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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 14 février 2012, n° 09-02118

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Delor Vincent (SARL)

Défendeur :

Claas Tractor (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Beauvois

Avocats :

SCP Lefevre Tardy Hongre Boyeldieu, SCP Debray Chemin, Mes Gresy, Malard, Assemat

T. com. Versailles, du 29 juin 2007

29 juin 2007

Faits et procédure

La société Renault Agriculture développait et fabriquait des tracteurs agricoles et leurs pièces de rechange, dont elle assurait la commercialisation par un réseau de concessionnaires exclusifs.

La société Delor Vincent était concessionnaire exclusif Renault Agriculture pour un territoire défini à l'intérieur du département de la Lozère, et ce en vertu d'un contrat de concession exclusive de vente et de services conclu le 7 mai 2001 ayant fait l'objet d'un avenant le 7 juin 2001.

Ce contrat prévoyait, selon les stipulations contenues en son article XI, une durée indéterminée, et en son article XII un préavis de fin de contrat de 12 mois.

En 2004, Renault Agriculture a entamé un processus de rapprochement avec la société Claas France, en vue de transférer, à cette dernière, son activité de commercialisation en France de tracteurs agricoles et de pièces de rechange, ainsi que le service après-vente auprès d'un réseau primaire de concessionnaires.

Ce transfert d'activité a été réalisé au moyen d'un contrat de location-gérance conclu entre Renault Agriculture et Claas France et depuis le 1er octobre 2004, Renault Agriculture qui continue toujours de développer et de construire des tracteurs agricoles et des pièces de rechange, n'assure plus la commercialisation de ces produits, laquelle est désormais réalisée par Claas France, sous sa propre marque.

Par un courrier en date du 7 septembre 2004, la société Renault Agriculture a informé la société Delor Vincent de ce que son activité de commercialisation devait être reprise par la société Claas France, et précisé que "les contrats de distribution n'étant pas cessibles", le contrat signé en 2001 prendrait fin 3 semaines plus tard, soit le 30 septembre 2004.

Elle précisait qu'il était prévu de lui présenter "dans le courant du mois de septembre 2004, un nouveau contrat de distribution-type avec Claas France".

La société Delor Vincent qualifiant de brutale cette rupture des relations contractuelles, a assigné la société Renault Agriculture aux fins d'obtenir réparation de son préjudice, devant le Tribunal de commerce de Versailles qui par jugement en date du 29 juin 2007, faisant droit à l'exception opposée par la société Renault Agriculture, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

À l'issue de péripéties dont le rappel est inutile à ce stade de la procédure, la présente cour, sur renvoi après cassation, par arrêt rendu le 18 novembre 2010, a infirmé le jugement entrepris, décidé d'évoquer et invité les parties à constituer avoué et conclure au fond.

La société Delor Vincent, aux termes de ses dernières écritures en date du 31 octobre 2011 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa des articles 1382 du Code civil et L. 442-6 5° du Code de commerce, de :

- confirmer que la société Renault Agriculture, désormais Claas, est l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales qui la liait à la société Delor, en violation de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce ;

- condamner en conséquence la société Claas à lui payer en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la rupture abusive des relations commerciales, ainsi que du fait de son comportement engagement sa responsabilité délictuelle, les sommes de :

- 253 212 euro au titre de la perte de marge relative à la vente de tracteurs neufs,

- 473 957 euro au titre de la perte de marge relative à la vente de pièces détachées,

- 80 493 euro au titre du préjudice subi en terme de coût d'immobilisation et de non-revente du stock de pièces détachées Renault Agriculture,

- 215 077 euro au titre du préjudice subi du fait de la sous-utilisation des bâtiments et des charges accrues de fonctionnement liées aux investissements en matériel,

- 50 000 euro au titre du préjudice subi du fait de la détérioration de l'image de la société,

- 50 000 euro au titre du préjudice subi du fait de la désorganisation commerciale,

- 50 000 euro du fait du comportement général fautif et dolosif de la société Claas, sur un fondement délictuel ;

- condamner la société Claas au paiement de la somme de 25 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Claas Tractor venant aux droits de la société Renault Agriculture, aux termes de ses dernières écritures en date du 8 novembre 2011 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce, de dire que la société Renault Agriculture devenue Claas Tractor n'a pas commis de faute et que les préjudices invoqués par la société Delor ne sont pas justifiés ou à tous le moins surévalués ;

- débouter la société Delor de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamner la société Delor au paiement à la société Renault Agriculture devenue Claas Tractor, de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Discussion

Il est démontré par les pièces produites aux débats et non discutées que Delor Vincent entretenait avec Renault Agriculture des relations commerciales établies depuis les années 1970 ; celles-ci ont été formalisées en dernier lieu par un contrat de concession de vente et de services signé le 17 mai 2001 et son avenant du 7 juin 2001 ; Renault Agriculture concédait à Delor Vincent sur un territoire délimité par cantons ou communes sur le département de la Lozère, la distribution exclusive de tracteurs neufs, pièces de rechange accessoires et services produits ou sélectionnés par Renault Agriculture ; Delor Vincent s'obligeait à ne pas fabriquer acheter vendre ou revendre des produits ou services qui sont en concurrence avec les produits ou services contractuels (...), à ne pas participer de quelque manière que ce soit directement ou indirectement à la commercialisation de produits concurrents de produits contractuels.

Ce contrat avait été conclu pour une durée indéterminée faculté de résiliation à tout moment sous réserve d'un préavis d'un an.

Renault Agriculture est devenue une division du groupe Claas et a ensuite pris la dénomination Claas Tractor.

Renault Agriculture, le 7 septembre 2004 a adressé à tous ses concessionnaires une lettre les informant de ce que "dans le cadre des opérations de rapprochement des sociétés Renault Agriculture et Claas France, il a été convenu que l'activité commerciale de Renault Agriculture devait être reprise par Claas France. Cette reprise s'effectuera sous forme de location-gérance du fonds de commerce de commercialisation en France des tracteurs neufs, pièces de rechange, accessoires et services, à effet au 1er octobre 2004. Concrètement ceci signifie que l'activité de commercialisation en France de Renault Agriculture réalisée au travers d'un réseau dont vous êtes membre, va être transférée à Claas France. Dans le cadre de ce transfert d'activité, les contrats de distribution n'étant pas cessibles, votre contrat signé avec Renault Agriculture prendra fin au 30 septembre 2004. Dans ce contexte, il est prévu de vous présenter, dans le courant du mois de septembre 2004, un nouveau contrat de distribution-type avec Claas France. Le contrat avec avenant vous sera proposé à la signature courant octobre 2004."

Par courrier daté du 10 septembre 2004, Claas France a adressé à Delor Vincent un projet de contrat à soumettre à sa signature pour le 1er octobre 2004, précisant qu'il s'agissait d'un spécimen, un contrat comportant ses références propres et des annexes spécifiques devant lui être soumis ultérieurement dans le courant du mois d'octobre 2004 pour signature.

Delor Vincent le 30 novembre 2004 a écrit à Renault Agriculture pour lui rappeler que le contrat en cours prévoyait au minimum un préavis de 12 mois ; elle indiquait par ailleurs que "Claas nous a proposé un contrat limité à un an complètement différent de celui que nous avions avec vous. Par ailleurs la société Claas nous a fait savoir qu'elle nous imposerait de prendre le matériel de fenaison de leur marque à défaut de quoi nous perdrions la distribution des tracteurs. Il faut savoir que jusqu'à présent nous avons pu conquérir et fidéliser notre clientèle en lui proposant avec les tracteurs Renault plusieurs marques d'articles de fenaison. Nous avons eu la grande surprise de constater qu'une campagne de publicité de la marque Claas a été diffusée début octobre à notre insu et sur notre secteur en nous présentant comme concessionnaire Claas alors même que nous ne distribuons pour l'heure aucun de leurs produits et que nous n'avons conclu aucun accord. Ces agissements nous ont fait perdre des ventes de clients qui sont allés acheter ailleurs leur matériel de fenaison ou tracteur pensant que nous ne faisions plus que Claas (...)."

Elle a également adressé un courrier à Claas France le 4 janvier 2005 dans lequel elle lui oppose le même grief quant à la publicité opérée et son impact négatif ; elle rappelait également, à propos du projet de contrat, que "nous avions posé un certain nombre de questions pour lesquelles nous n'avons jamais eu de réponses. Parallèlement on nous a fait comprendre que nous n'aurions pas d'avenir chez Claas si nous n'abandonnions pas au plus tôt la distribution d'autres marques en ce qui concerne le matériel de fenaison" ; elle lui reprochait le manque de minimum de loyauté et de transparence nécessaire à la mise ne place d'un partenariat, et indiquait rechercher d'autres partenaires.

Claas France, par lettre du 20 janvier 2005 répondant à ces deux courriers, a précisé que le contrat adressé était un contrat-type pour tous les membres du réseau, elle a indiqué n'avoir nullement imposé de prendre le matériel de fenaison de sa marque, et que Delor Vincent restait libre de se limiter à la commercialisation des tracteurs de la gamme comme d'autres collègues ont pu le faire, que cependant l'objectif étant de parvenir à terme à un réseau unifié qui commercialisera l'ensemble de la gamme tracteurs et matériel agricole, il appartient aux membres du réseau de se positionner par rapport à ce projet. Elle affirmait également que "l'envoi de notre projet de contrat a été fait dans une optique constructive et pouvait représenter une opportunité pour votre établissement et il n'a jamais été dans notre intention de vous lâcher. Je prends acte cependant de votre intention de rechercher d'autres partenaires ce que j'assimile à une décision de votre part de cesser la distribution de nos produits. Je vous demande en conséquence de me faire savoir à quelle échéance nous devons considérer comme effectif votre retrait de notre réseau".

Ultérieurement Claas France a écrit à Delor Vincent le 12 avril 2005 : "plus de six mois après que nous vous ayons soumis le contrat de distribution Claas, il est désormais clair, devant votre silence, que vous n'entendez pas satisfaire aux conditions posées par ce contrat. Nous en prenons acte. Nous prenons également acte de ce que vous avez déposé toute identification Renault Agriculture et que des matériels neufs concurrents sont visibles dans l'enceinte de votre établissement. Vous aurez néanmoins noté que, bien que nous n'y soyons pas tenus juridiquement, vous avez pu bénéficier jusqu'à présent de l'approvisionnement de nos produits dans des conditions inchangées. Je tiens cependant à vous préciser à toutes fins utiles que ces modalités seront caduques à compter du 30 septembre prochain, terme de la saison en cours et des contrats de distribution en vigueur ; puis le 30 août 2005 " (...) "Puisque vous bénéficiez jusqu'au 30 septembre prochain des conditions concessionnaires pour les matériels et pièces, et que vous êtes en préavis de rupture avec Renault Agriculture, nous avions pensé qu'il vous serait agréable de profiter des accords particuliers que nous pouvons avoir avec tel ou tel fournisseur extérieur (...)".

Delor Vincent reproche à Renault Agriculture une "rupture abusive des relations commerciales" au regard de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, aux termes duquel engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel (...), de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Le respect d'un préavis ainsi imposé a pour objet de permettre au partenaire qui subit la rupture d'organiser sa reconversion ; sa durée doit être appréciée de façon concrète en considération de la situation réelle et personnelle de celui-ci, quand bien même la réduction du délai effectif de reconversion par rapport à un délai qui aurait pu être communément prévisible tiendrait aux efforts qu'il a lui-même accomplis.

Delor Vincent indique elle-même avoir retrouvé depuis février 2005 un nouveau concédant, Valtra, pour la commercialisation de tracteurs neufs et pièces détachées ; il ressort des pièces produites aux débats que la société Gévaudan Machines agricoles établie à Langogne concessionnaire Valtra qui avait pour gérant Monsieur Yves Delors, également désigné en qualité de co-gérant de Delor Vincent sur l'extrait kbis de cette dernière édité le 15 novembre 2005 [sic].

Si comme elle le prétend, Delor Vincent n'a pas aujourd'hui réussi à recomposer de manière stable son activité 7 ans après la rupture, cette situation est imputable à la rupture elle-même qui n'est pas intrinsèquement fautive, et à la baisse sensible et générale des ventes d'agro-équipements sur le marché français de 15 % en 2009 et 10 % en 2010 dont témoignent divers articles de presse, et non aux conditions de la rupture.

Dès lors le délai de préavis de 30 mois revendiqué par Delor Vincent comme devant être le délai normalement nécessaire à sa reconversion ne peut être retenu, et il convient de s'en tenir au délai d'un an tel qu'il était stipulé au contrat signé le 17 mai 2001, expirant ainsi au 10 septembre 2005.

Les agriculteurs étaient informés de ce que l'équivalence entre les tracteurs anciennement Renault Agriculture désormais Claas, un organe de presse agricole ayant notamment publié en décembre 2004 un article indiquant "les modèles du catalogue Claas sont pour le moment identiques aux tracteurs Renault mais bénéficient d'une nouvelle procédure de contrôle qualité dans l'usine du Mans. Un argument que Claas entend faire valoir afin de reconquérir les parts de marché perdues par Renault au cours des trois dernières années".

Delor Vincent, compte tenu de la résiliation qui lui avait été notifiée, a d'elle-même enlevé de son site d'exploitation toute signalisation Renault Agriculture en octobre 2004. Renault Agriculture n'a pu elle-même respecter le préavis d'un an, ayant d'ores et déjà cessé son activité de commercialisation de tracteurs et pièces détachées donnée en location-gérance à Claas France. Dans le début de l'année 2005 Claas France a présenté Delor Vincent comme faisant partie de son réseau dans ses documents publicitaires, et indique avoir continué de fait à ouvrir à Delor Vincent les services du réseau anciennement Renault Agriculture, jusqu'à la fin du préavis auquel Renault Agriculture était tenue.

Mais les échanges de correspondances démontrent l'existence d'une réelle ambiguïté quant à la nature des relations ayant existé entre Claas France et Delor Vincent à partir du 1er octobre 2004 ; dans un premier temps Claas France semblait considérer ses relations avec Delor Vincent dans la perspective du nouveau contrat de concession à régulariser, alors que de son côté Delor Vincent en refusait la signature ; c'est uniquement à compter du mois d'avril 2005, alors que Delor Vincent avait déjà retrouvé un nouveau concédant, que Claas France a fait référence, et seulement à titre incident et accessoire, au préavis dont le respect était dû à Delor Vincent.

Pendant cette période de préavis conventionnel d'un an et à tout le moins jusqu'en février 2005 il n'apparaît pas que Delor Vincent a procédé à des commandes de pièces et de tracteurs neufs suivant les volumes moyens pratiqués les années précédentes, comme elle aurait pu le faire s'il lui avait été clairement annoncé qu'elle se trouvait en période de préavis, lui permettant, sans avoir à s'engager avec Claas France, de continuer à commander et à vendre des tracteurs neuf Renault Agriculture devenus Class tout en poursuivant dans les mêmes conditions les matériels de fenaisons de marques multiples.

Le non-respect par Renault Agriculture du préavis auquel Delor Vincent pouvait légitimement prétendre, se trouve ainsi caractérisé.

Delor Vincent demande la condamnation de Renault Agriculture au paiement des sommes de 253 212 euro au titre de la perte de marge sur la vente de tracteurs neufs et de 473 957 euro au titre de la perte de marge relative à la vente de pièces détachées ; elle calcule ces préjudices sur la base de 30 mois, par référence à la marge mensuelle moyenne que, selon ses dires, elle aurait pu réaliser en cas de poursuite des relations, comme si elle avait brutalement cessé toute activité.

Mais le préjudice doit être indemnisé tel qu'il existe réellement par référence à la marge effectivement perdue, en tenant compte de la marge réalisée pendant la période de préavis, quand bien même celle-ci provient de la reprise d'une activité commerciale avec un nouveau partenaire.

Delor Vincent prétend à la réalisation d'une marge annuelle moyenne de 101 285 euro sur les ventes tracteurs neufs et de 189 583 euro sur les pièces détachées, mais ne produit aucun élément quant à la marge effectivement réalisée pendant la durée de préavis sur la vente des mêmes produits, qu'ils soient Renault devenu Claas dans un premier temps ou Vautra pendant la deuxième moitié du délai de préavis, alors que dans son activité figure également celle de vente de matériels agricoles divers.

À défaut d'autre élément il convient de procéder par référence aux différences de marge globale, étant observé que Delor Vincent ne démontre pas que son activité vente de matériels agricoles autre que tracteurs, qu'elle évalue à 15 % de son activité totale, suive une évolution radicalement différente des autres.

Se référant à la marge brute réalisée par Delor Vincent pour l'ensemble de son activité entre 2003 et 2007, dont elle a établi la courbe d'évolution, Claas Tractor considère que la perte de marge a été limitée à 16 000 euro comparant les chiffres de 2004 et 2005, et faisant valoir que le chiffre de 2005 était en tout état de cause supérieur à celui de 2003, que la marge réalisée en 2006 était de loin supérieure à celles de 2003 et 2004 et avait encore augmenté en 2007.

Elle conteste par ailleurs la référence à la marge brute, au motif que certains frais ne sont plus supportés par le distributeur lorsque son activité cesse.

Il convient en l'espèce de se référer à la perte de marge brute, dès lors que, l'activité de Delor Vincent s'est trouvée brutalement ralentie à raison des conditions de la rupture, alors que dans le même temps elle a continué de supporter les mêmes charges, et que certains éléments de son équipement se sont trouvés temporairement sous-employés.

Mais les chiffres produits par Delor Vincent et la courbe établie par Claas Tractor démontrent qu'à l'exception de la période 2004/2005 correspondant au préavis, la marge réalisée était en progression constante antérieurement, et après la reprise de relations commerciales avec Valtra a repris une progression constante, bien que dans une proportion légèrement inférieure.

Le préjudice doit être indemnisé non pas par référence à la différence entre les marges effectivement réalisées en 2004 et 2005, mais par référence à la différence entre la marge effectivement réalisée en 2005 et celle qui aurait dû/pu l'être en cas de maintien des relations normales pendant la durée du préavis, au regard de la croissance moyenne d'année en année.

Compte tenu de ces éléments la perte de marge subie pendant la durée du préavis doit être fixée à la somme de 80 000 euro.

La société Delor Vincent demande paiement de la somme de 80 493 euro au titre de son stock résiduel de pièces détachées.

Mais ce stock constitue un élément d'actif dont les seuls tableaux produits n'établissent pas qu'il se rapporterait intégralement à des tracteurs ; par ailleurs les tracteurs anciennement Renault Agriculture demeurant commercialisés sous le seul changement de marque devenue Claas ; il n'est ni prétendu ni à plus forte raison démontré que ce stock ne pourrait être cédé.

Delor Vincent sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

Delor Vincent demande paiement de la somme de 215 077 euro au titre du préjudice subi du fait de la sous-utilisation des bâtiments et des charges accrues de fonctionnement liées aux investissements.

Les investissements dont elle fait état correspondent notamment à l'acquisition d'un pont roulant en 1999 et d'un banc d'essai en 2001; ces équipements ne sont pas perdus, Delor Vincent en a conservé l'usage pour l'exploitation de son activité qui ne se limitait pas à la commercialisation de tracteurs neufs, et la reprise de cette dernière part d'activité avec Valtra à compter de février 2005. La sous-utilisation alléguée, en raison de ce que Delor Vincent ne vendait plus aucun tracteur neuf Renault Agriculture et ne faisait quasiment plus de réparation sur ces matériels et de ce que l'activité avec son nouveau concédant ne lui permet toujours pas d'exploiter ce matériel, est une conséquence de la rupture elle-même intrinsèquement non fautive, et non des conditions de celle-ci. La sous-utilisation de ces équipements pendant la durée du préavis est déjà prise en considération, par l'indemnisation par référence à une perte de marge brute.

Il en est de même en ce qui concerne la location de son nouveau bâtiment à compter de 2001 et des travaux de téléphonie, pré-câblage informatique et équipement informatique réalisés dans celui-ci.

Delor Vincent doit en conséquence être déboutée de ce chef de demande.

Delor Vincent demande l'allocation de la somme de 50 000 euro au titre du préjudice subi du fait de la détérioration de son image de sérieux.

La disparition de l'enseigne Renault Agriculture, et son remplacement par l'enseigne Claas étaient connus du monde professionnel agricole, comme un fait général sur tout le territoire national, sans mise en cause de la qualité des concessionnaires ; Renault Agriculture a immédiatement informé Delor Vincent de ce qu'un contrat lui serait proposé par Claas France, et cette dernière l'a mentionnée dans sa documentation publicitaire Delor Vincent comme faisant partie du réseau Claas alors même qu'aucun contrat n'avait été signé ; dans ces conditions Delor Vincent ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle aurait subi, du fait de Renault Agriculture, une atteinte à son image de sérieux. Elle sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

Delor Vincent demande paiement de la somme de 50 000 euro au titre du préjudice subi du fait de la désorganisation commerciale ; mais elle n'établit pas en quoi celle-ci, qui résulterait de la perte de temps en matière de développement commercial sur un marché très concurrentiel et la nécessité d'investir en énergie et en temps de formation afin que son équipe retrouve une compétence technique pour aller conquérir une nouvelle clientèle, serait la conséquence des conditions de la rupture, et non de la rupture elle-même.

Elle sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

Au vu de l'ensemble de ces éléments Claas Tractor anciennement Renault Agriculture sera condamnée, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, à payer à Delor Vincent la somme de 80 000 euro.

Delor Vincent ne rapporte pas la preuve d'un comportement dolosif de "la société Claas" et sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Claas Tractor supportera les entiers dépens de première instance d'appel et de renvoi après cassation, et devra verser à Delor Vincent une indemnité de procédure qu'il convient de fixer à la somme de 10 000 euro.

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort, en complément de l'arrêt rendu par la présente cour le 18 novembre 2010 sur renvoi après cassation ; Constate la rupture brutale par la société Renault Agriculture des relations commerciales établies avec la société Delor Vincent, Fixe à un an le délai de préavis ; Condamne la société Claas Tractor venant aux droits de la société Renault Agriculture, sur le fondement de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, à payer à la société Delor Vincent la somme de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts ; Déboute la société Delor Vincent du surplus de ses demandes en paiement de dommages et intérêts ; Condamne la société Claas Tractor à payer à la société Delor Vincent la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.