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Décisions

Cass. com., 14 février 2012, n° 10-27.873

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

DCM Friesland (SARL)

Défendeur :

Kärcher (SAS), Kärcher Gmbh & Co. Kg

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Hémery, Thomas-Raquin

Paris, pôle 5 ch. 2, du 10 sept. 2010

10 septembre 2010

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société DCM Friesland que sur le pourvoi incident relevé par les sociétés Kärcher SAS et Alfred Kärcher ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris 10 septembre 2010), que la société de droit allemand Alfred Kärcher GmbH a, le 15 mai 2007, procédé au dépôt d'une marque française figurative constituée par la combinaison des couleurs noire et jaune individualisées par leur numéro de codification internationale et enregistrée sous le n° 07 3 500 379 pour désigner notamment des appareils de nettoyage à haute pression; que la société Kärcher France, filiale de la société Alfred Kärcher, est l'importateur et le distributeur exclusif en France des produits de cette société ; que faisant valoir que la société DCM Friesland (société DCM) commercialisait en France, sous la dénomination Karömat, une gamme de nettoyeurs haute pression, reprenant les couleurs jaune et noire et constituant pour six d'entre eux une imitation des modèles de la société Alfred Kärcher, cette société et la société française Kärcher (les sociétés Kärcher) l'ont fait assigner en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale et parasitaire ; que reconventionnellement la société DCM a sollicité la nullité de la marque ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société DCM fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard des sociétés Kärcher et d'avoir prononcé à son encontre une condamnation au paiement de dommages-intérêts ainsi que des mesures d'interdiction et de publication alors, selon le moyen :1°) qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société DCM qui faisait valoir que l'interdiction de commercialiser en France ses produits qui sont librement commercialisés en Belgique, aux Pays Bas, en Allemagne ou en Pologne en concurrence avec ceux de la société Kärcher était contraire à la libre circulation des marchandises garantie par l'article 30 du Traité des Communautés européennes et que les seules restrictions légitimes à cette liberté posées par le Traité reposent sur des principes de "moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux [...] ou de protection de la propriété industrielle et commerciale", étant précisé que "ces interdictions ou interdictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres", la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que l'interdiction de la commercialisation dans un Etat membre de l'Union européenne de biens légalement produits et commercialisés dans un autre Etat membre constitue une exception au principe de la libre circulation des marchandises qui ne peut être admise que si elle est justifiée par des motifs d'intérêt général ; que tel ne peut être le cas d'une interdiction fondée sur une prétendue concurrence déloyale entre produits de deux marques différentes lorsque les produits objet de l'interdiction sont déjà commercialisés licitement, concurremment avec ceux de l'autre fabricant, dans plusieurs autres Etats membres ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 28 et 30 du Traité CE ;

Mais attendu que l'arrêt relève qu'alors qu'il n'est pas justifié que les formes et couleurs adoptées par les sociétés Kärcher pour des nettoyeurs haute pression sont d'usage sur le marché français, les appareils incriminés empruntent une configuration générale et approchante de ceux des sociétés Kärcher et une même répartition des couleurs jaune et noire ; qu'il en déduit que la présence sur le territoire français des appareils Kärcher et Karomät ne peut que créer dans l'esprit du public un risque de confusion et faire naître la croyance que les sociétés Kärcher sont associées à la commercialisation en France des nettoyeurs de la société DCM ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, a pu déduire que le comportement de cette société était contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale et justifiait qu'il lui soit fait interdiction de commercialiser les produits incriminés en France ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi : - Attendu que la société DCM fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que pour déclarer la société DCM coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaires, l'arrêt relève que les nettoyeurs haute pression commercialisés sous la marque Karömat empruntent une répartition des couleurs jaune et noire qui n'est commandée par aucune exigence technique et qui est de nature à créer dans l'esprit du public un risque de confusion ; qu'en statuant ainsi quand elle avait constaté concernant la nullité de la marque de la société Kärcher représentée graphiquement par le code d'identification des couleurs jaune et noire, que la combinaison de ces deux couleurs n'a aucun caractère distinctif dès lors qu'il s'agit de couleurs de base qui sont plus difficilement perçues par le public comme un signe indicateur de l'origine commerciale des produits et que la couleur noire est d'un large usage pour des appareils techniques et salissants, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que pour accueillir l'action en concurrence déloyale formée contre la société DCM , l'arrêt relève que si les appareils incriminés ne sont pas de dimensions et de formes identiques à ceux des sociétés Kärcher, ils empruntent une configuration générale approchante et une répartition des couleurs jaune et noire qui ne sont commandées par aucune exigence technique et qui, ensemble, créent dans l'esprit du public un risque de confusion ; qu'en se déterminant de la sorte sans rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si d'une part, la répartition entre une coque de couleur et un soubassement noir ne répondait à la logique qui prévaut à la construction de tout nettoyeur haute pression dont le fond est nécessairement plus foncé, pour éviter les salissures excessives, et le dessus plus clair pour marquer la visibilité du produit, et si d'autre part, la conception et la disposition des éléments techniques de commande et des accessoires, très souvent similaires sur le même type de machine, n'étaient pas dictées par les contraintes liées à la fonctionnalité et à l'accessibilité de ces éléments ainsi qu'à l'ergonomie de ces appareils au regard de leur fonction et de leurs conditions d'usage, la cour d'appel n'a pas mis en mesure la Cour de cassation d'exercer son contrôle au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en se bornant à relever que la configuration générale des produits et la répartition de la combinaison des couleurs jaune et noire ne pouvaient que créer dans l'esprit du public un risque de confusion sans s'expliquer sur les conclusions de la société DCM qui faisait valoir que les produits Karömat étaient exclusivement destinés à une clientèle de professionnels parfaitement en mesure d'appréhender les différences entre les appareils commercialisés sous sa marque et celle des sociétés Kärcher, en sorte que tout risque de confusion devait être écarté, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) qu' en tout état de cause, qu' un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduit ; que le seul fait que cette reproduction permette à celui qui la pratique de bénéficier du courant d'achat ou du pouvoir attractif d'un concurrent n'est pas en soi fautif sauf à vider de toute substance le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; que dès lors, en jugeant, aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que la société DCM avait eu un comportement parasitaire en commercialisant la copie de six appareils bien qu'elle ait annulé la marque déposée par les sociétés Kärcher et qu'elle n'ait caractérisé l'existence d'aucun élément de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle de professionnels à laquelle s'adresse ces produits, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, après avoir relevé que la marque n° 07 3 500 379 a été déposée sans aucun agencement particulier des couleurs noire et jaune, constate que, bien que la répartition de ces couleurs ne réponde à aucune exigence technique ou ne soit liée aux conditions d'usage des appareils , la société Käromat a adopté pour la carrosserie de ses appareils une même répartition des mêmes couleurs ; qu'il relève encore, par motifs propres et adoptés, que le volume, les formes générales de la carrosserie et la répartition des commandes et des accessoires de six des nettoyeurs de la société Kärcher, dont il n'est pas démontré qu'il serait d'usage de les adopter sur le marché français, se retrouvent sur six modèles de la société DCM et que les deux sociétés s'adressent au moins pour certains de leurs nettoyeurs à haute pression à une clientèle de professionnels ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions de la société DCM et qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu, sans se contredire, déduire que cette société s'était rendue coupable de concurrence déloyale en créant un risque de confusion entre ses produits et ceux des sociétés Kärcher ;

Attendu, en second lieu, que l'action en responsabilité pour agissements parasitaires peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif et ne requiert pas l'existence d'un risque de confusion ; D'où il suit qu'inopérant en sa quatrième branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que les sociétés Kärcher font grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité de la marque n° 07 3 500 379 alors, selon le moyen, qu'une contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la première branche du deuxième moyen du pourvoi principal reproche à la cour d'appel d'avoir entaché sa décision de contradiction de motifs en retenant d'une part, pour annuler la marque n° 07 3 500 379, qu'une combinaison de couleur jaune et noire n'était pas distinctive et d'autre part, pour retenir que la Société DCM s'est rendue coupable de concurrence déloyale, que l'emprunt par elle pour les produits qu'elle commercialise d'une répartition des couleurs jaune et noire, qui n'est commandé par aucune exigence technique, est de nature à créer dans l'esprit du public un risque de confusion avec les produits de la société Kärcher ; que si par extraordinaire ce grief de contradiction de motifs était accueilli, le chef de l'arrêt prononçant l'annulation de la marque se trouverait par là même privé de motif et devrait donc être également cassé en application de l'article 625 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, ayant été rejeté, le moyen est devenu sans objet ;

Et attendu que le troisième moyen du pourvoi principal ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois tant principal qu'incident.