même réalisé une étude de marché de la zone de chalandise de Comines en vue de créer un magasin d'articles de bricolage, s'est engagé en connaissance de cause. Elle dénie tout manquement à son devoir d'assistance technique en faisant observer que les commandes de marchandises incombaient au directeur du magasin, son rôle se bornant à conseiller le choix des fournisseurs, que les dysfonctionnements informatiques allégués ont été causés par les négligences du dirigeant, que le magasin est resté sans directeur pendant de longs mois malgré l'assistance du franchiseur et que Monsieur Menant, occupé à diriger ses autres affaires, a été défaillant dans la gestion de sa nouvelle entreprise. Elle considère que le chiffre d'affaires prévisionnel était réalisable et que la désaffection de la clientèle s'explique par la mauvaise gestion du magasin. Elle rappelle les conclusions de l'expert selon lesquelles les préjudices résulteraient de l'insuffisance de chiffre d'affaires dont il n'a pas été possible de déterminer avec certitude les causes et relève que les fonds propres étaient insuffisants, les stocks trop élevés et les prix de vente excessifs par rapport au marché, éléments dont elle ne saurait être responsable. Elle conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Sur quoi

Sur la recevabilité des demandes de Monsieur Menant et de la SCI GM Investissements

Attendu que par application de l'article 1382 du Code civil, le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que Monsieur Menant et la SCI GM Investissements sont donc recevables en leurs demandes indemnitaires ;

Sur l'information précontractuelle

Attendu que devant la cour, les parties ne contestent plus la qualification de " franchise " du contrat ni que celui-ci relève des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, selon lesquelles toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause ; que l'article R. 330-1 du même Code prévoit que les informations fournies doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ;

Attendu que l'expert, après une comparaison exhaustive des prescriptions édictées par le décret du 4 avril 1991, devenu l'article R. 330-1 du Code de commerce, avec les éléments d'information remis aux adhérents de Mr Bricolage, considère que le franchiseur a respecté son obligation d'information précontractuelle et que les informations qui auraient été omises ne seraient pas de nature à porter préjudice aux demandeurs et n'auraient donc pas eu pour effet de vicier leur consentement ;

Sur l'étude de marché sur Comines

Attendu que les textes précités ne mettent pas à la charge du franchiseur une étude du marché local, mais simplement une présentation de l'état général et local du marché et qu'il appartient au franchisé de procéder lui-même à une analyse d'implantation précise ; qu'il résulte du rapport de l'expert et des déclarations des parties, que Monsieur Menant, qui exploitait déjà un supermarché à l'enseigne Champion à Comines, a souhaité dès 1996 installer un magasin de bricolage sur un terrain jouxtant son premier commerce et a engagé des négociations avec trois spécialistes de cette activité, Domaxel, Catena et Mr Bricolage; que Catena a réclamé à l'intéressé une étude de marché qu'il aurait réalisée, puis le groupe Domaxel a effectué en avril 1999 une étude de marché sur la zone de chalandise de Comines que Monsieur Menant a communiquée ultérieurement à Mr Bricolage; qu'avant toute signature de contrat, Monsieur Menant a créé le 20 octobre 1999 la SARL Bricomidis ayant pour objet le commerce de détail de quincaillerie et la SCI GM Investissement, propriétaire du terrain de Comines ; qu'il a déposé le 21 décembre 1999 un dossier d'autorisation de construction du magasin auprès de la Commission départementale d'équipement commercial (CDEC) qui a délivré un avis favorable sur la base de l'étude de marché précédente et d'un chiffre d'affaires prévisionnel établi par Monsieur Menant de 8 000 000 F la première année ; qu'en juillet 2000, Monsieur Menant a repris contact avec Mr Bricolage et s'est vu remettre le 21 juillet 2000 un compte d'exploitation prévisionnel et un plan de trésorerie ; que par courrier du 21 mai 2001, le franchiseur a annoncé à Monsieur Menant que la société Bricomidis avait été agréée comme adhérent et lui a adressé un document intitulé " Comment bien gérer l'organisation et l'ouverture de mon point de vente " et la " Charte de l'adhérent à l'enseigne Mr Bricolage" ;

Qu'ainsi qu'il vient d'être dit, l'étude de marché n'a pas été réalisée par le franchiseur ; que l'expert constate que cette étude fait effectivement apparaître une présentation du marché local mais sans qu'il ait pu s'assurer que cette présentation était fiable et donnait une image sincère et actualisée de la situation ; qu'il apparaît néanmoins à la cour que cette étude a été sérieusement menée et a eu pour base sur la zone de chalandise concernée, le recensement de la population et des ménages, le comportement des consommateurs, les statistiques nationales récentes d'achats pour les familles de produits de bricolage, décoration et matériaux et l'état détaillé de la concurrence dans les localités avoisinantes ; que ces investigations ont été entérinées par la CDEC qui a approuvé le projet ; que la société Mr Bricolage n'était pas tenue à une obligation de résultat dans l'élaboration des prévisions d'activité de son futur franchisé et les appelants ne démontrent pas que la présentation du marché local n'était pas sincère ;

Sur les chiffres d'affaires prévisionnels

Attendu que l'expert estime que les comptes prévisionnels établis par Mr Bricolage, soit 1 372 000 euro pour la première année, ont été relativement prudents au regard de l'étude de marché mais considère qu'il n'a pu s'assurer que la concurrence avait été correctement appréhendée ; que tout en reconnaissant que le chiffre d'affaires avait été extrêmement faible par rapport aux prévisions, dans une proportion supérieure à 60 %, Monsieur Le Pironnec note qu'il n'a pu déterminer si le chiffre d'affaires annoncé était réalisable et si les écarts pouvaient provenir de la non actualisation des informations, d'un accroissement de la concurrence, d'une baisse de la fréquentation liée à la mauvaise gestion du magasin par l'effet de l'implantation des produits, de prix trop élevés ou de la compétence du personnel, et d'une conjoncture plus difficile ; qu'en comparant les performances d'autres magasins, il suppose que la faiblesse d'activité proviendrait de l'insuffisance du panier moyen et de la fréquentation ;

Qu'il résulte de ce qui précède que l'expert n'incrimine pas un manque de diligence ou de sérieux des prévisions présentées ou leur caractère fantaisiste, et les appelants, en dépit de l'optimisme des projections, ne rapportent pas la preuve de prévisions mensongères qui les auraient abusés sur les conditions réelles dans lesquelles ils étaient amenés à contracter, alors que la chronologie des opérations rappelée précédemment démontre qu'en tout état de cause, Monsieur Menant, seul juge de l'opportunité de son investissement, avait décidé de créer une affaire de bricolage sous franchise, en fonction de ses propres calculs de risques , et avant même de recevoir le document prévisionnel établi par la société Mr Bricolage, de sorte les comptes prévisionnels du franchiseur, quelle que soit leur qualité, n'avaient pas été déterminants de son adhésion ;

Sur l'obligation d'assistance

Attendu que l'expert retient que les différents services du groupe Mr Bricolage sont bien intervenus auprès de Monsieur Menant pour l'aider dans la conduite de son projet, étant observé qu'un franchiseur n'a pas à se substituer ou à s'immiscer dans la gestion des affaires de son franchisé, commerçant indépendant ;

Attendu, compte tenu de tout ce qui précède, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Me Perin, ès qualités, Monsieur Menant et la SCI GM Investissements de leurs demandes ;

Que Me Perin, ès qualités, Monsieur Menant et la SCI GM Investissements supporteront in solidum les dépens d'appel et verseront la somme de 10 000 euro à la société Mr Bricolage sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne in solidum Me Perin, ès qualités, Monsieur Menant et la SCI GM Investissements aux dépens d'appel et à payer à la société Mr Bricolage la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Accorde à Maître Daude, avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même Code.